Bardella : de quoi s’agit-il ? / Le rapport Enrico Letta sur l’Union européenne / n°348 / 5 mai 2024

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BARDELLA : DE QUOI S’AGIT-IL ?

Introduction

ISSN 2608-984X

Philippe Meyer :
Avec à sa tête Jordan Bardella, la liste du Rassemblement national aux européennes, caracole en tête des sondages. Elle atteint 32 % dans la dernière enquête Ipsos, fin avril, pour Le Monde et se situe 15 points devant celle de la majorité présidentielle. Les experts électoraux dressent le même constat : à partir d’un socle élevé, le Rassemblement national se renforce dans ses bastions populaires et s’élargit en direction des cadres et des retraités, tandis qu’il confirme son emprise sur les jeunes. Dans un sondage Ifop, publié en mars dans Le Figaro, Jordan Bardella récolte 27 % chez les 18-24 ans et 33 % chez les 25-34 ans. « Déjà, le vote RN est un vote jeune », explique Frédéric Dabi, directeur général de l'Ifop. Il apparaît en rupture avec les stéréotypes classiques des personnels politiques ». Le président du Rassemblement national pèse un million d'abonnés sur TikTok, troisième personnalité la plus suivie sur le réseau social après Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron.
À 28 ans, le dauphin de Marine Le Pen n’a pas fait d’études poussées, il a fréquenté à peine quelques semaines la faculté de géographie, mais compte déjà douze ans de terrain. De ses origines : sa naissance dans un quartier peu favorisé de Seine-Saint-Denis, le divorce de ses parents, le HLM dans lequel il est élevé par sa mère, agent territoriale, il fait une force : celle de ne pas être coupé du peuple. Il fait même un clin d’œil aux étrangers en évoquant fréquemment ses « racines italiennes ». En 2015, il est élu à 20 ans conseiller régional d’Île-de-France, plus jeune élu régional de France. En 2019, il prend la tête de la liste du RN pour les élections européennes, marquant ainsi son entrée sur la scène politique nationale. Malgré sa jeunesse et son manque d’expérience, il obtient plus de 23 % des voix, ce qui place le RN en tête du scrutin. En novembre 2022, face à Louis Aliot, il devient président du parti, avec plus de 85 % des voix, et après un demi-siècle de gouvernance des Le Pen. Son discours reprend les thèmes classiques du parti : sécurité, immigration, souveraineté nationale, et identité nationale.
Au Parlement européen, la tête de liste du Rassemblement national déclare s'appuyer sur son assiduité lors des votes en sessions plénières. Mais ce n'est qu'une infime partie du travail parlementaire. Pour ce qui est du reste, notamment du travail en commission Jordan Bardella brille par ses absences. Pratiquant l’évitement vis-à-vis des médias, il a refusé par trois fois de débattre avec ses adversaires. Le 25 avril, il a quitté une conférence de presse qu’il avait convoquée pour faire pièce à celle d’Emmanuel Macron sans se prêter au jeu des questions-réponses avec les journalistes, au prétexte que le président de la République ne l’avait pas fait.
Fort de ses bons sondages depuis l’automne, Jordan Bardella a théorisé la dimension nationale du scrutin européen dans le but d'en faire un marchepied vers l'élection présidentielle.

Kontildondit ?

Lucile Schmid :
Jordan Bardella, c’est la tentation d’un récit romanesque, avec un jeune hommes né à Drancy, élevé par une mère seule, avec un physique avantageux, des costumes bien coupés, et qui a commencé la politique à 18 ans. Quand il a intégré l’université, pour étudier la géographie, ses opinions politiques étaient déjà bien affirmées, puisqu’il avait déjà sa carte du Front National. Il s’agit donc de quelqu’un vient du peuple, alors que c’est aujourd’hui très compliqué de venir du peuple quand on veut faire de la politique dans ce pays, c’était d’ailleurs un débat au sein du PS lors de la liste aux européennes.
Tous ces éléments font que la tentation de faire de Bardella un « héros » est très forte, dans les médias et pour les électeurs, pour qui il serait « la relève ». J’aimerais cependant rappeler deux choses. D’abord, la politique est un art de la mise en scène, vous évoquiez le succès de Bardella sur TikTok. Ce candidat est aussi celui qui organise des meetings dans des boîtes de nuit, et suscite l’hystérie des fans, notamment des jeunes femmes. Mais du côté des idées, la vacuité est sidérale. M. Bardella s’exprime par slogans, il adore utiliser le terme de « submersion migratoire » (dont on se demande si c’est lui qui l’a trouvé), il a l’art d’esquiver les débats, mais il réussit pourtant à désarçonner ses adversaires par son calme, son sourire et son physique avantageux, en ne disant rien.
Gardons en tête que derrière cette image de papier glacé, les idées repoussantes sont toujours là. Sur les migrants bien sûr, mais aussi sur les libertés publiques. Évidemment, les élections européennes se font, comme souvent en France, sur des thèmes qui n’ont rien d’européen. Jordan Bardella est l’énième masque que porte le RN : celui de « Ken » (la poupée, le compagnon de Barbie), comme l’écrivait Richard Werly dans l’un de ses articles, et ce qui nous menace, si le RN fait le score que les sondages lui prédisent aux européennes, c’est une omniprésence de ce parti dans la vie politique nationale. Un marchepied pour les municipales de 2026 et les présidentielles de 2027.
Du côté de ses adversaires, qu’il s’agisse du personnel politique, des journalistes ou des simples citoyens, il est essentiel de démasquer, de révéler ce qu’il y a derrière ce visage si lisse et ce sourire goguenard. Il faut remettre les sujets européens dans les débats, remettre la campagne européenne sur l’Europe, et remettre le fond dans la politique.

Philippe Meyer :
Je crains que ce ne soit pas le pli que prennent la plupart des médias, puisque jeudi soir, lors de la confrontation avec Valérie Hayer, le journaliste de BFMTV a commencé par faire parler de M. Bardella de ce qui était en train de se passer chez les étudiants, et autres problèmes liés à l’actualité la plus nationale …

Richard Werly :
En ce qui concerne les sondages, rappelons d’abord qu’ils n’ont rien de particulier ou de neuf en France. Aujourd’hui, l’étiage moyen des partis nationaux populistes au sein de l’UE est environ 30%. C’est le chiffre que nous donnent la plupart des instituts de sondage à propos de la liste du RN, ce qui la place tout de même plus de dix points devant les listes suivantes. C’est cela qui est notable, plus que le score lui-même. Il y a dans la population française un rejet de l’Europe, une envie de la déconstruire, et beaucoup de peur … mais c’est aussi ce que vivent les autres pays européens. D’une certaine manière, Jordan Bardella surfe sur une vague.
Mais s’il s’en sort aussi bien, c’est à mon avis parce qu’il incarne quelque chose. Il est vrai que j’ai écrit qu’il était un peu le « Ken » de la politique, cette poupée parfaitement lisse. Il peut dire : « je suis fils du peuple », et il ne s’en prive pas. Il incarne aussi par son engagement, puisque cela fait 15 ans qu’il est dans la politique, on ne peut donc pas lui reprocher d’être opportuniste. Enfin, il incarne parce qu’il a su conserver le lien avec le clan Le Pen, omniprésent dans cette famille politique ; il est le compagnon d’une nièce de Marine Le Pen, et est donc une sorte de « petit-fils » de Jean-Marie Le Pen, qu’il critique par ailleurs. Et cette filiation Le Pen est importante, puisqu’elle rassure l’électorat traditionnel de cette famille politique.
Pour moi, la vraie question, c’est : Bardella pense-t-il par lui-même, ou bien se contente-t-il de répéter ? S’il était un jour en situation de responsabilités, serait-il à la hauteur du défi ? Pour l’instant, tout semble indiquer que non. Il donne l’impression de répéter des arguments de campagne qui ont été écrits pour lui, il refuse toujours d’entrer dans le détail de ce qu’il ferait, et quand on le confronte aux déclarations très problématiques de ses alliés européens (comme l’a fait Valérie Hayer), sur l’avortement, sur la construction européenne, sur la Russie, il vacille sérieusement.
Le doute ne porte donc pas sur sa personnalité, mais sur ses capacités. Pour le moment, cette campagne n’a pas réellement abordé la question de que faire dans l’Europe de demain ? C’est sans doute celle qu’a essayé de poser le président de la République lors de son long discours la semaine dernière, mais comme on n’y entre toujours pas, et qu’on reste dans le champ du commentaire de l’actualité nationale, M. Bardella reste dans sa zone de confort. Il ne perdra du terrain que si le débat entre dans le champ européen, et dans le champ du comment.

Marc-Olivier Padis :
Le manque de substance du programme de M. Bardella est en partie lié au fait que les élections européennes jouent traditionnellement en France le rôle d’élections intermédiaires. Le candidat RN est donc porté par une vague liée à une conjoncture : il apparaît comme le parti de l’opposition à Emmanuel Macron.
Pour moi, Jordan Bardella représente trois choses. D’abord, le vecteur de la perte d’influence française au Parlement européen. Le groupe politique dominant du Parlement européen est le PPE, Parti Populaire Européen, qui rassemble un quart des députés. Et au sein de ce groupe, la délégation la plus importante est allemande : 30 élus sur 177, contre seulement 7 élus pour la France (issus de LR). Et comme les européennes ont aussi un rôle d’élections intermédiaires en Allemagne, la CDU va y faire un très bon score. Le nombre de députés allemands du PPE sera donc très important, et ce parti est par ailleurs dirigé par un Allemand, Manfred Weber (qui vient de la CSU). Dans ce groupe, tout à fait central au Parlement européen, les Français auront donc une place dérisoire, puisqu’à en croire les sondages, la liste de M. Bellamy est donnée à 6%. Si elle n’atteint pas les 5%, il n’y aura donc peut-être pas de Français du tout dans ce groupe. En revanche, le RN aura une forte délégation dans un groupe, Identité et démocratie (ID), qui ne compte pour rien au Parlement européen, puisqu’il se tient à l’écart de tout de travail parlementaire, et n’aura par conséquent aucun poids. La France sera donc marginalisée au sein du prochain Parlement européen.
M. Bardella représente ensuite le « ravalement de façade » de l’hostilité au projet européen. On dit un peu trop facilement que « le RN n’est plus hostile à l’Europe ». L’opposition frontale à l’UE n’est certes plus mise en avant, en revanche l’opposition au projet européen reste toujours aussi fondamentale. L’opportunisme électoral a contraint ce parti à reconnaître certains succès à l’UE, qu’ils concèdent dans leur programme (comme Erasmus ou la protection civile), qui reconnaît que la coopération est une bonne stratégie (notamment en matière d’échanges scientifiques ou de grand projets industriels). Mais le RN tire une conclusion totalement fausse de ces concessions : dans ce programme il y a l’idée que le projet européen pourrait se réduire à quelques coopérations pragmatiques, ou que nous pourrions imposer à nos partenaires nos conditions à la poursuite de certaines politiques, avec un système de « feu tricolore » ; feu vert pour ce qui fonctionne bien (Erasmus), feu orange à ce qui nécessite qu’on impose nos conditions, et feu rouge à ce qui est inacceptable. Mais cette idée qui semble simple et de bon sens ne résiste pas dès qu’on l’examine d’un peu plus près. Par exemple, le RN dit : « le marché unique, oui, mais avec la préférence nationale ». Or les deux sont forcément incompatibles, car si chaque pays fait de la préférence nationale, il ne peut tout simplement pas y avoir de coopération européenne. Et puis le RN a des positions vraiment étranges, par exemple à propos de Frontex (l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes), il dit : « il est scandaleux que Frontex ne puisse pas renvoyer des migrants illégaux ». Mais savoir si on accepte des gens sur son territoire ou si on les renvoie est une question de souveraineté nationale. On se dit que l’extrême-droite devrait comprendre ce genre de raisonnement sur la souveraineté nationale, et pourtant non, la confusion est absolument totale.
Enfin, M. Bardella représente toujours la même stratégie, celle de l’épouvantail : faire peur, en montrant l’Europe comme une menace, avec des idées complètement fausses. Par exemple, dans leur programme, on peut lire : « nous nous opposons à une défense européenne qui possèderait l’arme nucléaire française ». Mais personne n’a jamais proposé ou demandé cela … Ou bien : « nous sommes contre l’ingérence européenne en matière énergétique ». Or l’UE a précisément préservé le fait que le mix énergétique est décidé par chacun des pays européens, c’est ce qui fait que la France a pu relancer son programme nucléaire … Dernier exemple (mais je pourrais en citer beaucoup d’autres) : le RN est « contre la suppression du droit de veto au sein du Conseil européen ». Là encore, personne ne l’a réclamée ou proposée … C’est donc toujours la même tactique : faire peur, au besoin en brandissant des « menaces » inventées de toutes pièces.
Le RN reste ce qu’il était, il a trouvé une tête de liste qui présente bien et donne une impression de renouveau, mais sur le fond, il ne faut pas se leurrer : c’est la même forte hostilité à l’Europe qui fait le fond du programme.

Lucile Schmid :
En 2019, la campagne des européennes était assez différente. A l’époque, le camp d’Emmanuel Macron avait réussi à donner le sentiment d’une Europe politique, dans laquelle la France pouvait se projeter. Ce qui me frappe dans la campagne actuelle, c’est à quel point on renoue avec de vieux réflexes absurdes, consistant à oublier l’Europe, à pouvoir dire n’importe quoi ou à esquiver les vrais problèmes. Retourner à la question de la compétence ou de l’influence est essentiel, mais pour le moment, il semble que cela n’intéresse ni les journalistes, ni les électeurs, alors même que ce qui se joue, ce sont des questions qui ne sont pas seulement stratégiques, mais bel et bien vitales.
En cela le discours d’Emmanuel Macron à la Sorbonne il y a quelques jours était intéressant : il y disait que l’Europe pouvait mourir, et sur ce point je suis d’accord avec lui. Le décalage entre cette mort possible et les vidéos TikTok de « Ken » Bardella est assez stupéfiant : c’est un sentiment de fin du monde politique qui nous saisit. Moi qui ai fait plusieurs campagnes électorales, j’ai toujours été frappé par le sentiment de « dé-réalité » qui peut vous saisir : c’est un moment où on peut dire à peu près n’importe quoi, ce qui importe, c’est de parvenir à se saisir du désir des électeurs, de leurs rêves ou de leurs cauchemars, de leurs aspirations ou de leurs craintes … et ces rêves et ces cauchemars peuvent devenir réalité à une vitesse que l’on ne soupçonne pas. Quand Emmanuel Macron dit qu’il ne faut pas exclure la possibilité d’envoyer des troupes au sol en Ukraine, il n’a pas tort de le dire. C’est le choc de la réalité, et il a raison de le susciter. Dans quelle mesure les électeurs et les journalistes veulent-ils continuer à conserver cette campagne « dans une bulle », qu’incarne parfaitement Jordan Bardella ?
Le cauchemar peut être européen, mais aussi national : on pourrait très bien se retrouver dans une situation où le RN en fasse un prétexte pour demander une dissolution de l‘Assemblée nationale, un référendum sur la question migratoire ou que sais-je encore. Si la liste de M. Bardella fait un trop gros score aux européennes, ou si l’écart est trop grand entre le RN et Renaissance, cela peut tout à fait se produire. Il nous faut remettre cette campagne dans la réalité, qu’il s’agisse des compétences ou des enjeux.

Richard Werly :
Essayer de juger la campagne de M Bardella de manière objective conduit nécessairement à essayer de lui trouver quelques qualités. Or, comme son programme consiste à déconstruire (voire tout simplement briser) l’Europe, c’est difficile, puisque personnellement, je trouve cela tout à fait problématique, et même condamnable. Car je ne vois pas ce qui pourrait remplacer le projet européen, ni même ce qu’un repli national pourrait solutionner.
Cependant, pour essayer de comprendre le phénomène Bardella, il faut considérer deux choses. D’abord, nous sommes en train de dire : « il n’est que dans la com, et dans la com franco-française ». Peut-être, mais honnêtement, c’est une critique que l’on peut adresser à quasiment tous les candidats, à l’exception (peut-être) de Raphaël Glucksmann, le plus positionné sur les questions européennes, ou peut-être Marie Toussaint, la candidate écologiste, mais elle est assez inaudible. En tous cas, globalement, la communication consiste à se positionner sur les enjeux français. Par exemple ,le Premier ministre actuel ne fait peut-être pas que de la com, mais personne ne contestera qu’il en fait beaucoup. Bardella ne fait donc que s’inscrire dans une tendance, il fait ce qui marche : la saturation des écrans et l’utilisation maximale de l’image plutôt que le raisonnement.
Ensuite, M. Bardella a tout de même réussi deux jolis coups dans sa liste. Premièrement, d’avoir mis en numéro deux de sa liste, Mme Malika Sorel-Sutter, que je ne connaissais pas. Quant au n°3, Fabrice Leggeri, il est l’ancien patron de Frontex (par ailleurs mis en cause par la justice pour des expulsions forcées de migrants). Les itinéraires sont discutables, mais il faut reconnaître que l’affichage est fort. Ne négligeons pas ces aspects : M. Bardella est le produit de l’appareil politique du RN, qui est aujourd’hui capable de mettre en place quelque chose de beaucoup plus crédible qu’auparavant pour les électeurs.

Marc-Olivier Padis :
A propos de la composition de la liste, cela signifie aussi que le RN n’a pas été capable de trouver, parmi ses députés sortants, des gens ayant suffisamment travaillé et investi la question européenne pour mériter d’être repris dans une campagne.
Je ne suis pas d’accord sur le fait que tout le monde soit dans la com, je trouve que deux listes échappent à ce travers : la liste Renaissance et la liste Place publique. toutes deux parlent de questions européennes, et sont constituées de gens ayant un vrai bilan au Parlement européen. Des gens qui ont travaillé sérieusement, et ont des choses à dire sur l’Europe.

LE RAPPORT ENRICO LETTA SUR L’UNION EUROPÉENNE

Introduction

Philippe Meyer :
L’ancien président du Conseil italien Enrico Letta a présenté aux Vingt-Sept, réunis à Bruxelles le 18 avril, son rapport sur le marché intérieur. Pendant huit mois, il a sillonné l’Union européenne, rencontré tous les chefs d’État et de gouvernement européen ainsi que des représentants des entreprises, de la société civile ou des intellectuels. Il préconise d'approfondir le marché unique, notamment dans les secteurs de la finance, des télécoms, de l'énergie et de la défense, secteurs que les États membres avaient souhaité exclure, lorsque Jacques Delors a créé le marché unique, il y a bientôt quarante ans.
Or « le fossé se creuse entre l'UE et les Etats-Unis. La prochaine législature doit être celle du rattrapage de notre retard », avertit Enrico Letta qui se fait particulièrement sévère sur la finance, un des facteurs clefs du déclassement européen. Il juge urgent de développer un « marché financier européen plus intégré et plus robuste » et propose une « union de l'épargne et des investissements » afin de retenir en Europe les flux de capitaux qui partent aujourd'hui massivement vers les Etats-Unis. En Europe, l'épargne privée est abondante - estimée à 35.000 milliards d'euros - et largement inexploitée. Mais cette manne est aussi un tuyau percé : 295 milliards d'euros quittent chaque année l'Europe vers les marchés financiers américains, aux fonds d'investissement et de pension plus attractifs, qui rachètent ensuite des entreprises européennes. Comme le résume un haut responsable français, « nous finançons aujourd'hui triplement l'économie américaine : par l'épargne, par les achats de défense et par les importations de gaz ».
Le marché des télécoms est également en proie à la fragmentation : plus de 100 opérateurs coexistent aujourd'hui sur le continent. Un opérateur télécoms européen compte en moyenne seulement 5 millions d'abonnés, contre 107 millions aux Etats-Unis et 467 millions en Chine. De même, le secteur de l'énergie souffre d'interconnexions insuffisantes au niveau européen. Il est donc nécessaire de renforcer l'intégration des marchés européens dans le domaine de l’énergie pour réduire les divergences de prix de l'électricité entre les États membres, divergences exacerbées depuis la crise provoquée par l'invasion de l'Ukraine et la fermeture des robinets du gaz russe. Dans le secteur de la défense, l'Europe paie là encore « le prix de la fragmentation » : « 80 % de ce que nous avons dépensé pour soutenir militairement l'Ukraine est allé vers des fournisseurs non européens », alerte Enrico Letta. Non seulement l'Europe est fragmentée, mais elle a, devant elle et de manière urgente, dans les domaines des technologies vertes, du numérique (intelligence artificielle), de la sécurité et de la défense un besoin d'investissements que Mario Draghi a évalué entre 500 et 600 milliards d'euros. Pour compléter le travail d’Enrico Letta, l’ancien président de la BCE remettra en juin un rapport sur la compétitivité de l'Union européenne. Les décisions sont reportées à l’après élections européennes et alimenteront un « programme stratégique pour les cinq prochaines années» qui devrait être adopté en juin.

Kontildondit ?

Marc-Olivier Padis :
Enrico Letta est doué d’une grande clarté, et d’une remarquable capacité de synthèse. Son rapport montre que des sujets importants sont discutés au niveau européen, et surtout il nous permet de prendre conscience de l’ampleur du déplacement du débat sur la nature de l’UE. On n’est plus en train de parler de la façon de créer une concurrence parfaite et pure, ou développer le libre échange ; les choses ont radicalement changé.
Il y a un premier débat sur l’union de l’épargne et des investissements. On prend conscience qu’il y a énormément d’épargne disponible en Europe, mais que cette épargne n’est pas tournée vers l’investissement au sein de l’UE, et qu’elle part, notamment en direction des Etats-Unis. Je me demande si cette proposition a reçu un accueil positif de la part des chefs d’Etat et de gouvernement, ou si c’est une manière de contourner le débat sur le nouvel emprunt. On a fait un emprunt en commun après la Covid, qu’il faut commencer à rembourser à partir de 2028, et un débat s’ouvre sur l’opportunité d’en faire un second. Plusieurs Etats y sont très hostiles, craignant d’entrer dans une logique d’endettement à la française. Par conséquent, dire qu’on peut mobiliser de l‘épargne privée pour répondre aux besoins d’investissements est peut-être une façon de repousser ce débat.
Il faut comprendre à quel point le choix américain de l’IRA (Inflation Reduction Act) est structurant, y compris pour la situation européenne. Jusqu’à présent, la stratégie européenne consistait à dire : « tout le monde doit participer aux coûts supplémentaires de la décarbonation ». Autrement dit, accepter une hausse des coûts de l’énergie, et intégrer le coût de la transition verte de façon progressive, de manière à maintenir une compétitivité économique du côté de l’innovation et de la qualité. Les Américains ont fait le choix d’une stratégie exactement inverse : maintenir une ressource d’énergie à bas coût (leur gaz) et des subventions publiques massives, grâce au crédit d’impôt. Les entreprises européennes investissent donc aux Etats-Unis, pour bénéficier de cet argent public. L’idée européenne d’éviter les aides d’Etat se retrouve complètement déphasée. N’oublions pas que Joe Biden, avant d’être vice-président puis président, était sénateur du Delaware, un Etat qui à l’échelle des Etats-Unis, et un peu ce qu’est le Luxembourg pour l’Europe : minuscule par sa superficie, et qui s’en sort grâce à une stratégie de paradis fiscal. Joe Biden n’est absolument pas un libre-échangiste, ou un idéologie de la compétition économique.
La situation est difficile pour les Européens, contraints de changer de pied. Car il n’y a qu’une alternative : soit les européens perdent des marchés face aux USA et à la Chine (comme cela s’est passé à propos des panneaux solaires, industrie dans laquelle les Allemands étaient à la pointe, mais à laquelle ils ont renoncé, préférant importer du photovoltaïque chinois, moins bons mais moins coûteux), soit on délocalise vers les pays du « Sud » pour rester compétitifs. Mais si on fait cela, on n’est pas sûrs de maintenir nos critères environnementaux de production. Par exemple, les médicaments sont fabriqués en Inde ou en Chine, parce que la production y est 40% moins chère. Mais la moitié de ces 40% est attribuée à la qualité environnementale … Autrement dit, on ne diminue pas la pollution, on ne fait que la déplacer vers le « Sud ». Les deux scénarios sont perdants : soit on n’est plus compétitifs, soit on exporte nos émissions de CO2 et notre pollution. Il faut donc réussir à dégager un troisième scénario industriel.

Lucile Schmid :
Le rapport d’Enrico Letta est passionnant. Quand Jacques Delors fit adopter le grand marché intérieur à la fin des années 1980, le monde était radicalement différent. En 2024, les choses ont profondément changé, à la fois dans le commerce intra-communautaire, mais aussi en termes de rapports de forces entre puissances. Dans les années 1980, l’Inde et la Chine pesaient bien moins lourd dans le marché mondial. A vrai dire, il est même très étonnant qu’on ne se soit pas davantage interrogés plus tôt sur ce que représentait un grand marché européen. Ce rapport fourmille d’idées et de propositions, et il est intéressant de constater que sa réception a été relativement favorable, même si plusieurs de ses propositions heurtent les Etats du Nord et l’Allemagne, réticents à l’idée d’une Europe plus volontariste dans sa politique industrielle et disposant de ressources financières fédéralisées.
Le rapport nous dit très clairement que nous sommes aujourd’hui en train de subventionner la puissance américaine, celle-là même qui nous « mangera ». On a par exemple multiplié les importations de gaz américain, les armes que nous fournissons à l’Ukraine viennent en grande partie des USA, et tous les ans, 300 milliards d’euros de l’épargne européenne vont aux Etats-Unis et leur permettent de racheter des entreprises européennes. Ce rapport a le mérite d’exposer tous ces paradoxes au grand jour.
Et puis, il nous met au défi de l’intégration européenne, à laquelle plusieurs Etats sont opposés, et aussi de modifier la politique économique de l’UE (sur les aides d’Etat par exemple). On sait qu’il y a à ce sujet une vraie lutte entre les grands et les petits Etats, parce que d’un côté la France et l’Allemagne sont capables de faire des aides d’Etat, tandis que de l’autre les petits Etats se plaignent que cela fausse la concurrence pour leurs entreprises. Aussi, quand Enrico Letta propose que 10% du montant des aides d’Etat de la France et de l’Allemagne soient affectés à des projets transnationaux, il met les pieds dans le plat sur les rapports de force entre les grands et les petits.
Il y a une autre proposition qui a particulièrement retenu mon intérêt : celle d’une nouvelle liberté. Les libertés actuelles ont été construites sur les biens, les services et les personnes. La nouvelle liberté est celle du savoir, de la recherche et de l’innovation : c’est faire valoir le fait que nos chercheurs et nos ingénieurs ont plutôt envie de quitter l’Europe, car elle n’est pas capable de leur donner les débouchés de créativité qu’ils désirent. Il y a une sorte de gâchis européen.
Mais le principal sujet est celui de l’argent, le « nerf de la guerre ». Comment financer ces propositions ? Sommes-nous capables de faire un deuxième grand emprunt, alors que nous n’avons pas commencé à rembourser le premier ? Et puis il y a la répartition du budget européen, entre ce qui relève de fonds publics et de fonds privés. Enrico Letta nous enjoint à associer les stratégies des Etats à celles des grandes entreprises et des banques : associer le public et le privé. Aujourd’hui, la discussion a lieu entre chefs d’Etat et de gouvernements, mais ce qui compte c’est bien d’y associer l’ensemble de la société civile européenne.

Richard Werly :
Enrico Letta vient de confirmer avec ce remarquable rapport qu’il est l’un des théologiens les plus éclairés de l’église communautaire européenne. C’est louable, mais on le sait déjà. M. Letta est intelligent, il connaît très bien ses dossiers, il a eu des responsabilités politiques en Italie … Bref il est tout à fait recommandable, mais personnellement ce rapport m’a déçu, pour quatre raisons.
Premièrement, avant de parler du marché unique, il faut tout de même poser la question politique préalable : sommes-nous prêts à faire un pas fédéral ? Si la réponse est « non », on ne saura pas gérer un marché unique européen. Le coût politique du marché unique approfondi que préconise ce rapport, c’est ce pas fédéral. Y est-on prêt ? Personnellement, je n’en vois aucun signe dans l’opinion publique européenne.
Deuxièmement, Enrico Letta oublie que les capitaux vont là où ils sont rémunérés. Regardons la manière dont nous (simples citoyens) gérons notre épargne : nous mettons notre argent là où il rapporte. Aujourd’hui, si vous êtes un investisseur européen et que vous voulez gagner de l’argent, vous allez vers les marchés émergents ou vers les Etats-Unis. Bien sûr, on peut y perdre, mais c’est tout de même l’endroit où les possibilités de gains sont les meilleures. Je ne sache pas qu’on ait vu en Europe des sauts de capitalisations boursières aussi impressionnants que ceux d’Apple, Amazon, Tesla, etc. Bref, pour le dire vulgairement : si vous voulez gagner du pognon, ce n’est pas en Europe que ça se passe … Et Enrico Letta ne parle pas de cela dans son rapport. Il lui faudrait un sous-titre : « je vous propose un marché unique approfondi, où vous pourrez placer votre épargne, mais où vous ne gagnerez pas beaucoup ». Je ne suis pas sûr que ce soit promis à un grand succès.
Troisièmement, M. Letta oublie que la condition pour un marché unique interconnecté et non fragmenté, c’est la sécurité : il faut être capable de le protéger. Autrement dit, il faut une bonne dose de protectionnisme européen. Or la moitié des Vingt-Sept États de l’Union n’y sont pas prêts, parce qu’ils n’ont rien à y gagner, leurs économies sont avant tout exportatrices, et ils n’ont pas envie de protéger leurs marchés pour permettre aux entreprises allemandes, françaises et italiennes de gagner davantage.
Enfin, je suis presque tombé de ma chaise quand j’ai réalisé que M. Letta ne parlait quasiment jamais de social. Qu’est-ce que l’employé européen moyen a à gagner dans un marché unique moins fragmenté ? Il manque donc une partie à ce rapport. Si on n’aborde pas cette question, il finira comme les livres saints : il servira à dire la messe, et sera oublié à la sortie de l’église.

Marc-Olivier Padis :
Je ne suis pas d’accord avec Richard. Pour filer la métaphore religieuse, je dirai que si Enrico Letta est théologien, il est loin d’être orthodoxe. Il faut même mesurer à quel point ce rapport est hétérodoxe, par rapport à l’idée des aides d’Etat, de la concurrence, etc. Il ne récite absolument pas les vieux credo habituels …
Je suis aussi en désaccord sur le fait que la question du saut fédéral serait une condition préalable : justement non. Je crois pour ma part que le débat théorique sur la nature profonde de l’Union européenne ne nous mène à rien ; l’UE n’est pas fédérale et ne le sera jamais. Elle est un système de coopérations transnationales intégrées, et ce n’est pas parce qu’on fait davantage de coopérations qu’il faut absolument tenir ce débat abstrait sur « fédéralisation ou non ».
Troisièmement, à propos du protectionnisme, justement, on en parle. Valérie Hayer a justement déclaré récemment : « pas de protectionnisme, mais de la protection », pour les filières stratégiques. Les batteries, l’hydrogène, etc. Il y a des projets sur tout cela.
Enfin, sur le salarié moyen, il me semble que la même semaine, Mario Draghi a eu des expressions à propos du droit social, mais il est vrai que le contenu de son rapport n’est pas encore connu. Mais je ne vois pas en quoi le citoyen est oublié derrière le fait de dire qu’il y a des besoins d’investissements en Europe.

Lucile Schmid :
Je ne crois pas non plus que le rapport oublie les Européens. Quand il parle de cette liberté des savoirs, de la recherche ou de l’innovation ou de faire des politiques plus actives, il parle en réalité de la manière dont on peut faire entrer l’Europe dans le concret, au-delà du droit. Ce rapport pose la question de la puissance d’une manière beaucoup plus réaliste qu’auparavant, où l’Europe n’était qu’une puissance normative. Elle l’est, mais le rapport nous dit qu’elle doit se déployer dans d’autres domaines.
C’est là le vrai défi que nous expose ce rapport : comment l’Europe peut-elle être une vraie puissance, dans tous les domaines, à la fois la défense (l’Ukraine), l’écologie et le social ? Les défis sont immenses et se posent tous en même temps. Au fond, le sujet est celui de la capacité des dirigeants politiques européens à être justement des dirigeants européens.

Richard Werly :
Vous êtes un peu tous les deux comme Enrico Letta, c’est-à-dire que vous voyez l’Europe telle quelle devrait être. Et je souscris à tout ce que vous venez de dire. Mais essayons de nous mettre à la place du citoyen européen qui lit ce rapport. À peine refermé, je me suis dit : « si je suis un entrepreneur européen un peu global (pas un petit artisan), qu’est-ce que j’y gagne ? » Si je gagne plus en délocalisant en Chine, ou en plaçant mon argent sur des fonds qui investissent aux Etats-Unis, pourquoi est-ce que je voudrais changer ? Tant que cette question triviale du gain ne sera pas traitée, je doute que ce projet d’un marché européen intégré sur le plan économique, industriel et financier puisse avancer. C’est ce qui me semble manquer au rapport d’Enrico Letta : il se rêve capitaliste, mais sans vraiment en avoir envie.

Philippe Meyer :
A sa création, le marché unique interdisait aux pays qui y participaient d’y faire entrer la finance, les télécom, l’énergie et la défense. Enrico Letta le fait, et apparemment, les chefs d’Etat et de gouvernement à qui il a présenté son rapport sont plutôt bien disposés face à ce fait nouveau. Que dites-vous d’un tel changement ?

Richard Werly :
Sur la finance et l’union des marchés de capitaux, il se trouve que j’ai été correspondant à Bruxelles entre 2006 et 2013, en pleine crise financière européenne. C’était le moment où jamais pour le faire, et certaines personnalités comme Sylvie Goulard ont même présenté des rapports sur le sujet. Et cela n’a pas été fait, alors que le besoin était maximal.
Sur l’énergie, ensuite. A cause de la guerre en Ukraine, on coupe le robinet du gaz russe. Là encore, y avait-il un moment plus propice à interconnecter le marché de l’énergie ? Non. Et pourtant, on n’y arrive pas non plus.
Je trouve les recommandations du rapport tout à fait louables, mais force est de reconnaître qu’on n’y arrive pas. Et à mon avis, c’est pour une raison simple : parce que les acteurs, privés ou publics, n’y trouvent pas un intérêt économique direct.

Marc-Olivier Padis :
L’interconnection électrique est faite sur le plan européen, on a même raccordé l’Ukraine, pour la protéger des coupures d’énergie qui viennent de la Russie. On a montré là une solidarité concrète de l’Europe. Même si on en parle peu, la grille électrique européenne existe.

Lucile Schmid :
Depuis le début des années 2000, l’UE a beaucoup travaillé sur l’énergie, notamment à l’occasion du paquet énergie-climat de 2008. Et puisqu’on veut développer l’énergie renouvelable, cette interconnexion est nécessaire, pour des raisons d’intermittences des sources d’énergies renouvelables.
En revanche, sur l’énergie il y a des distorsions importantes de culture entre les Etats. L’Allemagne est anti-nucléaire, la France est pro-nucléaire, bref la situation sera toujours celle d’une compétence partagée. En revanche, l’UE a beaucoup fait sur l’interconnexion énergétique.

Richard Werly :
Mais interconnexion ne veut pas dire intégration. Le marché européen est peut-être interconnecté, mais toujours pas intégré en matière énergétique. Et puis, le consommateur européen a-t-il gagné quoi que ce soit dans cette interconnexion ? Les factures ont explosé, pendant et après la pandémie, et on s’est aperçu que tout le monde avait spéculé … C’est ce marché-là qui est censé faire envie ?

Marc-Olivier Padis :
Combien de coupures d’électricité en Europe, alors que nous avons perdu 30% des fournitures en gaz avec l’arrêt des importations russes ? Aucune. Pourquoi ? Parce que l’électricité circule sur tout le continent.

Les brèves

Ce que la gauche doit à l’écologie

Lucile Schmid

"Ce livre est signé de Christophe Fourel, Céline Marty et Clara Ruault. Christophe Fourel est économiste, proche d’Alternatives économiques, et c’était surtout un grand ami d’André Gorz, dont il assume une forme d’héritage intellectuel. Céline Marty et Clara Ruault sont philosophes. L’ouvrage nous propose de revisiter des concepts fondamentaux pour la gauche : croissance, économie, capitalisme … Le livre démontre parfaitement que les contenus de cette approche sont différents quand on y intègre la pensée de la nature, du moyen terme. On voit que dans le logiciel politique de la gauche, il y a des notions économiques et une relation à l’écologie beaucoup plus imbriquée que l’on ne l’imagine a priori."

Journal de guerre vol.2 : Roumanie - France - Suisse, 1943-1945

Richard Werly

"Je me suis plongé avec beaucoup d’effroi mais beaucoup d’intérêt dans ce livre, qui nous raconte le pire de la France et le pire de la Suisse. Il s’agit du journal de Paul Morand. Ce volume commence quand Morand revient de Bucarest où il était diplomate, et qu’il il prend pour quelques mois l’ambassade française à Berne, alors que la France est encore occupée. Le journal de ces deux années couvre donc la libération de Paris et la mise en place du gouvernement De Gaulle alors que la guerre se poursuit, et il est tout à fait effarant. Ce n’est que de la petitesse, celle d’un écrivain talentueux qui ne pense qu’à une chose : récupérer ses fonctions, ses honneurs … Morand ne fait que dire des choses affreuses sur les Juifs, qui sont selon lui à l’origine d’à peu près tous les maux, tente de se convaincre que le gouvernement de Vichy a fait de son mieux … Cela donne également de la Suisse une image peu reluisante, ce pays qui a réussi à échapper à la guerre, et où tout le monde considère De Gaulle comme un escroc. Bref c’est aussi talentueux que dégoûtant."

La France sous leurs yeux

Marc-Olivier Padis

"Je recommande cette exposition de photojournalisme, qui présente « 200 regards de photographes sur les années 2020 ». Elle se tient à la Bibliothèque nationale de France, site François Mitterrand, jusqu’au 23 juin. C'est un portrait de la France au sortir de la crise Covid. La ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, avait participé au plan de relance avec une grande commande publique aux photographes de presse dont le pilotage a été confié à la Bibliothèque nationale de France. C'est un condensé extraordinaire de reportages, de rencontres, d'explorations dans tous les territoires, auprès de tous les milieux. On voit beaucoup de portraits, de lieux de vie, de métiers peu représentés. Chaque photographe de presse a un projet, personne ne vagabonde au hasard - il s'agit d'une commande publique. Terrains de sport, villages oubliés, zones industrielles, territoires périurbains, la France est arpentée dans tous les sens. On est souvent surpris, avec un sentiment d'étrangeté plutôt que de déjà-vu. Une bonne manière de se dépayser en regardant notre pays."