Hommage à Daniel Defert

Brève proposée par Philippe Meyer dans l'émission La stratégie du Rassemblement National / Ukraine : enlisement ou escalade ? / n°285 / 19 février 2023, que vous pouvez écouter ici. ou ci-dessous.

Hommage à Daniel Defert

Philippe Meyer

"Un mot également pour rendre hommage à Daniel Defert, qui vient de mourir. Il fut la cheville ouvrière de tout ce qui s’est mis en place pour assister les patients atteints du Sida, dans l’idée de rompre avec un comportement très ancré dans la médecine, consistant à considérer que le malade n’est pas un acteur de sa maladie et qu’il n’a qu’à faire ce qu’on lui dit quand on le lui dit. Ce fut particulièrement vrai avec les malades du Sida. Daniel Defert était maoïste, et avait puisé dans cette idéologie l’idée que le peuple était capable de s’emparer de ses problèmes pour participer à leur résolution. En outre, malgré son engagement profond et constant, il était doté d’une légèreté, d’une malice et d’une drôlerie qui le rendaient particulièrement attachant."


Les autres brèves de l'émission :

Profession fripouille

Philippe Meyer

"Je voudrais recommander les mémoires du comédien Georges Sanders, Profession fripouille, paru ou plutôt reparu, aux éditions Séguier dans la remarquable traduction et avec la postface instructive de Romain Slocombe. George Sanders est connu pour un rôle qui lui valut l'Oscar dans All about Eve de Joseph Mankiewicz, celui du cynique et machiavélique critique de théâtre Adison DeWitt. On se souvient que la distribution de ce film qui remporta six Oscars et fut un total insuccès avant de devenir un film culte regroupait Bette Davis, Anne Baxter, Celeste Holm et une débutante dénommée Marilyn Monroe. La vie de George Sanders, qu'il raconte avec une légèreté et un humour délicieux peut être qualifiée de romanesque. Né à Saint-Pétersbourg où il passa son enfance avant que la révolution ne chasse sa famille, élevé en Grande-Bretagne, où il fut la croix plutôt que la bannière de différents collèges, cherchant fortune en Argentine en jetant par-dessus la carlingue d'un avion des petits parachutes publicitaires pour une marque de cigarettes, établi provisoirement au Chili, figurant de cinéma à son retour au Royaume-Uni, vedette à l'insu de son plein gré, marié 5 fois dont une à Zsa Zsa Gabor, il n'est pas un épisode de son existence qu'il ne raconte avec une distance amusée et fort amusante. Il n'en devait pas moins mettre volontairement un terme à son existence après avoir joué dans une considérable quantité de navets en laissant ces mots : « Je m’en vais parce que je m’ennuie. ». Dans ses mémoires, il décrit et explique un comportement qui ne lassait pas d’étonner ses contemporains : « Peut-être comprendra-t-on mieux, mon étrange indifférence au succès, si j’explique que la force motrice de ma vie a toujours été la paresse ; pour pratiquer celle-ci, dans un confort raisonnable j’entends, j’étais même prêt, ponctuellement, à travailler. »"


Deux mains la liberté

Akram Belkaïd

"Je vous recommande d’abord une pièce de théâtre, écrite et mise en scène par Antoine Nouel, jouée au théâtre Lepic, à Paris. Elle est assez étonnante, puisqu’il s’agit du docteur Kersten, le médecin thérapeute de Himmler. Il a soigné et massé Himmler pendant toute la guerre, et dans le même temps il obtenait de ce monstre la libération de dizaine de milliers de prisonniers, juifs ou non. Le sujet est original, et la ressemblance physique entre Himmler et l’acteur qui le joue est assez troublante. Le docteur Kersten devait recevoir la Légion d’honneur des mains du général de Gaulle au début des années 1960 mais décéda pendant le voyage qui le menait vers la France. "


Stupéfiant Moyen-Orient

Akram Belkaïd

"Et puis ce livre de Jean-Pierre Filiu, spécialiste du proche-Orient. Il s’agit de l’Histoire de la drogue et des addictions dans cette région du monde. On voit que c’est une vielle histoire, et que des choix politiques (de souverains locaux ou de puissances étrangères) ont introduit et façonné tout cela. En Iran par exemple, la question de l’addiction à l’opium qui génère aujourd’hui encore son lot de condamnations à mort, est apparue il y a plus de cinq siècles."


L’encre en mouvement

Isabelle de Gaulmyn

"Puisque nous avons parlé de la Chine, j’invite tous les Parisiens à se rendre au musée Cernuschi. D’abord parce que le musée est très beau, mais aussi parce qu’en ce moment ils pourront y voir une très belle exposition sur la peinture chinoise du XXème siècle. C’est passionnant, car on voit bien comment les artistes chinois ont réussi à absorber et restituer dans une tradition chinoise des influences japonaises mais aussi occidentales. Il y a des choses merveilleuses et très fines, pour ma part j’ai préféré tout ce qui précède 1949, mais il y a de quoi faire le bonheur de tous."


Russie : un vertige de puissance 1986-2023

Béatrice Giblin

"Je viens de recevoir cet ouvrage de Jean Radvanyi. Il s’agit d’une analyse critique et cartographique. Jean Radvanyi est géographe, c’est aussi un excellent connaisseur de l’Union soviétique, du Caucase, et des espaces post-soviétiques. C’est un très bon ouvrage de géopolitique, dans lequel il reconstitue l’engrenage des évènements qui ont conduit à la guerre en Ukraine. Il part de la catastrophe d’aujourd’hui, et remonte en arrière. Les chapitres sont synthétiques, la cartographie est excellente, très claire et facile à suivre. Très éclairant."


Le courage de l’Ukraine

Michel Eltchaninoff

"Toujours à propos de l’Ukraine et du triste anniversaire de l’invasion russe, je vous recommande cet ouvrage de Constantin Sigov. Il est très profond, et se lit pourtant rapidement. Sigov est un philosophe ukrainien né en 1962, qui enseigne dans l’une des plus anciennes universités d’Europe, l’académie Mohyla à Kyiv. Il est francophone, il a participé au dictionnaire européen des philosophies. Il est aussi éditeur et publie des traductions de Levinas, de Ricœur, de Weil … L’ouvrage est intéressant car il s’inspire des traditions ukrainienne, russe et française pour tenter d’élaborer une philosophie qui se voudrait chrétienne et anti-totalitaire. Le sous-titre de l’ouvrage est « une question aux Européens ». Cette question pourrait être avant tout : « pourquoi nous connaissez-vous si mal ? » mais aussi « pourquoi pensez-vous être à l’abri de ce qui se passe ? » Le livre est une sélection d’articles écrits en français depuis le mouvement du Maïdan en 2013. Le style est plutôt lyrique, et replonge le conflit actuel dans l’Histoire récente mais aussi l’Histoire longue, puisque Sigov nous fait découvrir des intellectuels et philosophes ukrainiens très mal connus ici. Par exemple au XIXème siècle, Mykhaïlo Drahomanov, qui fut exilé par le tsar. Il avait écrit un projet de philosophie politique pour l’empire, une espèce de Constitution. On constate donc que l’idée d’une Ukraine démocratique et affranchie de l’empire russe ne date pas d’hier. "