Le cinéma et la der des ders
Introduction
« C’est la dernière fois que je vous importune avec mes chiffres terribles. Mais par comparaison avec le temps mis par les troupes alliées à descendre les Champs-Élysées lors du défilé de la Victoire (environ trois heures je crois), j’ai calculé que, dans les mêmes conditions de vitesse de marche et de formation réglementaire, le défilé des pauvres morts de cette inexpiable folie n’aurait pas duré moins de onze jours et onze nuits. Pardonnez-moi cette précision accablante. » Telles sont les dernières phrases, lues par Philipe Noiret, de la lettre d’un personnage fictif, le commandant Dellaplane, sorti des imaginations associées de Jean Cosmos et de Bertrand Tavernier pour les besoins de « La Vie et rien d’autre », l’un des films qui aura le plus contribué à la mémoire de la guerre dont nous venons de commémorer l’armistice. « Capitaine Conan », du même scénariste et du même réalisateur, redonne vie à ce « Corps expéditionnaire d’Orient », dont les soldats poursuivirent la guerre dans les Balkans bien après que les cloches avaient fait retentir l’heure de l’armistice. Le succès de ces deux films- que vient amplifier leur audience à chaque passage à la télévision ou sur le câble- est assurément dû à leurs auteurs et à leurs interprètes. Mais ce sont aussi des œuvres qui atteignent en nous quelque chose de profond et souvent d’informulé : le vertige devant l’ampleur de ce que cette guerre aura détruit et le besoin inlassable de savoir, de comprendre et de compatir. Dès les premières années de la guerre, le cinéma fut mis à contribution, tantôt pour répondre à ce besoin, tantôt pour promouvoir telle ou telle vision du conflit. Cent ans plus tard, la Der des ders continue d’inspirer les cinéastes, même s’ils l’abordent sous un angle inédit – celui de la place des femmes dans une société en guerre- comme Xavier Beauvois dans un film de 2017, « Les Gardiennes ».