FORCE DE TRAVAIL

Rubrique proposée par Philippe Meyer.

FORCE DE TRAVAIL

Philippe Meyer

"« Voyage en Amazonie » fut publié six ans avant que Jair Bolsonaro ne parvienne au pouvoir et il n’y est pas question de préservation de la nature mais d’organisation du travail, pas de déforestation, mais plutôt de déshumanisation, pas de l’immense bassin amazonien mais d’une entreprise de vente par internet. Ecoutant le président de la République répondre sur Youtube à la question d’un jeune homme sur les GAFA et leur nécessaire taxation, je suis retourné à ce livre et aux notes que j’avais prises. Il n’est pas indifférent de rappeler que c’est en présence de Xavier Bertrand, alors ministre du Travail qu’Amazon a signé une convention de service avec Pole Emploi et que c’est Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif (quel intitulé !) qui a salué l’installation de la troisième plateforme logistique d’Amazon en Saône et Loire. Ni M. Bertrand ni M. Montebourg ne pouvaient pourtant ignorer le rapport du sénat sur les « optimisations fiscales » de cette entreprise, ni les poursuites engagées contre elle par le fisc. En France comme en Grande Bretagne ou au Texas, c’est la création d’emploi que les élus et les ministres mettent en avant et c’est la menace de fermer ses entrepôts qu’Amazon fait valoir pour conserver son statut fiscal. Or, ce ne sont pas sur les créations mais sur les conditions d’emploi que s’est penché Jean-Baptiste Malet. Mieux que se pencher sur elles, il s’y est immergé. Embauché en surnombre pendant la période des fêtes à la plateforme logistique de Montélimar, mon confrère y a découvert des conditions de travail orwelliennes : Après un premier test in situ, l’employé(e) signe un contrat d'une semaine renouvelable hebdomadairement. Il (ou elle) est appelé(e) par l'agence d'intérim la veille pour le lendemain, ne reçoit son contrat de travail que deux semaines plus tard, ne connaît pas son taux horaire exact, ne passe aucune visite médicale, se voit constamment appâté par la promesse d’un CDI qui, comme l’horizon, recule au fur et à mesure qu’il avance. Les objectifs de productivité sont annoncés collectivement par le manager à chaque prise de poste. Lorsqu’il travaillait de nuit (entre 21h30 et 4h50) Jean-Baptiste Malet était informé plusieurs fois de sa productivité dont l'article 16 du règlement de l’entreprise prévoit qu’elle doit augmenter constamment. Le règlement prévoit aussi qu’à la troisième absence ou au troisième retard non justifiés l’employé sera licencié. Le même règlement enjoint de garer sa voiture en marche arrière sur le parking de l’entreprise. Il est strictement interdit de mordre sur les lignes blanches. L’employé n’a droit qu’à un seul avertissement ; au deuxième, c'est la fourrière. Les employés sont considérés comme des voleurs potentiels Chaque sortie de la plateforme est soumise à un contrôle aléatoire, identique à celui des aéroports. Il est effectué par des vigiles qui manquent outrageusement de respect aux employés. Il est formellement interdit de parler quand on croise un collègue dans les rayons. Amazon, et c’est là l’ultime justification de la référence à Orwell et à 1984 pousse le pharisaïsme à son paroxysme et parle d'émancipation, d'épanouissement, de responsabilité, quand l'entreprise ne fait que transformer ses employés en robots, déploie un paternalisme sournois et n'a aucune considération pour les produits culturels qu'elle expédie. Pour chaque emploi créé sur le site de Chalon, Amazon a reçu de la région Bourgogne 3.400 euros, du conseil général de Saône et Loire 1.100 euros, et de l'État 1.000 à 2.000 euros, soit 5.500 euros par poste. Deux tiers de ces emplois créés sont des emplois précaires d'intérimaires. Fin 2018, un rapport d’expert de 247 pages dénonçait la persistance de ces conditions, en France, confirmé par un article de Business Insiders sur le comportement de l’entreprise en Grande Bretagne et aux États-Unis.. Le livre de Jean-Baptiste Malet est édité par Fayard. Achetez-le plutôt chez un libraire. "