CHAHUTER LA PHILO

Rubrique proposée par Philippe Meyer.

CHAHUTER LA PHILO

Philippe Meyer

" Il existe de nombreuses définitions de la philosophie. Roger Nimier disait qu’elle est comparable à la Russie : marécageuse en de nombreux endroits et périodiquement envahie par les Allemands. Cioran soupirait « A quoi bon fréquenter Platon quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un nouveau monde ?» Et Novalis soutenait que « la philosophie est l’hôpital de la poésie ». Comme on le voit, j’entends prendre au sérieux et même au pied de la lettre cette pensée de Pascal : « Se moquer de la philosophie c’est vraiment philosopher ». Pour mener à bien cette entreprise, j’aurais la paresse chafouine d’avoir recours à d’autres plumes que la mienne et je m’abriterai derrière leur autorité. Il faut dire que la cueillette est fructueuse et le ton très divers chez ceux qui prennent la philosophie et les philosophes de haut ou de biais. Il y a le genre brutal, celui de Goethe, qui écrit dans ses « Maximes et réflexions » « Si l’on veut bien y regarder de plus près, toute philosophie n’est que le sens commun traduit en langage amphigourique ». Il y a un autre genre, dont l’expression est plus douce mais le propos peu éloigné, qui encourage M. Jourdain à croire qu’il peut philosopher comme il fait de la prose. Ainsi Jean-Jacques Rousseau soutient-il dans « L’Émile » que « nos premiers maîtres de philosophie sont nos pieds, nos mains, nos yeux. Substituer des livres à tout cela, ce n’est pas nous apprendre à raisonner, c’est nous apprendre à nous servir de la raison d’autrui ; c’est nous apprendre à beaucoup envier et à ne jamais rien savoir ». Il y a ceux, comme Louis Auguste Commerson, l’auteur des Pensées d'un emballeur pour faire suite aux Maximes de François de La Rochefoucauld, qui préfère manier le paradoxe que de s’aventurer dans une critique frontale et prétendent que « la philosophie a cela d’utile qu’elle sert à nous consoler de son inutilité ». Dans les moqueries à propos de la philosophie, il est souvent fait allusion à son obscurité. Jules Lagneau bien qu’il illustrât lui-même cette discipline et fut le maître d’Alain s’écriait « disons-le hardiment, philosopher c’est expliquer au sens vulgaire des mots le clair par l’obscur ». Paul Valéry poussait le bouchon de Lagneau plus loin en écrivant « Dans le métier de philosophe, il est essentiel de ne pas comprendre ». Comprendre était une vaine besogne aux yeux de Chamfort pour qui « la meilleure philosophie relativement au monde est d’allier à son égard le sarcasme de la gaité avec l’indulgence du mépris ». Le sarcasme de la gaité était bien dans la manière d’Ambrose Bierce qui définissait la philosophie comme un « itinéraire composé de plusieurs routes qui ne mènent nulle part ». Cependant ma définition préférée - elle est anonyme - se décline en trois phrases. « La philosophie consiste à cherche un chat noir dans une pièce obscure. La philosophie consiste à chercher dans une pièce obscure un chat noir qui ne s’y trouve pas. La philosophie consiste à chercher dans une pièce obscure un chat noir qui ne s’y trouve pas et à s’exclamer « je le tiens »."