Les brèves



Les gens de Paris 1926-1936

Lucile Schmid, créée le 14-12-2025

"Je recommande vivement cette exposition au musée Carnavalet, absolument passionnante. Elle repose notamment sur une collaboration inédite entre des historiens et des spécialistes de l’intelligence artificielle, avec de la lecture optique de millions de documents manuscrits issus des recensements, qui concernent près de neuf millions de Parisiens, puisque la population de l’époque était comparable à celle d’aujourd’hui. Elle éclaire de manière très concrète les grandes questions sociales : en 1926, l’espérance de vie à Paris n’était que de 50 ans, ce qui relativise bien des débats contemporains. On y retrouve déjà des traits familiers de la capitale, avec davantage de femmes au travail, beaucoup de célibataires, moins d’enfants qu’ailleurs, et surtout un moment clef de basculement où la société française devient majoritairement urbaine. L’exposition est aussi remarquable par la richesse de ses images et de ses films, qui montrent notamment une circulation parisienne déjà chaotique, où les piétons semblaient menacés à chaque instant."


Comptes publics : en finir avec le n’importe quoi (qu’il en coûte)

Lionel Zinsou, créée le 14-12-2025

"Je suis en plein conflit d’intérêts, mais je recommande la lecture de cette note de l’économiste Guillaume Hannezo, publiée par Terra Nova. C’est un texte très pédagogique qui met de l’ordre dans le débat sur les comptes publics, sans aller dans des considérations de management ou des référendums, elle explique clairement pourquoi il faut trouver rapidement près de 100 milliards d’euros, pourquoi cet effort concernera nécessairement tout le monde, et ce que cela représente concrètement, de l’ordre de 3.000 euros par an en moyenne pour les ménages, évidemment pas pour les plus modestes. C’est un bon guide pour comprendre l’ampleur des ajustements à venir et sortir des approximations."


Makbeth, par le Munstrum théâtre

Philippe Meyer, créée le 14-12-2025

"Louis Arene et les acteurs de sa compagnie sont la coqueluche des aspirants comédiens d’aujourd’hui. Tous les étudiants des écoles de théâtre ne jurent que par le Munstrum Théâtre. La compagnie vient de jouer au théâtre du Rond-Point Makbeth, une réécriture de la pièce de Shakespeare, qui est désormais en tournée. J’étais donc très curieux de découvrir ce travail, et force est de reconnaître qu’il se passe bel et bien quelque chose d’enthousiasmant. C’est d’abord une claque esthétique. Le jeu est masqué, mais ce ne sont pas seulement des masques que nous propose le Munstrum, mais des créatures complètes : les corps, les costumes, chaque personnage est travaillé avec une méticulosité impressionnante. Et le tout dans une scénographie qui sait prendre de la hauteur (c’est rare de voir des décors hauts sur les scènes de théâtre, c’est évidemment plus cher, mais aussi plus difficile à éclairer) ; ça a l’air anodin mais cela donne à l’histoire une réelle ampleur, avec des trouvailles visuelles qui vous restent dans la tête bien après la représentation. On pense à la magie des sorcières, évoquée par une espèce de répugnant goudron que crachent les personnages, ou qui suinte des décors, le tout baigné dans les brumes du champ de bataille, que traversent soudain des rayons laser. Entre un concert de Pink Floyd et une partie de Warhammer 40.000 … Et si Shakespeare est réécrit, ce n’est pas pour l’abêtir, mais au contraire pour creuser certaines pistes, pour le mettre au service d’une recherche, rigoureuse et joyeuse. Ainsi, dans le Macbeth original, un acteur ne fait que narrer les atrocités du champ de bataille. Ici, le spectacle commence par l’horreur. Aucune boucherie ne nous est épargnée, mais le masque met tout cela à distance : on est horrifié, mais on rit beaucoup. Le Munstrum a pris Shakespeare au mot, et nous livre ici une histoire pleine de bruit et de fureur, qui mêle la tradition théâtrale la plus vénérable, celle du jeu masqué, avec une modernité visuelle et une exigence artistique qui forcent le respect. "


Mistinguett : la danseuse qui a sauvé la France

Nicolas Baverez, créée le 14-12-2025

"Je recommande aussi vivement ce livre de Bruno Fuligni consacré à Mistinguett. On a trop tendance à mépriser la chanson en la tenant pour un art mineur, alors que, comme Joséphine Baker ou Marlène Dietrich, Mistinguett fut à la fois une immense artiste et une figure profondément politique. Le livre montre son rôle de combattante, notamment pendant la Première Guerre mondiale, et rappelle son intelligence, son indépendance d’esprit, son sens très aigu de l’argent et de l’État, au point qu’on se dit qu’elle aurait sans doute été un bien meilleur ministre des Finances que beaucoup de ceux qui se sont succédé depuis des décennies. C’est un portrait passionnant et très éclairant."


Discours de Mark Rutte, secrétaire général de l’OTAN, 11 décembre 2025

Antoine Foucher, créée le 14-12-2025

"Je recommande la lecture de ce discours prononcé à Berlin, qui tire très clairement la sonnette d’alarme sur le risque de guerre en Europe dans les années à venir. On dira que c’est pessimiste, mais, à côté de ce que dit Mark Rutte, nos débats paraissent presque légers. Il expose de manière très précise l’intensification massive de la production d’armement en Russie, les progrès réalisés par l’OTAN ces dernières années, et surtout le décalage saisissant entre les deux dynamiques. La conclusion est frappante : les membres de l’OTAN doivent se préparer à une guerre d’une ampleur comparable à celle qu’ont connue nos grands-parents et arrière-grands-parents. C’est un texte dur, mais indispensable pour prendre la mesure de la situation."




De Gaulle la France et le monde

Philippe Meyer, créée le 07-12-2025

"Je voudrais recommander ce recueil de 30 ans de caricatures du général recensées et commentées par Julian Jackson et Alya Aglan, le premier bien connu de nos auditeurs, la seconde, spécialiste de l’histoire de la résistance... Celui à qui Lawrence Durell trouvait « des paupières d’épagneul rêveur » fut surtout, au début de son épopée la cible des dessinateurs britanniques qui égratignèrent le grand homme, son physique, bien sûr, qui leur facilite beaucoup la tâche, mais aussi son insistance à tenir tête à Churchill comme à Roosevelt, qui, en dépit qu’ils en aient, leur impose le respect. Revenu aux affaires, De Gaulle n’est guère épargné par les caricaturistes français. Mais c’est dans la presse internationale que Julian Jackson et Alya Aglan ont puisé l’essentiel de leurs réjouissantes et spirituelles trouvailles. Pour donner la mesure de l’intérêt porté au général par les caricaturistes, je citerai cette adresse au général rédigée par Vicky, le caricaturiste de l’Evening Standard à la veille de sa déclaration de candidature à l’élection de 1965, alors qu’il se plaisait à entretenir un faux suspense : « Cher Monsieur le Président, I see that you will give your decision whether to stand again or not  on november the 4th. May I, on behalfof of cartoonists everywhere say that we await your words with great trepidation. We have lost of late some of our dearest subjects : Anthony Eden, Nikita Krouchtchev, Conrad Adenauer. I appeal to you not to resign as this would be the final blow to us. Thanking you in anticipation, I remain yours respectfully ». (Je vois que vous annoncerez votre décision quant à votre candidature le 4 novembre. Permettez-moi, au nom de tous les dessinateurs de presse, de vous dire que nous attendons votre réponse avec une grande appréhension. Nous avons récemment perdu certains de nos sujets les plus chers : Anthony Eden, Nikita Krouchtchev et Conrad Adenauer. Je vous supplie de ne pas démissionner, car ce serait un coup fatal pour nous. En vous remerciant d'avance, je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments respectueux.)"


The philosopher in the valley

David Djaïz, créée le 07-12-2025

"Je recommande vivement cette biographie d’Alex Karp, un personnage méconnu mais absolument central dans l’écosystème technologique américain. PDG de Palantir, aujourd’hui l’une des entreprises les plus valorisées du monde et un rouage essentiel de l’appareil d’État américain — particulièrement depuis la réélection de Donald Trump — Karp est une singularité dans la Silicon Valley. Là où ce milieu est dominé par des ingénieurs et des commerçants, lui vient de la philosophie et revendique une vision idéologique. Je conseille aussi son essai, The Technological Republic, où il explique que la génération tech des années 2000-2010 s’est perdue dans le consumérisme et doit désormais renouer avec une mission quasi messianique : défendre le peuple américain et la liberté occidentale face aux régimes autoritaires, au premier rang desquels la Chine. Le paradoxe, bien sûr, est que les technologies de Palantir servent massivement à restreindre les libertés, que ce soit dans l’armée israélienne ou dans les services de sécurité américains — mais Karp n’en est pas à une contradiction près. Je recommande ces lectures parce qu’elles éclairent un personnage décisif pour comprendre le monde technologique et géopolitique qui se recompose sous nos yeux."


Alexandre Farnese : prince et capitaine : 1545 - 1592

Jean-Louis Bourlanges, créée le 07-12-2025

"Je voudrais recommander ce livre d’Olivier Poncé, qui vient de recevoir le prix Châteaubriand et que j’ai eu beaucoup de plaisir à défendre au sein du jury. C’est un ouvrage passionnant parce qu’il donne à voir une autre Europe que celle que nous regardons habituellement depuis la France : une Europe lorraine, italo-hispano-flamande, une Europe catholique structurée autour d’un ordre catholique, alors que notre histoire nationale s’est construite en résistance à la domination pontificale. C’est aussi une Europe peu favorable à la France : Farnèse n’a pas bonne presse chez nous parce qu’il a battu Henri IV et qu’il était du côté de la Ligue. Justement, ce décentrement est éclairant : on découvre une Europe d’une richesse politique et culturelle remarquable. Le livre décrit une époque trop oubliée. Nous sommes fascinés par les XVIIème et XVIIIème siècles, où nous étions en position de force ; ici, on découvre un XVIème siècle où nous sommes plus mal assurés, et où apparaissent des figures passionnantes comme Philippe II, beaucoup moins caricatural que ce que l’on croit. Enfin, la personnalité de Farnèse est extrêmement attachante. C’est un grand seigneur, petit-fils de pape et membre de la famille impériale, mais aussi un homme de culture, d’une grande noblesse morale, doté de vraies valeurs militaires, aimé de ses soldats comme des populations qu’il gouverne. C’est un véritable héros politique. Dans un monde où nous sommes trop souvent dirigés par une cohorte de voyous, il est réconfortant de lire le portrait d’un homme de qualité en action dans une Europe troublée."