Bada # 11 - Questions du public
Kontildondit ?
Remarque d’un spectateur à propos de la tribune d’Emmanuel Macron. Dans l’émission, un point important de cette tribune n’a pas été évoqué : la conférence de refondation. Ce point rappelle au spectateur une idée de Jean-Pierre Chevènement. Et une autre question, destinée à Jean-Louis Bourlanges, concerne la laïcité à la française. Il y a une volonté d’Emmanuel Macron de convoquer les représentants religieux dans le débat européen, ce qui pose un problème en tant que citoyen (pas en tant que fidèle potentiel).
Lucile Schmid (LS) :
Au sujet de la refondation, il y a en effet l’intuition que la question démocratique est posée au niveau européen. L’aspiration européenne est sans doute plus présente dans cette prochaine élection qu’elle ne l’a jamais été lors des précédentes. On la sent dans l’air, mais on sent aussi en revanche déjà une déception par anticipation sur ce que ça va donner. Le problème du débat sur l’Europe est qu’il prend l’apparence d’un débat d’initiés, alors même que nous aspirons à ce que des questions essentielles pour nous soient traités à cette échelle européenne. Sur l’environnement par exemple, on voit bien que l’opinion publique de tous les pays considère qu’on doit régler quelque chose au niveau européen, mais qu’il faut pour cela changer les politiques menées. Comment faire pour que ce débat européen ne soit pas un débat d’initiés ? C’est sur la question démocratique que la lettre d’Emmanuel Macron pèche le plus.
Jean-Louis Bourlanges (JLB) :
Macron est dans une situation difficile, comme l’ensemble des dirigeants européens. Il y a aujourd’hui une sorte de règle tacite : pour intéresser les gens à l’Europe, il faudrait parler de projets, et surtout pas des grands principes. Ce n’est pas l’avis de JLB pour qui l’Europe souffre d’un déficit de signification. On ne sait pas qui doit appartenir à l’Union Européenne, ce que cette Union doit faire par rapport à ce que les états peuvent faire séparément, et comment faire fonctionner un système démocratique associant plusieurs dizaines de peuples. Il est convenu que ces problèmes-là ne sont pas posés. Emmanuel Macron parait sensible à ces problèmes. Il propose cette convention. L’idée est bonne.La convention pour la constitution Européenne avait très bien fonctionné. Elle n’avait pas eu les résultats escomptés car tout était soumis à l’accord unanime des gouvernements, elle s’était donc auto-censurée. JLB est sceptique quant au modèle que propose Macron pour celle-ci. C’est un mélange de l’ancienne convention (qui avait abouti au projet rejeté par les Français en 2005), d’une consultation citoyenne comme il a tenté d’en organiser il y a quelques mois, et de grands débats comme celui qu’on vit actuellement.
Pour JLB, qui croit à la démocratie représentative, une convention qui associerait des députés du parlement européen et des députés issus des différents parlements nationaux lui paraît préférable.
Sur la laïcité. Pourquoi les représentants religieux ne participeraient-ils pas à la réflexion ? On peut en discuter. Les Français sont réticents là-dessus. Philippe Raynaud (dans son livre recommandé pendant les brèves de l’émission du 10 mars) est hostile à une idée (souvent développée par JLB) qu’il juge naïve : la laïcité est issue du message religieux, du message de l’Eglise catholique. Sur ce point, P. Raynaud a à la fois raison et tort. Il a raison, car il est exact que jamais l’Eglise n’a envisagé que le Prince soit quelqu’un qui organiserait la liberté de conscience et la liberté religieuse. Le Prince dans l’histoire de l’Europe était chargé de défendre l’intégrité de la foi. Mais là où il a « tort », c’est qu’il ne prend pas en compte que le « logiciel » du christianisme est favorable à la laïcité, dans la mesure où il distingue profondément l’ordre temporel (le pouvoir), l’ordre intellectuel (la rationalité) et l’ordre de la conscience (la religion et les questions morales). Le christianisme est sans doute la religion qui a le mieux pensé ces différences, et se trouve donc de ce point de vue à l’origine de la laïcité.
Lorsqu’on s’interroge sur les origines chrétiennes de l’Europe, on doit dire comme Rémi Brague, que la laïcité et la sécularisation sont des concepts qui viennent de l’Eglise de Rome.
Question d’un spectateur :
L’échéance du Brexit est très proche. On ne sait pas pas ce qu’il en est aujourd’hui : y aura-t-il un Brexit ou pas ? Les Britanniques participeront-ils aux élections européennes ? La situation est floue. Que pensent les Britanniques de la lettre d’Emmanuel Macron ?
François Bujon de l’Estang (FBE) :
On ne sait pas ce que pensent les Britanniques sur quoi que ce soit, à commencer par le Brexit. Le référendum date de presque trois ans, et il est clair que la situation s’est depuis lors considérablement obscurcie. On ne sait pas ce qu’ils veulent. On ne sait pas ce qui va se passer le 29 mars, tout ce qu’on sait est qu’ils ont voté lors d’un référendum pour quitter l’Union Européenne, et qu’il faut trouver comment sa passera cette sortie. Les déclarations de Mme May se suivent et n‘éclairent rien. La clef de cette affaire se situe à Westminster. C’est aux parlementaires de se mettre d’accord. Les Britanniques ne sont manifestement pas en état de participer à un débat du type « quelle Europe voulons-nous ? » Les thèmes de M. Macron sont des thèmes qui ne les concernent pas. Pour FBE, on peut tenir pour presque acquis ce 10 mars qu’ils ne participeront pas aux élections du mois de mai. Ils serait intéressant de savoir ce qu’ils en pensent, mais il serait encore plus intéressant de savoir ce qui se passera le 29 mars. Et bien malin qui saurait le dire.
Marc-Olivier Padis (MOP) :
Quelle est au fond la signification du Brexit ? Theresa May l’a bien résumée : « Brexit means Brexit. » Cette déclaration a aussitôt soulevé l’interrogation : « what does « Brexit means Brexit » means ? » (que signifie « Brexit veut dire Brexit » ?). Quarante ans de philosophie analytique au Royaume-Uni pour en arriver à un débat sur le verbe « signifier », vidé de sa signification ...
Il est absurde d’imaginer qu’ils puissent participer aux élections du mois de mai. La Commission est prête à négocier un délai supplémentaire, à condition de savoir pourquoi. S’agit-il d’une partie de poker, dans laquelle Mme May compte sur le fait qu’ils seront bien obligés de voter son texte à la dernière minute ? Le débat Britannique sur l’Europe est dans un état de décomposition avancé, qui révèle à quel point ils n’ont jamais adhéré (ni même compris) le projet européen. Toute cette affaire montre l’ampleur du malentendu européen dans la politique Britannique.
Philippe Meyer (PM) :
On a l’impression que ce Brexit consiste à chercher un chat noir dans une pièce obscure, mais que pour Mme May il s’agit de chercher dans cette pièce obscure un chat noir qui n’y est pas, et que côté européen, il s’agit de chercher dans une pièce obscure un chat noir qui n’y est pas, et de crier « on l’a trouvé ! »
Jean-Louis Bourlanges :
La tautologie « Brexit means Brexit » confirme JLB dans son intuition : la tautologie, c’est la figure bourgeoise du désespoir.
Il faut souligner l’absurdité totale de la position Britannique dans ce débat. Ils nous disent : « nous voulons vous quitter, nous voulons créer une frontière entre vous l’Europe et nous, le Royaume-Uni. Nous dessinons donc une frontière sur les neuf dixièmes de la séparation, mais pas sur le dernier dixième. Ni entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, ni entre le Royaume-Uni et la République d’Irlande. Nous n’en voulons pas. Et c’est votre faute ».
Comment veut-on dans ces conditions proposer une solution de négociation ? C’est comme si un installateur d’alarme proposait d’installer un système qui soit sécurisé 23 heures sur 24. On comprend pourquoi ils ne veulent pas de frontière à cet endroit, mais ce sont eux qui veulent partir, donc comment Michel Barnier pourrait-il proposer quelque chose qui satisfasse tout le monde ?
Les votes qui s’annoncent : premièrement, le deal sera revoté, et sera probablement rejeté de nouveau. Deuxième vote : sort-on de l’Union sans deal ? Le non est probable là aussi. Le troisième vote serait logiquement de rapatrier la lettre de rupture. Et bien non, c’est une prolongation qui est demandée. Mme May est absolument ferme sur sa ligne, sans avoir de ligne.
Question d’un spectateur :
Lorsqu’on est concerné par les problématiques écologiques et les accords de Paris, pour qui voter lors des élections européennes ? Les écologistes Français ou Allemands ont fait de la sortie du nucléaire une priorité, alors qu’elle va à l’encontre d’une baisse des émissions de gaz à effet de serre ... Que faire ?
Lucile Schmid :
Sur la question du réchauffement climatique, il est important de rappeler que l’Union Européenne, après avoir été très forte sur le sujet, est aujourd’hui dans une phase où elle est en retrait, dépassée sur ces questions même par la Chine. Ce retrait s’explique par le fait que dans l’UE, la politique énergétique est la prérogative de chaque état. La sortie du nucléaire en Allemagne ne vient pas de Verts Allemands mais d’Angela Merkel. Quelle cohérence européenne peut-on avoir entre un rapprochement des options de chaque état avec les engagement pris ? Le sujet de l’exemplarité est essentiel. Le nucléaire est en effet peu émetteur de gaz à effet de serre, même s’il pose d’autres problèmes (déchets, sécurité ...). Il faut que les états prennent au sérieux la préoccupation des citoyens sur ces questions, dont s’emparent aujourd’hui collégiens et lycéens.
Les préoccupations écologiques (le réchauffement climatique, mais aussi la sauvegarde de la biodiversité) sont aujourd’hui un enjeu démocratique fort. On peut se demander au niveau européen si cela va se refléter dans le taux de participation à la prochaine élection. On ne peut pas dire pour le moment que les différents gouvernements prennent ce sujet très au sérieux. C’est l’expression même du décalage symbolique entre la jeunesse européenne, mobilisée sur ces enjeux, et les institutions interpellées.
Question d’un spectateur : sur la lettre de Macron. Pourquoi la taxe GAFA n’est-elle pas créée dans les 24 pays qui sont d’accord ? Et pourquoi n’obtient-on pas un accord a minima sur l’OFPRA européenne (et le système qui consiste à se refiler les déboutés de demandes d’asile), entre 3 états (France, Espagne, Malte) ?
Jean-Louis Bourlanges :
Sur la taxe GAFA, la réponse est simple : la fiscalité est un domaine où les décisions sont à l’unanimité, donc 24 sur 28 ne suffisent pas. On peut même considérer qu’on a atteint le chiffre de 24 « pour » parce qu’une bonne partie d’entre eux comptent sur le fait que quatre seront irrémédiablement « contre ».
Marc-Olivier Padis :
Sur l’OFPRA, Terra Nova et l’institut Montaigne ont proposé ensemble une réforme du droit d’asile européen. La création d’une agence européenne est en effet proposée, mais il ne s’agit pas d’une agence qui traiterait elle-même toutes les demandes, celles-ci devraient être traitées dans chaque état. Pour cela il faut aligner les standards, car tous les organismes ne sont pas indépendants pour le moment (en Allemagne par exemple, cela dépend du ministère de l’intérieur).
Pour le moment, le système est absurde, puisque c’est le premier pays où le demandeur d’asile pose un pied qui doit traiter sa demande, et que ces pays sont souvent sous-équipés. Autre absurdité : si quelqu’un fait une demande d’asile en France, la France doit demander à l’Italie par exemple, si c’est là -bas que la personne est arrivée, les réponses tardent ou n’arrivent jamais, on perd des mois, du coup les gens disparaissent et deviennent des clandestins ... On doit pouvoir imaginer un alignement des critères de jugement. Dans la réforme proposée, on préconise en effet de commencer à avancer entre les pays qui s’ont d’accord.
Philippe Meyer s’interroge à propos de la taxation des GAFA. N’y a-t-il qu’une taxation qui soit envisageable ? Contrairement à la légende et au film, ce ne sont pas Eliot Ness et ses incorruptibles qui ont eu Al Capone, mais les services fiscaux. N’y aurait-il pas des approches de biais qui permettraient de signifier aux GAFA qu’elles ne sont pas complètement intouchables ? Nous vantions il y a quelques temps un roman policier ayant pour cadre le fonctionnement de l’UE, et ses compromis. A la lecture de ce roman, on peut espérer qu’il y a à Bruxelles des gens ayant des idées plus fines que : taxe ou pas taxe.
Jean-Louis Bourlanges pense pour sa part que le sujet fondamental est le sujet institutionnel, qui est considéré comme ne devant pas être abordé parce qu’il ennuie les gens. Le problème de la majorité qualifiée est fondamental. Tant que les décisions fiscales seront prises à l’unanimité, aucune décision ne sera prise. Sur ces questions, le dernier vrai progrès fut la décision de force des USA disant aux Suisses : « ça suffit avec le secret bancaire ». Pascal Lamy disait que lorsqu’il était commissaire au commerce et qu’il discutait avec son homologue Américain, il se passait toujours la même chose : soit il discutait d’un point régi par le principe d’unanimité, auquel cas son interlocuteur lui riait au nez ; soit il s’agissait d’un sujet relevant de la majorité qualifiée, et là la discussion était possible. C’est un problème institutionnel, et les dirigeants espèrent le beurre et l’argent du beurre : un pouvoir décisionnaire de chaque état et en même temps un pouvoir européen. Il faut choisir les domaines où la décision est collective, mais considérer ce problème nous est interdit. L’Europe, comme le soleil ou la mort, ne se peut regarder en face.