" Le bruit est l’un des fléaux dont nous nous plaignons le plus volontiers, parmi ceux qui gâchent notre vie de tous les jours. Le gros bruit, par exemple le vacarme des aéroports dont les riverains brûlent des cierges pour connaître une grève des aiguilleurs du ciel plus longue que celle qui trompa Rochefort, Bedos, Brasseur et Lanoux dans « Nous irons tous au paradis ». Le boucan des engins de chantier et, plus terrible encore, les deux notes stridulantes que les règlements les obligent à émettre lorsqu’ils progressent en marche arrière. Le vrombissement des autoroutes et des voies express, le tintamarre des camions, des voitures, de leurs avertisseurs sonores – dont je rappellerai que l’usage est formellement interdit en ville alors qu’il semble être devenu un élément de langage indispensable à l’homme contemporain. Ne comptons pour rien les deux roues à moteur qui pètent et qui éructent, ni, à la campagne, les tondeuses, tronçonneuses et autres instruments vendus pour les travaux du jardin, mais destinés en réalité à tirer les sourds de leur sieste. Encore pourrait-on penser qu’il existe des campagnes reculées, enclavées, perdues, au fin fond desquelles l’homme peut espérer goûter aux délices réparateurs d’un monde sans bruits importuns, fâcheux, enquiquinants, agressifs. Si vous croyez une chose pareille, c’est qu’il ne vous est jamais arrivé, tandis que vous cherchiez des champignons dans quelque clairière propice au songe bucolique et à la rêvasserie du promeneur solitaire, de voir débouler d’un sentier pierreux non pas un sanglier mais un motard chevauchant une pétaradante bécane, achetée de seconde main à un participant du Paris Dakar dont il s’emploie à singer les soubresauts. Ou encore, c’est qu’il vous a été épargné, un jour où enveloppé d’une brise tiède comme un châle, vous contempliez avec l’âme de Lamartine l’harmonieux dessin d’un paysage de collines, de prés, de bois et de rivières, d’entendre d’abord comme un bourdon, puis comme une rumeur, puis comme un grondement et de voir enfin apparaître, dans le raffut fumant des exhalaisons de son moteur méphitique l’une de ces machines que l’on nomme un quad, engin ridicule, malbâti, bourru, laid et incommodant sur lequel s’est juché un amoindri du bulbe provisoirement déguisé en coiffeur intergalactique. Bref, il est rare de pouvoir jouir d’un peu de tranquillité, et, plus encore que la tranquillité, la paix ou la quiétude, c’est le silence qui me semble être le grand banni de nos existences. Combien existe-t-il de bistros ou de restaurants dans lesquels on peut échapper à un bain tiédasse? Combien de lieux publics ont-ils résisté à la création d’une bouillasse musicale, aussi grossière et aussi creuse que l’appellation d’environnement sonore dont les promoteurs de musak clés en mains parfument leur mauvaise action ? Quelle portion de l’espace sommes-nous prêts à parcourir sans y importer nos nuisances sonores ? La mer ? Je le croyais, et, bien que je sache, qu’il y a des scooters des mers, des cigarettes et autres infections, je me plaisais à imaginer quelque crique protégée par quelque barrière de corail et l’homme, nu (ou la femme), entrant dans l’eau pour le seul plaisir de s’y baigner et ne tirant son bonheur que du jeu avec les vagues et les courants ? Et bien va te faire lanlaire, j’ai reçu un prospectus électronique me vantant les mérites d’un baladeur sous-marin à la portée de la plupart des bourses grâce auquel vous emporterez avec vous dans et sous la mer comme à la piscine les musiques dont vous vous servez habituellement dans le métro ou les transports en commun pour vous fermer au reste du monde et ne vivre que dans votre bulle. Le progrès ferait-il de nous des condamnés non à la solitude, mais à ne vivre chacun qu’en compagnie de lui-même ? "