Paris, les municipales en folie
Introduction
Six semaines avant les élections municipales qui se tiendront en France les 15 et 22 mars prochains, un sondage Odoxa pour CGI et Le Figaro, rendu public le 26 janvier, confirme la tendance observée à Paris une semaine plus tôt, d’un duel entre la maire sortante, Anne Hidalgo, et la candidate Les Républicains, Rachida Dati. Créditée de 23% d’intentions de vote au premier tour, la socialiste fait, à ce stade, la course en tête. Mais elle est talonnée par l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy à qui les sondages accordent 20% des voix. Le macroniste Benjamin Griveaux stagne en troisième position, avec 16%, ce qui lui permet quand même de creuser l’écart avec le dissident Cédric Villani à 10% ; mais ce qui l’expose e à la poussée des écologistes, dont le candidat David Belliard qui atteint 14,5%.
Après sa rencontre à l’Elysée le 26 janvier avec le président Macron, Cédric Villani a annoncé qu’il maintenait sa candidature actant une « divergence » avec le Président. Il a notamment déclaré qu’« entre l’appartenance à un appareil politique et l’engagement pour la ville qui m’a fait, je choisis de rester fidèle aux Parisiennes et aux Parisiens ». Cédric Villani a été exclu de La République En Marche le 29 janvier. Sa candidature reste un souci pour Benjamin Griveaux, qui souffre toujours, en outre, d’une stratégie difficilement lisible.
A Paris, comme à Lyon et Marseille, les municipales ne suivent pas les mêmes règles que dans les autres communes françaises. Comme pour le président américain, le ou la maire y est désigné(e) par des grands électeurs, élus eux-mêmes dans le cadre de différents secteurs géographiques, et non au sein d’une circonscription unique, la commune, comme c’est le cas ailleurs. Depuis la loi Defferre du 13 décembre 1982, Paris est découpé en secteurs électoraux, qui correspondaient, jusqu’à présent, aux vingt arrondissements. A partir de cette année, les quatre premiers arrondissements ne forment plus qu’un secteur, appelé « Centre ». Les 15 et 22 mars, il n’y aura donc pas une élection parisienne, mais dix-sept. Au soir du deuxième tour, les noms des 527 nouveaux élus parisiens seront connus : 364 d’entre eux ne siègeront que dans les arrondissements tandis que 163 ajouteront à ce mandat celui de conseiller de Paris et éliront le ou la maire. Dans les trois plus grandes villes de France, l’élection municipale est une élection à trois tours, qui favorisent les marchandages d’appareils et peut donc réserver des surprises.
Kontildondit ?
Lucile Schmid (LS) :
Anne Hidalgo, Rachida Dati, Benjamin Griveaux, Cédric Villani, et, en embuscade, David Belliard. D’un côté, deux femmes, incarnant la gauche et la droite, deux tendances dont on nous avait expliqué la disparition en 2017, puisqu’elles appartenaient au « vieux monde ». Il semble que celui-ci résiste dans cette élection, même s’il s’est tout de même modernisé puisque féminisé. Du côté du nouveau monde, deux rivaux appartenant à la même famille politique : une survivance du vieux monde au sein du nouveau.
Et puis les Verts, eux aussi du côté du « nouveau ». Je ne suis pas sûre que leur leader David Belliard soit bien connu des Parisiens, ce qui n’empêche pas sa formation d’être créditée d’un score important dans les sondages. Là encore, cela témoigne du changement de monde politique, qui concerne désormais au moins autant le contenu que le casting. Pourtant, lorsqu’on s’informe ou qu’on discute au sujet de ces élections parisiennes, c’est bel et bien cette question du casting qui revient sans cesse. Cédric Villani jouit d’un certain prestige, en partie dû à sa médaille Fields. On peine à se l’imaginer en maire, mais le fait qu’il ose défier Macron sur le perron de l’Elysée lui confère un panache certain. N’incarne-t-il pas lui aussi une facette de ce nouveau monde, en déclarant qu’on en a assez des appareils politiques ? Les incertitudes politiques sont nombreuses dans cette élection.
Une deuxième chose qui me paraît intéressante : à quoi servent ces élections parisiennes au fond ? On a la bataille d’egos, mais on perd de vue les enjeux : la question du Grand Paris (Paris doit-elle rester dans ses murs ou s’élargir à la banlieue, ou au moins la Petite Couronne) est déterminante, or elle n’est guère présente dans la campagne, à part quelques mesures gadgets évoquées ça et là (notamment des gares aux portes de Paris, qui ne convainquent pas les banlieusards auxquels j’appartiens).
La question de la gestion quotidienne de la ville se pose elle aussi de manière pressante. Faut-il être un(e) maire de surplomb ou avoir les mains dans le cambouis ? En tous cas les candidat(e)s ne convainquent guère quant à leur capacité à s’intéresser au quotidien des Parisiens.
Paris restera-t-elle vivante, ou la « gentrification » et la « AirBnBisation » se poursuivront-elles au même rythme ? Restera-t-il une diversité sociale à Paris ? C’est un point sur lequel pour l’instant, peu de propositions intéressantes ont été apportées. Anne Hidalgo dit s’être attelée au problème, en ouvrant des places en crèche, ou en annonçant des loyers encadrés 20% au dessous des prix du marché. Il n’en reste pas moins que les familles fuient Paris pour habiter en petite couronne, et ce depuis 20 ans.
Enfin, si la question du casting de l’élection est prépondérante, c’est peut-être parce que celle du contenu est traitée un peu légèrement. Le lien entre le contenu et le casting devrait se faire. On peut créditer Anne Hidalgo d’avoir une certaine vision pour Paris, et je pense que l’avance dont elle bénéficie dans les sondages lui vient de son socle écologique (c’est ce qui explique aussi le bon score de Belliard à mon avis). On ne sent pas la question de la différence entre la gauche et la droite exister dans un contenu. En revanche les déclarations de Villani laissent apercevoir une possible sociologie nouvelle de la vie politique parisienne.
Béatrice Giblin (BG) :
L’absence de la question de la métropole est ce qui me préoccupe le plus. Comment faire une campagne écologiste au sein de Paris même ? Cela n’a aucun sens. Faire de Paris une ville verte sans penser qu’il faut élargir la question au moins à la métropole est aberrant. C’est pourquoi le discours de Belliard peine à me convaincre.
Personne n’est fichu de mener une campagne qui parle du Grand Paris correctement. On paye très lourdement une histoire très particulière. L’exemple du Grand Londres, qu’on évoque souvent en comparaison, me paraît pourtant très différent. Londres n’a pas été enfermé dans des fortifications au XIXème siècle. L’enceinte Thiers ou le glacis, cette zone inconstructible qui devait être laissée vide afin de voir arriver l’ennemi, sont autant d’éléments qui ont stoppé la croissance naturelle de Paris.
Or cette question de la croissance de la ville est la question majeure. Celle du logement par exemple en découle entièrement. On est loin de prendre correctement en charge les enjeux d’une pareille métropole. Pour le dire crûment : on est minables dans cette campagne. Les querelles d’egos sont bien là, et en cela, on est bien resté dans le vieux monde.
François Bujon de l’Estang (FBE) :
On est dans le monde politique en tous cas, cela ne fait aucun doute. Je suis frappé par les mêmes choses que vous, et je m’associe à vos regrets. Les grands problèmes parisiens n’occupent pas le devant de la scène : Grand Paris, « touristification », ville qui se vide de ses jeunes, bref je partage votre constat : une campagne sans substance.
J’ajoute un autre regret : c’est la politique politicienne qui domine. La maire sortante, qui se représente, a un bilan très discutable (pourtant très peu discuté). On peut partager ou contester ses positions, mais il y a tout de même quelques faits : l’endettement de la ville est passé de 3 à 6 milliards d’Euros, le nombre de logements sociaux ou de places en crèche n’ont pas marqué de progrès sensible, les travaux sont incessants, la circulation impossible, la propreté ne cesse de se dégrader, quant à la pollution, les difficultés de circulation ne font que l’aggraver.
Du côté des tendances inquiétantes, la touristification se poursuit, et la perspective des Jeux Olympiques laisse présager qu’on n’est pas prêts de voir la fin des travaux, ou la réduction du nombre de ces barrières grises et vertes que les Parisiens ne supportent plus.
Malgré tout cela, Mme Hidalgo est bien placée pour être réélue, car l’opposition est totalement fragmentée, celle du « parti » présidentiel notamment, divisée comme on le sait entre deux candidats apparemment totalement incompatibles, puisque le président de la République lui-même n’a pas réussi à les rapprocher.
Griveaux contre Villani est un match dans le match, qui n’a pas un intérêt palpitant, mais qui va distraire l’attention des électeurs.
Compte tenu de tout cela, tout ce qu’on nous avait expliqué ces derniers temps se révèle faux. Le monde ancien était censé avoir disparu, le « dégagisme » avoir eu raison des anciens partis, la politique allait être faite autrement. Or, l’élection parisienne donne le spectacle d’une affrontement droite-gauche tout ce qu’il y a de plus traditionnel.
Cela traduit la faiblesse chronique du mouvement de LREM, qui avait pourtant réussi à passer brillamment le cap des élections européennes, notamment à Paris, où le score fut remarquable (32%). La force de ce mouvement était largement circonstancielle, elle s’était déployée autour du président Macron, mais les élus LREM n’ont aucun ancrage local. L’affrontement droite-gauche me semble avoir encore de beaux jours devant lui.
Jean-Louis Bourlanges (JLB) :
Que l’affrontement droite-gauche réapparaisse dans cette élection n’est pas forcément le signe que ce sera aussi le cas au niveau national. Nous verrons, mais je pense que c’est normal dans une élection municipale. Notamment parce que les deux clivages qui séparent fondamentalement la droite de la droite (Europe ou nation) et la gauche de la gauche (capitalisme ou pas capitalisme) n’existent pas dans une élection municipale.
Or ces deux clivages sont ceux qui ont structuré l’offre macronienne. Il n’est donc pas étonnant, dès lors qu’ils disparaissent, que l’offre LREM soit moins tentante. Ajoutez à cela le fait que les macroniens ont décidé de ne pas se doter d’une vraie organisation politique : ils n’ont ni une espèce de confédération « à l’allemande » entre leur droite et leur gauche, ni constitué un parti avec des militants et une organisation.
La façon dont Villani a été éliminé au printemps dernier est exemplaire : donner toutes les voix à l’un et zéro à l’autre est très humiliant, d’autant qu’il était manifestement porteur d’une vraie sensibilité. Le personnage est indéniablement sympathique, bien que difficile à comprendre pour un littéraire pur comme moi. Je ne peux m’empêcher de penser quand je le vois à la définitions de Bertrand Russell des mathématiques : « les mathématiques sont le seul domaine où l’on ne sait pas de quoi l’on parle ni si ce qu’on dit est vrai ou faux ». De son côté Griveaux a beaucoup de qualités, mais allez savoir pourquoi, personne n’a envie de voter pour lui, il manque de « poll-appeal » (comme on parlait de « sex-appeal » naguère).
La situation est donc très délicate. Comment cela peut-il tourner ? La stratégie de Villani n’aurait de sens que si les Verts arrivaient devant Mme Hidalgo et fusionnaient avec la liste Villani. Or il semble que ni Belliard ni Villani n’auront le score suffisant pour faire cette fusion. Que fera Villani de ses voix ? Hidalgo a manoeuvré très habilement, elle a cantonné la progression des Verts grâce à une surenchère verdoyante, il y a fort à parier qu’elle s’allie aux Verts au second tour.
Je partage le constat de BG : on n’a qu’une explosion de boboïsme verdoyant, mais à aucun moment une prise en compte des réalités profondes d’une agglomération qui ne compte pas 2, mais 11 millions d’habitants. On fait comme si Paris se suffisait à lui-même, et il est regrettable que le président n’ait pas lui-même pris en main la réorganisation administrative de l’Île-de-France, un impossible mille-feuilles dans lequel les électeurs sont déboussolés.
Philippe Meyer (PM) :
Je ne suis pas sûr qu’on voie le retour de la droite et de la gauche. On voit des pavillons, mais comme on dit dans la Marine, « le pavillon doit couvrir une marchandise ». En l’occurrence, il ne sert qu’à masquer, sous l’étiquette socialiste, une secte dirigée avec un autoritarisme qui n’est compensé que par une communication redoutable (du genre Jeff Koons). De l’autre côté, Rachida Dati ne se pose qu’en s’opposant, c’est à dire sans avoir, sur des sujets majeurs, un projet un peu consistant. Quand à monsieur Griveaux qui veut déplacer des gares, c’est en effet une sorte de providence pour les humoristes.
Prenons par exemple le sujet du logement. Anne Hidalgo avance des statistiques de logements sociaux (de toute évidence faites sur mesure), mais on s’en fiche. A Paris, compte tenu des critères, environ 80% de la population a droit à un logement social. Ce qui compte, c’est de savoir à qui on l’attribue. Et dans ce domaine, il faut avoir le courage de l’arbitraire, et dire « D’abord, il y en aura 3% pour les copains » Parce que c’est ainsi que ça se passe, et qu’on ne vienne pas nous faire croire que quiconque ferait autrement. Mais il n’y en aurait que 3%, pas plus. Ensuite, il y aura des priorités, et ce sont les gens qui permettent aux autres de mieux vivre, c’est-à-dire les métiers multiplicateurs de sociabilité, comme les puériculteurs. En ce moment, 1/5ème d’entre eux sont en congés maladie, ce qui se comprend aisément : avec leurs bas salaires, ils habitent en grande banlieue. Or pour ouvrir une crèche à 7h du matin en venant de banlieue, il faut se lever à 5h, donc il faut payer pour faire garder son propre enfant, or avec un salaire aussi modeste, on n’y va tout simplement pas. C’est la même chose pour les gens du SAMU.
Ensuite, il y a les policiers. La sécurité à Paris ne cesse de se dégrader, on le voit statistiquement. Les policiers sont nommés à Paris en sortant de l’école, et ce pour quatre ans. Tous demandent à être mutés ailleurs le plus tôt possible.
Le secteur du tourisme est en train de transformer Paris en Venise, à savoir en un décor. C’est ce qui arrive dans les arrondissements historiques, où tous les commerces de nécessité se transforment les uns après les autres en commerces destinés aux gens de passage. Il y a une loi qui permet à un commerce de conserver sa destination, la municipalité pourrait théoriquement conserver une boucherie jusqu’à ce qu’un autre boucher soit trouvé, par exemple. C’est ce qui explique les prix très élevés de certains commerces : si vous êtes la seule boucherie du quartier, vos prix montent tout naturellement de 20%, ce qui entraîne le départ de gens parfois propriétaires de leur logement, mais pour qui le coût de la vie devient prohibitif.
La règlementation d’AirBnb est évidemment une priorité, mais elle doit s’accompagner d’une politique culturelle, elle aussi en déréliction complète à Paris. L’état des églises par exemple est navrant. Il y a là un trésor architectural de toutes les époques, et il est tout simplement en train de tomber en ruine.
Lucile Schmid :
Pour la défense de Cédric Villani, je voudrais rappeler qu’il n’est pas seulement mathématicien, mais qu’il a dirigé le centre de recherches Henri Poincaré. Il a une réelle capacité à diriger des équipes. Cela ne signifie pas nécessairement qu’il serait un bon maire, mais on ne peut pas le réduire à n’être qu’un crâne d’œuf.
Sur Anne Hidalgo enfin. Sur le plan intérieur, son bilan est très médiocre, mais sur le plan de l’attractivité de Paris, on ne peut que lui reconnaître un flair incroyable. Elle a su par exemple prendre la tête des villes sur le climat, ce qui lui a donné une résonance internationale.
Sur les enjeux de troisième tour, l’incertitude est telle qu’il est possible que cela se joue en conseil municipal, ce qui produirait un effet de déni démocratique. Espérons que nous n’en arriverons pas là.
Béatrice Giblin :
La diatribe de PM sur la gestion d’Anne Hidalgo prouve bien que Paris n’est pas le bon niveau pour régler ce genre de problèmes.
Philippe Meyer :
Rapide mise au point : je ne vois pas que Mme Dati ait l’ombre d’une idée sur les sujets que j’ai évoqués plus haut ...
Coronavirus : les pharmacies n’ont plus de masques
Introduction
Parti en décembre 2019 du marché de Wuhan, en Chine, le 2019-nCov, pour « nouveau coronavirus 2019 », s’est propagé en Asie, en Europe et aux Etats-Unis. Le 30 janvier, à Genève, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a procédé, en dépit des pressions de Pékin, à une « déclaration d’urgence internationale ». Une urgence déclarée par le passé pour endiguer Ebola en Afrique de l’Ouest. Les 56 millions d’habitants de la province de Hebei où est situé Wuhan sont en quarantaine. Alors qu’en Chine, le bilan de l’épidémie de coronavirus s’est alourdi aujourd’hui à 300 morts et 14.300 patients contaminés, des pays d’Asie et les Etats-Unis, commencent à fermer leurs frontières aux voyageurs en provenance de Chine. Plus d’une quinzaine de compagnies aériennes, dont Air France, British Airways et Lufthansa, ont déjà interrompu leurs liaisons vers le pays.
Les Français rapatriés de Wuhan doivent être mis à l’isolement pour une période de quatorze jours. En France, six cas d’infection ont été détecté à ce jour. Les autorités sanitaires sont mobilisées, toutefois, le docteur Christophe Rapp, infectiologue à l’hôpital américain à Paris, est plus inquiet des dégâts causés par la grippe, à l’origine de 650 000 décès chaque année dans le monde, dont plusieurs milliers en France. Délégué général de Résilience France, Yves Bourdillon juge pour sa part que « le risque d’une épidémie majeure de coronavirus en Europe reste faible […] sous réserve que le virus ne mute pas».
Pour Jacques Attali, même si l’épidémie parvient à être enrayée rapidement, les conséquences seront beaucoup plus importantes que lors du dernier épisode de ce genre, celui du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) de 2003. Non seulement économiquement, mais aussi politiquement. Selon lui « le régime chinois peut y perdre sa crédibilité, comme le régime soviétique perdit la sienne avec la catastrophe de Tchernobyl, démontrant, une fois de plus, que, contrairement au consensus actuel, une dictature ne peut devenir durablement une superpuissance mondiale ».
En attendant, tandis que des Asiatiques font l’objet en France d’insultes ou de propos blessants, l’institut Pasteur promet un vaccin pour dans 20 mois.
Kontildondit ?
Béatrice Giblin :
On est surpris par ces réactions à fleur de peau (plus de masques en pharmacies, gens évitant les commerces asiatiques, etc.) et même franchement irrationnelles. Elles traduisent une grande peur, et produisent des faits de racisme anti-asiatique particulièrement navrants (dans les collèges notamment).
Le gouvernement fait ce qu’il a à faire dans ce genre de situation, c’est l’occasion de tester toute une série de protocoles prévus pour ce genre de situations. Le danger n’est en réalité pas si grand (pas au niveau de la peur en tous cas), mais l’idée que la mondialisation fait tout circuler extrêmement rapidement produit cette énorme inquiétude.
Cette dernière est aussi liée à la Chine elle-même. L’énorme puissance du pays, associée à cette pandémie, fait craindre un coup énorme porté à l’économie mondiale, les cours de la bourse ont baissé depuis cette crise. A l’époque du SRAS, la Chine représentait environ 8% du PIB mondial, elle est aujourd’hui autour de 20%. Si la Chine souffre économiquement, les répercussions seront mondiales.
Pour le gouvernement chinois, il est très important de montrer que la situation est sous contrôle. La façon de filmer la construction des deux hôpitaux prévus pour ce virus est exemplaire : elle montre la rapidité de décision et d’exécution. Mais ce qui reste le plus impressionnant est la capacité du régime chinois à contrôler la population : 56 millions de gens mis en quarantaine aussi rapidement et efficacement laissent imaginer la poigne de fer nécessaire à une opération d’une telle ampleur.
François Bujon de l’Estang :
Cette affaire est un triple défi. Pour nos sociétés développées d’abord : comment trouver le bon équilibre entre le flegme et la surréaction ? Dans l’ensemble des pays développés, il a été à peu près trouvé, le ton des pouvoirs publics est plutôt modéré. Les épidémiologistes soulignent par exemple à quel point le grippe saisonnière traditionnelle est bien plus meurtrière. Le Coronavirus, à moins qu’il ne mute, est plus contagieux mais moins mortel que ne l’était le SRAS en 2003. Il me semble que les précautions nécessaires sont prises dans nos sociétés, et qu’on n’affole pas les populations outre mesure.
C’est évidemment un tout autre défi pour les pouvoirs publics chinois. Le pays, qui compte 1 milliard 300 millions d’habitants recourt à des mesures drastiques : d’énormes villes sont mises en quarantaine, des frontières sont fermées, et il faut à la fois contrôler une épidémie et une population qui donne des signes de ras-le-bol. Des études intéressantes montrent le comportement des internautes chinois, qui connaissaient les dangers de cette épidémie depuis la fin décembre, alors que les pouvoirs publics chinois n’en ont rendu compte que le 20 janvier avec le discours de Xi Jinping. L’idée qu’on réagit trop tard et trop lentement se propage en Chine.
Enfin, c’est un défi majeur pour l’économie mondiale. L’économie chinoise était déjà dans une phase de ralentissement, elle a changé de nature depuis l’époque du SRAS, elle repose davantage sur l’industrie manufacturière et la consommation désormais, elle est donc plus vulnérable. Un hoquet de l’économie chinoise pourrait bien ébranler l’économie mondiale. Les bourses sont déjà affectées, le commerce extérieur commence à l’être ... Ce sera crucial dans l’élection américaine par exemple, car un tel hoquet dans l’économie serait un risque sérieux pour la réélection de Trump.
Lucile Schmid :
Cette affaire du virus en Chine m’a fait prendre conscience à quel point Wuhan était une très grande ville de la mondialisation. On l’a vu depuis quelques semaines, c’est par exemple un site très prisé de l’industrie automobile française, il s’agit d’une ville-monde. Quand on parle de Wuhan, on parle aussi de nous, on voit à travers Wuhan comment la mondialisation s’est organisée.
L’épidémie progresse, elle s’approche désormais de Shanghai. On a tendance à penser que l’autoritarisme est un avantage dans de telles situations, ce n’est pas si évident, puisque le pouvoir chinois a été très lent à réagir. On savait depuis la fin décembre, or ce n’est qu’au bout de trois précieuses semaines qu’on a commencé à agir.
On voit que l’hygiène et la cohabitation avec les animaux, très différents en Chine de ce qu’ils peuvent être en France, favorisent la propagation de virus, et c’est cette base scientifique qui alimente certaines de nos peurs.
Jean-Louis Bourlanges :
Il y a dans nos réactions un croisement entre deux menaces lointaines. Ce qui apparaît dans notre inconscient est un étranger lointain et menaçant : la Chine, et d’un historique très étendu : grande peste du XIVème siècle ou grippe espagnole de 1918.
Je ne sais pas grand chose de ce virus, mais je me pose trois questions. D’abord : à quel point est-ce grave ? Dans ce que je lis ou j’écoute, j’entends des choses très contradictoires. Ensuite : les pouvoirs publics sont-ils à la hauteur ? On n’en sait véritablement rien, même s’il faut évidement éviter la panique. Enfin : quelles seront les conséquences économiques ? J’ai tendance à penser qu’étant donné le caractère extrêmement contagieux du virus, beaucoup de chaînes de production seront bloquées. La Chine représente certes 20% du PIB, mais aussi 40% de la croissance mondiale ; si cette affaire se transforme en pandémie, les conséquences seront très graves pour tout le monde.