Introduction
Avec Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Spécialiste des problématiques de sécurité, de migration et d’aide humanitaire, il a vécu de nombreuses années au Nigéria.
Philippe Meyer :
Le Nigéria est un géant anglophone entouré d’États ouest-africains francophones. Il comptait, en 2019, plus de 220 millions d’habitants pour un PIB de près de 450 milliards de dollars selon la Banque mondiale. Il représente ainsi la population la plus importante et la première économie en Afrique tandis que sa capitale, Lagos, est la première ville du continent. Sa population est estimée à 14 millions d’habitants. S’il est la première puissance économique d'Afrique, le Nigéria est aussi le pays qui compte le plus grand nombre de personnes indigentes au monde : 83 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, selon le Bureau National des Statistiques.
Si les revenus issus du pétrole, dont le Nigéria est le premier exportateur en Afrique, constituent une grande part des recettes budgétaires du pays, le secteur représente peu en termes d'emplois et rend la croissance économique dépendante des cours mondiaux. Pendant la pandémie, ceux-ci se sont effondrés et ont fait reculer le PIB nigérian de 1,8%, faisant entrer le pays dans sa deuxième récession depuis 2016.
Aujourd'hui, les acteurs économiques et les autorités s'accordent sur la nécessité de diversifier l'économie, notamment au profit des secteurs agricoles et manufacturiers. Ces dernières années, des mesures protectionnistes ont été prises, bannissant notamment les importations de riz pour soutenir la production locale. Selon le Bureau National des Statistiques, un actif sur trois est aujourd’hui sans emploi. En mars dernier, l'inflation a atteint 18%, et 23% pour les produits alimentaires, augmentation qu'explique en partie l'insécurité des régions agricoles : des millions de civils désertent leurs terres pour fuir la menace djihadiste dans le Nord-Est, et les conflits entre agriculteurs et éleveurs font des ravages dans les régions du centre.
Depuis 2009 et son insurrection armée contre quatre États du Nord (Bauchi, Borno, Yobe et Kano), le groupe jihadiste Boko Haram, continue de sévir au Nigéria, prenant pour cible les militaires et les civils. Depuis 2015, ce groupe s'est installé le long des frontières du Nord Est, autour du lac Tchad.
En avril 2014, l'enlèvement de plus de 270 jeunes filles à Chibok avait suscité un vaste mouvement de solidarité internationale sous le slogan « Bring Back our girls ». Les kidnappings n’ont pas cessé pour autant : en décembre 2020, 344 jeunes garçons de l'école de la ville de Kankara, en février 2021, 317 jeunes filles à Jangebe dans l'État de Zamfara. Ces attentats sont parfois directement revendiqués par Boko Haram, mais peuvent être l'œuvre de groupes criminels désireux d'obtenir rançon. Au pouvoir depuis 2015 et réélu en 2019, le Président Muhammadu Buhari avait promis de mater l'insurrection et de sécuriser l'État du Nord, mais son gouvernement peine à faire face à l'insécurité tandis que son armée est régulièrement accusée de commettre des exactions contre les populations.
Enfin, le pays est profondément divisé entre le Nord musulman et le Sud chrétien, et les rapports entre la Constitution fédérale et la charia, appliquée dans le nord du pays, pose question.
Si vous aviez à définir le Nigéria ou à en présenter la principale caractéristique à nos auditeurs, quelle serait-elle ?
Kontildondit ?
Marc-Antoine Pérouse de Montclos :
Le Nigéria est souvent présenté comme un géant aux pieds d’argile, par sa population, par son dynamisme économique. Le pays fait peur autant qu’il attire. De nombreux migrants venus des pays voisins vont y travailler. Ce géant n’a pas forcément les moyens de ses ambitions. Le pays affiche une diplomatie qui se voudrait par exemple représentative de l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations-Unies, tout en étant décrié pour sa capacité de nuisance. Pas seulement à cause de Boko Haram, mais aussi parce que beaucoup de Nigérians sont impliqués dans des réseaux criminels transnationaux : trafic de drogue, d’armes, ou d’êtres humains. Le Nigéria est indéniablement l’un des grands leaders de l’Afrique, tout en traînant cette mauvaise réputation.
Béatrice Giblin :
Il me semble qu’au delà des trafics que vous venez d’évoquer, le rôle du Nigéria dans la région ne correspond pas à la puissance du pays. Le pays est très vaste, il y a du pétrole, un niveau de formation qui, compte tenu de la population, n’est pas négligeable. Comment expliquer qu’il ne joue pas un rôle à la hauteur de ses atouts ?
Marc-Antoine Pérouse de Montclos :
Il y a effectivement un vrai décalage. A la fois parce que le pays fait peur, et qu’il est donc difficile de se rallier sous sa bannière, mais aussi parce qu’il est plein de contradictions. Par exemple le Nigéria était vraiment leader au moment du boom pétrolier des années 1970, pour monter la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest). Aujourd’hui, il freine des quatre fers pour mettre en place une monnaie commune d’Afrique de l’Ouest. Et n’oublions pas que le pays a des relations compliquées avec ses voisins : il y a eu une guerre frontalière avec le Cameroun à propos de la péninsule pétrolifère de Bakassi, de fortes tensions à propos de la souveraineté de certaines îles du lac Tchad dans les années 1980. A l’époque et jusque dans les années 1990, le Nigéria prétendait être un gendarme régional, envoyait ses troupes « faire la paix » au Libéria tandis qu’en réalité elles ont largement participé au pillage du pays pendant la guerre civile. On n’envisage donc pas spontanément le Nigéria comme une force de paix ou de proposition à l’échelle de la région.
D’autre part, le pays n’a pas forcément les moyens de ses ambitions, tant les problèmes intérieurs sont grands. Je rappelle que par sa population, le seul Nigéria est plus grand que tous les pays d’Afrique de l’Ouest réunis. Les démographes sont unanimes : d’ici 2050, le pays sera le troisième pays le plus peuplé du monde, après l’Inde et la Chine, et devant les Etats-Unis. Les extrapolations font état de 400 à 420 millions d’habitants, même s’il faut garder en tête que tous les chiffres à propos du Nigéria sont disputés, qu’il s’agisse de la population ou du PIB, ce sont généralement des approximations.
Nicolas Baverez :
Le Nigéria est un peu le symbole du décollage de l’Afrique depuis le début du XXIème siècle. Il est vrai qu’avec la pandémie, les problèmes de matières premières et Boko Haram, on a l’impression que le continent africain est un peu plombé par ses géants : le Nigéria, l’Afrique du Sud et l’Egypte, qui traversent tous des difficultés telles qu’ils semblent tirer vers le bas tout le continent. Est-ce provisoire, ou cela vous paraît-il appelé à durer ?
Marc-Antoine Pérouse de Montclos :
Vous auriez également pu citer l’Angola, autre géant économique africain, gros producteur de pétrole (au point que certaines années, il exporte davantage que le Nigéria).
Pour en revenir à votre question, il me semble qu’au delà de la pandémie, le Nigéria est confronté à des problèmes structurels qui gangrènent son avenir économique. Les régler nécessitera un très gros chantier de l’Etat. Prenons le pétrole, puisque le pays est présenté comme le principal exportateur du continent. Au-delà des variations des prix du baril et des effets de la Covid sur les chaînes logistiques, le Nigéria est « coincé » par une loi dont on entend peu parler, mais qui reflète bien tous les défis auxquels le pays est confronté, en termes de corruption, d’insécurité, de fragilité de l’Etat de droit (ce qui ne rassure pas les investisseurs). Il s’agit de la loi « P. I. B. », pour Petroleum Industry Bill, que le président Obansanjo avait commencé à élaborer en 2006, et qui est censée renouveler intégralement le format des investissements dans le pétrole, y compris le rôle joué par la compagnie nationale (qui était plutôt un facteur de blocage dans l’investissement). Dans un état rentier, le pétrole est très naturellement la première source de détournement public. Pour le Nigéria, l’enjeu est énorme, car il constitue l’essentiel des revenus de l’Etat. Or cette loi n’a toujours pas été votée. Sans entrer dans les détails, on peut tout de même dire qu’il n’y a pas eu de gros investissement dans le pétrole depuis 2006. Cela signifie que quel que soit le prix du baril ou l’insécurité dans le delta du Niger, entre le moment où vous trouvez du pétrole et le moment où vous le mettez en exploitation, il faut 15 à 20 ans. Donc dans les 15 à 20 prochaines années, le Nigéria vivra sur des gisements qui vont se tarir, même si les réserves sont phénoménales. Mais le pays est en quelque sorte condamné à gérer un déclin de sa rente, avant que le pipeline ne se réamorce et que les investisseurs ne reviennent.
Il s’agit donc de gérer une situation économique extrêmement compliquée, avec cette énorme croissance démographique en arrière-plan.
Nicolas Baverez :
Au-delà du pétrole, on avait l’impression que l’un des atouts du Nigéria était l’émergence d’une classe moyenne et un début de diversification économique. Certes, le poids de Lagos dans tout cela était sans doute démesuré, mais cette dynamique continue-t-elle, ou l’épidémie y a-t-elle mis un coup d’arrêt ?
Marc-Antoine Pérouse de Montclos :
Il me semble que la diversification économique du Nigéria que vantait la Banque mondiale était largement un effet de loupe, dû à la rétractation de la part des revenus pétroliers. Du coup, la proportion des autres activités économiques a mathématiquement remonté. On peut aussi signaler que la Banque mondiale a fait un rebasement, c’est à dire qu’ils ont recalculé le PIB du pays, en y incluant des activités autrefois négligées (comme l’industrie cinématographique « Nollywood »). C’est ainsi que le pays est apparu comme le plus gros du continent d’un point de vue économique. Bien sûr, tout cela n’est pas apparu du jour au lendemain par la grâce des statisticiens, mais il y a eu un effet de capture des activités, dû à la façon dont on calcule désormais le PIB. On ne peut pas nier que les Nigérians ont un esprit entrepreneurial exceptionnel, mais la diversification ne me paraît pas si grande.
Les récents présidents ont voulu relancer l’agriculture. Au moment de l’indépendance en 1960, le Nigéria est une grande puissance agricole, l’un des premiers exportateurs de cacao ou d’huile de palme. Tout cela a été laminé par le boom pétrolier des années 1970 et « l’argent facile ». On sait que l’agriculture a une vertu : elle nécessite beaucoup de main d’œuvre, ce qui n’est pas du tout le cas de l’industrie pétrolière. Quand on voit la masse de chômeurs nigérians, relancer l’agriculture fait sens. Mais pour le moment, on attend les résultats de cette « relance » agricole.
Il y a donc de facto une diversification, car très peu de Nigérians vivent directement de l‘industrie pétrolière. Mais il s’agit surtout d’une économie informelle, de la débrouille, comme dans de nombreux autres pays africains.
Il y a effectivement eu l’apparition d’une classe moyenne dans les années 1970 avec le boom pétrolier, c’est réapparu au début des années 2000, pendant l’ère du président Obasanjo, avec l’embellie des prix du baril. Mais aujourd’hui, le pouvoir d’achat de cette classe moyenne se réduit. D’ailleurs, qu’entend-on exactement par « classe moyenne » ? Il y a des hommes extrêmement riches au Nigéria (l’Africain le plus riche est Aliko Dangote, un homme d’affaires du Nord du pays), mais au delà de quelques grandes fortunes, la « classe moyenne » est très menacée par la pandémie, et surtout par une croissance atone.
Lionel Zinsou :
Peut-être m’inscrirai-je en défense, car je sens une tonalité légèrement stigmatisante à propos du Nigéria, qui est partagée par de nombreux Africains francophones, ainsi que par beaucoup de Français.
Dans l’imaginaire français, le Nigéria n’est pas perçu comme le premier partenaire de la France en Afrique. Or les investissements au Nigéria des grandes entreprises françaises, notamment dans les hydrocarbures, dans le ciment ou dans les biens de consommation, sont supérieurs au total des investissements réalisés dans le « pré carré » francophone. Les gens considèrent que la Côte d’Ivoire ou le Cameroun, deux grands pays francophones, sont très importants pour la France, et négligent l’importance du Nigéria. Mais le PIB de la Côte d’Ivoire représente à peu près un mois et demi du PIB nigérian. En réalité les intérêts français sont majoritaire tournés vers le Nigéria, même en période de contraction économique, de baisse des prix du pétrole, etc. L’Afrique francophone a également toujours eu peur du Nigéria. Peur de son avance, à qui elle oppose un certain protectionnisme. Peur de ce qui s’y passe (guerre du Biafra, puis terrorisme et criminalité). La mafia nigériane est le principal acteur logistique des flux de drogue en provenance d’Amérique latine et à destination de l‘Europe. Cette drogue remonte par le Sahara, payant son tribut aux divers djihadistes. Nous avons au Bénin 700 kilomètres de frontière commune avec le Nigéria, et pourtant, les gens n’y vont jamais, par peur du danger. Il y a donc un imaginaire anxiogène attaché au Nigéria pour de nombreux Africains francophones ou Français.
Ceci étant dit, quand vous allez au Nigéria, vous constatez qu’il y a indéniablement une classe moyenne. Tout comme la diversification est évidente elle aussi. Je ne crois pas qu’il ne s’agisse que d’un effet de loupe macro-économique. La grande révolution agricole a tout de même eu largement lieu, grâce à la politique une très innovante d’Akinwumi Adesina, un homme aujourd’hui président de la Banque africaine de développement, auparavant patron des programmes agricoles dans la fondation Gates, qui fut ministre fédéral, et a profondément renouvelé vers 2013, 2014, 2015, les moyens de soutenir l’agriculture. En cinq ans, la production agricole nigériane a doublé, il y a donc davantage qu’un effet dû à la contraction du secteur pétrolier.
Dans le domaine de la distribution ou de la logistique par exemple, il y a eu aussi des progrès. On a constaté des investissements massifs (bien que pas forcément rentables) de la part des Sud-africains, ainsi que des premières opérations d’e-commerce.
Quel est votre regard sur ce qu’on appelle le venture Nigeria ? C’est le seul pays où émergent des licornes (des start-ups cotées au NASDAQ à des prix faramineux, grâce à un biais technologique). Moi je le lis dans les chiffres et je connais certains promoteurs, ressentez-vous cette vigueur de votre côté en tant que chercheur ?
Marc-Antoine Pérouse de Montclos :
La vigueur et le dynamisme dont vous parlez sont indéniables, en effet, et pas seulement dans les start-ups. Mais la difficulté est de voir si cette classe moyenne perdure, grossit, ou bien si elle stagne ou se rétrécit. Il faut également prendre garde à ne pas se focaliser que sur Lagos, qui est un peu la vitrine magique du Nigéria, car c’est la ville la plus moderne et la plus ouverte du pays (sur l’Atlantique notamment). Mais entre Lagos (complètement au sud-ouest) et l’Etat du Borno, attenant au lac Tchad, au nord-est, c’est vraiment le jour et la nuit. La classe moyenne ou les start-ups, on peut les chercher longtemps à Maiduguri … Il y a beaucoup d’illusions sur l’e-économie en Afrique. Elle n’existe que dans les villes, et encore. Même à Lagos, la connectivité est souvent abominable : il n’y a que quelques bulles depuis lesquelles ça fonctionne, mais elles sont vraiment petites. Dans les campagnes, c’est quasiment inexistant. Certes, le téléphone cellulaire s’est beaucoup développé, mais les bandes passantes très faibles, ne résistent pas à la demande, et il est difficile de même passer un coup de téléphone à l’intérieur du Nigéria. Tout cela progresse cependant, puisque quand j’habitais au Nigéria à la fin des années 1980, il n’y avait pas de téléphone du tout.
Il y a eu des progrès très nets dans la gestion urbaine de Lagos, certains gouverneurs ont fait un très bon travail, car la ville était très congestionnée, mais dans d’autres villes comme Port-Harcourt, ce n’est pas le cas. Et cela a un impact économique : s’il vous faut quatre heures pour traverser la ville, vous réfléchissez à deux fois à vos rendez-vous … Lagos a longtemps été coincé par ce genre de choses, et il est vrai que cela va mieux.
Le dynamisme ne concerne pas que la classe moyenne, les classes plus populaires sont aussi très inventives, et la débrouille concerne tout le monde. Mais cela reste assez largement une économie de la survie. Lagos est l’un des 36 États du Nigéria, quelques autres arrivent à se démarquer, mais de très nombreux projets n’ont pas abouti, sur les zones franches notamment. Je trouve que le Nigéria a par exemple raté le boom pétrolier des années 1970, et n’a pas réussi à utiliser la manne pour créer une industrie. Il y eut quelques tentatives, comme l’aciérie d’Ajaokuta, mais qui n’ont jamais décollé. C’est ainsi que milliards de dollars ont été engloutis pour rien. On pourrait aussi citer le projet de pipeline transsaharien. La classe moyenne existe, mais je serai bien incapable de dire si elle augmente, je n’ai pas les éléments pour répondre. Le dynamisme est un atout évident, mais tant que les infrastructures ne suivent pas, il ne sert pas à grand chose. Rien qu’en termes d’électricité, le Nigéria est le plus gros importateur au monde de générateurs électriques. Cotonou, la capitale du Bénin voisin, a un réseau électrique plutôt fiable. Ce n’est absolument pas le cas de Lagos.
Philippe Meyer :
Vous avez mentionné Nollywood, dont les productions se retrouvent absolument partout en Afrique. J’aimerais que vous nous en disiez un mot. De quoi s’agit-il exactement ? Est-ce de la diplomatie culturelle, un soft power, ou simplement l’effet d’un dynamisme de marché ?
Et puis, je voulais en savoir plus sur la diaspora nigériane. De combien de gens parle-t-on, et où sont-ils ?
Marc-Antoine Pérouse de Montclos :
Nollywood est un tel phénomène qu’il a même des déclinaisons locales ; on parle aussi de Kaliwood, à Kano, où sont tournées des séries en haoussa. Nollywood est plutôt anglophone, avec du pidgin, ce qui peut parfois compliquer l’exportation. C’est vraiment l’une des réussites économiques du Nigéria, il est vrai que ça marche très fort. Mais je dirais que c’est effectivement le dynamisme du marché qui l’emporte, je ne vois pas une politique culturelle derrière tout cela. Il ne s’agit pas d’exporter les valeurs culturelles nigérianes, même si cela contribue à créer ce modèle nigérian dont nous parlions plus haut. C’est le paradoxe du Nigéria, qui fait peur autant qu’il attire. A travers ces séries télévisées, on a l’image d’un Nigéria très dynamique et entreprenant, et cet esprit essaime dans les pays francophones voisins.
Il y a aussi quelque chose de très frappant au Nigéria, mais c’est à mon avis davantage la loi du nombre qui l’explique que l’héritage colonial : l’Etat est faible et a peu de moyens de se faire obéir. Le dynamisme économique s’explique en partie par un défaut d’Etat. Dans les pays francophones voisins, l’Etat est plus dirigiste d’un point de vue économique. Cela ne fonctionne pas forcément, mais il y a des vélléités de contrôler l’économie. Le modus vivendi au Nigéria est différent ; les entrepreneurs font feu de tout bois et surmontent les dictatures militaires comme les gouvernements civils ; cette classe d’hommes d’affaires fera du business, quelles que soient les conditions politiques. Elle est là depuis l’indépendance, elle ne fonctionne pas forcément sur un mode héréditaire (encore qu’Aliko Dangote vienne d’une famille ayant fait fortune dans l’arachide, puis s’étant diversifiée dans le pétrole, les télécoms, le bâtiment, etc.). Il y a une capacité de self made man beaucoup plus visible au Nigéria, quelle que soit la contraction ou non de la classe moyenne. Et il est vrai que les produits exportés par Nollywood reflètent cela.
Quant à la diaspora, c’est une question difficile. Vous imaginez bien que dès lors qu’on ne peut pas dire précisément combien il y a d’habitants dans le pays, il est difficile de savoir combien sont à l’étranger. Pour ce qui est de l’ancienne puissance coloniale, il y a une communauté nigériane très importante au Royaume-Uni. Par des études sur la langue natale des enfants, on arrive à mesurer que peut-être un tiers des Africains à Londres sont d’origine nigériane. Les Nigérians sont aussi très présents au Etats-Unis, et un peu au Canada. En Afrique, il y a eu une dissémination, mais elle n’est pas allée sans quelques troubles. Dès l’indépendance, il existait déjà des communautés de commerçants nigérians, Haoussas ou Yorubas, au Niger, au Ghana, au Cameroun ou en Guinée Équatoriale, et parfois il y a eu quelques heurts. Ainsi, on a vu dans les années 1970 des expulsions massives de Nigérians, qui ont dû quitter précipitamment ces pays. A l’inverse, on a vu au moment du boom pétrolier une espèce de saturation. Muhammadu Buhari, l’actuel président, avait notamment organisé une expulsion des clandestins au Nigéria quand il était arrivé au pouvoir en 1984, qui s’était chiffrée en millions de personnes, c’était très impressionnant. On a des photos de cet exode, où l’on peut voir des masses de populations reconduites aux frontières, baïonnettes dans le dos. C’est aussi ce genre de blessure qui explique pourquoi le Nigéria n’a pas bonne réputation. Par exemple le Niger, voisin septentrional, qui a traditionnellement de bonnes relations avec le Nigéria (ce qui n’est pas le cas du Cameroun), a nommé une famine « la famine Buhari », en souvenir de ces expulsions massives de 1984.
Béatrice Giblin :
J’aimerais revenir sur les grands projets que vous avez évoqués. Vous disiez que la volonté de grands équipements était là, mais n’aboutissait pas. Croyez-vous que ce soit à cause de la faiblesse de l’Etat, de la corruption, des tensions internes ? Comment l’expliquez-vous ? Et d’où vient d’après vous cette culture entrepreneuriale qui semble faire exception dans son environnement ?
Marc-Antoine Pérouse de Montclos :
Il est vrai que la présence de l’Etat complique considérablement les grands chantiers. Dès qu’il y est, ils ont tendance à moins aboutir. Mais même lorsqu’ils sont menés par le secteur privé, ils n’aboutissent pas forcément non plus.
N’oublions jamais que le Nigéria est un État pétrolier, même si en termes de potentiel de développement, il y a désormais davantage de perspectives du côté du gaz naturel. Le Nigéria est le premier producteur de pétrole en Afrique, il l’exporte brut (il n’y a que quatre raffineries publiques, fonctionnant à 15-20% de leur capacité). C’est ainsi que le Nigéria est obligé d’importer du pétrole raffiné, qu’il paye au prix du marché (c’est à dire très cher). Du coup, Aliko Dangote a un grand projet de raffinerie privée. Néanmoins, ce projet n’aboutit pas. Il est certes bien avancé, mais la date d’inauguration ne cesse d’être repoussée.
Les difficultés de la mauvaise gouvernance de l’Etat se reflètent aussi dans le privé. La corruption, le fait que l’Etat de droit n’est pas vraiment respecté … Quand vous signez un contrat avec la puissance publique pour avoir le droit de développer une raffinerie en zone franche, la parole donnée n’est pas forcément bien suivie, ou il faut alimenter en pots-de-vin …
C’est ce qu’on appelle le dash au Nigéria. C’est d’ailleurs intéressant, car la langue vraiment parlée au Nigéria n’est pas l’anglais, mais le pidgin, une forme d’anglais mâtinée de langue vernaculaire. « Dash » est le mot utilisé pour le pot-de-vin, il est très répandu, il peut aller du racket d’un barrage de police à la corruption au plus haut niveau ministériel. Mais il désignait à l’origine une pièce de tissu pendant la traite des esclaves, en l’échange de laquelle on allait porter la fameuse cargaison de bois d’ébène. Cela montre l’ancienneté des échanges économiques entre le Nigéria et le reste du monde. Cela veut dire aussi qu’il existe des communautés noires partout dans le monde, dont les origines nigérianes sont très anciennes, et qui essaient aujourd’hui de s’y reconnecter.
Un chiffre m’a par exemple beaucoup frappé. Nous disposons de données assez précises sur les points d’embarquement et d’arrivée des esclaves, et l’on estime qu’environ 17% des esclaves arrivés aux Amériques venaient du Nigéria. Et les chiffres du recensement américain montrent qu’aujourd’hui, 17% des Africains venant s’installer aux Etats-Unis sont Nigérians. Il y a une extraordinaire permanence de la proportion. On le retrouve dans la composition de beaucoup d’autres diasporas africaines outre-mer.
On se demande aussi quel rôle cette diaspora peut jouer, il y a un réel espoir qu’elle réinvestisse dans le pays. Des facilités ont été mises en place du temps d’Obasanjo pour que les Nigérians de l’étranger puissent effectuer un service national, et mettre leurs compétences au service du pays d’origine pendant un temps donné. La diaspora nigériane est très désorganisée, c’est à dire que les regroupements sont sur une base ethnique, il y a par exemple la diaspora Igbo des Etats-Unis, finançant la revendication séparatiste Biafra. Il y a aussi une diaspora Yoruba, mais pas réellement une diaspora nigériane. Peut-être cela changera-t-il à l’avenir, des efforts sont faits en ce sens, en tous cas. Ce serait intéressant du point de vue économique, mais aussi politique. Une loi vient d’être votée autorisant les Nigérians de la diaspora à voter. C’est la première fois, et étudier ce vote sera riche d’enseignements.
Nicolas Baverez :
A propos de la sécurité et de Boko Haram. Depuis 2009, les exactions se poursuivent, et contrairement aux communiqués réguliers de victoires de la part du pouvoir, rien n’est réglé, bien au contraire. Or l’armée nigériane est l’une des rares armées d’Afrique à être financée à peu près correctement, sur le papier du moins. Il y a aussi un soutien du point de vue du renseignement, de la part des Etats-Unis et même de la France. Comment expliquer cet échec systématique, et l’obligation d’avoir recours à quelques centaines de mercenaires sud-africains, qui ont accompli davantage en quelques semaines que l’armée nationale ?
Ma deuxième question porte sur le commerce. C’est une Nigériane qui dirige aujourd’hui l’OMC, Mme Okonjo-Iweala. Les Nigérians sont-ils fiers de cela ? Est-ce que cela s’inscrit dans une volonté d’ouverture internationale, dans une stratégie visant à être parmi les moteurs de la mondialisation ?
Marc-Antoine Pérouse de Montclos :
A propos de l’échec de l’armée face à Boko Haram, il y a un mot qui explique tout : corruption. Vous avez raison, sur le papier, l’armée est financée. Mais il y a des procès en cours (qui n’aboutiront probablement pas) car la lutte contre le terrorisme est une nouvelle rente, et a fait exploser les budgets de la Défense. On parle de contrats d’armements se chiffrant en milliards de dollars, qui n’ont jamais été honorés, et où l’argent a disparu. Dans les faits, l’armée n’est donc pas correctement équipée.
Je me suis rendu dans le Borno, et ai discuté avec des militaires, et des combattants de toutes origines (parce qu’il y a beaucoup de réalités diverses sous le nom de Boko Haram). Ce qu’on voit, c’est que comme il y a peu d’armes et que comme les soldes ne sont pas toujours payés, les soldats combattent comme ils peuvent. Ils ont quatre balles dans leur kalashnikov, tirent les deux premières, puis fuient et Boko Haram prend la position. Il faut arrêter de se leurrer sur le fait que la chute de Khadafi en Libye aurait alimenté Boko Haram en armes. L’essentiel des armes viennent en réalité des arsenaux gouvernementaux.
La corruption est également responsable du mauvais moral des troupes, qui sont envoyées sur le terrain dans des conditions extrêmement difficiles, tandis qu’ils voient les généraux d’Abuja s’enrichir ; on ne peut pas dire que ce soit très motivant. Il y a même eu des mutineries côté nigérian, dont on parle peu, toute une partie de l’armée a même fui du côté du Cameroun. Il y a donc une défiance entre les hommes du rang et les officiers supérieurs. Les officiers savent qu’ils ont mauvaise réputation, et que les soldats sont mal payés. Du coup, ils hésitent à confier des munitions aux soldats (tentés de les revendre). Sur le terrain, cela donne des troupes démoralisées, et épuisées car étant presque entièrement déconnectées, la rotation est quasiment nulle.
Et puis il y a une impunité incroyable. Nous avons montré qu’en réalité, (et c’est un phénomène qu’on observe également au Mali désormais) les forces gouvernementales tuent plus de gens que Boko Haram. Cela commence enfin à apparaître. Le malheureux paysan, pris entre deux feux, sait qu’il ne sera pas protégé par les forces gouvernementales, il est donc obligé de composer avec les insurgés. Et quand les armées tuent des civils lors de leur déploiement, cela crée des volontés de vengeance très grandes. J’ai interviewé des anciens combattants de Boko Haram, en prison ou ailleurs, qui m’expliquaient avoir rejoint le groupe pour se venger, parce que leur sœur avait été violée par un policier, ou leur frère tué par un soldat, etc. Toutes les rafles et les arrestations arbitraires entretiennent le conflit. On ne peut pas comprendre pourquoi Boko Haram est résilient si l’on ne prend pas en compte les dysfonctionnements de l’armée nigériane. Qu’on arrête de nous dire que ces groupes résistent grâce au soutien d’Al-Qaida ou de l’Etat islamique, s’ils sont forts, c’est parce que l’Etat est faible.
Un exemple récent montre bien les conséquences de la corruption. Boko Haram tue trente soldats dans le Borno. On envoie des renforts, mais l’armée de l’air, qui ne s’est pas coordonnée avec l’armée de terre (parce que l’équipement radio est défaillant) bombarde les renforts … Des histoires aussi navrantes que celle-là, je pourrais vous en raconter des dizaines. Si Boko Haram prospère, c’est à cause du vide politique, de la vacance du pouvoir. Dans le monde rural nigérian, le service public se résume à la présence d’un poste de police. C’est tout ce par quoi l’Etat se manifeste pour un paysan du Nord. Et le commissariat en question va plutôt le racketter que le protéger … Pour moi, le djihadisme n’est qu’un symptôme de la crise de l’Etat au Sahel et au Nigéria.
Lionel Zinsou :
Il me semble que la faiblesse régalienne unit les différents thèmes dont nous venons de parler. La sécurité, mais aussi tout ce qui concerne le développement. Les recettes fiscales hors revenus pétroliers ne représentent que 12% du PIB. Il est impossible de ne pas avoir un État failli dans ces conditions. Sans qu’il soit nécessaire de prélever 48%, à la française, ou 50%, à la scandinave, il faut bien reconnaître qu’avec 12% c’est impossible. Quand le baril de pétrole est autour de 100 $, les recettes supplémentaires permettent de faire des choses, mais cela ne dure que très peu de temps. Quand il est bas, comme en 2020 à 26 $, il crée des troubles macro-économiques majeurs. Comme il s’agit de pétrole off-shore, son prix de revient avoisine les 30 ou 40 $. Donc non seulement il n’y a pas de recettes, mais il il y a une impasse budgétaire abyssale.
Non seulement le système fiscal est mal organisé, mais il est en outre assez coûteux, car il faut répartir entre l’Etat fédéral et les 36 États fédérés. Même s’il n’y avait pas de corruption, il n’y aurait aucun moyen de faire fonctionner les grandes fonctions régaliennes, notamment militaires.
A propos de la diaspora, je serai un peu plus enthousiaste que vous ne l’avez été. On ne sais sans doute pas la compter précisément, mais on sait compter ce qu’elle apporte à l’économie nigériane. A savoir entre 5 et 6 milliards de dollars par an, ce qui est beaucoup plus que l’aide publique au développement, beaucoup plus que les flux d’investissement directs étrangers, qui sont pourtant parmi les plus importants du continent. C’est tout de même un facteur assez positif pour le futur. Cela constitue une épargne extérieure, et surtout un gisement de compétences extraordinaire. Nous avons évoqué la diaspora et la mafia, mais il faut également dire qu’à Wall Street ou à la City de Londres, des Nigérians tiennent de très hautes positions dans les plus grandes banques globales. Et dans le domaine scientifique ou culturel, ils sont très présents aussi.
Comment fait-on revenir cette diaspora ? Mme Okonjo-Iweala est la première femme à la tête de l’OMC. Elle a pour mission de la réformer, et tout le monde pense qu’elle y parviendra. M. Adesina dirige la Banque africaine de développement, il fut l’un des piliers de la fondation Gates sur les questions d’agriculture et d’éducation. Il y a une projection de grands responsables nigérians à des positions très élevées. Le pays a toutes les compétences humaines, il s’agit de les réimporter. Il faut aussi recréer une base pour un État régalien, et celle-ci ne peut pas être « les champions du monde de la fraude fiscale », ou tout simplement de la non-imposition. Car même sans frauder, les lois nigérianes sont extraordinairement permissives en matière de collecte de ressources.
Béatrice Giblin :
Je reviens sur ma question des grands projets qui n’aboutissent pas. Vous m’avez précisé que cela arrivait aussi aux projets privés, mais je n’en comprends toujours pas la raison. Est-ce simplement parce que l’Etat est faible ? Est-ce à cause de la corruption ? Comment se fait-il qu’avec un tel savoir-faire et un tel potentiel, cela piétine à ce point ? Ensuite, j’aimerais en savoir plus sur l’unité nationale nigériane. Se conçoit-on comme citoyen nigérian ? Ou est-on avant tout Yoruba, ou Igbo, etc. ? Est-ce un autre facteur de faiblesse de l’Etat ?
Nicolas Baverez :
Pour ma part, j’aimerais vous entendre sur le rôle du Nigéria dans la nouvelle donne qu’on essaie de mettre en place en Afrique. Un sommet a récemment eu lieu à Paris. On sait que le problème de la dette est très important, qu’il y a des initiatives pour émettre des droits de tirage spéciaux. Est-ce que le Nigéria peut jouer un rôle pilote compte tenu des responsables de premier plan dont il dispose ? Et jouera-t-il un rôle dans l’intégration régionale d’Afrique de l’Ouest ? Il me semble que le pays vient d’adhérer au marché commun africain, peut-on espérer un réel espace de libre-échange en Afrique de l’Ouest ?
Marc-Antoine Pérouse de Montclos :
Les Nigérians sont indéniablement fiers que Nogozi Okonjo-Iweala soit à la tête de l’OMC, mais en même temps, il semble que son prestige soit bien plus affirmé à l’international que dans son propre pays. Au Nigéria, on n’oublie pas qu’elle fut la ministre des Finances d’un des gouvernements les plus corrompus qu’ai connus le Nigéria depuis la fin de la dictature miliaire en 1999. Elle s’était d’ailleurs décrédibilisée en rabrouant à l’époque le gouverneur de la Banque centrale, qui déplorait la disparition de 20 millards de dollars. Il y a eu beaucoup d’effets d’annonce, mais cela ne s’était pas traduit par un nettoyage des écuries d’Augias. Il y a eu des tentatives, mais elles ont en réalité été mises en place par le président Buhari, qui a la réputation d’être intègre (même si son entourage ne l’est pas forcément), pour que les budgets des États fédérés ou d’Abuja soient publiés. Et puis il y a des initiatives remarquables des Nigérians. Par exemple un petit groupe appelé BudgIT va enquêter, État par État, et publie en ligne ce que les États disent dépenser pour créer des écoles. On voit donc la différence entre une école construite sur le papier, et la photo du terrain vague où elle est censée être. C’est par ce genre d’initiative et de confrontation que le pays ira mieux. Ce n’est pas très compliqué à faire, et on serait bien inspirés de le faire aussi dans l’aide publique au développement, mais c’est une autre question …
Les grands projets qui n’aboutissent pas, ensuite. Je corrige tout de suite : certains finissent par aboutir, et heureusement, mais jamais sans une déperdition assez importante et de grands surcoûts. Et cela vaut pour le public comme pour le privé, il ne faudrait pas s’imaginer que seuls les projets d’Etat sont difficiles à mener à bien. Les raisons expliquant tout cela ont déjà été évoquées : faiblesse de l’État, corruption, renégociations incessantes, et insécurité. L’insécurité ne concerne pas que l’intégrité physique des biens et des personnes, il s’agit aussi du cadre juridique. Le groupe Shell a par exemple vendu des concessions énormes parce qu’ils étaient lassés de tout cela (il est vrai qu’en plus, leur réputation était ternie par le rôle qu’ils avaient joué dans les années 1990 lors de la révolte des Ogoni contre les compagnies pétrolières). Les gros investisseurs se sont donc plutôt tournés vers l’Afrique de l’Est ces dernières années, mais comme des groupes djihadistes y font aussi leur apparition, peut-être reviendront-ils par défaut vers le Nigéria. Pour cela, il faudra faut que la loi Petroleum Industry Bill soit votée, car on n’investit pas tant qu’on ne sait pas à quoi s’en tenir fiscalement.
Sur la dette, le président Obasanjo (anciennement dictateur militaire) a imprimé des réformes qui ont plutôt été suivies. Il avait notamment obtenu une remise partielle de la dette nigériane avec le club de Paris. Le président Buhari n’a pas le même entregent, semble-t-il. Leurs personnalités sont très différentes, l’actuel président est bien moins loquace. Obasanjo était déjà président d’honneur de l’organisation Transparency International de lutte contre la corruption, il avait été adoubé par Jimmy Carter car il avait accepté de remettre le pouvoir aux civils, son réseau international était très affirmé. Ce n’est pas le cas de Buhari, qui était aussi un militaire au pouvoir dans les années 1980, mais à l’image très différente.
C’est pourquoi je ne vois pas du tout le Nigéria en position de leader dans la renégociation de la dette africaine. Même les espaces de libre-échange sont le théâtre d’anciennes rivalités entre le monde francophone et anglophone, où le poids lourd nigérian apparaît comme très protectionniste, fermant par exemple sa frontière avec le Bénin, alors que ce pays est parfois présenté comme le « 37ème État » de la fédération nigériane, « l’Etat-entrepôt ». Ce n’est pas l’image qu’on pourrait avoir du libre-échange. On disait par exemple que deux tiers des importations de textile en Afrique de l’Ouest passaient par le Bénin, mais en fait, tout cela était destiné au Nigéria, et ne passait par le Bénin que pour contourner des droits de douane plus élevés à Lagos qu’à Cotonou … Cotonou est pour le Nigéria ce que Rotterdam est pour l’Europe du Nord, en quelque sorte.