DIAGNOSTIC
Introduction
ISSN 2608-984X
Philippe Meyer :
En 2022, 82 % de l’énergie consommée dans le monde était d’origine fossile. Cette proportion reste inchangée depuis quarante ans. De ce chiffre accablant, David Djaïz et Xavier Desjardins tirent un constat provocateur : « la transformation écologique n’a pas commencé. » Malgré la reconnaissance de la crise climatique et les efforts engagés pour combattre ses effets sur l’environnement, la croissance démographique, la hausse de la consommation énergétique et les hésitations politiques maintiennent notre dépendance aux énergies fossiles. « Pire, les timides mesures écologiques déjà engagées rencontrent souvent de virulentes oppositions partout en Europe ».
Le défi climatique se caractérise par une double contrainte de temps et d’objectif. Nous devons, en effet, atteindre la neutralité carbone autour de 2050. D’où le titre de votre essai : La Révolution obligée, au double sens du terme, à la fois inévitable et fortement dirigée. « Malheureusement, nous n’avons pas trente ans, pas même dix pour penser et expérimenter le comment agir. Aussi renvoyez-vous à un penseur du gouvernement dans l’urgence, Machiavel, qui nous apprend que « lorsque la tempête approche, une pensée politique valide ne se développe pas in abstracto, mais se forge en situation, sous les contraintes concrètes de l’action. » Ces contraintes sont nombreuses.
D’abord, comme la révolution industrielle, la transformation écologique exige un changement de ressources énergétiques, le déploiement d’innovations technologiques et institutionnelles, une forte augmentation de l’investissement dans de nouvelles industries et la relégation de certains équipements. Mais elle doit se produire à une vitesse bien plus rapide et sans les mêmes promesses de gains économiques. C’est pourquoi « tout le monde se renvoie la balle » ; chacun estime que les autres doivent porter la majeure partie des efforts. Ainsi la transformation écologique est-elle la source d’une compétition entre les territoires, les secteurs, les classes sociales et les générations. De plus, les problèmes écologiques entrent parfois en contradiction. Par exemple, certaines mesures en faveur de la décarbonation peuvent nuire à la biodiversité ou au cycle de l’eau. Enfin, régler l’urgence climatique ne peut être accompli indépendamment des huit autres processus écologiques qui caractérisent le système Terre.
Malgré ces obstacles, « le coût de l’inaction climatique est infiniment supérieur à celui de l’action. » C’est ce qu’ont compris la Chine et les États-Unis, engagés dans des transformations intégrées à leurs stratégies nationales. La Chine, avec son concept de « civilisation écologique », mène une politique d'autoritarisme vert, tandis que les États-Unis, à travers l'Inflation Reduction Act, investissent massivement dans les énergies renouvelables et les technologies vertes. L’Europe a, quant à elle, adopté un ensemble de normes, d’instruments de marché et de soutiens à l’innovation afin de devenir le premier continent « climatiquement neutre » en 2050. Mais son Pacte Vert fait face à des défis de financement et de soutien social. Vous le jugez trop réglementaire et inadapté aux enjeux politiques, économiques et sociaux de la transition écologique.
Kontildondit ?
Nicole Gnesotto :
Votre livre est passionnant David, car vous êtes très pessimiste dans les constats, et très optimiste quant aux solutions. Personnellement, je ressens plutôt l’inverse.
Premier constat : on n’avance pas. Il est vrai que si l’on regarde par exemple les dix plus grandes entreprises mondiales en termes de chiffre d’affaires, elles sont dans le secteur de la banque et de l’énergie. On est donc loin d’avoir fait la transition. Ensuite : si l’on veut s’en sortir il faut désormais aller très vite. Nous avons déjà atteint l’augmentation de 1,5°C qui était la limite posée par l’accord de Paris pour la fin du siècle. Enfin, le troisième constat est celui me paraît le plus intéressant : toutes les injonctions sont contradictoires. Il faut concilier la transition écologique avec la paix sociale, la rigueur budgétaire, la solidarité avec le Sud … En revanche, et c’est ce qui me rend optimiste, il est possible de nuancer ce constat de deux façons.
D’abord, il est faux de dire qu’on n’avance pas. Quand on regarde l’état du débat dans les années 1980-1990, on s’aperçoit qu’il était mené par les climatosceptiques. Il y avait toute une brochette de scientifiques qui contestaient le réchauffement, ou la responsabilité humaine dans le réchauffement. Et ça, c’est terminé. On a fait un énorme progrès dans la prise de conscience collective. Évidemment, il reste des contestations, mais elles viennent de partis politiques qui instrumentalisent les mécontentements des uns et des autres, il ne s’agit plus de contester la véracité du réchauffement. Et il me semble que c’est un progrès fondamental pour effectuer la « révolution » que vous prônez.
Ensuite, vous nous dites que l’innovation écologique, les technologies qu’il nous fait développer, ne seront pas créatrices d’emplois, comme avaient pu l’être celles de la révolution industrielle du XIXème siècle. Je vous répondrai : « on n’en sait rien ». Quand on a inventé en 1769 la machine à vapeur, ou l’éclairage au gaz en 1786, personne n’aurait pu imaginer les transformations que ces inventions allaient engendrer. Par conséquent, c’est aller un peu vite que de dire dès aujourd’hui que ces technologies vertes ne seront pas créatrices d’emplois.
Vous dites que les innovations à venir vont nous rendre plus « sobres » énergétiquement, mais qu’elles n’augmenteront pas la productivité industrielle. Mais la productivité doit-elle rester le critère essentiel ? Est-ce qu’une vraie révolution écologique ne consisterait pas justement à remettre en cause ce critère ?
David Djaïz :
Ce qui nous attend se présente comme un phénomène social total, d’une ampleur comparable à la construction nationale, ou à la révolution industrielle. C’est pourquoi Xavier Desjardins et moi avons caractérisé ce phénomène par l’expression « révolution obligée », par approximation avec la révolution industrielle. Il ne s’agissait pas de dire que c’est le même processus, mais plutôt d’essayer de comprendre à quel point cela allait rebattre les cartes.
Les deux grands politistes Martin Lipset et Stein Rokkan, qui avaient travaillé sur l’origine des grands clivages dans les démocraties, expliquaient que ceux-ci adviennent toujours lors de phénomènes historiques totaux, en l’occurrence la construction nationale et la révolution industrielle. Il y a deux types de clivages lors de phénomènes historiques aussi majeurs : des clivages d’opportunité et des clivages de modalité.
Dans les clivages d’opportunité, la société se partage entre ceux qui veulent entrer dans le processus, et ceux qui s’y y opposent. S’agissant de la nation, le premier clivage était entre la féodalité et le proto « Etat-nation central ». S’agissant de la révolution industrielle, le clivage est les propriétaires fonciers et les propriétaires industriels. Et puis, une fois que le processus s’enclenche (car il est inévitable et irréversible), les clivages deviennent des clivages de modalité.
C’est-à-dire : qui contrôle le processus ? S’agissant de la nation, pour Lipset et Rokkan, le clivage est entre l’Eglise et l’Etat (et notamment la question scolaire : qui contrôle le processus de construction nationale ?). S’agissant de l’industrie, le clivage est entre capital et travail. Qui capte la valeur ? Est-ce le propriétaire de l’outil de production, ou bien l’ouvrier qui livre sa force de travail ?
C’est cela, le cœur du livre ; nous ne l’avons pas formulé comme cela, car nous ne souhaitions pas en faire un ouvrage universitaire. Nous sommes à l’aube d’un phénomène historique total, donc il y a des clivages d’opportunité. Il y a ceux qui veulent entrer dans la transition, et ceux qui s’y opposent. Mais très bientôt vont apparaître des clivages portant sur les modalités de cette transition.
Là où je vous rejoins, et où l’on peut être raisonnablement optimiste, c’est qu’aujourd’hui en Europe, 80% de l’opinion publique ne nie pas la réalité du changement climatique et est convaincue qu’il faut agir. Donc nous avons plutôt gagné la bataille de l’opportunité. Nous devons à présent livrer celle des modalités. Et là, nous avons un énorme problème, car contrairement à la construction nationale qui s’est étalée sur plusieurs siècles, ou à la révolution industrielle qui a duré environ 150 ans, ici, si nous voulons tenir le calendrier que nous prescrivent les scientifiques, c’est-à-dire un objectif de neutralité climatique autour de 2050, nous devons transformer tout un système industriel et énergétique en moins de 30 ans, et nous n’avons pas le début du commencement d’une méthode crédible. Nous sommes la poule face à un couteau. Il nous faut engager la bataille du comment.
Lucile Schmid :
Ce qui est passionnant dans ce livre, c’est la façon dont cette question du comment est associée à celle du pouvoir. Philippe évoquait Machiavel dans son introduction, et j’estime qu’il y a depuis longtemps une forme d’impensé chez ceux qui portent cette « révolution obligée ». Il y a des personnes engagées en faveur de ces transformations écologiques depuis environ 150 ans, mais elles se voyaient comme des contre-pouvoirs, ou dans des univers parallèles à celui du pouvoir. Il me semble qu’aujourd’hui l’essentiel est de passer du concept de « minorité active » de Serge Moscovici, à celui de majorité active en faveur d’un modèle écologique.
Le comment auquel vous vous intéressez, c’est l’exercice du pouvoir. Il s’agit donc de sortir des postures d’interpellations ou de récriminations, ou, du côté du pouvoir, de postures de défense de « l’écologie des solutions », qui, comme vous le montrez bien dans le livre, ne sont pas des solutions … C’est simplement l’opposition de deux récits : l’un est « techno-solutionniste », et s’oppose à l’autre, plutôt « décroissant ». Qui seront ces hussards de cette « République verte », et même de ce « monde vert » ?
Vous assumez une vision géopolitique, et associez cette écologie du « comment » à une vision du monde. Je rappelle qu’Ursula von der Leyen, quand elle a été élue à la tête de la Commission européenne en 2019, avait déclaré qu’il fallait un mandat « à la fois plus écologique et plus géopolitique ». Et très régulièrement, on voit bien que ce sont deux mondes dissociés. Vous essayez de les réconcilier, de les faire interagir.
David Djaïz :
Nous souhaitions effectivement aller contre cette vision de l’écologie comme se déroulant dans un espace euclidien. C’est souvent l’erreur des politiques publiques ayant trait à l’écologie : on pense qu’il faut faire des efforts, que tout cela est calculé, puis « atterrira » dans le réel. Alors qu’en fait, le réel est déjà là, déjà contradictoire, déjà saturé de demandes internes et de pressions externes. Le cas de l’agriculture est particulièrement parlant : l’agriculture est un système économique très complexe, dans lequel il y a des fermiers, mais aussi des vendeurs d’intrants (souvent des oligopoles), des distributeurs, des consommateurs … Tous ont un rapport affectif à l’alimentation. Évidemment, il faut transformer en profondeur l’agriculture dans un sens écologique, mais on a un problème de « conduite du changement » comme disent les managers. On ne fait pas pivoter un système aussi complexe, comportant autant d’acteurs, simplement en décrétant des objectifs chiffrés et des normes sur les pourcentages de jachères et les modalités de curage des fossés … Il faut avoir une intelligence de toute la chaîne. Sans quoi on donne l’impression à certains de ses maillons, des gens déjà écrasés par les charges en augmentation et les recettes qui stagnent, qu’ils ne vont pas pouvoir s’en sortir. Nous sommes dans un monde où il y a des demandes internes et des pressions externes, et les Etats-Unis et la Chine ont intégré tout cela.
Certains nous ont reproché de « greenwasher » la Chine dans notre livre. Ce n’est pas cela, nous savons bien qu’il s’agit encore du pays le plus pollueur et le plus pollué du monde ; simplement, les Chinois intègrent les transformations écologiques à un modèle national, et même nationaliste. Autrement dit, il les font entrer dans des équations politiques et sociales. Le problème est que ces transformations ne sont pas suffisantes pour atteindre les objectifs. L’Europe fait exactement l’inverse : elle a tout calculé au cordeau pour les atteindre, mais à cause de son impuissance constitutive, elle n’arrive pas à « faire atterrir » la transformation environnementale dans les équations politiques et sociales.
Il y a un changement majeur par rapport aux grandes philosophies politiques du XIXème siècle. A l’époque, quand on était socialiste, on regardait la société industrielle et capitaliste, on en constatait les ravages, et puis on rêvait d’un monde meilleur. Chez Marx, la description de « la société sans classes » tient en 20 pages très allusives, alors qu’il en consacre des milliers à analyser les contradictions de la société capitaliste. Ici, la destination nous est donnée à l’avance : nous devons aller vers des sociétés soutenables écologiquement. Donc d’une certaine façon, le chemin compte plus que la destination. Par conséquent, le contrat social qu’il nous faut bâtir est un contrat de transition : quels sont les choix économiques, politiques, techniques, sociaux, moraux que nous allons faire dans les trente prochaines années pour atteindre ces objectifs déjà connus ? Il y a un très bon rapport de l’ADEME qui présente quatre scénarios possibles pour arriver à la neutralité climatique en France. Il y a une façon quasiment socialiste : locavore, frugale, démondialisée. Il y a une façon très technologique, très capitaliste. Les choix de société qui nous attendent ne concernent pas les utopies de lendemains qui chantent. Nous savons où nous voulons aller : vers la survie collective. Les choix porteront sur le comment.
Béatrice Giblin :
Je reviens aux premiers chapitres du livre, qui portent sur la Chine et les Etats-Unis. Ce que j’ai apprécié sur la Chine, c’est qu’au lieu de dire (comme énormément de commentateurs) que la Chine ne fait rien et qu’elle est le pays le plus polluant du monde, vous montrez qu’elle fait des choses, et depuis plus longtemps qu’on ne veut bien le dire. Et par le biais de ses entreprises, puisque le contrôle environnemental et social dans les entreprises est évidemment bien plus sévère qu’en Europe. Pourquoi la Chine a-t-elle décidé d’agir ? Parce que d’une part le taux de mortalité en milieu urbain et industriel est absolument effrayant, au point que cela a fini par susciter des oppositions qu’il était urgent de calmer. Et puis parce qu’il y a une culture du rapport à la Nature qui est très différente de la nôtre. Je crois qu’il faut prendre cela en compte : dans un système totalitaire comme la Chine, ce rapport à la Nature joue pourtant un rôle important.
La contradiction à laquelle la Chine va devoir faire face, c’est que ce système totalitaire connaît une difficulté (peut-être passagère) : la faiblesse de sa croissance économique va peut-être créer des protestations sociales, qui rendront impossibles un contrôle étatique aussi total. Le système chinois ne pouvait fonctionner que quand l’économie suivait. Si ce n’est plus le cas, que se passera-t-il …? Quant aux Etats-Unis, il est vrai que la politique décidée par Biden avec l’IRA lance véritablement une révolution verte. Mais celle-ci a des manques criants : pas un mot sur l’agriculture, sur la biodiversité … La complexité que vous nous avez expliquée n’y est pas. Je ne suis pas sûre que les choix américains soient de nature à résoudre les problèmes auxquels nous faisons face.
David Djaïz :
Sur la Chine, nous avons en effet souhaité prendre le contre-pied des commentateurs qui, après l’annonce de Xi Jinping à La Tribune des Nations-Unies, n’ont vu que de l’opportunisme stratégique : Trump s’étant retiré de l’accord de Paris, il fallait positionner la Chine dans le multilatéralisme. Ce n’était pour eux que le dernier effort en date dans une politique en cours depuis 20 ans, consistant à investir le plus possible d’organisations internationales. Xavier Desjardins et moi, en examinant les chiffres, disons plutôt : la Chine fait des efforts, et ils sont colossaux. C’est par exemple le pays qui a le mieux amélioré son intensité énergétique. Certes, elle partait de très loin, mais tout de même. La pollution de l‘air, problème social et politique considérable dans les métropoles, a baissé de 42% en dix ans. Il y a des rivières où l’on se baigne, désormais.
Évidemment, ces efforts ont des raisons évidentes. D’abord, la Chine a un usage stratégique de la mondialisation. Elle l’a très bien montré sous Deng Xiaoping : elle a commencé par de l’expérimentation prudente, des petits pas, et elle a fini par s’imposer comme l’atelier du monde. Il me semble que la lecture que fait la Chine de la décarbonation, c’est : « des centaines de millions d’Occidentaux vont avoir besoin de pompes à chaleur, de panneaux photovoltaïques, de batteries … Devenons l’atelier écologique du monde ». Et ça marche : l‘entreprise qui vend le plus de voitures électrique au monde n’est pas Tesla dont on entend parler sans arrêt, mais BYD Auto.
Et puis la société chinoise est un peu une société de l’exploit. On se souvient que pendant le Covid, les Chinois parvenaient à construire en quelques jours de gigantesques hôpitaux, devant lesquels nous nous extasiions. Et il est vrai qu’il existe des chiffres qui donnent le tournis : ils avaient 1.000 kilomètres de lignes de chemin de fer à grande vitesse en 2008 contre 40.000 aujourd’hui. Par ailleurs, la capacité de production d’électricité d’origine éolienne et solaire double quasiment chaque année. Pour autant, les besoins énergétiques sont tels qu’ils autorisent la construction de deux centrales à charbon par semaine … En Chine non plus, les contradictions ne manquent pas.
S’agissant des Etats-Unis, je pense que la trajectoire de décarbonation est moins profonde que celle de la Chine. En revanche, il y a une intelligence de Joe Biden à avoir lié les questions du déclin de la démocratie américaine, du déclin de la classe moyenne américaine et de la rivalité avec la Chine aux nécessaires transformations écologiques. Faire d’une pierre quatre coups, en quelques sortes. Ce qui est intéressant dans le plan IRA, c’est que l’argent va d’abord dans des Etats et des villes désindustrialisés, un peu « rouillés » (Colombus, Cleveland, Tulsa), souvent dirigés par des Républicains. Et je puis vous dire que si Trump est réélu, je ne pense pas qu’il reviendra là-dessus. Sur le multilatéralisme, sans doute, mais pas sur la politique industrielle verte, tout simplement parce qu’elle crée des emplois dans des régions dominées par les Républicains.
NOUVEAU PACTE VERT
Introduction
Philippe Meyer :
« Si l’on veut sauver la transition écologique, il faut imaginer un autre Pacte vert, une nouvelle méthode de conduite du changement écologique. Celle-ci doit s’inspirer de l’expérience chinoise ou américaine, non pas pour les imiter, mais pour comprendre combien la « civilisation écologique » chinoise comme l’IRA américain sont articulés à un imaginaire national, à un modèle de gouvernance, à une économie politique ou encore à une pratique des relations internationales. » Le nouveau Pacte vert doit s’appuyer sur les forces de l’Europe : l’État-providence ; la diversité des territoires et des modes de vie ; la vivacité de la société civile dans un cadre démocratique et pluraliste. Seul un modèle conforme au projet politique européen permettra de recueillir l’adhésion de la société. Aussi proposez-vous un nouveau contrat social qui repose sur trois piliers : un nouvel imaginaire de la solidarité ; un nouveau pacte de production et de consommation ; un nouveau mode de gouvernance.
L'incertitude quant à la répartition exacte des gains et des pertes nécessite, d’après vous, l'adoption d'une nouvelle solidarité, dans le cadre d'un contrat social refondé à partir du « voile d'ignorance » du philosophe libéral John Rawls et l’acceptation collective des coûts. L'État-providence élargi que vous envisagez transcenderait les frontières nationales et inclurait l'eau, l'air, le sol, les animaux, et les végétaux. Ainsi pourrions-nous « réencastrer » nos sociétés dans les limites planétaires, tout en reconnaissant les droits des éléments non humains. Durkheim avait théorisé le passage d’une solidarité mécanique à une solidarité organique. Une solidarité écologique pourrait renouveler la confiance dans les institutions et mobiliser les citoyens.
Votre nouveau pacte de production et de consommation postule la nécessité d'une politique industrielle européenne, qui lui assure son autonomie tout en soutenant l'innovation, la production d'énergie propre et la consommation durable. Pour accompagner cette transformation, vous proposez la création d'un pass climat qui unifierait les aides existantes en faveur de la transition écologique, offrant une flexibilité et un soutien financier adaptés aux besoins et revenus de chaque citoyen européen. Financé au niveau européen, ce pass climat permettrait d’engager tous les citoyens dans l'action écologique et rendrait tangible la solidarité européenne dans la lutte contre le changement climatique.
Vous proposez enfin un nouveau mode de gouvernance fondé sur le contrat. La négociation sectorielle et territoriale adapterait les exigences écologiques aux spécificités locales et permettrait ainsi une transformation plus juste et plus efficace. Vous appelez également à une nouvelle décentralisation et à l'utilisation de nouveaux outils de mesure et de suivi. Cette nouvelle architecture de la transition, fondée sur le consensus régional et la contribution active des collectivités, vise à renforcer la capacité de l'Europe à réaliser une transformation écologique harmonieuse. Vous voyez ce nouveau Pacte Vert comme une opportunité de réenchanter l'Europe et de renforcer la démocratie face aux défis écologiques.
Kontildondit ?
Lucile Schmid :
Il y a là la question de l’articulation entre la société et les institutions, qu’elles soient nationales ou européennes. Nous avions fait il y a quelques temps une émission sur la Chine, et le sinologue Jean-Philippe Béja nous expliquait qu’il y avait en réalité deux « Chines vertes » : celle des institutions, avec une méthode descendante, comprenant des constructions, y compris de villes « vertes » fantômes, et puis il y avait la société chinoise, mobilisée contre les villages du cancer ; au fond, la question écologique est une manière de manifester une aspiration démocratique plus concrète que de brandir des slogans autour de l‘État de droit. Quand Donald Trump décide de sortir de l‘accord de Paris, un certain nombre d’Etats fédérés américains entre en dissidence, rejoints par des entreprises et des associations. Il y a donc de longue date une forte capacité de réaction sociale en dehors des institutions.
Ce qui est un peu différent dans le cas de l’Europe, c’est que l’institution a été capable d’élaborer un Pacte vert très ambitieux, mais sans le nourrir de cette force sociale, de cet élan démocratique qu’on a vu émerger dans d’autres régions du monde. Parce que cet élan écologique, qui est démocratique et social, est souvent un élan qui est contre les institutions. Vous posez la question dans votre livre : comment crée-t-on une politisation, pour éviter d’en faire seulement un sujet normatif ou de subvention. Je suis d’accord avec vous : le Pacte vert n’est pour le moment que la déclinaison écologique de dispositifs technocratiques si complexes qu’ils sont incompréhensibles pour les non-spécialistes, et qui par ailleurs ne fonctionne pas très bien lorsqu’il s’agit d’aller dans les territoires. Bref, il n’est pas de nature à susciter cet élan politique.
Comment peut-on réussir cette articulation entre société et institutions ? Autour d’un leadership, déjà. Ursula von der Leyen voulait être une grande leader verte, et aujourd’hui elle renonce. Et puis une capacité à « descendre », c’est-à-dire à faire coïncider le bas et le haut.
David Djaïz :
Ursula von der Leyen s’est montré courageuse, elle a négocié avec un spectre politique qui va des écologistes aux libéraux, en passant par les socio-démocrates, les conservateurs … Et sur le papier, le Pacte vert européen est tout de même le catalogue le plus consistant, le plus sérieux et le plus ambitieux du monde. Il est bon de le rappeler, car nombreux sont ceux qui pensent qu’on veut renoncer au Pacte vert, alors que c’est tout le contraire.
En revanche, il y a un certain nombre de contradictions qu’il va falloir lever si l’on veut éviter la catastrophe qui se profile : des partis populistes et / ou conservateurs qui convergent pour dire : « haro sur le Green Deal ! On n’en peut plus de toutes ces règlementations qui pourrissent la vie des gens alors que l’Europe ne contribue pas tant que cela aux émissions de gaz à effet de serre. Revenons dans le monde d’avant, celui du business et de la concurrence ».
Si l’on considère que la transition écologique est le défi du siècle, il va falloir mettre en cohérence les différents champs des politiques publiques. On ne peut pas avoir un Pacte vert extrêmement exigeant envers nos agriculteurs, nos artisans et nos industriels, et de ne pas taxer les voitures électriques Chinoises qui entrent en Europe. Je rappelle que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières européennes ne porte pas sur les produits manufacturés. Donc un industriel européen qui veut fabriquer une voiture électrique et qui importe de l’acier chinois a payer une taxe. D’un côté c’est très bien, cela permet de produire de l’acier dans des conditions environnementales correctes, mais de l’autre cela augmente les coûts de production européens. En revanche, l’entreprise chinoise BYD Auto est tout à fait libre de nous inonder de voitures électriques sans s’acquitter de cette même taxe. Et je ne vous parle même pas des négociations Mercosur ou Thaïlande, pays dans lesquels il y a des fermes-usines, avec des millions de poulets et de bœufs, sur fond de déforestation, de travail des enfants, etc. C’est aberrant : on ne peut pas faire d’un côté le pacte le plus exigeant du monde et de l’autre continuer comme si de rien n’était la sarabande du libre-échange.
Il en va de même sur la politique budgétaire : quelle déception que cet accord ! Si vous avez compris quelque chose au nouveau Pacte budgétaire, je serai ravi que vous m’expliquiez. De mon côté, j’ai l’impression qu’on prend à peu près les mêmes règles qu’avant, sauf qu’on les complexifie avec une espèce d’usine à gaz entre Bruxelles et les Etats, mais le résultat (chiffré par plusieurs économistes), c’est que les trois quarts des Etats ne seront pas en mesure de financer l’effort de transition. Pour le moment, l’Europe est une machine à faire des normes, mais celles-ci ne sont pas mises en cohérence selon les différents champs des politiques publiques, jusqu’à parfois se contredire.
Mais le vrai sujet, c’est que l’Europe se nomme diversité et polyphonie. C’était une chance que de travailler avec un géographe sur ce livre, excellent connaisseur de la diversité et des systèmes de mobilité. Et Il y a des choses qui sautent aux yeux des géographes : la politique du vélo à Karlsruhe n’a rien à voir avec celle de Nantes. C’est pourquoi, plutôt que de fixer des délais très contraignants (« fin des véhicules thermiques en 2035 »), il est préférable de mettre un peu plus de fongibilité et de différenciation dans la conduite des opérations. Il ne s’agit pas de changer l’objectif final, mais de dire qu’on va y arriver autrement. On préfère raisonner en parcours de transition, en contrat de transition, plutôt qu’en deadlines fixées par voie de décret, qui font que le 31 décembre 2034, on s’aperçoit qu’il y a encore plein de voitures thermiques, et que c’est une catastrophe sociale. Car pour le moment, c’est toujours la même chorégraphie qui se répète : on fixe un objectif un peu lointain, à mesure qu’on s’en approche les résistances et les crispations se multiplient, et à la fin les gouvernements reculent.
Nous aimerions faire les choses un peu plus intelligemment. Ainsi, le « pass transition » n’est pas un gadget de plus, c’est une proposition très concrète. On dit : on va donner un budget pour financer les équipements écologiques, parce que cela coûte très cher d’acheter une pompe à chaleur, d’isoler son logement, d’acheter une voiture électrique … Pour le moment, on a des dispositifs et des formulaires très complexes, face auxquels les gens baissent les bras : ils n’y comprennent rien et se sentent pris à la gorge. Nous disons : faisons tout apparaître sur un compte transition, et chaque ménage, en fonction de ses contraintes, choisit l’ordre dans lequel il fait les changements nécessaires. Par exemple, si vous habitez en Mayenne, zone de bocages, vous avez évidemment besoin d’une voiture, vous n’allez pas passer tout votre temps à vélo … Donc l’urgence, c’est la voiture électrique, l’isolation peut venir après. Si vous habitez dans une grande ville comme Nantes, la priorité sera ailleurs. Plutôt que de décréter : « la voiture c’est 2035, la fin de la location des passoires thermiques classes F et G c’est 2025 et 2028 », mieux vaut se dire : « vous avez jusqu’à 2040 pour faire les choses, et on vous donne de la fongibilité. Vous avez une obligation de résultat, mais on vous laisse une liberté de moyens bien plus grande ». C’est valable pour les individus, mais aussi pour les territoires et pour les filières. Par exemple, arrêtons de parler de « l’agriculture » comme s’il s’agissait d’un secteur bien homogène et bien unifié, alors qu’il n’y a pas de secteur économique plus divers ; négocions des contrats de transition agro-écologiques, par bassin de production : le maraîchage dans la vallée de la Garonne n’a rien à voir avec l’élevage porcin en Bretagne.
Philippe Meyer :
La première objection qui vient à l’esprit est celle de l’acceptabilité d’un tel raisonnement pour l’administration française.
Nicole Gnesotto :
J’ai deux questions. Sur la transition, ce que vous dites est convaincant si l’on s’en tient à un problème : l’agriculture, l’alimentation, et peut-être la voiture et le logement. Mais la contradiction la plus importante à résoudre, c’est comment tout cela s’articule avec l’ensemble des autres contraintes : contrainte budgétaire pour les Etats, contrainte de solidarité avec le Sud, contrainte de paix sociale … C’est là où votre solution « décentralisatrice » m’étonne. J’ai l’impression qu’il faut au contraire une vision globale de l’ensemble des transitions à mener. Qui va coordonner la transition agricole avec la transition budgétaire et la transition géopolitique ? Les solutions que vous proposez sont très intéressantes, mais ne me semblent concerner qu’une partie de la transition.
A propos du contrat social, vous dites que pour le moment, le ton de la politique écologique est celui du sacrifice : des générations actuelles pour les générations futures, et des riches pour les pauvres. Or on ne bâtit pas un contrat social là-dessus ; il faut donner aux gens quelque chose de désirable. Et je regrette, mais circuler à vélo, aller en vacances près de chez soi, loger en appartement plutôt qu’en maison individuelle n’est pas spécialement désirable. Je m’interroge beaucoup sur la façon dont on peut vendre ce nouveau contrat de société à des gens qui sont habitués à un tout autre modèle.
David Djaïz :
Nous ne disons pas qu’il faut renoncer à la centralisation des objectifs, bien au contraire. Aujourd’hui, l’Europe s’est fixée un objectif de neutralité climatique en 2050, et c’est le bon. Le travail effectué par l’équipe d’Antoine Pellion à la planification écologique est un excellent travail d’expertise : on voit très bien la hauteur des marches à gravir, secteur par secteur. Mais rien de tout cela ne présume de la façon dont on va faire ces efforts. Ce n’est pas parce que vous dites « les émissions doivent baisser de x % » que vous avez commencé à les diminuer. Et une intelligence centralisée n’est pas capable de réussir une opération aussi complexe qu’une décarbonation dans des configurations politiques, sociales et géographiques aussi diverses. C’est pour cela que nous disons : le contrat et la négociation sont de bien meilleurs vecteurs que la loi pour atteindre un objectif de ce type. Mais cet objectif est toujours fixé par la puissance centrale (nationale ou européenne). C’est un changement complet du rapport entre les citoyens ou les entreprises et la puissance publique. On fixe un objectif de résultat, parce qu’on n’a pas le choix, mais on laisse bien davantage de liberté, quant aux moyens de créativité et de répartition des pertes. Parce que oui, une partie de tout cela va faire mal, va coûter cher, et va obliger à changer de mode de vie. Mais il ne faut pas que cela tombe toujours sur les mêmes. L’intérêt de ces contrats de transitons, c’est aussi de mettre tout le monde autour de la table, et de regarder de manière très concrète comment on peut lisser les pertes. Comment un transformateur comme Danone, ou un distributeur comme Système U peut contribuer, par des contrats de réciprocité, à investir dans les transformations de l’outil de production des agriculteurs.
Vous avez raison d’être inquiète sur le fait que si tous ces changements n’apportent que du moins désirable, si ce ne sont que des pertes de confort et de bien-être, on va voir des problèmes. Il y a donc tout un travail à faire sur les gains. Car il y en aura aussi. Des gains de santé déjà : quand on mange mieux et qu’on bouge un peu plus, cela a généralement des effets positifs. Je crois que dans une société si préoccupée par le bien-être et par son « cher moi », la santé est un outil important pour faire entrer l’écologie dans l’équation politique. Ensuite, le lien social. Xavier Desjardins est aussi urbaniste, et faire la ville à l’heure de l’écologie, c’est faire un peu plus de densité, de verticalité, d’intensité d’usage. Il y a un exemple très concret : les cantines d’entreprises. Aujourd’hui, elles fonctionnent deux heures par jour, cinq jours par semaine. Cet espace pourrait être exploité autrement, on pourrait y accueillir des séminaires, des associations, faire en sorte qu’il y ait une plus grande rotation des activités sociales et des gens dans un même bâtiment : des gens différents qui se croisent. Ce faisant, on recrée du lien, plutôt que de construire toujours à l’horizontale. Et puis, il y a la beauté, qui n’est pas négligeable non plus. La civilisation industrielle a tout de même accouché d’une France moche, avec ces abords de ville hideux, ces zones commerciales et leurs parkings désolants …
Enfin, pour ma part, je ne considère pas qu’écologie rime forcément avec décroissance. Sobriété bien plus grande, certes, dans la consommation de matériaux, d’énergie, d’eau … Mais personne n’a prouvé qu’il était impossible de continuer à prospérer en étant plus frugal et plus attentif.
Béatrice Giblin :
La prise de conscience s’accélère, et ne serait-ce qu’en dix ans, beaucoup de choses ont vraiment avancé. Il suffit de voir la proportion de jeunes qui ne mangent plus, ou quasiment plus, de viande. Nous sommes à un moment où de vrais changements peuvent se produire.
J’aimerais revenir sur les collectivités locales, dont vous parlez beaucoup dans votre livre. En France, elles sont extrêmement diverses : on est une collectivité locale à parfois 50 habitants … Et on ne fera pas faire les mêmes choses aux une et aux autres. Il y a une réflexion à mener : la collectivité locale, c’est quoi ? Jusqu’où ira-t-on ? Vous avez évoqué la diversité des situations en Europe, c’est effectivement essentiel : en Belgique, en Allemagne, les territoires des collectivités locales sont très grands, elles disposent donc de moyens qui sont tout autres. Et puis, les projets agro-écologiques se mèneront forcément dans des intercommunalités. Or les rivalités internes sont une réalité, et ce sera un problème très difficile à régler. Ce n’est pas parce qu’on est au niveau local que tout va bien et que tout le monde s’entend, loin de là.
On passe son temps à critiquer le « mille-feuilles » administratif français, où l’on ne sait pas exactement qui fait quoi, où il faudrait définir précisément ce qui relève de la région, du département, de la communauté de communes ... Personnellement, je pense tout l’inverse. Il est très important que tous ces niveaux se trouvent ensemble autour d’une table pour porter un projet. Et qu’au lieu de leur dire : « tel sujet ne vous concerne pas », il faut au contraire les faire marcher ensemble le plus possible.
David Djaïz :
Si on considère qu’on a affaire à une révolution énergétique, industrielle, agricole et même sociale, il est naïf de penser qu’elle se fera à droit constant. La pauvreté de la réflexion institutionnelle de l’écologie politique est parfois un peu désolante, parce que le défi est colossal. La révolution industrielle avait accouché du droit social, même si c’était dans la douleur : droit de grève, syndicats, Etat-providence, etc.
Ce que nous disons dans le livre, c’est qu’une certaine époque de la décentralisation est révolue : celle de la spatialisation de l’Etat-providence. En gros, la décentralisation a consisté à déléguer à des communautés politiques plus proches des citoyens le pouvoir de construire des équipements (écoles, crèches, routes, etc.). Avec tous ces rituels bien rôdés : « vous me donnez une compétence mais je n’ai pas les moyens de la financer » qui finissent par lasser …
Nous disons que l’écologie nous place dans une configuration totalement différente : il va s’agir de gérer de la rareté. Prenons l’exemple du « Zéro Artificialisation Nette des sols » (ZAN) qui fait beaucoup débat dans la ruralité ces temps-ci. C’est de la rareté foncière. On s’y est pris « à l’ancienne », c’est-à-dire qu’on a fixé un objectif au niveau de l‘Etat, qu’on a ensuite réparti arithmétiquement selon les régions : « vous devrez réduire l’artificialisation de tant, avant telle date ». Puis on s’en est lavé les mains : aux régions de négocier avec les intercommunalités. Résultat : à part quelques rares exemples, il n’y a pas eu de vraies négociations, et donc tout cela va tomber sur la tête d’intercommunalités très différentes les unes des autres.
Xavier et moi pensons que ce processus du ZAN est une parfaite occasion de réinventer la décentralisation. Prenons deux intercommunalités de la région Pays de la Loire. Les Sables-d’Olonne d’un côté, et une intercommunalité rurale de Mayenne (zone de bocages) de l’autre. Aux Sables-d’Olonne, il y a beaucoup de saisonniers à cause du tourisme, et beaucoup d’enfants, un dynamisme démographique. Il y a donc besoin d’écoles, de crèches, de logements sociaux, etc. Par conséquent le ZAN est très difficile à atteindre : on a besoin de construire. En même temps, c’est dense et touristique, donc on peut décarboner la mobilité, avec une politique pro-vélos très volontariste, comme sur l’Île de Ré, par exemple. Si on avait une vraie négociation entre les intercommunalités de la région, les Sables-d’Olonne pourraient dire « j’ai besoin de bétonner davantage que la norme, en revanche, je peux aller plus vite sur le vélo » En face, en Mayenne, on a une population vieillissante, et des friches agricoles et industrielles. Donc a priori, pas de gros besoin d’artificialisation des sols. La Mayenne pourrait dire « moi, je peux faire mieux que la trajectoire prévue par le ZAN, en revanche, j’ai besoin de dépolluer les friches industrielles, et les gens ont besoin de leurs voitures ». Chacun pourrait faire avec ses contraintes et ses opportunités, et réussir à boucler au niveau global. Mais aucune intelligence centralisée, nationale ou européenne, ne peut coordonner une chose pareille, à moins d’être soviétique. Il y a une opportunité sans précédent de créer de la vitalité démocratique, de la négociation. Mais cela suppose de revoir complètement la grammaire de la décentralisation.
Le Sénat a un très grand avenir. Aujourd’hui, il est un peu dans la posture de porte-parole du lobby rural « à l’ancienne ». Il y a une opportunité politique très intéressante pour lui : devenir la chambre d’articulation de ces négociations térritoriales. C’est la même chose pour le Bundesrat en Allemagne. Ce qui est passionnant avec la transition écologique, c’est qu’elle nous oblige à réinventer nos institutions. Chose que n’ont jamais vraiment faite les philosophes de l’écologie politique.