LE BREXIT SIX ANS APRÈS
Introduction
Philippe Meyer :
Le Brexit a été voté en juin 2016, et la sortie effective du marché unique européen a eu lieu le 1er janvier 2021. Difficile de faire précisément le tri entre le Brexit, la pandémie, le choc énergétique et le chaos politique, mais les faits sont là : l’économie britannique décroche plus qu’ailleurs. Selon les calculs du Centre for European Reform, un groupe de réflexion britannique, entre le deuxième trimestre 2016, date du référendum, et celui de 2022, le Royaume-Uni (R-U) a connu une croissance inférieure de 5,5 % à celle d’un groupe d’une quarantaine de pays comparables qui connaissaient, les années précédentes, une croissance similaire. Le volume du commerce extérieur britannique a également augmenté de 7 % de moins que ce groupe et les investissements sont de 11 % inférieurs. Sur un an, ce seraient 40 milliards de recettes fiscales perdues pour le gouvernement. Un trou qu'il a fallu compenser dans le budget de rigueur concocté en urgence par le chancelier de l'Échiquier en novembre dernier, avec 55 milliards de livres de hausses d'impôts (25 milliards) et de baisses de dépenses (30 milliards). Le Centre for European Reform estime, en outre, que la fin de la libre circulation a entraîné un manque à gagner de 330.000 travailleurs européens qui seraient sans cela arrivés sur le marché du travail depuis deux ans. Selon l’Office National Statistique britannique, 28 % des entreprises de plus de dix salariés se disent concernées par les pénuries. Parmi elles, 40 % ne peuvent, pour cette raison, répondre à la demande.
Le mécontentement social, accumulé après des années d’austérité – avec néanmoins une pause durant la pandémie - et de sous-investissement dans les services publics, éclate désormais avec une longue série de grèves, inédites depuis les années 1970, dont celle cette semaine, chez les 360.000 infirmières du Service national de santé.
Depuis janvier, ce sont désormais 60 % des Britanniques qui affirment que la sortie de l’Union européenne a été une erreur, contre 40 % qui la soutiennent. Le basculement a commencé à l’été 2021 (les Britanniques étaient alors partagés, à 50/50) et, depuis, les deux courbes s’éloignent progressivement. Le pourcentage des Brexiters qui pensent que c'était une erreur a grimpé de 4 % à 19 %. Friands de néologismes, les Britanniques ont trouvé un nom pour désigner le sentiment de regret du Brexit : le « Bregret ». Il est particulièrement prononcé chez les Londoniens : 7 sur 10 pensent que c'était une erreur de quitter l'Union européenne. Autre néologisme apparu pour désigner ceux qui souhaitent revenir dans l’UE : les « rejoiners », nombreux chez les jeunes qui n’avaient pas l’âge de voter en 2016.
Kontildondit ?
Nicole Gnesotto :
En politique, faire des pronostics est toujours risqué, mais s’agissant du Brexit, nous avions -une fois n’est pas coutume- tous raison : le Brexit a été un désagrément pour l’UE, mais c’est toujours un cataclysme pour le R-U. A côté de la catastrophe économique et sociale, il y a également une crise démocratique majeure. Ce pays où est née la démocratie moderne a donné, pendant toute la durée des négociations, un spectacle parlementaire absolument navrant. Cinq Premiers ministres en six ans, et au niveau diplomatique, le fiasco est complet. Car pour l’UE, le Brexit est devenu une question technique, nous sommes passés à autre chose, alors que les Britanniques pensaient pouvoir nous entraîner dans leurs difficultés pendant vingt ans.
Il y a cependant deux bonnes nouvelles pour les Britanniques dans ce Brexit. D’abord, contrairement à ce que l’on pouvait craindre, le Royaume est resté Uni. D’une part parce que Joe Biden a bien fait comprendre au Premier ministre que s’il s’avisait de toucher au statut de l’Irlande, c’en serait fini de la « special relationship » avec les Etats-Unis. D’autre part parce que l’Ecosse, dont la Première ministre aspire toujours à un second référendum sur l’indépendance, est dépendante de Londres pour l’obtenir. Rappelons qu’en 2016, 62% des Écossais souhaitaient rester membres de l’UE.
Deuxième bonne nouvelle : l’OTAN redonne une marge de manœuvre diplomatique aux Britanniques. Ils sont le numéro deux de l’alliance atlantique (en tant que DSACEUR, ou Deputy Supreme Allied Commander Europe), et cela leur a donné l’occasion de retrouver une stature sur la scène européenne.
Mais à part cela, c’est une catastrophe, qui s’explique par deux raisons de fond : la cécité des grands banquiers, et la bêtise des nationalistes.
Le Brexit fut une collusion incroyable et contre-nature. Entre d’un côté les grands banquiers qui entendaient faire du R-U un espace financier entièrement dérégulé, ce qu’ils appelaient le « Singapour en Europe », un espace où la finance internationale libre de toute contrainte permettrait une prospérité sans précédent. De l’autre, une petite classe moyenne, plutôt rurale, plutôt désargentée, plutôt peu éduquée, qui a cru aux promesses nationalistes, notamment en ce qui concernait la manne financière qui allait découler du Brexit, et qui était supposée être transformée en prestations sociales.
Or ces grands banquiers se sont trompés. Ils avaient parié sur l’explosion continue de la mondialisation. Le Brexit a eu lieu précisément au moment où la mondialisation commençait à se renverser. Depuis, la guerre en Ukraine leur a fait perdre tous les oligarques russes (dont les fortunes cumulées réprésentaient environ 30% des avoirs de la City). Et puis il y a eu le retour à un certain protectionnisme, y compris aux Etats-Unis. Aujourd’hui, la mondialisation ne permet plus aux Britanniques de jouer la carte du Global Britain. Deuxième raison : la bêtise des nationalistes. Les Brexiters ont cru qu’en sortant de l’UE, la masse de normes et de régulations auxquelles ils allaient échapper (effectivement très grande) allait libérer la créativité et le commerce britannique, or il n’en a rien été. Aujourd’hui, non seulement les droits de douane vers l’Europe ont augmenté (jusqu’à parfois tripler), mais surtout le délai pour l’exportation a été multiplié par dix. Car chaque produit doit être soigneusement vérifié, pour voir s’il est conforme aux normes de l’UE. Par conséquent, de nombreuses PME britanniques font faillite, car elles ne peuvent plus exporter dans des conditions rentables vers l’Europe (qui reste le premier marché avec lequel commerce le R-U).
Ces deux raisons expliquent le retournement de l’opinion britannique. En plus des mensonges qui ont été reconnus comme tels (notamment par Boris Johnson), il y a l’effet de marché qui ne s’est pas produit. A cause du retournement de la mondialisation, et des rigueurs normatives de l’UE.
Michel Eltchaninoff :
On utilise souvent la métaphore du divorce pour parler du Brexit. Et certains divorcés se rendent compte que leur nouvelle vie n’est pas forcément plus rose que pendant le mariage problématique. Le problème c’est évidemment que l’on ne s’en rend pas compte tout de suite, et que tout cela est parfois difficile à exprimer, après les affres de la séparation. On a alors tendance à dire que le problème n’était pas le divorce lui-même, mais d’autres problèmes imprévus, ou qu’on portait déjà ce mal de vivre depuis longtemps. C’est le cas pour bon nombre de dirigeants britanniques actuels.
Plus sérieusement, après presque sept ans, mais seulement un peu plus d’un an de séparation effective, il est un peu tôt pour décider si le divorce était un ratage ou le début d’une nouvelle vie. Évidemment, les chiffres cités en introduction sont éloquents sur les retombées économiques et sociales, mais comme le disait Hegel « la chouette de Minerve ne se lève qu’à la tombée de la nuit », il est donc plus sage d’attendre avant de porter un jugement définitif.
On peut cependant revenir au projet initial de ce divorce : le « Singapour » dont parlait Nicole, ou « l’union libre » pour rester dans la métaphore de la relation amoureuse. Il y avait l’idée de se détacher des règlementations européennes, jugées trop contraignantes, et de retrouver sa liberté. Il s’agissait de mettre en place des ports francs, de pouvoir s’endetter sans craindre les foudres de Bruxelles, d’attirer tous ceux qui souhaitaient payer moins d’impôts, et surtout, il y avait la perspective de juteux accords commerciaux, avec les Etats-Unis de Donald Trump par exemple. Boris Johnson promettait alors un nouvel âge d’or pour le royaume : créer un pays innovant, assez agile pour s’adapter aux transformations du monde, et faisant jouer la concurrence à plein.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Le R-U a signé des accords avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, mais toujours pas avec les Etats-Unis ou la Chine. L’effet sur l’économie est donc mince. Il est intéressant de constater que malgré un Premier ministre d’origine indienne, un accord avec l’Inde n’est toujours pas finalisé. L’Inde demande que le R-U autorise davantage de migrations depuis le sous-continent, mais une majorité de citoyens britanniques y est opposée. N’oublions pas que le rejet de l’immigration était aussi une forte pulsion chez les partisans du Brexit.
Les moteurs du Brexit entrent donc en contradiction : retrouver la liberté d’un côté, freiner l’immigration de l’autre. D’un côté, la volonté de déréguler le pays, pour en faire une plateforme défiscalisée aux portes de l’Europe, de l’autre, demander plus d’intervention de l’Etat. Si le projet singapourien n’a jamais vraiment décollé, c’est parce que les motivations des électeurs étaient en conflit les unes avec les autres. Cette tension se retrouve aussi dans l’action actuelle du gouvernement, qui adopte un budget d’austérité tout en faisant face à une crise sociale majeure.
Que peut-on envisager aujourd’hui ? Il y a un sous-genre à Hollywood : les « comédies de remariage », sur lesquelles le philosophe américain Stanley Cavell a beaucoup écrit, comme L’impossible monsieur Bébé d’Howard Hawks, ou New York-Miami de Frank Capra. Des couples qui se séparent et qui, après avoir vécu d’autres expériences, finissent par se remarier. Peut-on imaginer chose semblable à propos du R-U et de l’Europe ? Aujourd’hui il n’en est absolument pas question, il faudrait au minimum attendre des années, voire des décennies. Même si des rapprochements sur la Défense, ou un alignement du R-U sur les normes agro-alimentaires permettraient peut-être d’alléger les contrôles. Le divorce est difficile, et ces six ans de réflexion l’ont montré aux Britanniques.
Isabelle de Gaulmyn :
Je suis d’accord, ce qui se passe aujourd’hui n’a rien de réjouissant, en revanche, je ne suis pas si sûre qu’on puisse qualifier cela de « catastrophe ». Car comment savoir si ça irait mieux aujourd’hui si les Britanniques avaient voté contre le Brexit il y a six ans ? Etant donné l’état de la société britannique en 2016, désunie et fébrile, peut-être que la situation serait tout aussi difficile, voire pire ? Parfois, un divorce évite que les conjoints ne s’entretuent …
Ces jours-ci, il y a une forte grève en Grande-Bretagne dans le secteur de la Santé. Je ne sais pas si vous vous souvenez de ces affiches sur les autobus, pendant la campagne du Brexit, promettant que le vote leave allait « sauver le système de santé » ? C’est exactement l’inverse qui s’est produit, donc le bilan est indéniablement mauvais. Pour autant, personne ne peut dire de façon certaine qu’un autre résultat en 2016 aurait mené à une situation meilleure aujourd’hui, il faut se méfier de la politique-fiction.
Que faire avec le Brexit aujourd’hui ? A propos de l’Irlande du Nord, il va sans doute falloir que Bruxelles cède un peu, car on n’imagine pas que les violences puissent reprendre, nous avons déjà bien assez d’une guerre en Europe. Quant au marché européen, on entend poindre l’idée chez certains élus britanniques de peut-être réintégrer le marché commun, « sous réserve que les conditions soient favorables ». Cela paraît totalement aberrant et n’a à mon avis aucune chance d’aboutir. En revanche, on pourrait imaginer que de façon purement pragmatique, les Britanniques se conforment davantage aux normes européennes, pour s’insérer dans le marché européen. Certains réclament un statut comparable à celui de la Suisse, mais là encore je doute que Bruxelles accepte, car on entend précisément réviser le statut de la Suisse. Je pense que le R-U va devoir faire un effort vis-à-vis de l’Europe, mais surtout il devra régler son problème interne. Le vote « leave » l’a emporté à la suite de manipulations, entre des gens voulant un pays ultra-libéral et dérégulé, et d’autres souhaitant un Etat plus protecteur.
Et aujourd’hui encore, le sujet du Brexit est tabou au R-U, on ne peut toujours pas en discuter. Rien ne me paraît pouvoir s’améliorer vraiment tant que ce sera le cas.
Et pour nous, qu’a changé le Brexit ? Pendant un moment, on craignait une contagion, et que d’autres pays ne quittent l’UE. Cela n’a pas été le cas et c’est une bonne nouvelle. Ceci dit, quand on lit par exemple le livre de Jonathan Coe (Ndlr : Le Royaume Désuni, ed. Gallimard), qui fait le récit de la montée vers le Brexit, on s’aperçoit que les problèmes britanniques nous touchent tous : la tension entre Etat protecteur et Etat libéral, la désunion de la société, le gouffre générationnel, et les conséquences de la crise financière de 2008. De notre côté, nous devons nous demander comment rendre l’Union européenne plus attractive, pour éviter que d’autres pays passent par les mêmes difficultés. Gardons-nous de dire « ils sont partis, mais pour nous, ça va très bien ». Car les ferments de ce Brexit existent dans tous les pays. Le système parlementaire britannique a effectivement offert un spectacle désolant, mais il faut bien reconnaître que le nôtre ne fait pas très envie non plus en ce moment. Nous n’avons pas de leçons à donner, et tous les pays européens sont menacés par le populisme.
Marc-Olivier Padis :
Contrairement à Michel, je pense qu’il n’est pas trop tôt pour juger le Brexit, et pour ma part, il s’agit clairement d’un échec. Il est même surprenant que le retournement de l’opinion ne soit pas plus marqué, vu l’ampleur des difficultés. Peut-être que ce Brexit a produit une clarification, douloureuse mais nécessaire, et qui est une leçon utile pour l’Union européenne. Et comme Isabelle, je pense que le R-U a des problèmes intrinsèques forts, que nous ne devrions pas regarder de haut car nous les avons ici aussi. Le pays est très désindustrialisé, son système scolaire est trop élitiste, il y a de grands déséquilibres territoriaux, et il y a une une crise des partis politiques. Car il reste un blocage politique : les conservateurs sont bloqués par leur frange extrémiste europhobe, tandis que les travaillistes sont paralysés par une stratégie absurde ; ils ne veulent pas parler de l‘Europe, afin de reconquérir des électeurs eurosceptiques.
Nous avons donc beaucoup de leçons à tirer de la situation britannique, notamment à propos de ces contradictions et collusions analysées plus haut, qui ont permis le Brexit. Le « souverainisme dérégulatueur » (le projet singapourien) a rencontré l’aspiration à un Etat social xénophobe. Cette équation monstrueuse (car les termes sont contradictoires) pourrait avoir lieu en France.
Que faire ? Je ne crois absolument pas à la possibilité d’un retour dans l’UE. En revanche je suis très impressionné par le rôle très important que jouent les Britanniques face à la crise ukrainienne. On ne peut qu’être frappé par la clarté de leur positionnement, la qualité de leur renseignement et de leurs informations, par le soutien qu’ils apportent à l’Ukraine, en termes de matériels mais aussi de formation. Cette crise nous permet de retrouver ce qu’on avait un peu perdu de vue ces dernières années : l’apport du Royaume-Uni au continent. On prend conscience qu’on ne peut pas se passer de cet apport britannique, il va falloir trouver un nouveau mode de communication entre le R-U et l’UE. Il est plus difficile de s’entendre sur les questions industrielles et commerciales, mais sur les questions de sécurité, de Défense et de diplomatie, il y a un énorme chantier en perspective, car il nous faut nous entendre.
Nicole Gnesotto :
Que se serait-il passé si le R-U n’était pas parti ? Pour ma part, je pense qu’il nous aurait tués petit à petit. Par exemple, s’agissant de la crise de la Covid. L’UE y a répondu par un saut majeur dans l’intégration : l’endettement commun. Les Britanniques n’auraient jamais accepté cela, étant donné que les questions d’intégration et de souveraineté étaient précisément ce qui les rendait hystériques. Pour l’UE, le départ des Britanniques a été une libération.
Le divorce est difficile, mais la difficulté n’est pas du tout la même des deux côtés. Il y a clairement un gagnant et un perdant. Quand on demande à Michel Barnier ce qu’il retient des négociations du Brexit, il répond que c’est l’unité des Européens qui l’a le plus frappé. « Et Dieu sait », ajoute-t-il, « que les Britanniques ont essayé de la briser ». Nous devons dire aux Britanniques que nous ne sommes pas dans le même bateau. Le nôtre continue sa route, le leur est en train de couler. Parce que nous avons été unis, et parce que nous traitons les conséquences du Brexit avec le sérieux technocratique dont Bruxelles est capable. Il faut enfin dire que les Britanniques nous ont rendu un grand service précisément face au populisme. Car le Brexit a clairement montré à tous les vélléitaires que quitter l’UE n’était pas une bonne idée. Cela a douché les ardeurs des Italiens, des Hongrois, des Français … Le Brexit a immunisé les Européens contre l’idée qu’il y avait un salut hors de l’Union.
Quant à l’avenir, je ne crois pas non plus à un remariage. Il y a un problème potentiel avec l’Ecosse, et la guerre en Ukraine permettra peut-être d’établir les bases d’une relation nouvelle. Depuis le Brexit, Emmanuel Macron a été celui qui s’est efforcé de ramener les Britanniques sur les questions de sécurité et de Défense. Il avait inventé « l’initiative stratégique européenne », comprenant plusieurs pays hors de l’UE, dont la Norvège et le Royaume-Uni. Et il y a désormais la Communauté Politique Européenne, une institution de 44 membres qui vont parler des affaires du continent. Lors de la première réunion, Liz Truss a proposé que le Royaume-Uni accueille une des suivantes. Les Français ont beaucoup aidé les Britanniques.
Michel Eltchaninoff :
Je suis bien d’accord : d’un point de vue objectif, ce divorce est un échec. Mais c’est davantage au côté subjectif que je m’intéresse. Je suis par exemple frappé que même à la BBC, on ne prononce pas le mot de « Brexit » » ces temps-ci. Il y a un vrai tabou autour de ce sujet, et un certain nombre de squelettes dans le placard. Par exemple, bon nombre de dirigeants britanniques attribuent les difficultés économiques à la pandémie et à la guerre en Ukraine. Rappelons-nous que Boris Johnson, au début de l’épidémie, avait préconisé de ne rien faire, en misant sur l’immunité collective, ce qui s’est avéré désastreux. Puis il y a eu un confinement très dur (qu’il a lui-même violé au 10 Downing Street). Quant à l’Ukraine, il est vrai que le Royaume-Uni joue un rôle exemplaire, et qu’on crée des Place Boris Johnson à Odessa ou Kyiv. Mais là encore, il y a anguille sous roche. Les hommes proches du Kremlin ont financé la City et une partie de l’économie britannique en manipulant la justice britannique. N’oublions pas non plus que les services secrets russes ont activement participé au Brexit. Le patron du service de cybersécurité du R-U a ainsi recensé 150 000 faux comptes twitter créés par la Russie pour manipuler l’opinion publique britannique.
Les hommes politiques britanniques cherchent des excuses pour expliquer les difficultés actuelles, mais n’oublions pas qu’il y a eu une mauvaise gestion pendant des décennies.
LES RÉFORMES INSTITUTIONNELLES DU PRÉSIDENT
Introduction
Philippe Meyer :
Au début de son premier quinquennat Emmanuel Macron avait présenté aux parlementaires une révision de la Constitution, finalement enterrée au cœur de l'été 2018 à la suite de l'affaire Benalla. Entre les deux tours de la présidentielle, il avait esquissé une autre méthode, s'il était réélu, avec la mise en place d'une « commission transpartisane » pour réviser la Constitution.
Dans un entretien au Figaro le 12 janvier, le secrétaire général du parti présidentiel Renaissance, Stéphane Séjourné, a annoncé : « Après les retraites, nous devrons réformer nos institutions ». Le même jour, Emmanuel Macron réunissait les présidents de commission des lois de la majorité pour ouvrir le chantier. Stéphane Séjourné a confié à l'ancienne garde des Sceaux Nicole Belloubet et au député de la Vienne Sacha Houlié, président de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, le soin de préparer la position que le parti défendra au sein de la commission transpartisane. Les conclusions de ce travail sont attendues ce mois-ci, dans la perspective du premier Conseil national que le parti Renaissance organisera au printemps.
Ce chantier comporte quelques grands attendus : une réflexion sur la réduction du nombre de parlementaires, sur la réforme des modes de scrutin, sur le retour au septennat, sur la fin de la Cour de justice de la République... La disparition du poste de Premier ministre pourrait aussi être envisagée. Une réflexion pourrait être menée notamment sur le découpage territorial avec une éventuelle suppression de l’échelon régional. Des réflexions sont aussi promises sur le non-cumul des mandats qui, à en croire ses détracteurs, a rompu le lien entre démocratie locale et nationale. La question du scrutin proportionnel, chère à François Bayrou, allié du chef de l’Etat, reste également dans les esprits, même si le parti Les Républicains, majoritaire au Sénat, s’y oppose frontalement. La simplification du recours au référendum pourrait être abordée pour dédramatiser son usage.
Le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, à la tête du groupe de réflexion sur l’évolution de la Constitution et des institutions (Gréci), explique qu’« il existe deux alternatives pour valider une réforme constitutionnelle. Dans les deux cas, elle doit au préalable être approuvée par les assemblées dans des termes identiques. Ensuite, le texte peut être définitivement entériné soit par référendum soit par la réunion du Congrès ». Au regard du rapport de force au sein des assemblées, l’adoption des textes pourrait être complexe. L’ancien Premier ministre Edouard Balladur a rappelé que trois réformes constitutionnelles ont eu lieu au cours de la IIIème République, une seule durant la IVème et... vingt et une pendant la Vème.
Selon le directeur général de l’institut de sondages IFOP, Frédéric Dabi, le sujet de la réforme institutionnelle « n’intéresse pas les Français ».
Kontildondit ?
Marc-Olivier Padis :
Le thème de la réforme institutionnelle avait été abordé par le président de la République dans ses vœux du 31 décembre, et il est vrai que cet aspect de son programme avait un peu été perdu de vue. Cette annonce me semble caractérisée par une grande ambiguïté. On la perçoit dans la façon dont le sujet est posé dans les deux quinquennats. C’est pendant sa première campagne présidentielle (étant donné le profil politique qu’il s’était construit et l’élan réformateur qu’il entendait incarner) qu’est née cette idée de moderniser les institutions. Il y a plutôt un consensus là dessus : une majorité de Français a le sentiment que les institutions ne conviennent pas, que la classe politique est déconnectée, que la démocratie n’est pas vraiment effective, etc. Ce premier élan a très rapidement été bloqué par le Sénat. Aujourd’hui, le président reprend cette idée, mais il semble que ce soit davantage dans la perspective d’un bilan, et d’une trace qu’il entend laisser.
Et pourtant, le projet proposé n’est pas clair, il s’agit plutôt d’un agrégat de petites propositions. Et il y a un problème important : sur quoi s’appuyer pour mener cette réforme ? De toute évidence, le Sénat n’est pas très enthousiaste, et nombre de parlementaires voient dans cette réforme une mise en cause de leur propre légitimité. Par conséquent, ils sont réticents à se lancer dans ce type de projet. En outre, l’impopularité croissante d’Emmanuel Macron lui interdit sans doute le recours au référendum. Enfin, il ne s’agit absolument pas d’une priorité pour les Français en ce moment, davantage préoccupés par le pouvoir d’achat, l’inflation, les questions environnementales, etc. Dans ces conditions, on peine à percevoir une voie politique possible pour une telle réforme.
Deuxième aspect de l’ambiguïté : les conditions de la réélection d’Emmanuel Macron face à l’extrême-droite. Le dernier scrutin présidentiel a posé cette question de la réforme institutionnelle d’une autre façon. Pendant sa campagne électorale, Emmanuel Macron pensait qu’il obtiendrait facilement une majorité parlementaire. Il a donc commencé à dire qu’il avait compris le message, qu’il fallait apprendre à gouverner autrement. Il s’agissait d’ajouter de la concertation, des dispositifs participatifs, autrement dit c’en était fini du « jupitérisme ». Tout cela s’est heurté au résultat de l’élection législative : le président n’a pas eu de majorité absolue, c’est donc le Parlement qui est revalorisé et a retrouvé son mot à dire.
Pour autant, le président n’a pas abandonné l’idée de formats différents. Avec par exemple le Conseil National de la Refondation. Malheureusement, le projet le plus emblématique de ce second quinquennat est une réforme des retraites, mené à contresens de la promesse électorale de gouverner autrement : sans concertation, en ignorant les partenaires sociaux, sans prendre le temps, de façon éminemment technocratique, et avec un risque de passage en force.
Le fil de ce projet réformateur est donc complètement perdu. Il reste la convention citoyenne sur la fin de vie, qui se déroule de façon intéressante et pourrait déboucher sur quelque chose. Il n’en reste pas moins qu’il faudra une reprise politique de ce que proposeront les citoyens, par le Parlement ou autrement. Il reste à trouver comment on peut articuler convenablement une démocratie délibérative renouvelée avec une démocratie représentative maintenue. Un député et un citoyen tiré au sort pour une convention ne doivent pas se faire concurrence, mais tout cela reste à inventer et à démontrer.
Isabelle de Gaulmyn :
Il me semble que nous pourrions aujourd’hui parier qu’il n’y aura pas de réforme constitutionnelle. Car comme vous l’avez dit, il n’y a aucune fenêtre de tir politique. Et s’il n’y en a pas, est-ce si grave ?
On voit bien qu’il y a en France un problème de « respiration démocratique ». Il y a eu les Gilets Jaunes, il y a la contestation du projet de réforme des retraites, des pans entiers du territoire français semblent déconnectés, etc. Il y a donc indéniablement un besoin de revisiter le fonctionnement démocratique, mais est-ce que cela peut (ou doit) passer par une réforme constitutionnelle ? Il y en a déjà eu beaucoup. Aujourd’hui, on nous dit que l’on va repasser à un septennat (alors que le quinquennat vient à peine d’être adopté), bref on ne voit rien de si nouveau dans les propositions. Personnellement j’ai du mal à voir l’intérêt de tout cela.
Il est vrai que depuis le discours de Bayeux de 1946, notre système institutionnel est ambigu, entre système présidentiel et système parlementaire. Il est vrai qu’aujourd’hui, le système est sans doute trop présidentiel, et que le Parlement n’a pas réellement la possibilité d’être un contre-pouvoir. Mais comme l’analysait Marc-Olivier, il a gagné en autonomie suite la dernière élection législative, puisqu’il n’y a plus de majorité absolue prête à obéir au doigt et à l’œil au président de la République. Pour autant, est-il renforcé ? Car pour le moment, il donne plutôt le spectacle d’une vaste pagaille. Il semble que le problème soit moins le cadre institutionnel que l’incapacité des partis politiques à discuter et négocier. On le voit à propos des retraites : la droite n’a cessé de réclamer une réforme des retraites, et aujourd’hui elle y va en traînant des pieds. Même dans un parti considérablement réduit comme LR, il n’y a pas d’unité politique.
Quant à la convention citoyenne, je trouve le concept intéressant et véritablement innovant. Peut-être perdurera-t-il. Mais il reste encore à voir ce qu’on en fera, car la déception de la convention citoyenne pour le climat est encore dans toutes les mémoires. Mais donner la parole à d’autres gens, dans un espace de débat qui n’est pas univoque est plutôt une bonne idée.
Mais une réforme institutionnelle ? D’abord, les Français n’en veulent pas, et surtout, le vrai problème institutionnel, c’est le président de la République. Tant qu’on attend la solution de la part du problème, on est plutôt condamné à des déconvenues, car on voit mal le président se réformer lui-même. Il y a quelque chose à faire avec les corps intermédiaires, et le problème des retraites en est une illustration éclatante, car il faut reconnaître que c’est très mal parti de ce côté : le gouvernement n’a pas su y associer le syndicat réformiste. C’est à mon avis à cet endroit qu’il y a un espace pour réformer les institutions, davantage que dans une énième révision de la Constitution.
Michel Eltchaninoff :
J’ajouterai quelques arguments pour abonder dans votre sens : l’affaire est très mal engagée. L’équation est redoutablement complexe, elle n’a jamais été résolue en France, et elle pourrait même se transformer en véritable piège pour Emmanuel Macron.
Le point de départ est pourtant clair : les Français veulent davantage de démocratie. Emmanuel Macron le dit lui-même : il faut redonner de la souveraineté au peuple. Notons que le choix des mots est important, car « redonner » n’est pas « rendre » (un mot qu’utilisent plutôt Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen).
La demande est là, clairement perceptible. Or l’offre est complètement floue, et insatisfaisante. Je ne reviens pas sur les raisons politiques analysées plus haut, j’y ajouterai d’autres raisons de fond.
D’abord, on tourne en rond. On a fait des réformes pour corriger des défauts. Ainsi, on est passé au quinquennat, on a créé des super-régions, on a établi une règle de non-cumul des mandats. Il s’agissait respectivement de pallier aux inconvénients de la cohabitation, de s’affranchir des lourdeurs administratives liées aux échelons administratifs trop nombreux, ou de prévenir les risques de conflits d’intérêt. Donc on corrige, mais chaque correction crée son lot de nouvelles difficultés. On a l’impression qu’il manque un principe général clair. Si je reprends mes trois exemples, on a l’impression que les législatives (à l’exception des dernières, il est vrai) ne sont qu’un enregistrement du résultat des présidentielles. Les régions sont trop vastes et pas forcément cohérentes, et il y a une perte de lien entre représentation locale et représentation nationale. En voulant simplifier, on crée de nouvelles complexités.
On ne sait pas encore dans le détail ce qu’Emmanuel Macron va proposer, mais des pistes ont été évoquées. Rétablir le septennat et des législatives de mi-mandat. Autrement dit, rétablir le risque de cohabitation. Créer un Conseil National de Refondation a concurrencé le travail des parlementaires. Emmanuel Macron envisage de faire davantage appel aux référendums, mais ceux-ci portent le risque qu’on juge davantage l’auteur que la question. Au fond, la pensée du président n’est pas claire, il manque une mesure très simple et très forte, un principe directeur. On pense évidemment à une mesure dont il est question depuis très longtemps : l’introduction de davantage de proportionnelle. Ce serait une forme de réhabilitation de la démocratie représentative. On sait là aussi toutes les difficultés que cela poserait, mais cela permettrait au moins de hiérarchiser les choses, au lieu de donner l’impression de constamment ajouter des appendices.
Ces allers-retours expriment des tensions propres à notre régime. Il s’agit effectivement d’articuler différentes formes de démocratie : représentative, délibérative, participative. Là encore, il manque une mesure forte pour servir de cap. Il y a enfin une question de temporalité : est-ce le bon moment pour un tel chantier ? Après avoir mal mené une réforme des retraites, est-il pertinent de changer les institutions ? Avec un non-dit très présent en toile de fond : la peur que le Rassemblement National n’arrive au pouvoir aux prochaines élections. D’autant que la peur n’empêche pas le danger, et celui-ci pèse sur notre vie politique.
Nicole Gnesotto :
D’abord, il y a un lien entre la crise politique française et la réforme institutionnelle. Il y a une vraie crise politique dans ce pays : méfiance à l’égard de la démocratie, forte abstention électorale, critique de la verticalité du pouvoir, etc. Peut-on régler cette crise, ou la réduire, par des réformes institutionnelles ?
Il me semble que oui, au moins partiellement. Il y a au moins deux réformes qui le permettraient : la proportionnelle et le référendum d’initiative citoyenne (RIC). Or ce sont les deux réformes les moins réalisables. D’une part, la proportionnelle pourrait mettre Mme Le Pen au pouvoir, et il est inimaginable pour Emmanuel Macron de se rendre responsable d’une chose pareille. Quant au RIC, je doute que les parlementaires aient envie qu’il soit mis en place. C’est donc une espèce d’impasse qui n’est pas liée à Emmanuel Macron.
En revanche, le président est largement à l’initiative de la crise politique française. C’est lui qui a détruit les partis politiques traditionnels avec le « en même temps » de sa première campagne. C’est également lui qui a fait entrer une nouvelle génération de parlementaires à l’Assemblée en 2017, venus de la société civile. Mais ce faisant, il a cassé un système dont il a présent grand besoin. Car la vraie conséquence du « ni droite, ni gauche » fut la montée des extrêmes. Emmanuel Macron a donc une vraie responsabilité dans la crise politique, et ce n’est pas avec une réforme institutionnelle qu’il pourra la résoudre.
Je suis très étonnée par certaines réflexions, de Stéphane Séjourné ou d’autres. Quand j’entends certaines propositions de contenu pour cette réforme institutionnelle, il y a un manque qui me paraît criant, sur une réforme de ce que j’appellerais « les institutions d’urgence ». Emmanuel Macron a connu des urgences pratiquement depuis sa première élection : fin du terrorisme, Covid, guerre en Ukraine. A chaque fois, il les a gérées en inventant des « institutions d’urgence » : il y a eu le conseil de Défense (qui existait avant lui, mais qui a été retaillé pour la pandémie), il a créé le conseil de Défense sanitaire, il vient de créer un Conseil national du nucléaire, autrement dit il ne cesse de créer des mini-institutions ad hoc, pour gérer des crises spécifiques. Et il n’y a aucune réflexion globale sur les gestions de crise, alors que le moins qu’on puisse dire est que les crises semblent être devenues la nouvelle norme.
Isabelle de Gaulmyn :
Je nuancerai la responsabilité d’Emmanuel Macron dans la crise politique actuelle, en rappelant que quasiment tous les autres pays européens sont dans le même cas (à l’exception de l’Allemagne, peut-être). Enfin, il y a une dimension de service public absente des débats. Il y a une vaste réflexion à mener à leur sujet, et elle ne passe pas forcément par une réforme de la Constitution. Politiquement, cela offrirait en outre à M. Macron ce dont il rêve : être à la fois le président réformateur et le président protecteur. Il me semble que ce serait plus pertinent (et intéressant pour lui) de s’attaquer à un tel chantier, plutôt qu’à une réforme institutionnelle un peu fumeuse.