ISRAËL/PALESTINE : QUE DOIT VOULOIR ET QUE PEUT FAIRE LA FRANCE ?
Introduction
ISSN 2608-984X
Philippe Meyer :
En 1974, la France, pionnière sur la question israélo-palestinienne, s'est prononcée en faveur de l'admission de l'Organisation de libération de la Palestine à l'ONU en tant que membre observateur. En 1982, François Mitterrand a été le premier président à exprimer devant le parlement israélien, la Knesset, le projet de création d'un État palestinien. La France a par la suite voté en faveur du statut d'État observateur non-membre aux Nations unies en 2012, et en faveur du déploiement du drapeau palestinien à l'ONU en 2015. Comme on le lit sur le site du ministère des Affaires étrangères : Paris s'en remet aux résolutions adoptées au sein de l'ONU, et défend donc « une solution à deux États (résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations unies), une solution juste pour les réfugiés (résolution 194 de l'Assemblée générale des Nations unies), la fin de l'occupation israélienne (résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies) et la préservation du statut de Jérusalem (résolutions 476 et 478 du Conseil de sécurité des Nations unies) ». La page a été mise à jour pour la dernière fois en 2020.
Le 18 octobre dernier, la France a été un des seuls pays occidentaux du Conseil de sécurité des Nations unies à voter le projet porté par le Brésil, d’une résolution condamnant l'attaque terroriste du Hamas, exigeant la libération des otages, mais aussi l’ouverture urgente d'un accès humanitaire et le rappel de la perspective de la création des deux États. La France a également voté les résolutions présentées par les Émirats arabes unis pour accorder de nouveaux droits à l'État « observateur » de Palestine au sein des Nations unies.
Le 21 mai, la France a apporté son soutien à la demande du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) d’un mandat d’arrêt contre le premier ministre de l’État hébreu, Benyamin Nétanyahou, et Yoav Gallant, son ministre de la Défense, ainsi que contre trois dirigeants du Hamas. Cependant, « ces demandes simultanées ne doivent pas créer d'équivalence entre le Hamas et Israël, a expliqué le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné. D'un côté, vous avez un groupe terroriste qui s'est félicité des attaques du 7 octobre. Et de l'autre côté, vous avez un état démocratique qui doit respecter le droit international ».
En revanche, à l’Assemblée nationale, l’initiative du député MoDem du Loiret Richard Ramos de transformer le groupe d’études à vocation internationale France-Palestine en groupe d’amitié a été rejeté le 15 mai. Et si, le 22 mai, la Norvège, l'Irlande et l'Espagne ont reconnu l'État palestinien, rejoignant les 139 pays qui ont déjà reconnu cet État (sur les 193 que compte l’ONU), la France a refusé de se joindre à ce mouvement. Le chef de la diplomatie française a estimé que la décision, quoique « non tabou », devait « intervenir au bon moment » et « permettre une avancée décisive sur le plan politique ». Dans un tweet, il a rappelé « les priorités de la France : libération immédiate des otages, cessez-le-feu, aide humanitaire massive et deux États vivant en paix et en sécurité ».
Kontildondit ?
Jean-Louis Bourlanges :
Je précise que la transformation du groupe d’études en groupe d’amitié a été rejetée par le bureau, elle n’a pas fait l’objet d’un vote de l’Assemblée.
Akram Belkaïd :
Que doit faire la France ? J’imagine qu’il y a à peu près autant de réponses que de convictions différentes. Ce qui est certain, c’est que depuis le 7 octobre dernier, il y a une position d’équilibriste du gouvernement français, avec des positions qui ont parfois beaucoup étonné (quand par exemple Emmanuel Macron a suggéré l’idée d’une coalition contre le Hamas, idée qui a vite disparu des radars). On a vu ensuite le président français durcir le ton, en faisant de Rafah une « ligne rouge » : toute attaque israélienne contre Rafah serait considérée comme une faute. On voit bien aujourd’hui qu’il n’en est rien. Et on a la sensation qu’il y a eu une décision plus ou moins assumée de se tenir coûte que coûte aux côtés d’Israël, même si le discours officiel reste celui de la solution à deux Etats et d’une coexistence séparée des deux peuples.
Dans le contexte actuel, où la guerre est visiblement loin d’être terminée, où M. Netanyahou a sa propre stratégie (qui vise clairement à rester en place au pouvoir, et à faire durer ce conflit, au moins jusqu’à l’élection présidentielle américaine, où il espère voir Donald Trump l’emporter), il reste une urgence à agir sur le plan humanitaire.
Sur la reconnaissance de l’Etat palestinien, la position française est incompréhensible. La France a longtemps été une locomotive sur cette question (De Gaulle, Mitterrand et Chirac étaient très fermes), en gardant le même message : « nous restons sur nos positions, et n’acceptons aucune critique, y compris venant de l‘Etat d’Israël ». Aujourd’hui, on a l’impression d’avoir affaire à un personnel politique absolument tétanisé à l’idée de froisser la classe politique israélienne, en tous cas la coalition d’extrême-droite actuellement aux affaires dans l’Etat hébreu.
Le discours autour de la solution à deux Etats ne doit tromper personne, parce que ces vingt dernières années, il n’a en réalité servi qu’à gagner du temps. Quand on regarde l’évolution du terrain, on constate que la situation des Palestiniens n’a jamais cessé de se dégrader, que le nombre de colonies et de colons en Cisjordanie a atteint des sommets (il a été multiplié par quatre ces vingt dernières années). On se retrouve donc avec une situation où, même si la bonne volonté était là, on ne saurait plus comment s’y prendre. L’Etat palestinien est aujourd’hui une fragmentation, une espèce d’archipel, constitué d’îlots séparés par des checkpoints et des colonies. Comment remédier à cela ? L’idée que reconnaître un Etat palestinien permettrait de tout régler est bien trop simpliste. D’autre part, la création d’un Etat palestinien se complique de jour en jour, et il faut bien avoir conscience de la difficulté que cela crée pour les Palestiniens et les Israéliens : comment fait-on pour rapatrier 500 000 colons à l’intérieur des terres d’Israël ? On voit bien les risques de guerre civile que cela peut porter au sein même de la société israélienne.
Marc-Olivier Padis :
Ce que la France devrait faire avant tout, c’est reconnaître qu’il existe un débat en Israël, qui s’est rouvert très récemment, après des semaines de silence politique. Le ministre de la Défense Yoav Gallant a pris publiquement position pour critiquer l’absence totale de perspective du Premier ministre Netanyahou, et ce faisant, il a repris des discours qui sont présents depuis les débuts dans les milieux militaires, disant qu’il n’y a pas de solution militaire à la question du Hamas : on ne peut pas éradiquer militairement un mouvement terroriste qui est à la fois militaire et politique. Et de fait, l’armée israélienne n’y parvient pas. Alors, quelle est la perspective politique ? La proposition de M. Netanyahou, continuer l’opération militaire « aussi longtemps que nécessaire » est donc aussi vague qu’insuffisante. Reconnaître qu’il y a un débat interne dans la vie politique et dans la société israélienne peut être une façon de ne pas laisser la parole qu’aux extrêmes, et de rendre audibles des alternatives.
Sur la question de la reconnaissance d’un État palestinien, la positon française consiste à la garder en réserve, dans le cadre d’un accord plus large, à un moment plus opportun. Cela peut se comprendre, mais comme l’a dit Akram, dire qu’il faut deux Etats ne donne pas la moindre idée de comment s’y prendre concrètement. Comment constituer la Palestine ? La ligne politique de Netanyahou a consisté à dire « nous n’avons pas d’interlocuteurs » et à continuer la colonisation. Aujourd’hui on voit bien qu’il n’y a que trois possibilités pour Gaza. Soit c’est le scénario de Netanyahou, Israël continue l’action militaire sine die, soit les Israéliens se retirent un moment, mais c’est le chaos qui s’ensuivrait, soit on rétablit une autorité palestinienne sur ce territoire. Mais comment faire ? Le président français semble donner des signes, en disant à Mahmoud Abbas qu’il faut réformer l’autorité palestinienne. Sauf que le territoire palestinien est aujourd’hui un archipel, on voit donc mal comment une autorité centralisée pourrait gérer cela.
Financièrement, le premier contributeur international à l’aide humanitaire aux palestiniens est l’Union européenne. Si c’est l’amrée israélienne qui tient Gaza, avec le niveau de destruction actuel , je vois mal comment l’Europe pourrait financer un territoire occupé militairement.
Matthias Fekl :
La situation actuelle a créé une émotion qui a envahi l’ensemble de l’espace public, et c’est compréhensible. D’un côté, il reste des otages au Hamas, dont la libération reste indispensable. Parmi eux, des femmes, des enfants et même des bébés … De l’autre une situation humanitaire effroyable à Gaza, des violences insoutenables, dont les victimes sont aussi des femmes, des enfants, des bébés … Au-delà de l’émotion, la France doit essayer de trouver une voie fondée sur la raison. Et quand on s’efforce de considérer objectivement la situation, on est forcé de reconnaître que depuis des années, une partie du Hamas et une partie de l‘extrême-droite israélienne sont en réalité des complices tacites. Les uns s’appuyant sur les autres pour perpétuer le conflit et compliquer la situation jusqu’à la rendre indémêlable.
La solution ne pourra être que politique, mais comment trouver des deux côtés des femmes et des hommes de paix, qui acceptent de dialoguer, et de trouver une alternative à la violence ? Il me semble que c’est aujourd’hui la tentative de la diplomatie française : prendre des points d’appui concrets. La reconnaissance de l‘Etat palestinien telle qu’elle est faite aujourd’hui par un certain nombre de partenaires européens est compréhensible dans le principe, mais elle ne règle absolument rien : les contours de cet Etat ne sont pas définis, pas plus que le type d’autorité qui s’y exercerait. Par conséquent, dire que la reconnaissance ne doit avoir lieu que quand ses modalités concrètes seront connues et possiblement opératoires ne me semble pas particulièrement irrationnel.
Il y a ensuite la question du droit international : comment le faire respecter ? C’est fondamental. La position de la France doit être une position d’équilibre (et non celle d’un équilibriste), qui rappelle chacun à ses exigences, celles des principes supérieurs que la France a toujours défendus.
Jean-Louis Bourlanges :
Le problème est incroyablement difficile, mais on ne peut partir que de là où nous sommes. Vous avez rappelé en introduction que le président Mitterrand avait été le premier à reconnaître ce qu’on appelle aujourd’hui « la solution à deux Etats ». C’est vrai factuellement, mais il faut cependant rappeler quelques points. La gauche française non communiste a toujours été profondément liée à Israël, à commencer par l’expédition de Suez en 1956. Jean-Thomas Nordmann, qui était mon collègue au Parlement européen, avait dit à M. Shimon Peres : « je suis du Parti radical, le parti de M. Bourgès-Maunoury ». A ce moment, grand sourire et tape dans le dos du président israélien, qui savait très bien à qui il devait l’arme nucléaire. Pour nos auditeurs plus jeunes, Maurice Bourgès-Maunoury était président du Conseil des ministres en 1957, il était radical-socialiste, soutenu par une majorité de gauche. L’enracinement est donc très profond. Il s’appuyait sur le socialisme israélien, construction idéologique extraordinaire : un Etat aux origines bibliques, et mené par des socialistes laïques.
Deuxième tradition, introduite par le général de Gaulle (qui avait pourtant des liens très profonds avec David Ben Gourion) : le choix d’une prise en compte de la dimension palestinienne dans la gestion de cet espace, avec l’idée que l’Etat hébreu ne pourrait pas s’en tirer tant qu’il n’aurait pas une idée claire de ses frontières. Cela conduisait d’ailleurs de Gaulle à avoir un pronostic assez pessimiste sur l’avenir d’Israël.
Je ne partage pas la sévérité d’Akram sur la position actuelle des Français. Certes, il y a eu la suggestion de coalition du président Macron. Je ne sais pas s’il s’agissait d’un lapsus ou d’une improvisation, mais c’était effectivement très hasardeux. Il m’arrive de recevoir des ambassadeurs de la ligue arabe, et il ne viendrait pas à l’idée d’un seul d’entre eux, même le plus modéré, de dire du mal du Hamas. Par conséquent, s’imaginer faire émerger une coalition anti-Hamas à partir de ce groupe d’Etats était mal inspiré … Mais à part cette formule inopportune, il reste tout de même une certaine fidélité à la position française traditionnelle. Et notamment le vote à l’ONU, où nous avons soutenu la résolution des Brésiliens, le vote en faveur de la reconnaissance de l’Etat palestinien à l’ONU, et tout cela contre les Américains. Nous ne sommes donc pas dans une ligne purement suiviste d’Israël.
Pourquoi ne va-t-on pas plus loin ? Un mot à propos de l’Assemblée nationale. J’ai personnellement pris position, en exprimant mon regret de ne pas avoir créé le groupe parlementaire d’amitié franco-palestinien. J’ai beaucoup soutenu M. Ramos dans sa proposition, même si je trouve qu’il a réagi de façon abusive en mettant en cause le président de l’Assemblée, qui n’a fait que son travail. La réticence était d’ailleurs très liée au Modem. Nous avions voté en groupe, et 80% d’entre nous étaient favorables à la création de ce groupe d’amitié. Nous avions trois représentants au bureau, or deux sur ces trois ont voté contre. On aime beaucoup la liberté de vote au Modem, mais je crois que ces deux votes « contre » n’étaient pas fondés. Cela a donc créé des tensions, car nous étions très largement favorables à la création de ce groupe d’amitié. Et c’est important, car reconnaître un Etat, c’est reconnaître une effectivité, c’est reconnaître un Parlement. Il y a un Parlement palestinien, mais la dernière élection date de 2006, et il est composé à 40% de soutiens du Hamas … C’est ce qui explique les réticences.
Je crois qu’il faut préférer l’anticipation à l’effectivité. Évidemment, ce n’est pas une solution « clefs en main », mais il me semble que le principal problème de l‘État palestinien, c’est avant tout la mise en œuvre d’un processus, qui reconnaît la dualité des entités légitimes sur un même territoire. Ensuite, il faudra construire. Mais avant tout, il faut reconnaître ce principe de dualité d’autorités légitimes. La reconnaissance de l’Etat participe de cette anticipation, certains pays le font. De Gaulle était en avance sur cette question, et nous sommes en retard. Pourquoi ? Parce que nous avons un problème intérieur, et un problème européen. Sur le plan intérieur, il y la croisade de M. Mélenchon, qui est sécessionniste, et conduit à des débordements antisémites évidents (pas simplement antisionistes), qui conduit à une réaction de l’opinion modérée, qui n’entend pas cautionner une telle dérive. Et sur le plan européen, la ligne allemande est celle d’un soutien absolu et total à Israël. Les raisons en sont compréhensibles, mais cela réduit le poids que peut avoir la France.
Akram Belkaïd :
Philippe donnait en introduction le nombre de pays ayant reconnu l’Etat palestinien. Il faut y ajouter la Slovénie, qui vient de le faire. J’étais étonné d’entendre le ministre français des Affaires étrangères critiquer cette reconnaissance, déplorant que « ces pays prennent des positions politiques ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Que faire, sinon de la politique ? D’un côté, le président français dit « il ne faut pas tomber dans l’émotion », mais il ne faudrait pas non plus faire de la politique ? C’est au contraire ce qu’on attend aujourd’hui de la France. Une vraie politique étrangère, claire et lisible. 142 pays ont pris position, c’est beaucoup. On parle beaucoup de « Sud global », on sait quelle est aujourd’hui l’impopularité de la France en Afrique … Cela vaut aussi pour le monde arabe. L’image de la France y est aujourd’hui catastrophique. On fait toujours la même erreur de lecture, notamment au sein des élites politiques, qui considère que les bonnes relations avec les dirigeants arabes suffisent. Mais c’est complètement faux. Ce n’est pas parce que la France s’entend bien avec le prince héritier saoudien que les Saoudiens ont une image positive de la France. Cette détérioration de l’image française dans le monde arabe aura des conséquences.
Jean-Louis Bourlanges :
Le regret de notre ministre est paradoxal, précisément parce que la France a pris une position politique, en soutenant le principe de la reconnaissance de l’Etat palestinien à l’ONU. Le ministre a expliqué par ailleurs qu’on ne pouvait pas reconnaître cet Etat par un processus bilatéral, précisément parce ce que ce n’était pas techniquement au point : pas de frontières clairement établies, pas d’autorité, etc.
ÉVOLUTIONS DU TEXTE SUR LA FIN DE VIE
Introduction
Philippe Meyer :
Le projet de loi relatif à « l'accompagnement des malades et de la fin de vie » a été présenté le 10 avril 2024 en Conseil des ministres. Il est articulé autour de trois grands axes : l'aide à mourir à proprement parler, les soins palliatifs et l'accompagnement, les droits des patients et de leurs aidants. Le 17 mai, au terme d'une intense semaine de débats, le texte a été approuvé à main levée par une commission spéciale. Débattu dans l'hémicycle depuis lundi, le texte comprend des critères d’accès à l’aide à mourir élargis à la faveur d’amendements portés en commission par la gauche, mais aussi par une partie des députés de la majorité présidentielle. La formulation du critère selon lequel, le patient devra être atteint d'une pathologie incurable qui menace ses jours « à court ou moyen terme » a fait l'objet de critiques de spécialistes de la fin de vie, car jugée trop floue. Elle a été réécrite par les députés de la commission spéciale qui ont préféré la notion d'affection « en phase avancée ou terminale ». Ce changement rend éligibles à l’aide à mourir des personnes atteintes d’affections incurables dont l’espérance de vie peut être de plusieurs années. C’est le cas de certaines maladies neurodégénératives. « Cela peut conduire à inclure de nombreuses pathologies non mortelles qui sortent de la philosophie du projet de loi. Le gouvernement proposera donc d’y revenir », a indiqué le Premier ministre Gabriel Attal, dans La Tribune dimanche. En revanche, les quatre autres critères encadrant le droit à l’aide à mourir demeurent inchangés. Il faut être majeur, résider en France ou être de nationalité française, être capable d'exprimer ses dernières volontés avec discernement et souffrir de douleurs insupportables ou réfractaires au traitement.
Sur l’autre volet du projet de loi, qui prévoit le développement des soins palliatifs, le gouvernement s’est voulu rassurant. La ministre de la Santé, Catherine Vautrin a rappelé que 1,1 milliard d’euros supplémentaires sur dix ans seront consacrés au secteur financé à hauteur de 1,6 milliard d’euros.
Plusieurs sondages décrivent des Français majoritairement favorables à la légalisation d'une forme d'aide à mourir. L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité a salué l’avènement du projet de loi. La gauche également, ainsi que la majorité des députés macronistes. Le monde médical est divisé. Plusieurs associations de soignants se déclarent contre le texte et les opposants au projet les plus virulents demeurent les équipes de soins palliatifs. Les évêques français se sont prononcés contre le projet. Compte-tenu de la sensibilité du sujet, tous les groupes de l’Assemblée nationale laisseront à leurs membres la liberté de vote. Le Parti socialiste, les écologistes et les députés « insoumis » ont annoncé leur volonté de poursuivre l’assouplissement du texte au cours des débats, qui doivent durer quinze jours au Palais-Bourbon. La procédure d’urgence n’ayant pas été demandée, les allers-retours entre députés et sénateurs peuvent durer des mois.
Kontildondit ?
Marc-Olivier Padis :
On n’est qu’au milieu d’un processus, puisque le texte ne devrait arriver au Sénat qu’à l’automne, avant de retourner à l’Assemblée. Cette suite d’allers-retours devant permettre à tout le monde d’avoir le temps de débattre. Un consensus semble se dessiner depuis le rapport de la commission consultative nationale d’éthique il y a quelques mois, pour dire premièrement que la situation actuelle ne convient plus et doit évoluer, parce qu’un certain nombre de situations ne sont pas couvertes par les textes actuels. Deuxièmement, personne ne défend l’idée d’un droit inconditionnel à l’euthanasie. Il s’agit ici de fixer les conditions d’encadrement à respecter. Et puis, ce qui a un peu évolué dans les débats, c’est l’idée de permettre un geste létal personnel par l’auto-administration, accompagné ou non.
La commission spéciale des députés a fait bouger le texte, et un certain nombre de sujets font débat. Il faut commencer par rappeler qu’on parle d’un nombre de cas extrêmement limité : si on s’en tient au périmètre le plus étroit du texte prévu par le gouvernement, on arrive autour de 1% des décès annuels. Si on élargit au maximum (ce que demandent les associations favorables au droit à mourir dignement), on est entre 3% et 4%.
Aujourd’hui, on ne peut intervenir que pour des patients atteints d’une maladie incurable, et ressentant des souffrances qu’on ne parvient pas à soulager. Avec une perspective de décès « à court ou moyen terme ». Qu’est-ce que cela signifie exactement ? Jusqu’à présent, le texte de loi ne parlait que de « court terme » pour administrer à la personne souffrante une sédation profonde et continue, jusqu’à son décès. Dans la jurisprudence, le court terme s’entend par « quelques heures ou quelques jours ». D’après la haute autorité de santé, il semble que le moyen terme doive être entendu comme « quelques semaines à quelques mois ». Mais des médecins font remarquer que pour un patient atteint d’un cancer en phase terminale, au-delà de quelques semaines, peu de médecins se risqueraient à donner un pronostic précis d’espérance de vie. Les autres pays européens qui ont adopté une législation sur la fin de vie ne mettent pas cette limite de temps. On n’y parle que de maladie incurable, accompagnée d’une souffrance réfractaire, et la volonté fermement déclarée par la personne.
Il y a ensuite la question du discernement. La lucidité de la personne est évidemment requise, mais cela pose le problème des directives anticipées. On peut déjà en faire par écrit, dans la loi Leonetti. Cela concerne les personnes atteintes de maladies dégénératives, leur faisant perdre leur discernement. Dans ces cas-là, doit-on considérer ces directives anticipées comme opposables, ou bien est-ce que le fait que ces personnes ne soient plus lucides leur retire ce qu’elles ont pourtant fermement demandées par écrit ? C’est un problème difficile.
C’est sur ces deux points que ce concentrent les débats des députés, puisqu’on a laissé de côté la question des mineurs et celle des souffrances psychiques.
Akram Belkaïd :
Ces questions sont extrêmement délicates à trancher, car elles touchent aux convictions, à l’intime, parfois à la foi. Au Monde diplomatique, nous avons eu en septembre dernier une conférence de rédaction, parce que nous avions publié une double page sur la question. Les échanges étaient intéressants et très instructifs, on voit bien qu’une question pareille va bien au-delà des convictions politiques. Nous avions publié le témoignage d’une personne qui souhaitait partir (et est décédée depuis la publication). Elle avait été obligée d’aller en Belgique pour le faire …
Comme Marc-Olivier, je crois qu’il faut rappeler à quel point les cas concernés sont rares, car on ne le dit pas assez. Il ne faut surtout pas penser qu’on est en train de généraliser une volonté de faire partir toute une partie de la population, une espèce de syndrome « soleil vert » …
Dans ce genre de situation, je crois qu’il faut écouter les praticiens, et je suis sensible aux discours que tiennent un certain nombre de médecins qui, sans être totalement hostiles, ont émis des réserves sur ce projet de loi, faisant valoir une position très prudente. Ce qui me semble clair, c’est que sur un sujet aussi délicat, nous n’aurons jamais un texte de loi qui satisfera tout le monde.
Le problème de la fin de vie est indissociable de celui des soins palliatifs. La somme de crédits qui vont leur être alloués peut paraître impressionnante, mais elle est en réalité dérisoire si on considère la durée. Il y a là un vrai problème. Enfin, les structures hospitalières françaises n’accordent pas beaucoup d’importance à la question du vieillissement de la population. Je pense qu’une erreur stratégique de taille a été commise, dans la non-anticipation de ce phénomène. Il n’y a qu’à se pencher sur l’état des structures de gériatrie pour comprendre à quel point le problème est important, et absolument pas en phase avec l’évolution démographique du pays.
Matthias Fekl :
Le sujet est si épineux qu’on doit s’interdire d’asséner des certitudes. Chacun a cependant ses convictions, et pour ma part je pense qu’il faut aller plus loin que le droit d’aujourd’hui, parce que trop de situations dramatiques n’y sont pas prises en charge de façon satisfaisante.
D’abord, je me réjouis de la qualité du débat parlementaire sur cette question. Il y a eu des années de travail et de rapports préliminaires, puis une convention citoyenne. Il me semble que chacun est conscient de l’enjeu et de la délicatesse du problème. La liberté de vote le prouve, je n’ai pas l’impression que les groupes parlementaires vont donner des directives sur un sujet pareil.
Le critère essentiel me paraît être la garantie qu’il s’agit bien d’un choix libre, individuel et totalement assumé de la personne en cause. Il faut être absolument certain que la volonté a été exprimée sans ambiguïté. Ensuite, la question se pose effectivement de savoir si, au moment de passer à l’acte, cette volonté est encore là ou si elle a changé. Il y a de multiples situations où une personne peut être incapable de s’exprimer clairement. C’est pourquoi la question des directives anticipées est cruciale, ainsi que celle de la perte (totale ou partielle) de lucidité. J’ai l’impression que la société française est mûre sur ce sujet, car tout le monde a connaissances de situations difficiles et non prises en charge.
Le problème des soins palliatifs est effectivement lié à celui de la fin de vie. Beaucoup de gens peuvent être tentés d’en finir parce qu’ils ressentent des souffrances insupportables. Je ne crois pas qu’il faille opposer les deux questions, nous avons énormément de retard en France (même s’il existe quelques admirables exceptions, comme la maison Jeanne Garnier). En tous cas, il faudra éviter la bureaucratisation du processus, et qu’une administration (fût-ce celle du corps médical) prenne le pouvoir sur des vies individuelles au moment ultime.
Jean-Louis Bourlanges :
Ce projet de loi réfléchit à trois problèmes très distincts. Les soins palliatifs, le problème de savoir si chacun a le droit de décider de sa propre mort (et dans quelles conditions), et la gestion de situations graves pour des personnes qui ne sont plus conscientes.
Sur les soins palliatifs, je suis un peu choqué que juridiquement, on fasse une loi pour dire qu’il faut faire appliquer la loi précédente. Car la loi précédente organisait les soins palliatifs, mais les gouvernements successifs ne l’ont jamais mise en œuvre. L’inquiétude dans cette affaire vient de l’alternative entre la solution courte (mourir), ou la solution longue (les soins palliatifs). Il est évident que les soins palliatifs sont plus coûteux. Et la situation d’impécuniosité de l’Etat permet de douter qu’on mette en place toutes les unités de soins palliatifs nécessaires … Il y a là un principe de réalité qu’on ne peut pas ignorer.
Deuxième problème, très profond, à propos duquel je suis en désaccord avec l’Eglise, et avec les défenseurs de la loi : savoir à qui appartient le droit de mettre fin à sa vie. L’Eglise considère que c’est à Dieu seulement, et donc que nul n’a le droit de mettre fin à sa vie. C’est pourquoi, à l’époque où l’Etat français était religieux, un suicidé voyait par exemple ses héritiers privés de leur héritage. Le crime contre soi était assimilé à un crime contre autrui, le suicide était un homicide parmi d’autres. Et ce raisonnement est encore assez largement présent aujourd’hui. En effet, on organise le système comme un principe de dérogation, avec les risques bureaucratiques qu’a pointés Matthias. On invente des entités qui vont pouvoir prendre la décision, en fonction de certains critères, dont on discute actuellement (comme le pronostic « à moyen terme » qui vient d’être écarté pour les raisons qu’a expliquées Marc-Olivier). Il n’en reste pas moins que le problème demeure : quels sont les critères ? Et qui est autorisé à décider ? Je ne vois pas pourquoi ce serait l’Etat, ou un collège de médecins. Et encore moins la société, c’est-à-dire l’entourage. Je trouve parfaitement aberrant que la décision de vivre ou de mourir ne soit pas donnée à l’individu concerné. Il y a deux conceptions sur le droit de mourir. Celle des chrétiens, qui j’ai évoquée plus haut, et celle des stoïciens (qui est la mienne) : pouvoir partir quand on estime que son temps est fini, indépendamment de considérations médicales.
Troisièmement, le problème de l’euthanasie, qui m’inquiète beaucoup. Administrer la mort à quelqu’un qui n’est plus en état de la demander me choque. Et je me méfie des déclarations anticipées. Je pense à la fable de La Fontaine « la Mort et le bûcheron ». Le bûcheron appelle la Mort parce qu’il juge sa vie insupportable. La Mort arrive, lui demande ce qu’il faut faire, et il la congédie … « Plutôt souffrir que mourir, C'est la devise des hommes. ». La loi Clayes-Leonetti est certes imparfaite, mais la sédation longue et profonde me semble la solution la plus prudente.
Marc-Olivier Padis :
Je conteste l’argument financier, je ne crois pas qu’on propose l’aide à mourir pour soulager financièrement le système hospitalier. Ce n’est pas ce qu’a dit Jean-Louis, mais c’est une idée qu’on entend parfois, et qui doit être récusée. Encore une fois, je rappelle que les cas concernés sont très peu nombreux, donc financièrement parlant, c’est très marginal, et puis on ne peut pas dire qu’il ne s’agit que d’un choix strict entre deux parcours, les soins palliatifs ou la fin de vie. Parce que, quoi qu’en dise la présidente de la société française des soins palliatifs, les soins palliatifs n’arrivent pas à prendre en charge l’ensemble des cas. Sans quoi il n’y aurait même pas de discussion. Si les soins palliatifs étaient capables de soulager toutes les situations, ce serait aberrant d’envisager la fin de vie. C’est ce que disent les médecins et les hospitaliers.
Jean-Louis Bourlanges :
Je ne voulais pas dire qu’il n’y a qu’une alternative : les soins palliatifs ou la fin de vie. Je crois cependant qu’il y a une pente inquiétante : au moment où les soins palliatifs vont faire défaut (et ce moment arrivera tôt ou tard, pour des raisons financières), on envisagera la possibilité de s’en sortir autrement …