"La sagesse populaire n’a pas tort, qui soutient que le malheur des uns peut faire le bonheur des autres. La jungle qui nous tient lieu de société en fournit quotidiennement d’irréfutables preuves et même, des preuves de plus en plus sophistiquées, nous l’allons montrer tout à l’heure. L’Institut national de la statistique et des études économiques nous apprend que, au cours des 25 dernières années, les Français ont été de plus en plus attirés par les jeux d’argent. D’argent et de hasard. La part de leur budget qu’ils ont claquée à tenter le sort a doublé. Elle atteint aujourd’hui et en moyenne 1%, par ménage, c’est à dire autant que lesdits ménages consacrent à l’achat de journaux, de magazines et de livres. Encore ce chiffre ne dit-il pas tout, puisqu’on sait que ce ne sont pas tant les moyennes qui sont instructives que les écarts. L’augmentation des dépenses liées aux jeux de hasard et d’argent est allée à un rythme supérieur à toutes les autres dépenses de consommation. Supérieur du double, même. Et, dans le reste de l’Europe, il est des peuples qui vont encore plus vite que nous : les Slovènes, les Espagnols, les Grecs, les Britanniques confient davantage d’argent aux humeurs farceuses et cruelles de la déesse fortune, celle que l’on représente portant un bandeau sur les yeux et se tenant en équilibre sur la roue du char qu’elle est censée conduire. Les Allemands se montrent plus sages, ou plus sceptiques, les peuples du Benelux observent la même réserve et les Polonais les imitent. De toute l’Union européenne, ce sont les Estoniens qui jouent le moins. Partout, ce sont les catégories les moins aisées de la population qui risquent le plus. Le montant des dépenses qu’ils confient au hasard est deux fois et demi supérieur à la moyenne nationale.
On a cherché, pour expliquer les différences de comportement entre les peuples, des explications dans le climat, dans la religion, dans la sociologie et dans l’histoire. Elles n’ont pas mené aussi loin qu’on l’espérait. L’explication la plus probante est d’une simplicité confondante : les peuples jouent beaucoup si on leur propose beaucoup de jeux, et aussi divers que possible. Si les Français sont encore dans une position médiane dans le classement des nations joueuses, c’est que leur gouvernement ne lâche que lentement la bride à tous les industriels du pari. Toutefois, à peine un nouveau type de jeu est-il autorisé que son succès est immédiat. A peine avait-on autorisé les casinos à s’établir dans les villes de plus de 500.00 habitants et près de Paris que leurs recettes augmentaient de 8,5% par an. Les bandits manchots ont récolté 2 milliards 300 millions d’euros en 2003. Du coup le chiffre d’affaires des jeux traditionnels a augmenté de 16,5%. Les jeux en ligne ont donné un nouveau souffle à un secteur déjà en expansion continue et, lors de la dernière coupe du monde de football les Français ont misé 3 fois et demie davantage que lors de la précédente. Qu’aurait-ce été si notre équipe avait montré plus de savoir-faire ? D’ores et déjà, le montant des paris engagés sur les résultats du football est près de deux fois supérieur à celui des paris engagés sur les chevaux de course.
Si l’offre de jeux nouveaux provoque presque automatiquement une augmentation du montant des enjeux, faut-il craindre que l’imagination des industriels du jeu se tarisse et va-t-on voir stagner ce secteur en pleine expansion ? Je n’en crois rien. Il n’est pas d’activité humaine sur laquelle on ne puisse engager des paris. La preuve ? Une société spécialisée jusqu’à ce jour dans les paris sportifs vient d’annoncer qu’elle encaissait à partir de cette semaine des paris sur l’éventualité que l’Argentine demande une aide financière au fonds monétaire international avant le 31 mars. Si la côte d’aujourd’hui se maintient, elle devrait permettre aux parieurs d’empocher 1,72 fois leur mise."