La Turquie après le séisme / La droite française pourra-t-elle survivre à la réforme des retraites ? / n°286 / 26 février 2023

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LA TURQUIE APRÈS LE SÉISME

Introduction

Philippe Meyer :
Le 6 février, deux séismes de magnitude de 7,8 et de 7,5 ont secoué le sud de la Turquie et une partie de la Syrie voisine. Si on recense aujourd’hui plus de 45.000 morts, leur nombre pourrait être de 100.000. A la croisée de trois plaques tectoniques, la Turquie a connu depuis 1900, dix-huit tremblements de terre d'une magnitude égale ou supérieure à 7 sur l'échelle de Richter. 7 habitants sur 10 vivent dans une zone sismique, soit 60 millions de personnes (sur 86 millions). L’Organisation mondiale de la santé déclare que 5 millions de personnes sont en situation de vulnérabilité et craint le développement d’épidémies. Le 20 février, deux nouvelles répliques de forte puissance (6,4 et 5,8) ont eu lieu dans la province turque d'Hatay au sud du pays déjà fortement touché.
La « diplomatie du séisme » - activée pour la première fois après les tremblements de terre successifs qui ont frappé la Grèce et la Turquie à l'été 1999 et ont conduit à une amélioration des relations gréco-turques - a été réactivée après ce nouveau séisme. Non seulement la Grèce, mais également Israël et l'Arménie, des pays qui ont en commun d'entretenir des relations plus ou moins tendues avec la Turquie, ont été parmi les premiers à avoir proposé leur aide.
En Turquie, devant la montée des critiques publiées sur les réseaux sociaux, accompagnées des appels à l'aide de familles dont les proches étaient coincés sous les décombres, le gouvernement a choisi le 8 février de couper l'accès au réseau Twitter grâce auquel les survivants communiquaient et ... critiquaient le pouvoir. Des voix s’élèvent pour dénoncer vingt années de politique urbanistique désastreuse, de négligence, de corruption, de clientélisme, de népotisme et de stratégies électoralistes. La plupart des habitations turques ne sont pas construites aux normes antisismiques, malgré une loi votée en 2007, peu appliquée en raison de la corruption. Les sinistrés critiquent le manque de préparation des autorités, le retard des secours, l’absence de l'armée, seule en Turquie à posséder les moyens d'agir dans un tel chaos. Si le président turc Recep Tayyip Erdogan a reconnu des « lacunes » dans la réponse apportée, il a cependant assuré qu’« il est impossible d'être préparé à un tel désastre ».
D'aucuns rappellent que la gestion hasardeuse du tremblement de terre de 1999, près d’Istanbul, par les autorités d'alors, avait favorisé l'ascension du Parti de la justice et du développement (AKP) d’Erdogan et favorisé son élection en 2003. En difficulté aujourd’hui dans les sondages, la popularité du chef de l’État turc est déjà mise à mal par sa politique monétaire, ayant plongé le pays dans une profonde crise économique. Alors que la chasse aux sorcières contre les promoteurs immobiliers a commencé, au vu de l’ampleur de la catastrophe, la tenue des élections législatives et présidentielle, prévues pour le 14 mai pourrait être reportée.

Kontildondit ?

Nicolas Baverez :
Qu’elles soient naturelles ou industrielles, les grandes catastrophes sont souvent l’occasion de révéler des vérités sur un régime politique. Ce fut par exemple le cas avec Tchernobyl s’agissant de l’union soviétique. Le séisme turc nous permet de voir ce qu’est la Turquie d’Erdogan, à propos de laquelle nous entretenions encore beaucoup d’illusions. Bien sûr, le président turc n’est pour rien dans le tremblement de terre, en revanche il est directement responsable du nombre des victimes, et surtout de la désorganisation invraisemblable des secours.
60 millions de Turcs vivent en zone sismique, et une législation spécifique avait été mise en place après le tremblement de terre de 1999, celui-là même qui avait conduit Erdogan et l’AKP au pouvoir. Après les émeutes sur le parc Gezi au centre d’Istanbul, cette nouvelle crise donne l’occasion de voir à quel point le pouvoir en place est corrompu, et à quel point cette corruption touche le bâtiment et les travaux publics. En réalité, beaucoup de constructions ont été délibérément réalisées en dehors des normes antisismiques, et les constructeurs ont fait d’objet d’amnisties en échanges de financements qui ont profité à l’AKP.
C’est le prix de cet « Etat AKP » que les Turcs paient aujourd’hui. M. Erdogan a non seulement purgé l’armée, l’éducation, et la justice, mais aussi tous les services publics. Avec le séisme on s’est aperçu qu’il n’y a plus d’Etat pour répondre à une urgence. Les secours ne sont tout simplement pas organisés, pas plus du côté civil que du côté de l’armée.
La république turque s’apprête à célébrer le 100ème anniversaire de sa fondation par Mustafa Kemal Atatürk. Mais après les 20 ans de pouvoir d’Erdogan, il s’agit désormais d’une république en sursis. L’économie est sinistrée, l’inflation est hors de contrôle (elle est officiellement à 86% par an, mais dans les faits c’est plutôt 190%), la valeur de la livre turque s’est effondrée, et le pays est surendetté. Par ailleurs, plus l’économie se dérobe, plus le régime se durcit. Sur le plan intérieur, Twitter était le seul moyen de communication possible après le séisme, mais comme c’est aussi un espace de contestation politique, le réseau social a été coupé. Sur le plan extérieur, l’agressivité de la Turquie est également très inquiétante. La mégalomanie d’Erdogan l’a conduit à intervenir partout, notamment en Afrique (en Libye surtout), en Grèce, il a soutenu l’agression de l’Azerbaïdjan sur l’Arménie. Evidemment, tout cela est coûteux, et tout cet argent a été détourné des besoins de la population civile.
Aujourd’hui, deux problèmes se posent. D’abord l’élection présidentielle. Celle-ci avait été avancée, passant du 18 juin au 14 mai. Vraisemblablement, Erdogan va tenter de profiter de l’urgence pour la reporter (ce n’est théoriquement possible qu’en cas de guerre). Ensuite, quelle sera la politique des autres pays à l’égard du régime d’Erdogan ? La communauté internationale a fait preuve d’une incroyable mollesse avec lui, que ce soit à l’OTAN où il a fait du chantage à propos de l’entrée de la Suède et de la Finlande, que ce soit sur ses agissements en Syrie, où il a systématiquement combattu les Kurdes (qui nous ont aidé contre l’Etat islamique, qui est justement en train de renaître au Levant), ou que ce soit dans les pays d’Afrique qu’il continue à déstabiliser. Tout ceci doit cesser. En revanche, il faut absolument garder un lien avec la société civile turque. Il est donc particulièrement regrettable qu’aucun dirigeant de l‘Union européenne ne se soit déplacé après le séisme. Il faut mettre fin à l’espèce d’impunité dont bénéficie Erdogan, y compris avec la manipulation des communautés turques en Europe, et créer un vrai lien avec la société civile turque, et être présent dans la gestion de cette crise humanitaire.

Nicole Gnesotto :
Erdogan est arrivé au pouvoir après un séisme, il se pourrait que ce soit un autre séisme qui l’en chasse. Dans une Turquie très mal en point économiquement, le président est très affaibli par des accusations de corruption. Il avait prononcé 75.000 amnisties concernant des bâtiments non respectueux des normes sismiques, sa responsabilité est donc directement engagée. La corruption est généralisée, l’incurie gouvernementale est totale, et l’absence d’anticipation est absolument révoltante. Quand tant de citoyens vivent sur des lignes de faille, et qu’on doit son propre pouvoir à un tremblement de terre, on aurait pu imaginer que le gouvernement aurait pris quelques précautions. Enfin, le cynisme du président est absolument révoltant face à toutes ces morts. Non seulement il a coupé Twitter, mais il a aussi beaucoup tardé à ouvrir la seule voie terrestre permettant d’accéder aux populations kurdes de Syrie.
Politiquement, le président turc a donc du souci à se faire. S’agissant de l’élection présidentielle, je crois qu’il y a trois scénarios possibles : soit elle a bien lieu le 14 mai, soit elle est reportée de quelques mois, soit elle est tout simplement annulée, au nom d’un état d’urgence permanent. On peut craindre que cette troisième voie, encore plus autoritaire et dictatoriale, ne soit très tentante pour lui. Je doute que l’UE ou l’OTAN ne changent d’attitude à l’égard de la Turquie, je crois qu’on a tellement besoin que la Turquie refoule les réfugiés fuyant la Syrie, garde un lien avec Moscou, et protège le Sud de l’OTAN qu’on continuera à laisser un blanc seing au président turc. Même si c’est évidemment navrant d’un point de vue éthique.
Je suis en revanche frappée par l’attitude de l’UE par rapport au séisme. Antony Blinken a exprimé son soutien en se rendant en Turquie, le ministre grec des affaires étrangères également (mais au nom de la Grèce, pas de l’UE). Mme von der Leyen de son côté s’est contentée d’un coup de fil à M. Erdogan, il n’y a eu aucune déclaration significative. Il y a un mécanisme de protection civile qui s’est mis en place, mais il ne sert qu’à coordonner l’aide des Etats membres, soit environ 1200 sauveteurs et une centaine de chiens pour fouiller les décombres. L’aide d’urgence débloquée par l’UE est extrêmement modeste : 3,5 millions d’Euros pour la Syrie et 3 millions pour la Turquie. Je rappelle qu’après les explosions d’août 2020 au Liban, il y avait eu 33 millions débloqués dès le lendemain. En Équateur, après le séisme de 2016, on avait aussitôt débloqué 5 millions. Pourquoi une aide aussi dérisoire ? On a l’impression que soit il n’y a plus d’argent car la crise ukrainienne accapare toutes les ressources, soit qu’il y a un désintérêt complet de l’Europe vis-à-vis de cette région. Les deux possibilités sont très problématiques, particulièrement après que la Banque mondiale vient d’annoncer qu’il faudrait 1,7 milliards de dollars pour aider correctement à gérer cette crise.
Les catastrophes naturelles sont effectivement des révélateurs de ce que sont les régimes politiques, elles peuvent également être des transitions vers d’autres mondes. Ce n’est pas toujours le cas (Tchernobyl, le tsunami au Japon) mais j’ai par exemple étudié le tremblement de terre de Lisbonne de 1755, qui avait tué 10% de la population et fut la plus grande catastrophe du XVIIIème siècle. Les conséquences avaient été très grandes. D’une part, cette catastrophe fut un extraordinaire catalyseur pour les Lumières, on se souvient du passage de Candide : «  Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé ; il était décidé par l’université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler ». Et puis cela a accéléré le départ des Jésuites d’Europe (Lisbonne fut reconstruite par le marquis de Pombal qui les détestait). On peut donc penser que le tremblement de terre d’aujourd’hui pourrait peut-être avoir des conséquences sur l’importance de la religion sur les pays de la région. Dans la Lisbonne du XVIIIème siècle, le séisme fut l’occasion d’une grande remise en question religieuse : la catastrophe était-elle une punition divine ? Ou le signe que la divinité se désintéresse des humains ? On est donc en droit de s’interroger sur les conséquences culturelles et spirituelles que cette énorme catastrophe aura en Turquie à long terme.

Richard Werly :
Je ne suis pas du tout sur la ligne d’analyse de Nicolas ou de Nicole. Je pense que ce tremblement de terre doit être regardé avec un peu d’humilité, car il est arrivé que des catastrophes naturelles frappent des Etats plus développés et plus démocratiques, et elles y ont pourtant provoqué le chaos. J’en citerai deux. D’abord, les incendies de forêt en Grèce, face auxquels le gouvernement d’Aléxis Tsípras était littéralement « à la rue », ce qui a suscité des protestations très fortes de la population. Ensuite, l’ouragan Katrina qui dévasta la Louisiane en 2005, et qui dépassa complètement l’administration Bush. Évidemment, il y a des contre-exemples, comme le Japon. Car le tsunami venait d’un tremblement de terre, or celui-ci n’a fait aucune victime, malgré la densité de population des villes japonaises. Cela prouve que les normes antisismiques fonctionnent, c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles le gouvernement japonais n’avait pas été ébranlé.
En ce qui concerne Erdogan, au-delà de la corruption et des malfaçons des bâtiments, on constate que l’armée turque a été complètement mise à bas par le président turc. L’armée aurait logiquement dû être la force qui intervient et se montre comme la protectrice des populations. Or on ne l’a pas vue endosser ce rôle. C’est parce qu’Erdogan en a peur, et parce qu’il l’a privée de moyens depuis la tentative de coup d’Etat. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, et cela devrait faire réfléchir l’alliance atlantique. L’armée turque n’est plus du tout cet appareil capable de faire face à des crises.
Enfin, si ce séisme est une catastrophe humanitaire atroce, il se peut qu’il soit une « bonne nouvelle » politique pour l’Europe et pour l’OTAN. Les observations sur le peu d’empressement de l’UE à aider sont très justes, mais Erdogan va quand même devoir se consacrer en priorité à la reconstruction de son pays dans les mois qui viennent. Tout l’appareil de l’AKP également. Peut-être assistera-t-on à des purges au sein du parti présidentiel et de l’appareil d’Etat. Jusqu’à cette catastrophe, Erdogan était avant tout soucieux de déstabiliser la région, ou au moins d’imposer sa férule à son voisinage direct (en Syrie). Il est ramené à ses devoirs essentiels : soutenir son pays qui a grand besoin de gouvernance. De ce point de vue, cela le rendra peut-être plus raisonnable. C’est une analyse évidemment très cynique, mais le fait qu’Erdogan a désormais une énorme et incontournable priorité intérieure à gérer est peut-être un élément positif, notamment en mer Egée, où les gesticulations navales de la Turquie vont peut-être diminuer dans les mois à venir.

Lucile Schmid :
Au mois de janvier, quelques semaines avant le séisme, la cote de popularité d’Erdgan avait remonté de sept points, et le président turc commençait à faire des promesses. Il s’agissait notamment de construire 500.000 logements sociaux. Il avait augmenté le salaire minimum de 50%, et baissé l’âge de départ à la retraite pour de nombreux Turcs. Tous les éléments d’une politique électoraliste classique, en somme. Face à cela, l’opposition n’avait pas réussi à désigner un candidat parmi les six partis coalisés. L’AKP et Erdogan étaient donc dans une dynamique plutôt favorable concernant les élections présidentielles et législatives du 14 mai.
Le séisme a donc entièrement rebattu les cartes. Pour le moment, cette alliance des six de l’opposition n’a toujours pas réussi à trouver un langage politique à la hauteur du malheur que vit la population turque. D’abord, elle n’a toujours pas de candidat naturel, ensuite elle s’acharne à vouloir conserver la date du 14 mai, alors qu’il y a des dizaines de milliers de morts. Or s’accrocher ainsi à une date peut paraître obscène face aux souffrances de la population. Erdogan et l’AKP ont réussi à transformer le champ démocratique en Turquie en champ de mines.
Le fossé entre le pouvoir politique et la société turque a été mis en lumière par le séisme, ainsi que les aspirations démocratiques des Turcs. Ils ont été sur Twitter et y ont critiqué le régime, trois chaînes de télévision ont subi une amende dans les 48h pour la même raison. A lire les enquêtes menées par les journalistes étrangers au sein de la population, on voit bien que le gouvernement est ouvertement critiqué, pour son absence, son inhumanité et sa volonté de contrôle, bref pour son décalage par rapport aux souffrances subies. La question de la corruption est évoquée très explicitement, et une majorité de Turcs ne croit pas que lancer des enquêtes contre certains promoteurs immobiliers suffira à faire justice. Plusieurs milliers de gens sont morts à cause du froid et parce que les secours ne sont pas arrivés à temps, ils auraient pu être sauvés. C’est au moins autant une catastrophe du régime qu’une catastrophe naturelle.
Si les normes antisismiques avaient été adoptées , c’est aussi parce qu’en 2003, la Turquie était en train de négocier une entrée dans l’UE. La norme antisismique turque est la même que la norme européenne, mais elle n’a été qu’un instrument politique contre les adversaires d’Erdogan, et non un élément qui aurait pu sauver des vies. Comme le rappelait Nicolas, il y avait eu une mobilisation en 2013 au centre d’Istanbul (commencée pour sauver un parc), contre la corruption immobilière. Cela fait donc 10 ans que les Turcs ont devant eux toutes les informations nécessaires, sans avoir pour autant une réponse politique qui leur corresponde.
Le fait qu’aucun dirigeant européen ne se soit déplacé au nom de l’UE. Certes, il y a la « diplomatie du séisme », mais c’est en réalité une diplomatie du malheur, la diplomatie de ceux qui ont déjà subi les catastrophes. L’Arménie a par exemple manifesté sa solidarité, alors que le génocide arménien sépare les deux pays depuis 1915. Mais cette main est tendue vers les Turcs, pas vers Erdogan. Qu’on n’ait pas su au sein de l’UE faire la différence entre Erdogan et ce que subissent les Turcs est particulièrement inquiétant. Cela montre d’une part que la diplomatie de l’UE n’existe pas vraiment, et d’autre part que nos dirigeants, à commencer par Emmanuel Macron, ont complètement raté le coche sur ce sujet.

Nicole Gnesotto :
Je ne suis pas sûre qu’avoir une Turquie affaiblie soit un soulagement politique. Mais il est vrai qu’Erdogan a perdu les atouts dont il disposait en matière de politique extérieure. Il avait une politique très agressive et nationaliste, or le tremblement de terre lui fait découvrir les vertus de la solidarité multilatérale. Il est obligé d’accepter l’aide de l’Arménie ou de la Grèce, ce qui doit tout de même être très dur à avaler. Il voulait être craint dans la région, il va devenir le pays que l’on plaint, j’imagine que ce sera vécu comme une humiliation supplémentaire. Enfin, il avait des ambitions en Syrie (et peut-être ailleurs), et entendait sans doute profiter de la guerre en Ukraine pour en finir avec la question kurde qui l’obsède, et il se retrouve désormais avec l’obligation d’aider les réfugiés kurdes.
Quelles seront les conséquences de tout cela ? D’abord, un nouveau flux de réfugiés, y compris en Europe. Il y a à l’heure où nous parlons trois millions de gens sans abri en Turquie. Les camps qui ont été construits par l’UE pour accueillir les réfugiés syriens en 2015 vont-ils être vidés pour laisser la place aux Turcs ?
Le tremblement de terre a eu lieu dans des zones où il y avait non seulement des Kurdes, mais aussi des islamistes. Ces derniers vont donc aller ailleurs, et on peut imaginer qu’il va y avoir une recomposition des mouvances terroristes islamistes au Moyen-Orient. Enfin, quid du processus diplomatique qui existait entre l’Egypte, Iraël, l’Arabie Saoudite et la Turquie (contre l’Iran) ? Si la Turquie devient un maillon faible, on peut supposer que l’Iran en sortira renforcé. Le séisme est aussi une catastrophe termes de réfugiés, de terrorisme et de déstabilisation régionale.

Lucile Schmid :
En outre, beaucoup de gens craignent encore d’autres répliques du séisme. On craint qu’une nouvelle catastrophe ne s’ajoute aux catastrophes. Il faut garder cela en tête par rapport à la question des élections. Pour ma part, je pense qu’il faudrait repousser la date, au moins pour être certain que la situation est calmée et qu’on peut engager la reconstruction.
Le décalage entre la société et le pouvoir est visible en Turquie, mais il l’est aussi en Algérie, en Iran … Au fond, nous sommes dans une situation où les aspirations démocratiques montent face aux dictatures. Il n’y a pas de solution évidente en vue, mais je doute qu’Erdogan se permette de reporter les élections sine die. Cas aspirations démocratiques ne peuvent pas être purement et simplement ignorées, la Turquie n’est pas la Chine.

Richard Werly :
Les scénarios que Nicole a évoqués sont très préoccupants. S’il y a une forte déstabilisation dans les camps de réfugiés, cela aura des conséquences. Mais reconnaissons que l’Europe de 2023 n’est plus celle de 2016. C’est terrible à dire, mais elle s’est barricadée. Le dernier Conseil européen a même financé des murs. Il y a un pays qui subirait très fortement un nouvel afflux de migrants, c’est la Grèce. Mais je doute que cela ébranle le reste de l’Union dans les mêmes proportions qu’en 2015-2016.

LA DROITE FRANÇAISE POURRA-T-ELLE SURVIVRE À LA RÉFORME DES RETRAITES ?

Introduction

Philippe Meyer :
Après la défaite de sa candidate à l'Élysée, battue avec moins de 5 % des voix, suivie par la perte d'un tiers de ses députés après les élections législatives, le parti Les Républicains connait de nouveaux déboires. Mi-janvier, son nouveau président Éric Ciotti dévoile l'organigramme des Républicains. A la surprise générale, il nomme deux vice-présidents exécutifs : Aurélien Pradié, député du Lot, qui, au premier tour a recueilli près du quart des suffrages des militants et François-Xavier Bellamy, qui soutient et est soutenu par Bruno Retailleau, finaliste de cette élection. Le député du Lot n’a pas tardé à faire savoir qu’il n’appréciait pas de ne pas être l’unique numéro deux du parti.
Alors que les rancœurs nées de l'organigramme ne sont pas dissipées, LR doit trouver une position commune sur la réforme des retraites. Le 12 janvier, Éric Ciotti s’est mis d’accord avec le gouvernement sur un texte qu'il se flatte d'avoir substantiellement orienté : report à 64 ans au lieu de 65 de l'âge légal de départ à la retraite, et accélération de la hausse de la durée de cotisation. Or, si, d’un côté, la direction du parti défend une ligne de « responsabilité » en s'engageant à soutenir le texte du gouvernement qui a accepté ses exigences, de l'autre, les soutiens du député du Lot ne souhaitent pas endosser l'impopularité de la réforme. Pour eux, il faut avant tout reparler aux catégories populaires et s'opposer à tout texte porté par la macronie. Aurélien Pradié dénonce notamment l'absence de prise en compte des carrières longues et réclame que personne n’ait à cotiser plus de quarante-trois ans pour partir à taux plein. Bruno Retailleau dénonce une dérive « socialisante » chez l’élu du Lot.
Le 14 février, 38 députés Les Républicains sur 62 ont voté contre l’« index seniors », avec la Nouvelle Union populaire écologique et sociale et le Rassemblement national. Le 17 février Aurélien Pradié est vivement applaudi par les députés de la Nupes sur les carrières longues dans l'Hémicycle. C'en est trop pour Éric Ciotti et nombre de députés LR. La sanction tombe le lendemain. Le patron des Républicains démet Aurélien Pradié de ses fonctions de vice-président exécutif car « ses prises de position répétées n'étaient plus conformes avec les valeurs de cohérence, d'unité et de rassemblement qui doivent guider la droite républicaine ». « Je refuserai toujours que la droite devienne peu à peu la béquille conciliante de la macronie », répond Aurélien Pradié.
Le texte sur les retraites qui n’a pas pu être voté à l’Assemblée nationale le 17 février, doit arriver le 28 février en commission des Affaires sociales au Sénat, où les Républicains et les centristes disposent de la majorité. Les sénateurs LR devraient eux aussi poser leurs conditions, mais dans le sens d'un durcissement de la réforme pour le cas des régimes spéciaux.

Kontildondit ?

Richard Werly :
Je dois dire que je me suis réjoui de participer à cette émission d’aujourd’hui, où je savais que je retrouverais Nicolas, dont je lis les articles du Figaro avec un grand intérêt. Il va pouvoir répondre à une question que je me pose : à quoi ça sert, et qu’est-ce que ça veut dire d’être de droite en France aujourd’hui ? Pour moi, la droite a vocation à défendre certaines positions économiques, les entreprises, ainsi que certaines valeurs conservatrices. A être du côté des patrons, pour le dire vite. Quand je regarde les pays européens, c’est le jeu politique que j’observe. En France, je n’y comprends plus rien.
Aurélien Pradié tient un discours qu’on pourrait croire venu d’une autre formation politique. Peut-être a-t-il des raisons électorales de le tenir, mais franchement, si on ne savait pas qu’il appartenait aux Républicains, on ne pourrait pas le deviner. Quant à Eric Ciotti, avant son accession à la présidence de LR, il tenait un discours qui ne le différenciait quasiment pas d’Eric Zemmour ou du Rassemblement national. La droite française est incapable de ramasser les morceaux, alors que sur un sujet comme les retraites, elle devrait avoir un discours cohérent.
Que se passera-t-il au Sénat ? On est en droit d’attendre que ce soit là qu’ait lieu le réveil de la droite républicaine. On imagine que l’examen du projet sera plus paisible qu’à l’Assemblée nationale, et qu’une fois corrigé, le projet renvoyé à l’Assemblée permette aux députés LR de reprendre un peu de vigueur. Mais au fond, deux questions se posent à propos de cette formation. Pour ma part, dans mes articles je l’appelle « la droite traditionnelle », mais j’avoue que je manque un peu de vocabulaire pour la décrire.
D’abord, va-t-elle (comme l’espère Emmanuel Macron) devenir un appendice de la majorité présidentielle, quitte à ce que le président de la République fasse des concessions ? En d’autres termes, se dirige-t-on vers une « giscardisation de la macronie » ? C’est la pente qui semble se dessiner depuis un certain temps.
Ensuite, si la droite ne choisit pas cette voie, quelle alternative lui reste-t-il ? Car elle sera face à ses divisions, et des incidents éclateront immanquablement. A l’issue de cette réforme, je ne vois pas en quoi un électeur serait motivé lors d’une prochaine élection à glisser un bulletin LR dans l’urne. Aujourd’hui ce parti n’est pas loin de la faillite.

Nicolas Baverez :
Je partage l’idée que pour la droite traditionnelle, c’est un peu le retour à l’année zéro. Sa situation est très particulière, puisque l’année 2022 a été un désastre électoral : moins de 5% à la présidentielle et 62 députés seulement aux législatives. Le paradoxe, c’est qu’avec la majorité relative, ce sont pourtant ces 62 députés qui détiennent la clef de la capacité d’Emmanuel Macron à faire passer des textes en dehors de l’article 49.3. Tout le maelström de cette réforme des retraites provient de cette tension.
Qu’est-ce qu’un parti politique dans une démocratie ? La recette n’est normalement pas très compliquée : un leader, une stratégie et un projet. Il est vrai qu’en 2022, la droite avait perdu tout cela. On a le sentiment qu’elle se reconstruisait un peu, puisque derrière la présidence d’Eric Ciotti, il y avait la candidature de Laurent Wauquiez à la prochaine présidentielle. Le projet était toujours absent, mais en termes de stratégie, il s’agissait de se reconstruire comme parti de gouvernement, entre Renaissance et Rassemblement national.
Ce projet de réforme des retraites a tout fait exploser. Il y a sans doute une faute politique de la part du président, consistant à défendre un projet qui est l’exact opposé du précédent. Il y a ensuite une erreur tactique : il s’est lancé dans une aventure parlementaire particulièrement risquée en ayant déjà lâché tout ce qu’il pouvait. Sur les 18 milliards, 8 étaient déjà dépensés. Dans ces conditions, c’était soit le 49.3, soit une alliance parlementaire. Du côté de LR, le schéma de départ était assez clair : 64 ans et la retraite plancher à 1200 Euros. Tout ceci s’est décomposé : les 64 ans à cause du problème des carrières longues, quant aux 1200 Euros, les explications du gouvernement ont été particulièrement confuses. Cela a conduit à un désastre. Un problème de ligne politique d’abord, puisque c’est grand écart entre la droite sociale et le pseudo parti de gouvernement. Un problème personnel ensuite, avec l’explosion des tensions entre Eric Ciotti et Aurélien Pradié. La droite se retrouve sans leader, et la guerre des chefs a repris, entre Laurent Wauquiez (derrière Eric Ciotti) et Xavier Bertrand (derrière Aurélien Pradié). Pas de stratégie en vue : fera-t-on une union des droites ou tentera-t-on de reconstituer un centre droit, une formation conservatrice comparable aux autres pays développés. Et toujours pas l’ombre d’un projet.
Derrière tout cela, il y a deux problèmes qui sont au delà des difficultés de la droite. D’abord le naufrage du Parlement. Entre le président qui gouverne au lieu de présider, le gouvernement qui débite des éléments de langage au lieu de gouverner, l’Assemblée qui n’est capable ni de débattre, ni de voter la loi, ni de contrôler le gouvernement, il y a un moment où la Vème République va entrer dans une zone dangereuse. Ensuite, pour Emmanuel Macron, cette majorité relative a tout d’une minorité. C’est un énorme problème pour les autres textes à venir : l’immigration, la fin de vie, la loi de programmation militaire ou la révision de la Constitution ; on voit très mal comment tout ceci sera possible.

Lucile Schmid :
Un projet de réforme des retraites est à la fois un texte ultra-technique et ultra-politique. C’est ce qui permet de faire un appel au peuple permanent, mais c’est aussi ce qui a mis gouvernement en difficulté, qui ne s’est pas montré à la hauteur sur l’aspect technique, que les Français suivent de près. La chaîne parlementaire bat tous ses records d’audience avec cette réforme. Il y a une forme de piège dans ces deux aspects difficilement conciliables.
Le gouvernement avait sans doute imaginé que les 62 députés LR étaient un vrai groupe parlementaire. Or Olivier Marleix ne maîtrise pas ce groupe qu’il préside, où siègent les rivaux : Eric Ciotti, Aurélien Pradié, et au Sénat Bruno Retailleau, le finaliste de la primaire. Nous avons donc assisté avec stupéfaction au fait qu’Elisabeth Borne passait son temps à répondre aux demandes d’Aurélien Pradié, et pas d’Olivier Marleix. Ce n’est pas le cas au Sénat, où Bruno Retailleau tient le groupe LR. Cela fait plusieurs années que les sénateurs LR votent chaque année une déclaration disant qu’il faut réformer le système des retraites, reprenant presque mot pour mot le projet actuel. C’est le paradoxe : la réforme que nous présente le gouvernement est en fait celle qui est défendue par les sénateurs LR (mais ce n’est pas la même que celle qui est défendu par les députés LR de l’Assemblée).
Quand on a fait moins de 5% à une élection présidentielle, la première chose à faire, c’est de trouver où est son électorat. LR aurait dû passer par une phase d’introspection, de questionnements, etc. Les députés LR autour d’Aurélien Pradié sont des élus de circonscriptions rurales. Richard se demandait ce que voulait dire être de droite en France. Il me semble que cela signifie aussi être préoccupé par ces questions de ruralité, à avoir été traversé par le mouvement des Gilets Jaunes, et se sentir abandonné quand les services publics disparaissent. Un jeune député comme Aurélien Pradié, élu du Lot (département de gauche) est traversé par ce genre d’interrogations. Je ne sais pas si elles sont de gauche, mais elles sont liées au territoire. Quand il s’exprime, il le fait donc davantage en tant que député du Lot et des classes populaires que d’autres députés LR plus représentatifs de grandes agglomérations.
Et il y a la façon dont Eric Ciotti, une fois élu à la tête de LR, dit explicitement : « moi, je roule pour Laurent Wauquiez, et ce sera lui notre rochait candidat à la présidentielle de 2027 ». C’est quelque chose d’assez contestable alors que nous ne sommes qu’en 2023. Il y a l’idée qu’il faut avoir repris d’ici 2027 le statut de parti de gouvernement. Il est dommage qu’Emmanuel Macron et le gouvernement n’aient pas compris qu’étant donnée la situation de la droite, ces questions ne pouvaient pas ne pas être posées.

Nicole Gnesotto :
Je ne pense pas que la question des retraites ait tué la droite traditionnelle, qui s’est à mon avis désagrégée dès 2017 avec l’affaire Fillon. Depuis, cela n’a plus été qu’une longue dégringolade électorale. En 2017, François Fillon obtenait 20,01% des voix à la présidentielle. Deux ans après, les Républicains font 8,48%. Aux présidentielles de 2022, Mme Pécresse fait 4,78%, ce qui ne leur donne que la moitié des députés qu’ils avaient auparavant. La question des retraites n’a fait que mettre en lumière que ce parti n’était pas un parti mais un amoncellement de tendances qui voulaient sauver leurs sièges députés. C’est exactement la même situation à gauche, d’ailleurs.
Quelles conséquences peut-on tirer de cette situation des retraites sur l’avenir de la droite ? Un sondage publié par Le Point en décembre 2022 nous apprend que 72% des personnes interrogées pensent que ce parti n’a pas d’avenir politique. Eric Ciotti est effectivement l’arbre qui cache la forêt Laurent Wauquiez, qui avait choisi de garder le silence et une distance protectrice, entre la droite identitaire et la droite libérale. Mais l’échec de M. Ciotti va obliger M. Wauquiez à sortir du bois et à prendre la parole. Or il trouvera immanquablement Xavier Bertrand sur son chemin. On va donc se retrouver dans une situation en tous points identique à ce qu’elle était avant les primaires. Enfin, à propos de la stratégie, je crois que l’échec de Ciotti rend inévitable un débat sur la stratégie que tous les Républicains espéraient éviter. Car il les mettra devant la seule possibilité de garder le peu de postes qu’il leur reste : l’alliance des droites. Aujourd’hui tous sont contre. Seul Éric Zemmour (à l’extérieur des Républicains) prônait cette alliance des droites contre la stratégie des Républicains, qui cherchaient plutôt l’alliance des centres. Je crois inévitable qu’après le fiasco de la présidence Ciotti, ce débat sur l’alliance des droites ait lieu. Peut-être pas en public, mais à coup sûr au sein du parti.

Les brèves

L’appel de la tribu

Nicolas Baverez

"Dans notre conversation d’aujourd’hui, Richard Werly s’est demandé où trouver une droite intelligente. Nous avons désormais bien compris qu’il est inutile de la chercher dans la vie politique française, on sera sans doute mieux inspiré de lire ce livre de Mario Vargas Llosa. Il s’agit d’une autobiographie intellectuelle, où l’on croise le panthéon personnel de l’auteur. On suit la façon dont il est passé du marxisme au libéralisme, accompagné de sept penseurs d’envergure. Adam Smith, José Ortega y Gasset, Friedrich von Hayek, Karl Popper, Isaiah Berlin, et deux Français : Raymond Aron et Jean-François Revel. "

Les dimanches de Jean Dézert

Philippe Meyer

"Je voudrais signaler la parution aux éditions Finitude du seul roman de Jean de La Ville de Mirmont, mort dans les premières semaines de la première guerre mondiale, dont le nom nous est un peu connu comme poète, auteur du recueil posthume L’Horizon chimérique qui inspira Gabriel Fauré et Julien Clerc. Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte / Le dernier de vous tous est parti sur la mer / Le couchant emporta tant de voiles ouvertes / Que ce port et mon cœur sont à jamais déserts / La mer vous a rendus à votre destinée / Au-delà du rivage où s'arrêtent nos pas / Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées / Il vous faut des lointains que je ne connais pas /Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre / Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d'effroi / Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère / Car j'ai de grands départs inassouvis en moi. / Le Roman de Jean de La Ville de Mirmont, Les dimanches de Jean Dézert a pour héros un « figurant de la vie », un être naïf et conformiste qui n’a aucun départ inassouvi en lu, Un employé au ministère de l'encouragement ou bien direction du matériel. Au bureau comme dans la vie il ressemble nous dit l'auteur à ses choristes des théâtres d'opéras qui tout en songeant à leurs affaires personnelles ouvre la bouche en même temps que les autres pour avoir l'air de chanter avec eux. Cyril Piroux, dont la thèse porte sur « la figure littéraire du rond de cuir » parle à propos des dimanches de Jean Dézert, de l’art de faire un livre sur presque rien. Jean de La Ville de Mirmont maîtrise cet art doux-amer et les spirituelles illustrations que Christian Calleaux a réalisées pour cette édition ont la même saveur."

Hiver 1812 : retraite de Russie

Richard Werly

"Puisque nous célébrons cette semaine le triste anniversaire de l’invasion russe de l’Ukraine, je vous recommande ce livre, dans lequel Michel Bernard nous fait vivre les campagnes napoléoniennes « de l’intérieur », par des journaux de soldats par exemple. Le récit de ce face-à-face entre la vision « occidentale » de Napoléon et ce mur russe de l’empire tsariste. En septembre 1812, Napoléon va vers Moscou. « Mais où commençait l’Est, où commençait l’Ouest ? Et que faire de la Pologne ? Les Anglais n’avaient guère eu besoin de manœuvrer. Les Russes, battus deux fois, à Austerlitz puis à Friedland, momentanément résignés, avaient souscrit à la paix napoléonienne par nécessité, sans conviction. Les inquiétaient la renaissance éventuelle d’un Etat polonais ragaillardi, sous l’aile française et le coût du blocus continental pour leur fragile économie. Tout en s’étonnant, avec une fausse candeur, des protestations et mises en garde de ses partenaires, la Russie incorporait de nouveaux contingents de soldats, les équipait et concentrait ses divisions. La guerre couvait ». Aujourd’hui, si vous remplacez « Pologne » par « Ukraine », tout y est. "

Faith Ringgold

Lucile Schmid

"Je vous conseille d’aller voir l’exposition de Faith Ringgold au Musée Picasso, à Paris. C’est la première rétrospective française de cette peintre américaine, qui a accompagné le mouvement des Black Panthers. Pour des raisons d’espace, il n’y a qu’une cinquantaine d’œuvres, mais elles sont remarquables. Faith Ringgold se forme aux arts à New York à une époque où les femmes n’en ont pas le droit. Elle apprend donc en travaillant directement avec des peintres. C’est un voyage à travers l’Europe, notamment en Italie et en France, qui va lui permettre de prendre son envol. Il y a des tableaux très figuratifs, puis son travail évolue vers des œuvres beaucoup plus composites, dans lesquelles elle assemble des matériaux divers. Une série la met en scène dans le Paris des années 1930. Pour cette artiste, la question noire a toujours été liée à la question de l‘émancipation féminine. Faith Ringgold a aujourd’hui 92 ans, et dit : « je ne peux pas penser aujourd’hui à une période plus libératrice dans ma vie que les années 1960. C’est alors que j’ai appris à porter mes cheveux au naturel. Plus de peigne chaud dans mes cheveux. Black is beautiful. Black pride and Black power en un seul geste ». Je trouve extraordinaire la façon dont elle se réfère à son corps pour porter cette ambition artistique et politique. "

Quel avenir pour la dissuasion nucléaire ?

Nicole Gnesotto

"Mon conseil de lecture concerne la dissuasion nucléaire, un aspect très particulier de la guerre en Ukraine, à propos duquel on se rend compte que les gens sont souvent très mal informés. On entend des choses un peu surréalistes sur ce qu’est la dissuasion nucléaire, ou sur ce que pourrait être l’emploi de l’arme atomique. C’est pourquoi ce tout petit ouvrage sera si précieux. Il est paru en octobre dernier, et il est signé de Bruno Tertrais, le meilleur spécialiste français (voire européen) de la dissuasion nucléaire. C’est un très long article, ou un livre très court, qui est accessible gratuitement en ligne. Tout y est : les différents concepts, l’historique, les débats et surtout les questions pour l’avenir. En particulier celle de la moralité de la dissuasion ou de l’emploi de l’arme nucléaire, mais aussi la prolifération iranienne comparée à celle d’Israël, la spécificité de l’arme nucléaire française, l’échec de la dissuasion en Ukraine. Une lecture extrêmement pédagogique et très éclairante. "