Les brèves

La disparition de Josef Mengele

David Djaïz, créée le 26-10-2025

"Je veux recommander un film exceptionnel qui vient de sortir : La disparition de Josef Mengele. Kirill Serebrennikov, immense metteur en scène venu du théâtre, a choisi d’adapter le roman d’Olivier Guez en prenant une direction singulière. Plutôt que de rejouer la traque de l’« ange de la mort » d’Auschwitz, il s’attache à une question vertigineuse : que devient un homme monstrueux, une fois séparé du système monstrueux qui l’a porté ? Ce choix donne une profondeur inattendue au récit, où se croisent la banalité du mal, la figure de la bête traquée et la persistance d’une idéologie que Mengele continue d’assumer jusqu’au bout. C’est un film à la mise en scène d’une précision rare, servi par une interprétation bluffante d’August Diehl. Je vous le recommande vivement."


Les guerriers de l’hiver

Nicolas Baverez, créée le 26-10-2025

"Je recommande vivement ce livre d’Olivier Norek, inspiré d’un épisode méconnu de l’histoire : la guerre d’hiver qui opposa la Finlande à l’Union soviétique entre novembre 1939 et mars 1940. Cette guerre oubliée ressemble pourtant de manière frappante à l’agression de l’Ukraine par la Russie : même cynisme des dirigeants, même aveuglement stratégique, même incompétence initiale compensée par la force brute. Norek alterne les points de vue, montrant à la fois l’héroïsme des soldats finlandais mal équipés, la lâcheté diplomatique de la France, du Royaume-Uni et de la Suède, et le chaos du commandement soviétique miné par les commissaires politiques. C’est un livre d’une grande force, à la fois historique et terriblement actuel."


Réactions de la gauche espagnole au prix Nobel de la paix

Philippe Meyer, créée le 26-10-2025

"Il paraît que quand on se regarde on se désole quand on se compare on se console. Peut-être cet adage a-t-il un sens si l'on jette un œil aux réactions de l'extrême gauche espagnole à l'attribution du prix Nobel de la paix Maria Corina Machado, opposante au régime dictatorial en vigueur au Venezuela. Les mouvements Podemos et Izquierda Unida s'en sont donnés à cœur joie. L'ancien vice-président du gouvernement Pablo Iglesias, figure de Podemos, a déclaré : « la vérité est que pour attribuer le Nobel de la paix à Corina Machado qui depuis des années essaye de réaliser un coup d'état dans son pays on aurait aussi bien pu le donner directement à Trump et même à Adolf Hitler à titre posthume. »"


La dette sociale de la France : 1974-2024

Michaela Wiegel, créée le 26-10-2025

"Un livre passionnant qui éclaire, mieux que beaucoup d’autres, la question au cœur de l’obsession allemande pour la France : d’où vient cet endettement colossal ? Nicolas Dufourcq, le directeur de BPI France, prolonge ici son précédent ouvrage sur la désindustrialisation avec une enquête fouillée menée à travers des entretiens. Il y retrace la mécanique de notre État social, cette logique d’emballement qui conduit sans cesse à en faire davantage, sans se soucier du coût cumulé. On y découvre qu’environ 2 000 milliards sur les quelque 3 500 milliards de dettes françaises proviennent de la dette sociale. C’est un livre très éclairant sur les racines profondes du modèle économique français."


Les fantômes de l'île de Peleliu

Marc-Olivier Padis, créée le 26-10-2025

"J’aimerais recommander ce livre d’un historien de la guerre qui s’attache moins aux stratégies qu’à l’expérience humaine du conflit. Bruno Cabanes, installé aux États-Unis et enseignant à l’Université d’État de l’Ohio, s’est intéressé à un épisode oublié de la guerre entre les États-Unis et le Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale, sur l’île de Peleliu, en Micronésie. À partir des mémoires d’un jeune soldat, Eugene Sledge, des archives militaires et de quatre voyages sur place, il compose un récit à la fois biographique, historique et sensible. C’est aussi un voyage dans ces îles autrefois colonies allemandes, dont les jungles portent encore les traces de la guerre."


Bénin, aller et retour. Regards sur le Dahomey de 1930

Lionel Zinsou, créée le 19-10-2025

"Je recommande vivement une visite au musée et au jardin Albert-Kahn, à Boulogne-Billancourt, qui est en ce moment magnifique dans ses couleurs d’automne. On y découvre une exposition intitulée Bénin, aller et retour, consacrée à une expédition ethnologique exceptionnelle menée en 1930, au moment où l’anthropologie connaissait un essor spectaculaire. C’est une époque contemporaine de la mission Dakar-Djibouti et du travail de Michel Leiris dans L’Afrique fantôme. L’exposition rassemble des milliers de documents, de films, de photographies, qui témoignent du regard porté à l’époque sur l’Afrique de l’Ouest. Ce qui la rend particulièrement stimulante, c’est le dialogue qu’elle établit entre ces archives et les œuvres d’artistes africains contemporains — photographes, peintres, plasticiens — qui revisitent aujourd’hui la vision que l’on portait alors sur leurs sociétés, celles de leurs grands-parents. C’est une plongée à la fois esthétique, historique et intellectuelle, le tout avec un jardin magnifique. À ne pas manquer."


Mémoires et identités juives dans la France contemporaine

Antoine Foucher, créée le 19-10-2025

"Je recommande la relecture d’un article de Pierre Nora, paru en 2004 dans Le Débat et intitulé Mémoires et identités juives dans la France contemporaine. C’est un texte lumineux, toujours d’une grande actualité, surtout à la lumière du contexte proche-oriental et de ses répercussions en France. Nora y explore, sur la longue durée, l’entrelacement profond entre l’identité juive et l’identité française. Il montre comment les grands moments de l’histoire nationale — la Révolution française et l’émancipation des Juifs, l’affaire Dreyfus et la fondation républicaine, la tragédie de 1940 — sont aussi des tournants majeurs de l’histoire juive moderne. En relisant Nora, on comprend à quel point il avait, vingt ans à l’avance, perçu les tensions et les défis que nous voyons resurgir aujourd’hui. L’article fait apparaître une vérité saisissante : il y a un lien entre la grandeur de la France et la sécurité de ses citoyens juifs."


Le palmier

Lucile Schmid, créée le 19-10-2025

"J’aimerais recommander Le palmier, le dernier roman de Valentine Goby, paru à la rentrée littéraire. L’histoire se déroule dans le sud de la France, région dont l’autrice est originaire, et s’inspire très librement de son univers personnel. Le récit part de la mort d’un palmier au cœur d’un jardin luxuriant, pour interroger notre rapport à la nature, à la fois nourricière, esthétique et parfois menaçante. Le roman est écrit du point de vue d’une petite fille, Vive, qui mène une sorte d’enquête sur elle-même et sur sa famille, au milieu d’une végétation décrite avec une érudition botanique extraordinaire. Ce qui m’a beaucoup touchée, c’est la manière dont le paysage du jardin devient le miroir d’un paysage intérieur : les arbres, les fleurs, tout ce qui meurt ou renaît, reflètent les émotions et la reconstruction de Vive. C’est un livre très sensible, qui offre une autre vision du sud de la France, bien loin de celle du Rassemblement national, et qui célèbre la beauté fragile du monde vivant."


Colombiennes

Philippe Meyer, créée le 19-10-2025

"Je voudrais recommander aux éditions Philippe Rey ce livre de Pierre Boncenne. Pierre Boncenne a été l’ami et le correspondant de Simon Leys, l’ami et le biographe de Jean-François Revel et l’ami et le bras droit de Bernard Pivot pour Apostrophes et aussi pour son magazine lire. Personne ne sera étonné que son livre constitue une savoureuse promenade littéraire parmi les écrivains d'Amérique latine. Il en parle d'une manière qui donne envie de se replonger dans ceux de ces auteurs que l'on a déjà eu le bonheur de lire et de découvrir ceux à côté desquels on est passé. À cette promenade littéraire s'ajoute une promenade dans une famille franco-colombienne vivant à Paris dans un attachement tantôt pittoresque et tantôt poignant pour ses racines et pour une fratrie où coexistent le souvenir d’un ancien président de la République, de divers ambassadeurs érudits et du prêtre apôtre de la théologie de la libération, Camilo Torres, oncle de l’auteur, mort dans la guérilla dont il brosse un portrait affectueux et impressionnant. C’est enfin une déambulation vengeresse au milieu des clichés qui ont fleuri de tout temps au sujet de l’Amérique latine qu’il s’agisse de son histoire, de sa géographie ou de ses régimes politiques. C’est avec une implacable tranquillité et une imparable connaissance des faits, des dits et des écrits de tous les idiots utiles qui ont gobé et propagé âneries, billevesées, insanités et plastronnades que Pierre Boncenne les renvoie à leurs ridicules comme à leur malfaisance."


Les musiciens et le pouvoir en France : de Lully à Boulez

Jean-Louis Bourlanges, créée le 19-10-2025

"À l’approche des fêtes, je recommande un beau livre, celui de Maryvonne de Saint-Pulgent, Les musiciens et le pouvoir en France, qui prouve qu’un livre peut être à la fois érudit et splendide. L’autrice, déjà connue pour son admirable histoire de Notre-Dame, y analyse avec une précision remarquable la relation entre la musique, le mécénat et l’État. Elle y met en lumière les différentes formes de patronage, du mécénat de Lully à celui de Boulez, et montre comment les régimes politiques influencent la création artistique. C’est une thèse fascinante : ce sont souvent les régimes autoritaires qui soutiennent le plus vigoureusement la musique. Mais quelle que soit le régime politique, il oriente la composition vers deux directions — une vocation élitiste, incarnée par Pierre Boulez et appuyée par plusieurs présidents successifs, et une vocation sociale, dans la lignée de Blum, Malraux ou Jack Lang, aujourd’hui dominante. Cette évolution, note-t-elle, a contribué à marginaliser la musique contemporaine. Ce lien entre le mode de mécénat et le contenu même de l’œuvre musicale est, à mes yeux, l’un des aspects les plus stimulants et originaux de ce livre remarquable."


Le cœur pensant : réflexions sur un chaos annoncé

Béatrice Giblin, créée le 12-10-2025

"J’ai envie de recommander ce petit livre, écrit par l’un des grands auteurs israéliens, David Grossman, dont on connaît depuis longtemps l’engagement pour la paix et pour la coexistence de deux États. Ce recueil réunit des textes publiés avant et après le 7 octobre 2023, et il est saisissant de voir combien, avant même la tragédie, Grossman avait pressenti la catastrophe. Il y décrit lucidement comment la logique politique suivie par le gouvernement Netanyahou menait droit au désastre, en minant les valeurs mêmes sur lesquelles repose l’État d’Israël. C’est aussi une méditation douloureuse sur ce que signifie vivre toute sa vie dans un pays sans paix, sous la conduite de dirigeants qui semblent entretenir le malheur. C’est un petit livre par la taille, mais un grand texte par la force de sa plume et la clarté de sa conscience morale."


Soulages, une autre lumière

Nicole Gnesotto, créée le 12-10-2025

"Pour une fois, je vais parler peinture. Je vous recommande d’aller voir cette exposition consacrée à Pierre Soulages au musée du Luxembourg. Pour dire la vérité, je n’avais jamais vu un seul Soulages de ma vie, et j’ai été absolument éblouie. Ce sont uniquement des œuvres sur papier — cent trente au total — dont la plupart datent de l’immédiat après-guerre, en 1946, avec quelques reprises dans les années 2000. Elles sont réalisées au brou de noix, cette matière brune, presque noire, que j’ai découverte à cette occasion. L’accrochage est parfait, d’une beauté saisissante. Il y a bien quelques vidéos où l’artiste parle de sa démarche, mais, honnêtement, elles n’apportent pas grand-chose : Soulages ne cherche pas à expliquer, il laisse la couleur, la matière, la lumière parler pour lui. Et c’est cela qui est extraordinaire : cette œuvre qui s’impose d’elle-même, qui vous saisit, sans discours. C’est jusqu’au 11 janvier, et c’est splendide."