Les brèves

Le père Jacques : carme, éducateur, résistant

Philippe Meyer, créée le 06-07-2025

"Au revoir les enfants. Si l'on a vu le film de Louis Malle qui porte ce titre, on n'a pas pu oublier les dernières paroles adressées aux élèves par le religieux de l'ordre des Carmes que la Gestapo est venue arrêter en même temps qu’elle s’emparait, pour les envoyer à la mort, des trois jeunes garçons juifs hébergés et cachés dans le collège qu’il a fondé et qu’il dirige. Dans la vraie vie, ce religieux, né Lucien Bunel dans une famille de prolétaires normands s'appelait le père Jacques de Jésus. En plus d'héberger des Juifs, et pas seulement ces trois garçons, il est de longue date engagé dans la résistance. Ses activités ont été dénoncées. Il est déporté au camp de représailles de Neue Bremm, puis à Mauthausen et à Gusen. Il mourra d’épuisement à la libération des camps. Dans un livre d’Alexis Neviaski, Le père Jacques ; carme, éducateur, résistant. Publié par Tallandier il y a déjà 10 ans mais qui est toujours disponible sur la toile, j'ai découvert un éducateur exceptionnel pour qui l’autorité ne se gagne que par la confiance et un déporté qui, jusqu’au sacrifice, ne se départit jamais du souci des autres. Son compagnon d’enfer, Jean Cayrol, poète, romancier, essayiste, auteur du commentaire du Nuit et Brouillard d’Alain Resnais, véritable Lazare revenu d’entre les morts, lui dédia un « Chant funèbre à la mémoire du Père Jacques » en ces termes : « Pour mon plus que frère, le R.P. Jacques du carmel d'Avon […], qui fit sourire le Christ dans le camp de Gusen, mort d'épuisement à Linz, le 2 juin 1945 ». Une vie qui secoue les lecteurs qui la découvrent."


La vie a-t-elle une valeur ?

Antoine Foucher, créée le 06-07-2025

"Je voudrais recommander le dernier livre de Francis Wolff. Nos auditeurs réécouteront avec plaisir la thématique enregistrée avec le philosophe il y a un peu plus d’un an, mais son dernier livre est vraiment passionnant, parce qu’on a souvent le sentiment que les vrais problèmes du pays, du monde, sont des problèmes économiques, politiques, sociaux. Et ce qu’il y a de vraiment génial dans ce livre, ce est la façon dont Wolff montre qu’il y a bien plus important qui tout cela. L’auteur mène un combat philosophique pour réhabiliter l’humanisme, est il le fait avec un exemple précis, celui de la transition énergétique, en montrant qui les mot d’ordre « sauver la planète », « sauver la diversité », « sauver la nature », sont totalement inopérants et contradictoires en eux-mêmes. Parce que le vivant, c’est la lutte, et un virus est vivant. Et donc, si on veut sauver les hommes, il faut bien tuer les virus. Sur les droits des animaux : les puces de mon chien sont totalement incompatibles avec les droits de mon chien à ne pas avoir de puces. Et donc, il montre vraiment que notre impuissance à prendre en charge la lutte contre le réchauffement climatique vient du fait que, philosophiquement, le sujet est très mal posé, de façon totalement contradictoire. Et que notre seule manière, en fait, de mener à bien cette lutte, c’est de le faire au nom des humains, et non de « la nature ». Parce que la valeur suprême est la vie humaine. En plus le livre de lit comme un roman policier …"


Au rythme de Vera

Marc-Olivier Padis, créée le 06-07-2025

"Je voudrais parler d’un film que j’ai vu cette semaine et que je recommande, puisqu’il est encore en salle. C’est un film allemand d’un réalisateur que je ne connaissais pas, Ido Fluk, qui parle du concert qu’avait donné le pianiste Keith Jarrett à Cologne en janvier 1975, ce qui donna l’un des albums les plus connus de l’histoire du jazz. On se dit que, pour donner un concert aussi exceptionnel, Keith Jarrett devait être dans des conditions absolument idéales. Or, c’est exactement le contraire, comme le savent les amateurs de jazz. C’est-à-dire que tout était catastrophique en amont de ce concert. Keith Jarrett était épuisé, avait mal au dos, n’avait au une envie de jouer, le piano de répétition était désaccordé était l’une des pédales ne fonctionnait pas … tout les ingrédients d’un fiasco. Mais grâce à l’énergie d’une jeune productrice, Vera Brandes, qui se lançait dans la production de concerts de jazz alors qu’elle n’avait que 18 ans, la performance de Keith Jarrett a pu devenir la merveille qu’on connaît. D’ailleurs, Keith Jarrett ne voulait pas que ce concert fût enregistré, puisqu’il craignait une catastrophe. Au delà l’anecdote savoureuse, c’est donc un film sur les conditions de la création artistique, sur cette alchimie particulière et assez contre-intuitive, très bien mise en scène."


Revue Esprit Juillet-Août 2025

Matthias Fekl, créée le 06-07-2025

"Je recommande la lecture du numéro d’été d’Esprit, revue dont notre ami Marc-Olivier est un des coordonnateurs. Ce n’est pas un numéro très joyeux, puisqu’il s’intitule « La convergence des haines ». Il fait le point justement sur l’union des droites, mais aussi sur tout le travail idéologique qui a été fait très à droite et à l’extrême-droite du spectre politique. C’est un peu la continuation du livre de l’historien Daniel Lindenberg, Le rappel à l’ordre. Très instructif sur le fond, ce numéro trace aussi quelques perspectives sur ce que la gauche doit faire de son côté : un vrai travail intellectuel et idéologique de fond."


La grève des aiguilleurs du ciel

Jean-Louis Bourlanges, créée le 06-07-2025

"Je voudrais faire état de mon angoisse, face au cynisme croissant avec lequel sont menés les débats du monde. On dirait que toutes les valeurs en ont été ôtées. Je trouve que le comble (ce n’est peut-être pas le plus important, mais c’est la perfection du cynisme), c’est la grève des aiguilleurs du ciel. C’est absolument parfait comme système. On a introduit des systèmes de contrôle parce qu’il y a eu des défaillances extrêmement graves de présence, qui ont mis en cause la sécurité. L’idée qu’en dépit de toute responsabilité, certains aiguilleurs du ciel puissent, à quelques-uns, paralyser tout le ciel européen, sans autre raison que « je n’accepterais pas qu’on contrôle ma présence au travail » est vraiment ahurissante … Ça prouve que vraiment, ce monde est devenu complètement fou. Parce que je crois que, d’une certaine façon, nous sommes tous aiguilleurs du ciel."


Dans la forge du monde : comment le choc des puissances façonne l'Europe

Antoine Foucher, créée le 29-06-2025

"Je recommande très chaudement ce livre de Pierre Haroche, un chercheur universitaire qui travaille entre Paris et Londres. Il s’agit d’une histoire de la dialectique entre l’Europe et le reste du monde depuis la Renaissance. Ce recul de cinq siècles redonne de l’espoir : il est possible que la dynamique du monde nous pousse hors de la « lamentabilité » dans laquelle nous sommes aujourd’hui. L’auteur montre très bien qu’il y a trois phases. La première, qu’il appelle l’Europe impériale, où il montre — dans la lignée de Kundera — que le maximum de diversité dans le minimum d’espace, c’est l’Europe. Cela pousse les nations européennes à se confronter entre elles, jamais tranquilles derrière leurs frontières, contrairement à l’Empire chinois, par exemple. C’est ce qui les a conduites à optimiser les techniques de guerre, et à acquérir la supériorité technologique qui a ensuite permis de conquérir le monde. Puis on arrive au XXème siècle, avec les deux « suicides collectifs » des deux guerres mondiales, qui placent l’Europe dans une situation subordonnée ; elle est cependant encore un enjeu pour le reste du monde : on ne peut pas être puissant si on n’est pas en Europe. Et enfin aujourd’hui, où la situation de l’Europe laisse le monde indifférent : l’Europe provinciale. Les États-Unis s’occupent davantage de Taïwan que de l’Ukraine. D’après l’auteur cette provincialisation va nous conduire à nous rassembler, parce que c’est notre seule option pour ne pas disparaître et devenir une colonie des autres puissances du monde."


L’opération anti-sans papiers du ministre de l’Intérieur

Lucile Schmid, créée le 29-06-2025

"J’avais prévu de vous parler de ma vie culturelle mais finalement, je vais plutôt lancer un cri d’indignation. À propos de l’opération massive anti-immigrants clandestins dans les gares, organisée par Bruno Retailleau, et qui mobilisé 4.000 policiers. Il se trouve que je mène une mission chez Emmaüs depuis bientôt deux ans, et que je côtoie beaucoup de personnes migrantes, dont certaines sont sans papiers. Cette façon dont la lepénisation, dont l’extrême-droite pénètre au cœur même du gouvernement, qui dit pourtant vouloir pratiquer la « démocratie sociale », est quelque chose qui en fait affaiblit l’ensemble de nos institutions. Un sans-papiers ou un migrant n’est pas un criminel en puissance. Ne l’oublions pas. Un certain nombre d’associations vont d’ailleurs défendre l’État de droit et montrer que certaines choses ne relevaient pas de ce qui est permis par le droit en termes de discrimination. Défendre l’État de droit, défendre la démocratie et défendre le droit des personnes qui ont des difficultés à accéder à leurs droits, ça fait partie aussi de la façon dont la France peut être une démocratie."


« Diriger un pays comme une entreprise »

Jean-Louis Bourlanges, créée le 29-06-2025

"Je voudrais faire faire état d’un agacement que j’ai ressenti à plusieurs reprises (et notamment vendredi matin) quand j’entends des chefs d’entreprise — en l’occurrence le président d’une entreprise tout à fait remarquable, Saint-Gobain — dire que les hommes politiques ne sont pas sérieux, qu’ils ne savent pas diriger le pays, qu’il faut prendre modèle sur les chefs d’entreprise. J’en ai par-dessus la tête de ce discours. Je ne dis pas que les dirigeants publics français soient bons, loin de là. Ils sont impuissants, ils sont incapables d’orienter le mouvement, mais ce n’est pas pour rien. Si vous mettez un chef d’entreprise à la place des dirigeants actuels, ça donnera le même résultat. Parce que c’est quelqu’un qui est responsable devant des actionnaires, qui attendent principalement une chose — ce n’est pas le critère unique, mais c’est le critère principal — c’est le profit. Donc le choix est relativement simple en termes normatifs. Les hommes politiques, eux, dépendent d’électeurs qui sont divisés. Et quand on dit que l’homme politique devrait faire preuve de courage, en général, ça veut dire une chose : s’affranchir de ceux qui l’ont élu. C’est quand même un peu paradoxal d’élire des gens et de dire « Ah, je vous élis, et vous n’êtes même pas capables de vous éloigner de moi ». Donc, le problème politique est fondamental, mais n’assimilons pas les fonctions très éminentes et très nécessaires de chef d’entreprise avec celles de dirigeant d’une communauté humaine profondément divisée sur ses valeurs et divisée sur ses orientations."


À ma place

Michaela Wiegel, créée le 29-06-2025

"Inspirée par l’enthousiasme de Nicole Gnesotto, j’ai lu à mon tour le livre de Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale. Habituellement, les personnalités politiques ont des scribes, et leurs livres sont assommants. Là, il semble que Mme Braun-Pivet a vraiment écrit elle-même, et on apprend des choses assez hallucinantes pour les femmes. Par exemple, cet appel de Stéphane Séjourné, quand elle a été élue contre toute attente à la tête de la commission des lois, qui lui dit : « Mais non, tu as cinq enfants, tu ne pourras pas exercer ce poste. » Les rumeurs avaient été lancées en disant : « Elle a demandé son mercredi libre pour s’occuper de ses enfants », et elle était un peu ridiculisée. L’autrice parle sans fard de la façon dont, au sein même du parti présidentiel, qui s’appelait encore En Marche à l’époque, on a essayé de ne pas la laisser exercer, tout simplement parce qu’elle était une jeune femme. Et il y a un autre aspect que je trouve très intéressant : c’est tout son passé familial. Sa grand-mère qui a dû fuir la persécution des Juifs à Munich. Et donc, cette perspective qu’elle avait sur l’Allemagne qui s’est changée. Je vous recommande vivement cette lecture édifiante. "


Alain Aspect élu à l’Académie française

Philippe Meyer, créée le 29-06-2025

"Je me réjouis de l’élection jeudi à l’Académie française de notre ami Alain Aspect. D’abord parce qu’il est un ami de notre peau de caste depuis le début. On peut d’ailleurs réécouter l’émission que nous avions enregistrée avec lui sur sur la physique quantique et l’obtention de son prix Nobel, il y a deux ans. Je m’en réjouis aussi parce que c’est un homme qui a une passion de la découverte, qui est très impressionnante. Et je m’en réjouis enfin parce que cela devrait l’aider dans sa défense du Palais de la Découverte, du Planétarium, dont la réouverture dans le Grand Palais est repoussée, si repoussée qu’on finit par croire qu’elle n’aura jamais lieu, et pour laquelle la ministre de la Culture semble n’avoir absolument aucune idée de la manière dont le Planétarium, le Palais de la Découverte, ont pu aider à éveiller l’intérêt pour les sciences dans les jeunes classes."


On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie

Béatrice Giblin, créée le 22-06-2025

"Je vous conseille ce spectacle que j’ai vu au Théâtre du Rond-Point à Paris. Je dois dire que c’est le titre qui m’a attirée. C’est un seul en scène interprété par Éric Feldman, mis en scène par Olivier Veillon, avec un coup de main de Joël Pommerat. C’est d’une sensibilité et d’un humour réjouissants. Le spectacle traite des effets de la Shoah sur les descendants de la Shoah. C’est-à-dire lui, enfant, comment il a reçu les conséquences émotionnelles, comment elles ont déterminé ses perceptions de la vie. C’est fait avec finesse et tendresse. C’est un excellent moment de théâtre, qui finit au Rond-Point le 29 juin, mais qui sera repris au théâtre du Petit Saint-Martin à la rentrée de septembre."


Pas né de la dernière pluie

Marc-Olivier Padis, créée le 22-06-2025

"Hugo Mercier, l’auteur de ce livre, est chercheur en sciences cognitives et il s’intéresse à la question de la crédulité. Pourquoi les gens croient-ils ce qu’ils voient sur Internet ou sur les réseaux sociaux ? Il y a tout un débat sur la crédulité, qui est notamment alimenté par le sociologue Gérald Bronner dans La démocratie des crédules. Et la thèse défendue par Hugo Mercier est strictement inverse à celle de Gérald Bronner, c’est donc assez intéressant : il conteste l’idée que nous sommes spontanément crédules. Il pense qu’au contraire, nous sommes plutôt spontanément méfiants. Il a beaucoup d’arguments dans ce sens-là, et que notre système cognitif repose plutôt sur un système de vigilance ouverte, et donc qui nous conduit en fait à évaluer la crédibilité des thèses, des interlocuteurs, et à nous repérer comme ça. Une contribution particulièrement utile et informée à ce débat sur la crédibilité."