Les fractures de l’Espagne de 1808 à nos jours

Brève proposée par Jean-Louis Bourlanges dans l'émission Regards divergents du monde sur la crise ukrainienne / n°239 / 3 avril 2022, que vous pouvez écouter ici. ou ci-dessous.

Les fractures de l’Espagne de 1808 à nos jours

Jean-Louis Bourlanges

"Notre ami Benoît Pellistrandi, qui a déjà participé à cette émission, a réédité une version largement enrichie de son livre sur l’Espagne contemporaine. Pellistrandi est certainement le meilleur spécialiste français de la civilisation et de la société espagnole. Les Français ont une vraie incapacité à considérer l’Histoire de l‘Espagne, hormis quelques épisodes importants, comme la guerre napoléonienne, la guerre civile et plus récemment les mésaventures de la monarchie. Tout cela est fait sur un fond d’ignorance générale, et d’un refus de prendre en compte ce qu’est l’Espagne, et sa contribution à l’Europe moderne. Nous savons qu’historiquement nous avons un rapport difficile avec ce voisin, à cause de Napoléon. Nous sommes par exemple tout à fait tournés vers l’Italie, mais l’Espagne reste essentielle. Pellistrandi nous montre les efforts qu’accomplissent les Espagnols pour intégrer l’anomalie de leur Histoire dans un contexte européen et mondial de solidarité. Ne vous contentez pas d’aller en vacances en Espagne, lisez aussi ce livre !"


Les autres brèves de l'émission :

Mémo sur la nouvelle classe écologique

Lucile Schmid

"Je voulais vous recommander ce petit livre qu’ont publié Bruno Latour et Nikolaj Schultz. Le livre se demande « comment faire émerger une classe écologique consciente et fière d’elle-même ». Il s’agit d’assembler des éléments apparemment contradictoires. Les auteurs nous disent par exemple que « l’écologie doit être une gauche au carré mais aussi assumer d’être réactionnaire ». Je ne vous dévoile pas le mystère de ce rapprochement, mais cette fondation d’une nouvelle forme de pouvoir, ou de conquête du pouvoir est particulièrement intéressante. La guerre en Ukraine nous force aussi à nous réinterroger sur les problèmes écologiques, et à ne pas comme d’habitude les mettre au placard le temps de régler d’autres problèmes. L’urgence est toujours là."


Les années retrouvées de Marcel Proust

Lionel Zinsou

"Je vous invite à un voyage chez Marcel Proust avec ce livre de Jérôme Bastianelli. C’est un enchantement. D’abord, c’est très original puisqu’il s’agit d’un roman décrivant la vie que Proust n’a pas vécue, entre 1922 (année de sa mort) et 1940. C’est donc une vie qu’il aurait pu vivre qui nous est racontée ici, c’est en cela un roman, mais également une biographie extraordinaire, qui permet de visiter les sentiments, les émotions, les lieux, les amitiés … C’est une façon très profonde d’analyser Marcel Proust. Il se trouve qu’en plus, l’auteur, par ailleurs président de la société des amis de Marcel Proust, écrit dans le style de Proust. Cent ans plus tard, c’est très amusant. Je ne sais pas si c’est son style naturel ou un pastiche extrêmement travaillé, mais dans tous les cas c’est un régal stylistique. "


Le chaos de la démocratie américaine

François Bujon de L’Estang

"J’espère que vous éprouverez autant de plaisir que j’en ai ressenti moi-même à la lecture de ce petit essai de Ran Halévi. Il s’agit d’une analyse remarquablement claire et intelligente de la crise profonde de la démocratie américaine, et des menaces qui pèsent sur son existence même. Il commence par une autopsie très clairvoyante de la journée du 6 janvier 2021, qui vit une foule, encouragée par M. Trump, assaillir le Capitole. L’auteur analyse la façon dont le populisme à la Trump d’une part, et le progressisme woke de l’autre se conjuguent pour saper les bases du libéralisme, socle de la démocratie à l’américaine. Concis, brillamment écrit et très éclairant. "


Tartuffe ou l’hypocrite

Philippe Meyer

" Depuis le 15 janvier dernier, la Comédie-Française présente une version en 3 actes de Tartuffe, version qui selon les travaux du professeur Forestier serait celle qui a été interdite par Louis XIV. La mise en scène d’Ivo van Hove m'a paru pesante, tape à l’œil, outrée et souvent idiote et je n’en ai que plus admiré que les comédiens parviennent à forcer notre intérêt. Dans la version présentée sur la scène de la Comédie-Française, la pièce s'arrête sur la réponse de Tartuffe à Orgon qui, enfin désabusé, entend le chasser de sa maison : « C'est à vous d'en sortir vous qui parlez en maître. » Il y a quelques jours nous avons enregistré une émission thématique avec Georges Forestier sur son Molière. En présentant la version en trois actes qu'il a élaborée, j'ai précisé qu'elle se terminait sur le triomphe de Tartuffe. À ma grande surprise j'ai vu Georges Forestier me faire derrière son micro de vigoureux signes de dénégation. Nous nous sommes donc expliqué sur ce point et le professeur Forestier m'a indiqué que la version en 3 actes se terminait par la fameuse scène où Madame Pernelle refuse de croire ce que son fils Orgon lui dit avoir vu et lui oppose une dénégation obstinée. Et c'est sur une réplique de Dorine à Orgon que la pièce s’achève : « Juste retour, Monsieur, des choses d'ici-bas : Vous ne vouliez point croire et on ne vous croit pas. » Les vers de la version Comédie française, Ivo van Hove est allé les chercher dans l’acte IV, l’un des deux que Molière rajoutera après l’interdiction. ​Ce tripatouillage du texte de Molière est une lâcheté. Cette fin falsifiée est une escroquerie. Les psychiatres nous apprennent que les hommes impuissants sont nombreux à battre leur compagne. L’impuissance des metteurs en scène à être des auteurs, leur incapacité à se passer des auteurs a conduit et conduira beaucoup d’entre eux à malmener les œuvres auxquelles ils s’attaquent en les tirant le plus loin possible de ce que disent les textes. Je me désole que ce soit dans sa maison et pour célébrer son 400ème anniversaire que cette déloyauté reçoive son billet de logement et que Molière reçoive ce baiser de Judas."