D’AUTRES POPULISMES :
Introduction
Lors de la campagne pour les élections européennes, une attention toute particulière s’est portée sur les populismes dans bon nombre de pays européens. L’hémisphère Sud n’est pas en reste, où des dirigeants aux manières controversées, promettent de renverser le « système ». Au Brésil, Jair Bolsonaro, élu président en octobre 2018, s’érige en champion de la lutte contre la corruption. Le rejet des élites corrompues du pays avait amené ce nostalgique de la dictature à remporter les élections. Admirateur de Donald Trump, il est notamment en guerre contre les universités et a récemment annoncé le gel de 30% de leurs subventions. Il prône la privatisation des plus importantes compagnies publiques et des mesures de dérégulation de l’agro-industrie. Il a augmenté de près de 5% le salaire minimum et condamné les aides sociales aux plus pauvres En Asie, le Premier ministre indien, Narendra Modi, vient d’être réélu le 19 mai et s’affiche en leader d’une indépendance nationale glorifiant le « Made in India industriel et technologique. A 68 ans, il avait fait des élections législatives un quasi-référendum sur sa personne. Sa campagne a été marquée par un discours sécuritaire anxiogène et nationaliste, le présentant comme le protecteur du pays et lui permettant de passer sous silence son bilan économique mitigé. Aux Philippines, les candidats du président Rodrigo Duterte sont arrivés en tête des élections de mi-mandat du 13 mai. Le président, élu depuis 2016, a bâti sa réputation de champion de la lutte contre le narcotrafic à l’aide de ses escadrons de la mort chargés d’exécuter les criminels sans autre forme de procès. « Oubliez les droits de l'homme, si je deviens président, ça va saigner », déclarait-il lors de sa campagne. Les élections présidentielles argentines qui se profilent le 17 octobre prochain font réapparaitre le spectre du péronisme, laboratoire du populisme dans les années 40, et 50 avec la figure de Cristina Kirchner, ancienne présidente de 2007 à 2015 qui se présente comme vice-présidente derrière son chef de cabinet, Alberto Fernandez, afin que celui-ci puisse signer une amnistie interrompant les procédures judiciaires qui la visent. Elle doit être jugée dans le cadre de l’affaire de l’attentat à la bombe de 1994 contre l’association juive Amia de Buenos Aires qui avait fait 85 morts et des centaines de blessés. Elle affiche dans son programme la nationalisation du commerce extérieur et la mise sous tutelle des secteurs de la justice et des médias.
Kontildondit ?
Nicolas Baverez :
Il est vrai que depuis 2016, avec le Brexit et l’élection de Donald Trump, on s’est beaucoup concentré sur le populisme et la crise des démocraties dans les pays développés, mais cette vague est en réalité planétaire. Aux exemples donnés en introduction pourraient s’ajouter Erdogan et la démocrature qui est en train de se mettre en place en Turquie.
Comme dans les pays développés, les causes sont économiques et sociales, il s’agit notamment de la crise des classes moyennes. Au Brésil par exemple, où la classe moyenne qui avait émergé sous Lula a complètement éclaté. Les problèmes politiques et culturels sont souvent sous-estimés, comme l’immigration et la sécurité. Au Brésil, les 63 000 homicides par an ont été l’une des grandes causes de l’élection de M. Bolsonaro.
Les deux aspects marquants de ces populismes sont d’une part le retour en force des « hommes forts », mais aussi celui des sentiments identitaires, nationalistes et religieux. Quand on regarde l’Inde de Narendra Modi, c’est spectaculaire : il y a là le projet de faire de l’Inde une nation hindoue, en faisant fi des 200 millions de musulmans du pays. Si c’est à la Turquie qu’on s’intéresse, on perçoit clairement la double dimension : empire ottoman et religion.
Le bilan est très mitigé : ces hommes forts réussissent politiquement, mais au prix de résultats économiques très médiocres, et évidemment d’une désintégration complète de l’état de droit.
Derrière cette bipolarisation du monde qui est en train de prendre forme, il y a deux idées de plus en plus présentes : celle du modèle chinois, où l’on troque la liberté politique pour la stabilité et la croissance économique, et celle que les pays du sud ont une revanche à prendre sur l’occident.
Lucile Schmid :
Plusieurs choses sont frappantes à propos du populisme « mondial ». La première d’entre elles est que des hommes totalement inconnus il y a peu ont pris le pouvoir dans de grands pays. Le Brésil, le Pakistan, les Philippines, l’Inde sont de grands pays émergents, qui pèsent déjà lourd dans le monde d’aujourd’hui. Qui connaissait Jair Bolsonaro avant son élection ? Il était auparavant un député parfaitement insipide. Imran Khan, le premier ministre Pakistanais, était davantage connu comme ancien joueur de cricket. Narendra Modi en Inde avait la réputation d’être un « homme caméléon » changeant plusieurs fois par jour de costume pour plaire à ses différents interlocuteurs.
Jusqu’où ces nouveaux populismes peuvent-ils aller ? Les démocraties auront-elles des cordes de rappel ? Peut-on imaginer un avenir qui n’aille pas vers le pire ?
Marc-Olivier Padis :
On parle ici essentiellement de populismes de droite, alors qu’il y a longtemps eu en Amérique latine une tradition de populismes de gauche, dont la figure de proue était le péronisme en Argentine, qui s’appuyait sur des politiques sociales fortes. Il inspire encore Maduro, l’héritier de Chávez au Vénézuéla.
Au delà du style politique, a-t-on affaire à un mouvement de fond, qui laisse présager une nouvelle construction politique ? Les éléments rhétoriques sont clairs : l’importance de la personnalité, l’homme fort, la misogynie, le conservatisme moral, le côté anti conventionnel. Mais il y a aussi des éléments structurels, en particulier la présence de l’armée. Bolsonaro a été soutenu par l’armée, qui ne veut pas prendre directement le pouvoir comme elle l’avait fait lors du coup d’état, mais qui a nettement fait savoir que Bolsonaro était son candidat. On trouve aussi dans ces pays une corruption qui gangrène l’économie. Au Brésil encore une fois, l’importance des matières premières favorise l’accaparement des rentes par les proches du pouvoir.
Jean-Louis Bourlanges :
Il est très difficile de regrouper tous ces populismes sous une même définition. Ils semblent tout de même tous découler de la fin du communisme. Avec le bloc de l’est se sont effondrées les idéologies révolutionnaires anti-occidentales. Il reste donc des forces contestataires qui se sont un peu retrouvées en errance, se rabattant sur des thèses nationalistes, identitaristes, anti-élites, etc.
La relève de la protestation communiste, opposée au colonialisme et au néo-colonialisme, est donc confuse. Ce qui en ressort le plus clairement est néanmoins l’anti-occidentalisme, le refus des valeurs portées par l’Europe : l’état de droit, les droits humains fondamentaux et la liberté de conscience.
Nous n’en sortons pas indemnes, car nous sommes contaminés par ces populismes qui minent ce que JLB considère comme le trésor de la civilisation occidentale : ses valeurs.
Lucile Schmid :
Jusqu’où ira la violence d’état ? Bolsonaro a été élu en disant qu’il allait donner une arme à chaque Brésilien, et les Philippines ont choisi de se retirer de la Cour pénale internationale.
VERS NOUVELLE DONNE POLITIQUE
Introduction
Le dimanche 2 juin, Laurent Wauquiez a annoncé sa démission de la présidence du parti Les Républicains (LR). Cette annonce fait suite au revers de la liste conduite par son poulain, François‐Xavier Bellamy, aux élections européennes du 26 mai. Avec 8,48 % des suffrages exprimés, le parti a enregistré son plus mauvais score sous la Ve République. L’ancien patron de LR avait perdu le soutien de son parti puisqu’au Sénat, Gérard Larcher avait pris la tête de la résistance de la droite modérée et à l’Assemblée nationale, une vingtaine de députés menaçaient de faire dissidence. Cette démission ne met fin ni au débat sur la ligne du parti dont LREM a siphonné une partie des électeurs, ni à la recherche d’un nouveau leader, ni à l’hémorragie de personnalités comme la présidente de la Région Île-de-France, Valérie Pécresse. Après le scrutin européen, la majorité doit aussi se réorganiser notamment dans la perspective des élections municipales de 2020. Premier signe du changement : le chef de l’État a décidé de ne pas prendre la parole devant le Parlement réuni en Congrès et de confier à Édouard Philippe le soin de préciser les étapes de l’acte II du quinquennat lors d’un discours de politique générale suivi d’un vote de confiance le 12 juin prochain. Pour séduire les 13,3% de voix parties vers les écologistes d’EELV, Édouard Philippe a par ailleurs promis un « verdissement » de la politique du gouvernement. A la droite de la droite, l’arrivée en tête du Rassemblement national n’a pas pu longtemps cacher l’impossibilité pour ce parti de prétendre gouverner seul. Marion Maréchal est sortie de son silence pour le souligner et mettre sur la table la question des alliances, question à laquelle une partie de LR n’est pas insensible. A la gauche de la gauche, Jean-Luc Mélenchon a laissé ses proches minimiser la contestation interne menée par Clémentine Autain. Il ne s’est pas attardé sur le faible résultat de LFI et a réaffirmé que son but était la prise du pouvoir par une victoire à l’élection présidentielle de 2022. D’ici là, les Français voteront beaucoup. En 2020 pour le renouvellement des conseils municipaux et d’une partie du sénat électorales, en 2021 pour celui des conseils départementaux et régionaux. Les maires élus sous une étiquette de droite font l'objet de l'attention toute particulière de LRM qui manque d’assise territoriale.
Kontildondit ?
Lucile Schmid (LS) :
La séquence que nous vivons est très confuse. S’il était tout à fait normal que Laurent Wauquiez démissionne après le résultat catastrophique des Républicains, il est plus surprenant en revanche que Valérie Pécresse ait démissionné à son tour, avec l’ambition de reconstruire la droite en dehors du parti. Les anciens appareils continuent de se désagréger et les effets de la création du mouvement d’Emmanuel Macron se font encore sentir deux ans plus tard. Par ailleurs, le président a réussi à construire un pôle de stabilité avec LREM, qui lui permet de lancer aujourd’hui une OPA sur les maires LR, dont un certain nombre est tenté par un rapprochement avec le mouvement de la majorité.
On ne saurait concevoir deux élections françaises plus différentes que les européennes et les municipales. Les élections européennes se déroulent à la proportionnelle (pas intégralement, mais elles laissent une grande liberté à l’électeur) et son très abstraites par rapport aux enjeux de proximité des municipales. Faire le lien entre les résultats de ces deux élections est donc compliqué, même si c’est tentant. Il ne faut donc pas considérer a priori que l’ordre d’arrivée aux européennes présage celui des municipales.
Les sondages n’avaient pas prévu l’importante progression des écologistes, et des acteurs émergents se sentent pousser des ailes, par exemple Yannick Jadot déclarait l’ambition des écologistes de conquérir Paris, Toulouse et Nantes. Si cette ambition semble disproportionnée, la question des contenus est posée. Suffira-t-il de verdir ? La question de la droite et de la gauche ne sera sans doute plus aussi centrale qu’elle l’était jusqu’à présent, mais les propositions et les personnes seront cruciales. Les castings s’annoncent déterminants. LREM et les Verts sauront-ils trouver les bons candidats, LR et les socialistes parviendront-ils à rebondir ?
Nicolas Baverez (NB) :
L’une des nouveautés majeures de ce scrutin européen est que, pour la première fois, les résultats ont un impact majeur sur la vie politique nationale. C’est le cas en Allemagne, avec les difficultés de la coalition de Mme Merkel et notamment du SPD, également au Royaume-Uni, où les conservateurs font 9% et le Labour à 14%, en Italie, la coalition des extrêmes risque d’exploser et laisser le champ totalement libre à M. Salvini. Et enfin en Grèce ou Aléxis Tsípras va devoir organiser des élections en juillet.
En France, le résultat est paradoxal. Le président a subi un échec tactique ; la liste LREM arrive derrière celle du Rassemblement National, mais du point de vue stratégique c’est une réussite, puisqu’il a remporté son pari : installer un duopole LREM / RN. Il est très impressionnant de voir que dans ce suffrage, les deux tiers des votants ont voté en dehors des clivages droite/gauche. Les deux grands camps qui ont structuré la vie politique depuis 1958 ne représentent à eux deux que 15% des électeurs.
Côté gauche, on a toujours des électeurs, mais ils sont neutralisés par l’éclatement de la gauche. Du côté des Républicains, la crise est majeure : non seulement les résultats ont été désastreux, mais il n’y a désormais plus de leader, de ligne politique et pratiquement plus de base sociologique. Il reste des élus, mais ils remettront leur statut en jeu lors des municipales de 2020 et des régionales de 2021. Le parti risque clairement de disparaître, Emmanuel Macron poursuit par l’intermédiaire d’Edouard Philippe son OPA sur les Républicains. LREM a perdu beaucoup de ses électeurs venus de la gauche, mais se rattrape en récupérant les électeurs traditionnels de la droite, notamment les retraités.
On observe une forme de désintégration des partis, et dès lors une question se pose : une démocratie peut-elle fonctionner sans partis ? Les deux grandes forces qui restent (LREM et le RN) s’inscrivent toutes deux dans la dynamique des hommes forts et des leaders charismatiques. Il n’y a en réalité pas de ligne politique à LREM, la stratégie se résume à : « Emmanuel Macron ». Il en va de même du côté du Rassemblement National, structuré autour de Mme Le Pen. La dynamique de l’homme providentiel se retrouve dans d’autres formations politiques, c’est par exemple celle de Marion Maréchal qui tente de se repositionner dans le débat, ou de Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, qui ont décidé d’opérer en dehors des partis.
Philippe Meyer (PM) fait remarquer que, dans toutes les spéculations présidentielles qui ont suivi les élections européennes, peu de gens ont tenu compte qu’il reste quatre élections d’ici les présidentielles, deux par an, ce qui permet aux acteurs d’affiner leurs tactiques.
Il y a aussi un effondrement dont on parle peu, celui des militants. Il n’y a plus ou presque de militants actifs. Toutes formations politiques confondues, il en reste moins que de licenciés à certains sports pourtant marginaux (comme le croquet ...)
Marc-Olivier Padis (MOP) :
La situation décrite par NB a été baptisée « le parti personnel ». On l’a déjà observée en Italie avec Berlusconi. Se dirige-t-on vers ce type de situation, ou n’est-ce qu’une phase de recomposition ?
Tous les pays d’Europe connaissent une recomposition de leur paysage politique, et cette transformation se retrouve au parlement européen, où les deux partis traditionnels sont en recul. En France, on a l’impression qu’Emmanuel Macron a eu l’intuition en 2017 qu’il lui fallait provoquer cette recomposition, plutôt qu’elle se fasse malgré lui .
Comme le faisait remarquer LS, la période située entre les européennes et les municipales n’est pas idéale pour une recomposition majeure du paysage politique français. D’abord parce que les européennes ont souvent des résultats atypiques. En effet, on y a souvent vu des partis obtenant de bons scores, et ne parvenant pas à capitaliser ensuite au niveau national. D’autre part, les mauvais scores ne présagent pas non plus des résultats locaux. La France Insoumise a fait un mauvais score, mais rappelons qu’il est le même que lors des élections européennes précédentes. De même le Rassemblement National est certes arrivé en tête, mais la dernière fois aussi, et ils n’ont pas réellement progressé en termes de pourcentages de voix.
Si leurs européennes ne sont pas propices à une recomposition, les municipales ne le sont guère plus. Ce sera un problème pour Yannick Jadot, qui lui aussi récuse le clivage gauche/droite.
Il ne faut pas négliger certains déplacements de voix importants dans ce scrutin. La poussée du vote populaire notamment. La consolidation de LREM ne doit pas occulter cette migration souterraine de suffrages. Quand on examine le détail des reports de voix entre la présidentielle et ces européennes, on s’aperçoit que beaucoup des électeurs de Macron de 2017 ont donné leur vote aux Verts (ceux de gauche surtout). LREM est stable car elle a récupéré les électeurs de Fillon. Ces déplacements de voix orientent LREM davantage à droite, ce qui aura immanquablement des conséquences sur les municipales.
Le pessimisme habituel de Jean-Louis Bourlanges (JLB) a été contredit, puisque le résultat de la liste LREM (qu’il a soutenue) a été meilleur que prévu. Pendant toute la campagne, on n’a cessé d’entendre qu’on nationalisait le débat européen, mais ce que les résultats ont montré, c’est qu’on a au contraire européanisé le débat national. Les thèmes fondamentaux qui ont structuré le débat public ont été des choix européens (la sécurité, l’immigration, l’écologie, l’ouverture ou la fermeture de l’économie, etc.).
La structuration même a été différente : la révolution (au sens physique du terme) qu’a opérée Macron en 2017 a surtout consisté à poser les problèmes en termes européens. Le parlement européen est passé du duopole à une majorité « Dalton », où chaque parti a une tête de moins que l’autre (le PPE est Averell, tandis que les écologistes sont Joe). En France, nous avons le même type d’organisation, mais à trois cette fois, avec un effondrement massif du pôle de gauche, en partie remplacé par les écologistes.
Philippe Tesson a récemment déclaré à la radio que ces résultats signifiaient le triomphe du pragmatisme sur les idéologies. JLB n’en croit rien. Pour lui ces élections ont été fondamentalement idéologiques, même si elles n’ont pas été droite/gauche. Les Républicains par exemple ont été broyés par ce clivage idéologique qu’ils n’ont pas voulu assumer. François-Xavier Bellamy a hésité entre la droite très droitière et le centre, il l’a payé cher. Au lendemain de la démission de Wauquiez, on a vu les leaders de LR se partager entre deux lignes : ceux qui continuaient d’appeler à « des actes forts et un langage clair » (autrement dit, qui lorgnaient du côté du Rassemblement National, mais trop tard) et les autres, davantage pro-européens, pour une économie de marché ouverte, pour une sécurité collective, un verdissement de la politique ... c’est-à-dire compatibles avec Macron. Pour LR, il va s’agir de trancher. Il se peut d’ailleurs tout à fait que les « macronistes » (ceux qui ne sont pas opposés aux idées de Macron) ne soient pas « macroniens », c’est à dire qu’ils considèrent que Macron n’est pas la personne la mieux adaptée pour les représenter.
Le clivage local reste profondément important. Les gens de LREM font montre d’une audace extrême en abordant déjà les élections locales à venir (municipales, sénatoriales, départementales). La devise semble être « rejoignez-nous, ou crevez ». Mais les Français pourraient bien vouloir bâtir un contre-pouvoir lors de ces échéances. Or LREM n’a pas un personnel politique capable de tenir tête aux élus territoriaux. Cette tactique paraît imprudente. Pour le MODEM par exemple, il semble plus raisonnable de nouer des alliances locales avec les « Macron-compatibles ».
Lucile Schmid :
La question du Rassemblement National est essentielle dans cette recomposition politique. On s’est habitué en quelques années à ce que ce parti puisse arriver en tête, et dispose d’un électorat constant et stable. Rappelons-nous que lors du débat Macron-Le Pen avant le deuxième tour des présidentielles, tous considéraient que Mme Le Pen était finie.
On s’interroge sur le clivage droite-gauche. A-t-il de l’avenir ? Réapparaîtra-t-il plus fortement lors d’autres élections ? Ces questions ne sont pas réglées. Comme l’a fait remarquer MOP, il y a eu une transhumance électorale, qui a « droitisé » le mouvement d’Emmanuel Macron. Quant à la gauche, a-t-elle vraiment disparu du jeu car trop fragmentée ? LS propose de remettre du contenu sur la question des étiquettes politiques. Par rapport au bon score des écologistes, notamment. Ceux-ci devraient proposer un nouveau projet de société, avec des contraintes et des libertés nouvelles, mais aussi une prise en considération des nouvelles complexités d’aujourd’hui. Quand un électeur fait le choix du vote écologiste, il accepte un choix profondément différent, qui est quelque part anti-productiviste ; en tous cas il se mobilise et prend le risque de choisir un acteur émergent.
Sur la question des militants qu’a évoquée PM, Europe-Ecologie-les-Verts a 2000 militants au mieux. Mais ce qui est en cause est moins un changement politique ou politicien qu’un changement culturel. Ce dernier affecte la vie dans son ensemble, la relation au travail, au monde, etc. Et pour LS, la question d’un tel changement se posera à nouveau lors des élections territoriales, notamment parce que les territoires sont d’avantages des lieux d’innovations et d’expérimentations que ne l’est l’état central. Les élections municipales se structureront-elles autour de maires conservateurs qui ont « verrouillé » leur électorat, ou de maires faisant le pari de nouveaux projets ? Faudra-t-il des projets mixtes entre conservation et innovation ? Les municipales pourraient bien s’avérer aussi surprenantes que ces européennes.
Pour Philippe Meyer, Yannick Jadot s’apparente davantage à Rantanplan qu’à Joe Dalton. Croire qu’un bon score aux européennes est une raison suffisante pour rouler des mécaniques devant toutes les caméras possibles, en expliquant que tout se fera autour de lui et son groupe, n’est pas le signe d’une grande intelligence politique. A propos de Paris, où les écologistes se sont comportés le plus docilement du monde avec Mme Hidalgo, pour déclarer maintenant qu’on allait voir ce qu’on allait voir ... il y a là quelque chose d’un peu navrant.
Nicolas Baverez :
Dans ces élections européennes, les listes qui ont tiré leur épingle du jeu ont été celles qui étaient claires. Au Royaume-Uni, par exemple, le parti du Brexit a pu écraser les Tories et le Labour. En Allemagne également, où la clarté a profité aux Verts. En France, il faut reconnaître que Yannick Jadot a lui aussi été clair, tout comme le RN et LREM.
Aujourd’hui les deux tiers des électeurs sont en dehors du clivage droite/gauche. Le problème de la gauche est d’arriver à se rassembler, ce qui paraît difficile étant donné que chacune des chapelles soutient mordicus qu’un tel rassemblement doit se faire autour d’elle. Celui de la droite est différent. Il ne s’agit pas ici d’éparpillement mais de l’euthanasie des Républicains, qui découle de ce manque de clarté. Il y a un véritable grand écart : tout ce qui était identitaire a été préempté par le RN, et tout ce qui était réformisme économique, ordre public et Europe l’a été par LREM. Le seul horizon d’espoir des Républicains est désormais le terrain local.
Marc-Olivier Padis :
Le manque de clarté explique aussi les mauvais résultats de La France Insoumise, dont le message était parfaitement incompréhensible sur l’Europe. Ils voulaient renégocier les traités en menaçant de sortir mais sans sortir, bref ils se sont montrés à la fois pro et anti Europe. Depuis l’élection présidentielle, les clivages se sont déplacés : à l’époque, les discours anti-européens faisaient presque une majorité. Depuis, le RN a changé sa ligne politique : ils ne sont plus pour une sortie de l’Europe désormais. Les souverainistes ont fait des scores très médiocres à cette élection.
A propos de Yannick Jadot, pourquoi devrait-il s’interdire de profiter de l’élan que lui ont apporté ces élections ? Rien ne dit que cela fonctionnera, mais après tout c’est le jeu politique : capitaliser sur les avantages, et essayer des choses.
Jean-Louis Bourlanges ne croit pas qu’au lendemain de la présidentielle de 2017, on ait cru le RN fini. Ce qui semblait perdu, c’était Mme Le Pen elle-même, et la ligne de Philippot, qui était « à gauche ». Cette ligne qu’on pourrait qualifier de « néo-Chevènementiste » allait à contre-courant de l’électorat du RN, ce qu’avait implacablement démontré Marion Maréchal. Le socle du RN est très solide, et c’est sur sa ligne que s’organise le clivage fondamental de la société française.
Marine Le Pen va avoir fort à faire avec les gens de son parti. JLB a été très impressionné par les qualités de rhéteur de Jordan Bardella. Marion Maréchal quant à elle a fait preuve d’une anticipation stratégique qui devrait inquiéter sa tante.
Sur l’écologie, enfin. Yannick Jadot s’égare un peu ces jours-ci, mais il est sur le nuage de sa victoire inattendue, cela peut se comprendre. Reconnaissons-lui d’avoir très bien orienté les quinze derniers jours de sa campagne. La gauche est en miettes, parce que sa condamnation de l’économie capitaliste est incompatible avec l’engagement européen. C’est cela qui a broyé MM. Hamon et Glucksmann, et c’est sur ce point que M. Jadot a été très habile, il a su esquiver cette problématique et promouvoir un autre combat, celui de l’écologie. Mais la gauche est-elle réductible à l’écologisme ? Et inversement, l’écologie est-elle forcément de gauche ? Les Verts Français devraient s’inspirer de leurs homologues Allemands, se placer au centre du jeu politique et voir avec quel parti du centre ou de la droite modérée ils peuvent faire avancer leurs idées.