Le parlement selon Bojo
Introduction
La semaine qui vient de s'écouler a été particulièrement mouvementée pour le Premier ministre britannique Boris Johnson, arrivé au pouvoir le 24 juillet dernier et chantre du hard Brexit.
Mardi 3 septembre lors d'un vote visant à donner à la Chambre des communes le contrôle de l'ordre du jour, normalement aux mains de l'exécutif, une vingtaine de députés conservateurs ont voté avec l'opposition. Cette défection ayant entraîné la perte du vote pour Boris Johnson, les députés en question ont été exclus du parti. Plus tôt dans la journée et en pleine session parlementaire, le Premier ministre avait déjà perdu la seule voix de majorité dont il disposait au Parlement lorsqu'un député Tory a choisi de quitter son parti pour rejoindre le banc des Libéraux Démocrates, europhiles.
Mercredi 4 septembre, une motion visant à imposer au Premier ministre qu'il demande un sursis à l'Union Européenne jusqu'au 31 janvier 2020 a été adoptée, avec l'appui des députés rebelles tout juste débarqués du parti. Elle a été confirmée par les Lords vendredi. L'adoption de cette « loi défaitiste » telle que nommée par Johnson, l'a conduit à demander un vote sur l'organisation d'élections anticipées, le 15 octobre prochain. Profitant de la concurrence entre le Labour et les LibDem et de sa forte popularité auprès des sympathisant du Brexit Party, Boris Johnson devancerait son premier poursuivant d'une dizaine de points lors d'élections anticipées selon l'ensemble des sondages.
Lors du vote à la Chambre des Communes, les 3/5ème de voix requis n’ont pas été atteints, le chef de l'opposition Jeremy Corbyn refusant de soutenir cette proposition d'élections anticipées qu'il a qualifié de « piège ». Boris Johnson devient à cette occasion le premier Premier ministre britannique à perdre ses trois premiers votes au Parlement.
Cette série de déconvenues fait suite à sa décision de suspendre le Parlement à partir du 9 septembre, dans le but de bloquer toute tentative d'empêcher un Brexit dur au 31 octobre. Cette mesure, jugée légale mercredi par la plus haute juridiction écossaise, a choqué jusque dans les rangs des conservateurs et cimenté les oppositions qui la considèrent comme une forme de violation des règles de droit constitutionnel britannique.
Publiés in extenso par The Sunday Times, mi-août, un rapport gouvernemental confidentiel indique que « le grand public et les entreprises restent mal préparés à un Brexit sans accord. » Selon l’édition dominicale de The Times, il faut notamment s’attendre au retour d’une frontière dure entre l’Irlande et l’Irlande du Nord ; à des perturbations majeures pendant trois mois dans les ports britanniques ; à des incidents entre bateaux de pêche britanniques et européens ; à la fermeture de deux raffineries, menant à la suppression de 2 000 emplois ; à des manifestations nécessitant une augmentation des effectifs policiers ; à une hausse du prix de la nourriture.
Kontildondit ?
Michaela Wiegel (MW) :
Dans ce feuilleton du Brexit, l’arrivée de Boris Johnson, que tout le monde avait pris pour le début d’une conclusion, s’avère n’être que le milieu du roman. Avec trois votes perdus en moins de 48 heures, on n’est désormais pas plus avancé qu’avant la chute de Theresa May au début de l’été.
Quels sont les faits les plus marquants ? Tout d’abord, la division encore accentuée du parti conservateur, avec l’exclusion de grands noms comme Kenneth Clarke ou Nicholas Soames (petit-fils de Winston Churchill, et fils de Christopher Soames, ambassadeur renommé), ou le départ du propre frère du premier ministre, Jo Johnson, ou de la ministre du travail Amber Rudd.
On a donc un parti au pouvoir fortement divisé, et un gouvernement très diminué. On se demande aujourd’hui si Boris Johnson peut rester premier ministre, alors qu’on a constaté son incapacité à proposer une stratégie. Le parti travailliste a refusé l’appel à de nouvelles élections le 15 octobre, y voyant une tactique du premier ministre pour esquiver de véritables négociations à Bruxelles. Michel Barnier a d’ailleurs laissé entendre que depuis l’arrivée au pouvoir de B. Johnson, aucun officiel Britannique n’avait mené de véritable négociation en vue d’une sortie de crise.
Il semble donc que l’on soit dans une guerre de positions, où personne ne bouge, et où une stratégie de sortie de l’Union Européenne du Royaume-Uni semble s’éloigner ...
Quelles sont les implications pour nous, les autres Européens ? Au mois de mars dernier déjà, quand on évoquait un report possible de la date du Brexit, les désaccords entre France et Allemagne ont été vifs, E. Macron plaidant pour une sortie rapide, même sans accord, tandis que Mme Merkel voulait accorder un an de prolongation. On a donc opté pour un report jusqu’au 31 octobre. Mais étant donnée la paralysie totale outre-Manche, faut-il accorder au Royaume-Uni un nouveau délai ?
En Allemagne, nombreux sont ceux qui se déclarent favorables à un nouveau report ; ceci s’explique par le ralentissement économique actuel. L’argument est le suivant : « certes, le report maintient une situation qui n’est pas idéale, mais au moins on se préserve des conséquences désastreuses d’une sortie sans accord ». En France, en revanche, on n’a pas entendu un seul responsable politique favorable à un nouveau délai. L’Union Européenne semble donc sur le point de se diviser à nouveau sur cette question. La situation demeure inextricable.
Sur la question du report, étant donnés les récents évènements, Richard Werly (RW) trouve que l’Allemagne avait raison. Angela Merkel avait déclaré lors du Conseil Européen que fixer une date butoir était inutile, qu’il fallait laisser les Britanniques se débrouiller jusqu’à ce qu’ils soient prêts à nous demander quelque chose de clair, assorti d’un calendrier. Cette stratégie a buté sur une demande française récurrente, qui pourrait être érigée en principe : il faut toujours des dates et des obligations.
Emmanuel Macron avait pensé qu’en fixant une date butoir, on obligerait les Britanniques à savoir ce qu’ils veulent. Force est de constater que ce n’est pas le cas. Aucun économiste sérieux n’est pour le moment capable de dire si le no deal sera une catastrophe ou pas, il se pourrait que les entreprises s’adaptent bien mieux qu’on ne le craint. C’est faire beaucoup d’honneur à B. Johnson que d’inféoder le calendrier de l’Union Européenne à son desiderata politique.
A propos de B. Johnson, justement : il a en quelques semaines commis trois fautes morales, et il est surprenant de constater que la classe politique, y compris en France, ne les relève pas.
La première fut de considérer que le chantage est la seule manière de fonctionner. Car c’est bien à des chantages qu’il se livre : envers le Labour Party d’abord, avec cette élection du 15 octobre, envers son propre parti ensuite, en excluant les députés qui ne votent pas comme il le souhaite, envers l’Union Européenne enfin, en la menaçant d’un no deal si elle ne revoit pas sa copie. Le chantage, a fortiori entre partenaires, n’est pas une méthode politique.
La deuxième faute morale a été illustrée de manière éclatante par l’attitude de Jacob Rees-Mogg, (leader de la Chambre des Communes et Lord président du Conseil dans le gouvernement Johnson) littéralement vautré sur le canapé de la Chambre des Communes durant les débats. En regardant les débats, RW a d’abord cru qu’il avait une sciatique. C’était lamentable. Il y a un mépris de classe abominable derrière ce comportement, et de la part de Boris Johnson, qui joue sur le registre populaire-populiste, c’est aussi détestable que navrant. Cela ne peut qu’inciter des députés Écossais par exemple à quitter au plus vite un Royaume-Uni qui les méprise à ce point.
La troisième faute morale enfin, est qu’il est en train de tuer ce qu’il y avait de peut-être honorable dans l’idée du Brexit. Le traité de Lisbonne prévoyait qu’un état membre puisse quitter l’Union s’il le désire. En tant que Suisse, RW tient à rappeler que contrairement à une idée prégnante en France, on peut se porter très bien en tant que pays sans faire partie de l’UE, à condition d’avoir avec ses voisins et ses partenaires des relations correctes et fiables. Dans le cas de la Suisse, une centaine d’accords bilatéraux avec l’UE, longs et compliqués à négocier, s’en assurent. Dans ce domaine, Boris Johnson manque de décence, et l’UE est en droit d’attendre mieux d’un grand pays comme le Royaume-Uni.
Philippe Meyer (PM)
Dans une tribune du Figaro, Gaspard Koenig, qui partage son temps entre Londres et Paris, soutient que l’attitude méprisante de certains membres du parti conservateur, correspond au fait que cette classe aristocratique regarde aujourd’hui le peuple Britannique avec le même mépris dédaigneux qu’elle regardait les habitants des colonies du temps de l’Empire Britannique.
Le Parlement Britannique est tout de même une chose étrange. Les députés se sont très mal conduits récemment, que ce soit avec Mme May, ou lors de scandales concernant l’emploi de leurs indemnités. Il n’en reste pas moins que la vie parlementaire outre-Manche est autrement plus brillante qu’ici. Quand on compare le speaker de la Chambre, John Bercow et M. Ferrand, on se demande s’ils font vraiment le même métier ... Sur les qualités d’orateur aussi, nous devrions rougir quand on entend les discours des députés britanniques, qui mêlent un humour féroce à une culture classique sans faille.
Richard Werly reconnaît que les députés du Parlement britannique sont très critiquable dans leurs actes , mais si Boris Johnson et son clan n’avaient pas systématiquement cherché à détruire Theresa May, l’accord avec l’UE aurait été voté.
Lucile Schmid (LS) :
On hésite constamment entre le burlesque et la tragédie au Royaume-Uni ces derniers temps. On entend par exemple Boris Johnson traiter Jeremy Corbyn de « poulet chloré », tandis que le leader travailliste est lui dans le registre tragique : en refusant de tenir de nouvelles élections le 15 octobre parce qu’elles auraient lieu dans un contexte cynique, il fait un rappel à la moralité qui va au-delà des débats de prétoire.
Comme beaucoup de Français, LS vient de découvrir que le frère de Boris Johnson était au gouvernement, et cela éclaire selon elle la façon dont fonctionnent les élites britanniques.
Dans les commentaires sur la situation, on entend beaucoup que Boris Johnson ne cherche qu’à respecter la volonté du peuple. C’est grotesque. Boris Johnson ne veut qu’instrumentaliser la notion de peuple en promouvant un Brexit dur. Ce chaos démocratique en cours au Royaume-Uni nous montre la difficulté à articuler démocratie représentative et respect de la volonté du peuple.
Comment peuvent aujourd’hui fonctionner des démocraties avec des leaders populistes, qui se soutiennent les uns les autres (les compliments de Trump à l’égard de B. Johnson sont nombreux) ?
Il n’y a pas de constitution écrite au Royaume-Uni, ce qui fait qu’on assiste parallèlement à une bataille rangée sur le plan juridique. Deux juges ont déjà déclaré que le premier ministre avait le droit de suspendre la session parlementaire ; des lignes de force sont en train de se redessiner, et ce qu’a dit Amber Rudd pour expliquer sa démission était très intéressant : « vous ne respectez plus l’esprit du parti conservateur ». Boris Johnson a rompu le « gentleman’s agreement » qui prévalait dans la politique britannique. Il veut récupérer l’électorat de Nigel Farage. C’est un pari risqué, car en allant contre les règles du jeu, il pourrait bien s’aliéner les conservateurs traditionnels.
Une révolte des parlementaires (contre les populistes) s’esquisse : ils pourraient voter un projet de loi demandant au speaker de la chambre des communes de mener les négociations avec l’UE à la place du premier ministre. Jusqu’où cela ira-t-il ?
Philippe Meyer cite la tribune du Figaro de Gaspard Koenig, évoquée plus haut : André Mauroy notait dans son Histoire de l’Angleterre que les institutions britanniques, loin de relever d’une conception a priori, étaient « l’œuvre du temps, du hasard, du compromis, et du bon sens ».
Michaela Wiegel :
On a dit d’Amber Rudd et de Jo Johnson qu’ils ont tous deux fait passer l’intérêt de leur pays avant des considérations personnelles ou partisanes. MW est plus dubitative. Avec un peu de recul, toute cette histoire de Brexit ressemble fort à un pays pris en otage par les querelles intestines d’un parti. L’idée du referendum est venue à David Cameron pour s’assurer la mainmise sur un parti conservateur qui lui échappait. Et que des gens comme Boris Johnson se retrouvent dans la campagne du Leave est tout autant une stratégie de pouvoir.
Aujourd’hui, au-delà des divisions d’un parti, ce sont celles de tout un pays qui se font jour : on voit bien par exemple que l’Ecosse ne compte pas suivre la partition écrite par B. Johnson, ou que la question du backstop à propos de la frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord est ce qui pourrit littéralement tout le débat.
Ce à quoi nous assistons n’a rien de noble, il ne s’agit ni plus ni moins que du navrant spectacle des luttes internes d’un parti longtemps majoritaire, avec un acteur extérieur, Donald Trump (lui-même le produit de la dégénérescence du Parti Républicain étasunien), qui fait tout son possible pour renforcer l’attitude de Boris Johnson.
Richard Werly regrette deux choses à propos de l’accompagnement européen de cette situation britannique.
D’abord, et même s’il se peut que cela n’aie aucun effet, les dirigeants européens pourraient reprendre la parole et répéter officiellement aux Britanniques qu’il ne s’agit pas de les empêcher de quitter l’UE, ni de nier leur droit ou leur capacité à le faire ; mais qu’il s’agit seulement de divorcer dans des conditions sinon bonnes, du moins honorables. Dans un pays où tous les parlementaires sont « Honourable », il serait bon que le dialogue entre le Royaume-Uni et l’UE le soit aussi.
Il est vrai qu’on tombe dans un trou institutionnel puisque la nouvelle Commission Européenne n’est pas encore en fonction, et que l’ancienne est finissante.
Le second regret de Richard Werly concerne un point qu’il n’a toujours pas compris, celui de ce backstop en Irlande. Cette frontière qui sera de toutes façons dématérialisée quoi qu’il arrive (on n’aura ni barrières, ni guérites), sera-t-elle vraiment un tel problème pour le marché intérieur européen ? Bien que ce soit ce qu’on entend à Bruxelles, RW n’en est pas convaincu. L’UE pourrait sans doute là aussi faire preuve de davantage de créativité.
Lucile Schmid :
Il faut certes organiser un divorce, mais il faut en plus le faire avec la perspective d’un remariage. C’est un peu Liz Taylor et Richard Burton ! Enormément de Britanniques se disent qu’il faut en passer par le Brexit avant d’établir une nouvelle relation avec l’UE.
Par ailleurs, dans cette crise où la personnalité de Boris Johnson est ultra-médiatisée, l’absence d’un leader charismatique se fait criante, dans le camp des Remainers, ou même des soft Brexiters . C’est cela qu’il manque dans les négociations de ce divorce bien particulier : une voix raisonnable qui soit audible dans cette cacophonie.
L’éducation selon Blanquer
Introduction
La rentrée scolaire 2019 a été marquée par des réformes concernant12 millions d’élèves, de la maternelle au baccalauréat. Ministre emblématique des ambitions macronniennes, à la tête d’1,1 million de fonctionnaires et disposant d’un budget équivalant à 6,5% du PIB, Jean-Michel Blanquer a multiplié les projets de loi depuis son arrivée au gouvernement. Dernière en date, la loi pour l'école de la confiance, promulguée le 28 juillet dernier, prévoit notamment l'instruction obligatoire dès 3 ans et rappelle le devoir d'exemplarité du corps enseignant.
Le dédoublement des classes de CP et CE1, entamé dès la rentrée 2017, concerne aujourd'hui 300.000 élèves, soit 20 % de la classe d'âge, concentrés dans les zones les plus défavorisées. L'encadrement des enfants handicapés a été amélioré avec une augmentation de 24.000 scolarisations (soit 8 % d'augmentation).
Une des mesures les plus débattues de cette rentrée est la suppression des filières Littéraire, Économique et Sociale et Scientifique et la modification du baccalauréat qui intégrera une part de contrôle continu. Les lycéens devront choisir plusieurs matières parmi un éventail offert, qui viendra compléter le tronc commun. Cette individualisation des emplois du temps a généré un certain nombre de craintes dans le milieu enseignant.
Malgré des mesures visant à améliorer les conditions de travail des professeurs, notamment un plan contre les violences en milieu scolaire ainsi qu'une prime de 300 euros, 5.000 enseignants ont manifesté à Paris le 31 août contre ces réformes. Une grève des correcteurs du baccalauréat avec les mêmes revendications avait bloqué le rendu des notes en juin dernier.
Les principaux griefs sont la mise en concurrence supposée des élèves causée par la disparition des filières et le choix individuel des matières, ainsi que la prise en compte d'une part de contrôle continu dans le baccalauréat, faisant craindre des discriminations pour les élèves de lycées défavorisées.
Les réformes, bien que soutenues par la majorité des Français, ont fait chuter la cote de popularité du ministre d'une quinzaine de point en quelque mois. Championne des inégalités en matière d'éducation la France est largement distancée dans le classement PISA calculé par l'OCDE et qui sanctionne les acquis scolaires des élèves (elle pointe à la 27ème place sur 70 pays). L’accent mis sur le primaire et les établissements les plus défavorisés concentre 1,7 milliard d'euros en 2017 au bénéfice de 20% des élèves dans plus de 1.000 réseaux réunissant collèges et écoles, dont 350 en éducation prioritaire renforcée (REP+), les autres en REP.
Kontildondit ?
Lucile Schmid :
Il a été rappelé dans l’introduction la stature colossale de l’Education Nationale, qu’on surnommait « le mammouth ». J-M. Blanquer évoquait « l’Armée Rouge » ou « le chemin de fer indien ». Toutes ces images font paraître la tâche à accomplir comme un sommet Himalayen à gravir.
Le point sur lequel tous s’accordent est qu’il y a des choses à faire et à changer au sein du système scolaire français. On a d’ailleurs le sentiment que chaque ministre y va de sa réforme, et donc qu’on change des choses, sans qu’au fond rien ne change véritablement. Ce qui fait qu’inéluctablement, les classements internationaux, que ce soit celui de l’OCDE ou le classement des universités de Shangaï, traduisent une dégradation de la position relative de la France par rapport aux autres pays.
On sait qu’il y a en France un budget très important pour l’Education Nationale, des professeurs insatisfaits, peu payés quand on les compare aux autres pays (comme l’Allemagne par exemple), et que ce système concentre énormément d’angoisses, que ce soit parmi les professeurs, les élèves, ou les parents.
La question de l’absence de réussite et de la croissance des inégalités scolaires est donc centrale. La France est championne des inégalités scolaires depuis quelques décennies, ce qui s’oppose à tous les grands principes affichés de l’école publique.
Ce qu’on peut dire de la réforme de M. Blanquer, c’est qu’il a certainement raison d’envisager une réforme systémique, c’est à dire de s’attaquer à plusieurs problèmes à la fois. Les sondages montrent par exemple que les Français approuvent en grande majorité tout ce qui concerne l’école maternelle et primaire. L’idée de dédoubler les classes dans les zones prioritaires, de diminuer le nombre d’élèves dans les classes primaires ou maternelles sont de bon sens (elles ne viennent d’ailleurs pas de M. Blanquer mais sont évoquées depuis très longtemps, rapport après rapport).
La question des moyens pour le faire en revanche se pose toujours et n’est pas résolue par les annonces du ministre. Le baccalauréat est la question qui concentre toutes les angoisses, et ceci à cause de questions qui se posent à la société française : le baccalauréat, examen qui a été massifié (autour de 90% des lycéens l’obtiennent) est-il un chemin vers l’emploi (et notamment les emplois de demain) ? S’agit-il de former des citoyens ou d’ouvrir une voie vers une professionnalisation ?
Réformer cet examen ne peut pas se faire sans réformer les trois classes du lycée. Les deux principes affichés de cette réforme du baccalauréat sont de casser les filières et de donner de la liberté aux élèves dans le choix de leurs spécialités.
Pourquoi casser les filières ? Parce que la filière S est dominante, et que c’est par elle que le principe de sélection fonctionne, à travers les mathématiques notamment. Selon le ministre, cela permettra de retrouver l’égalité des chances. Il est intéressant de constater que les détracteurs de la réforme accusent le ministre de vouloir faire le contraire : retrouver de l’élitisme social au nom de l’égalité des chances.
Certaines questions restent entières. En mettant en avant la question des choix individuels, on esquive une responsabilité collective : comment va-t-on orienter et sélectionner ? C’est aussi cela la fonction d’un système scolaire. On fait aujourd’hui passer la question de cette sélection en arrière-plan, faisant croire aux élèves que leurs choix individuels pourraient leur ouvrir toutes les portes, alors même qu’à l’université, la sélection a lieu. On s’est aperçu l’an dernier avec Parcoursup que les critères de cette sélection étaient opaques, et avaient créé une réelle difficulté au sein du corps enseignant des universités.
Il reste enfin la question des moyens pour la mise en œuvre de cette réforme. On a annoncé un milliard d’Euros supplémentaires, mais beaucoup de professeurs craignent que cette réforme, à travers le trône commun et les spécialités, n’aboutisse à des suppressions de postes.
Richard Werly, ayant fait un tour d’horizon des nouvelles à propos de cette rentrée scolaire, en a trouvé une particulièrement intéressante : l’explosion de l’alternance. Cela prouve que l’apprentissage fonctionne très bien, et qu’il correspond à la fois aux vœux des employeurs et des élèves eux-mêmes, désireux de se frotter le plus vite possible au monde du travail. La réussite d’une réforme scolaire ne se joue pas seulement à l’école, mais aussi dans la capacité de cette école à être en contact avec la demande du marché du travail.
Cette explosion de l’apprentissage (le nombre d’élèves en alternance a augmenté de 28% depuis 2017) est peut-être une bonne nouvelle, qui va infuser les lycées, et montrer aux élèves que la voie « lycée-université », particulièrement périlleuse en France, n’est pas la seule possible.
L’éducation se présente à RW comme le chantier modèle de la Macronie. Non qu’il soit parfait, mais c’est à travers lui qu’Emmanuel Macron et les siens se font le mieux observer. On constate deux choses : d’abord, la mise en avant de la réussite individuelle. Cette idée très macronienne que les Français doivent être responsables, prendre leur destin en main, répétée à l’envi par le président, est ici déclinée aux élèves du pays.
Ensuite, il y a l’idée que le principal obstacle à l’égalité des chances se situe dans les quartiers difficiles, que c’est là qu’il faut concentrer les efforts. Quant au reste, notamment les zones rurales, le seul engagement pris a été de ne pas fermer de classes, mais ça s’arrête là. C’est tout de même un peu court, alors qu’il y a aujourd’hui un vrai problème d’ascenseur social pour les jeunes qui viennent de zones rurales. Pour l’instant Emmanuel Macron et Jean-Michel Blanquer n’ont pas perçu qu’il y a un problème de cette France-là, celle de la « diagonale du vide », qui ne se retrouve pas dans cette réforme.
Michaela Wiegel est reconnaissante à RW de son éloge de l’apprentissage, auquel elle souscrit. Il lui semble que le ministre de l’Education Nationale essaie de rapprocher le système français du système allemand. Imaginez un pays sans ministère de l’éducation, c’est le cas de l’Allemagne, où celle-ci est la responsabilité des Länder. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le contrôle continu joue un rôle déterminant dans la scolarité des jeunes allemands. Le système scolaire français a plusieurs rites, qui n’existent pas en Allemagne : le « Bac » est le plus fameux, la rentrée des classes en est un autre. Chez nos voisins d’outre-Rhin, les vacances d’été n’ont pas lieu au même moment pour tous les élèves, il y a donc des rentrées décalées selon les Länder.
Sur la question des moyens, MW est elle aussi plus circonspecte. Notamment en ce qui concerne les moyens accordés aux professeurs. Elle trouve scandaleux, en comparant les deux pays, que les professeurs français soient si mal payés. Ce qui est intéressant est que cette réforme du baccalauréat va de pair avec une « pub » pour l’apprentissage. On dit aux élèves que l’apprentissage est une voie respectable, et non « une voie de garage », une idée longtemps prégnante dans la société française, y compris dans le corps enseignant.
Il y a deux aspects de cette réforme dont l’Allemagne pourrait en revanche s’inspirer : la scolarité obligatoire à partir de trois ans, tout d’abord. L’Allemagne en est loin, et avec les récentes vagues d’immigration, le besoin d’un système d’apprentissage de la langue dès le plus jeune âge se fait plus pressant. Le dédoublement des classes ensuite, nécessaire pour que chaque élève ait une vraie chance d’acquérir les acquis fondamentaux : lire, écrire et compter. Mais tout cela a bien évidemment un coût.