" La notoriété de Dominique Noguès, philosophe, cinéaste, romancier mort en mars ne doit rien aux artifices de la communication et tout au bouche -à-oreille. C’est dire que, si cette notoriété est relative, elle est d’une solidité à toute épreuve. Ces dernières années, Dominique Noguès montrait une sensibilité très vive à l’instauration de ce que l’irremplacé Philippe Muray appelait « l’empire du bien » et « l’envie du pénal ». L’une de ses cibles avait été la résolution « assimilant la prostitution à une forme d’exploitation sexuelle » adoptée par l’Assemblée nationale. Pour critiquer ce texte, Noguès avait d’abord fait œuvre de journaliste, en rappelant qu’il avait été voté après trois quarts d’heure de débats dans un hémicycle vide aux neuf dixièmes, sur la base du rapport d’une mission d’information qui se flattait d’avoir entendu deux cents personnes mais qui oubliait de mentionner qu’à peine plus de 5% de ces témoins avaient une connaissance directe de l’activité sur laquelle il s’agissait de se prononcer. Répétée par neuf orateurs, des statistiques non référencées et dont personne ne s’était soucié de savoir comment elles avaient été établies servirent à impressionner leur maigre auditoire. Se fondant sur ce simulacre de débat, le gouvernement proclama sa volonté d’abolir la prostitution. On sait que l’exemple de la Suède est constamment invoqué à l’appui de cette volonté depuis que ce pays a décidé de pénaliser les clients des prostituées. Dominique Noguès faisait remarquer que cette politique « se révèle de plus en plus clairement un échec, l'insécurité des prostitué(e)s et le nombre de viols étant dans ce pays en progression constante. » Une spécialiste suédoise du trafic d’êtres humains, Laura Augustin, avait déjà révoqué en doute les conclusions triomphalistes de son gouvernement qui, selon elle, n’offrait aucune preuve de ce qu’il avançait et se basait sur un rapport « souffrant de trop nombreuses erreurs scientifiques ». En Norvège, pays qui a adopté la même pénalisation que la Suède et qui se vante également d’avoir fait chuter le nombre de clients, une porte-parole de l'Association pour l'intérêt des prostituées, a souligné qu’« il n'existe aucune preuve basée sur une recherche ou une étude qui permette de confirmer cette assertion ». En France, Marie-Élisabeth Handman, enseignante-chercheuse au Laboratoire d’anthropologie sociale qui travaille sur la prostitution depuis 2002 estime que, « de toute façon, ces chiffres relèvent de l'idéologie. La prostitution est peut-être moins visible avec cette loi mais elle a pu devenir clandestine. Chaque fois qu'il y a prohibition, cela fait fleurir la mafia autour de la prostitution. Dans ce cas, difficile de savoir si elle augmente ou diminue ». C’est évidemment au proxénétisme qu’il faut s’attaquer et, comme le souligne Mme Handman, « sur ce point, l'arsenal législatif français devrait largement suffire ». Encore faut-il avoir la volonté d’utiliser cet arsenal plutôt que de se complaire dans des déclarations qui relèvent au mieux de l’opération de communication ou de diversion et, au pire, de ce que Dominique Noguès appelle le fantasme de « l'antique et increvable armada des fouille-culottes, de ceux qui s'intéressent passionnément à la sexualité d'autrui, toujours pour la surveiller, si possible pour l'interdire, un peu pour la voir. » "