UN REPOS ENVIABLE

Rubrique proposée par Philippe Meyer.

UN REPOS ENVIABLE

Philippe Meyer

" Ce n’est pas pour me vanter mais, parmi mes neveux et filleuls, j’en compte un qui, pour payer ses études, exerce à temps partiel l’activité de documentaliste sur un site de l’Internet où l’on promet de répondre très vite à n’importe quelle question à n’importe quel moment. Pour satisfaire le chaland, il suffit assez souvent d’interroger les moteurs de recherche que ledit chaland aurait pu questionner lui-même, mais, parfois, il faut y mettre davantage du sien. Mon filleul, que nous appellerons Éliacin afin de ménager sa modestie, a acquis une solide formation de biologiste, et ce sont normalement les sujets touchant à la matière et aux êtres vivants qu’on lui confie. Toutefois, à l’occasion du récent mariage princier le manager du site de réponses l’a appelé en renfort pour satisfaire les curiosités à propos de la Grande Bretagne, de ses mœurs, de ses traditions, de sa gastronomie, de son système politique, de ses grands hommes et toute cette sorte de choses. Éliacin tenta d’abord de refuser cette mission, arguant qu’il avait fait allemand première langue et espagnol seconde langue, qu’il n’avait jamais mis les pieds au Royaume Uni et que la seule fois où on lui avait offert du pudding, il avait été indisposé pendant quarante-huit heures. Il ajouta même que son grand-père était mort à Mers El-Kébir, ce qui, à ma connaissance constitue un mensonge circonstanciel, mais qui, de toutes façons, n’eut pas le plus petit effet sur le patron du service de documentation. Les festivités princières n’auraient qu’un temps, argumenta ce hiérarque, il ne s’agissait que de répondre pendant quelques jours à des questions dont il serait bien étonnant qu’un habitué de l’internet aussi ingénieux qu’Éliacin ne vienne pas à bout. Les premières demandes furent en effet faciles à satisfaire. Elizabeth II a-t-elle un nom de famille et si oui quel est-il ? Pourquoi l’épouse du roi d’Espagne est-elle appelée reine et l’époux de la reine d’Angleterre prince consort ? D’autres questions étaient plus vicieuses quoique aussi futiles : si l’Ecosse vote en faveur de son indépendance au prochain referendum, le duc d’Édimbourg restera-t-il duc d’Édimbourg ? Éliacin, n’ayant pas la moindre lumière sur cette question bredouilla électroniquement que, sans doute en irait-il ainsi mais que la question se poserait plutôt à la génération suivante, quoique l’Ecosse indépendante ne prétendant qu’à devenir une république, elle ne ferait pas une priorité de la question des titres de noblesse qui d’ailleurs, comme la monnaie, pourrait être l’objet d’un accord avec les restes du Royaume-Uni. Lorsqu’il me raconta cette réponse embrouillée et aux deux tiers hors sujet, Éliacin me rappela les copies qu’il me donnait à relire avant de les soumettre à son professeur. Ce n’était pas pour raviver ces souvenirs qu’il m’avait rendu visite, mais plutôt, connaissant mon attachement aux beautés de la traduction par ordinateur, pour fournir à ma dernière chronique cet extrait d’une note consacrée à la transmission des titres de noblesse en Grande Bretagne. « Généralement, une pairie passe au prochain support seulement après que le support meurt pour l'instant. Cependant, Édouard IV a présenté le mandat de l'accélération, par lequel il soit possible que le fils le plus âgé d'un pair avec des titres multiples se repose dans la Chambre des seigneurs en vertu d'une des dignités subsidiaires de son père. » « En Ecosse, les enfants hybrides peuvent hériter ». En se reportant à l’original anglais, on comprendra qu’hybride veut dire bâtard, que support est censé traduire, holder, titulaire. Quant à se reposer dans la chambre des seigneurs, c’est mieux qu’une traduction, c’est un rêve. Puissent les vacances vous en offrir la réalisation."