DÉCOMPOSITIONS, RECOMPOSITIONS
Introduction
ISSN 2608-984X
Philippe Meyer :
La dissolution a provoqué diverses ondes de choc. A droite, Les Républicains (LR) se trouvent écartelés entre les partisans d’une alliance avec le Rassemblement national (RN), les tenants de l’indépendance ou les défenseurs du ralliement au camp macroniste. A gauche, les principaux partis ont annoncé, le 13 juin, après plusieurs jours d’intenses négociations, un accord sur les candidatures et le programme commun d’un « nouveau front populaire ». Les macronistes tentent de s’accorder avec la droite modérée en nouant des accords localement, pour faire barrage ici au Rassemblement national, là au Nouveau Front populaire. Edouard Philippe, président d’Horizons, essaie d’avancer ses pions et de marquer sa différence en travaillant à la construction d’une « majorité parlementaire » dans la prochaine Assemblée, qui irait « de la droite conservatrice aux sociaux-démocrates ». Vendredi, il déclarait « c’est le président de la République qui a tué la majorité présidentielle » en décidant de dissoudre l’Assemblée nationale. Le contraste est très fort entre la condamnation quasi unanime de cette décision par la classe politique et les médias, et ce qu'en disent les Français. Dans un sondage réalisé par Opinionway les 17 et 18 juin, la moitié d'entre eux jugent la décision d'Emmanuel Macron justifiée. La gauche y est la plus opposée, bien qu'une proportion de 40% la juge tout de même justifiée.
L’offre électorale proposée a beau avoir été simplifiée, avec la consécration de trois blocs aux visions du monde antagonistes, les nouvelles alliances électorales et les positionnements fluctuants noués lors de cette campagne de12 jours - la plus courte de la Ve République – rendent difficile la compréhension du jeu électoral. D’autant que le code électoral permet, pour les élections législatives, des triangulaires ou des quadrangulaires au second tour : tous les candidats dépassant 12,5 % des inscrits pouvant se maintenir au second tour. Dans ce paysage, les sondages donnent le RN est en position de force. Selon celui d’Ifop-Fiducial pour Le Figaro, LCI et Sud Radio, publié jeudi, l'alliance entre le RN et la frange de LR partie avec Éric Ciotti récolterait 34 % des voix au premier tour le 30 juin, soit cinq points devant l'alliance de gauche, le Nouveau Front populaire, estimée à 29 %. Le camp macroniste est estimé à 22 %, soit une remontée par rapport à la plupart des études d'opinion publiées depuis la dissolution. Enfin, les Républicains - hors alliance avec le RN - stagnent à 6 % des voix, tandis que Reconquête ne récolterait que 2 % des scrutins. Selon cette étude, la participation au premier tour serait par ailleurs estimée à 64 %, contre 53,7 % en 2022.
« Les lignes politiques ont plus bougé en sept jours qu’en sept ans », observe Raphaël Llorca, expert associé à la Fondation Jean Jaurès. Cette dissolution a pour effet principal de fragmenter un peu plus un système partisan dominé, selon l’expression du politiste Rémi Lefebvre, par les « partis personnels » depuis 2017 (Renaissance autour d’Emmanuel Macron, LFI et Jean-Luc Mélenchon, le RN et Marine Le Pen…).
Kontildondit ?
Lucile Schmid :
Je voudrais d’abord rappeler quelques points à propos de ces élections législatives. C’est la première dissolution depuis 1997, et la première depuis que nous sommes passés au quinquennat, passage au cours duquel l’élection législative s’est synchronisée avec l’élection présidentielle. C’est donc une grande première, et c’est pourquoi la participation à ces élections sera bien différente. On annonce déjà plus de 11 points de participation supplémentaires par rapport aux précédentes, cela signifie que les prédictions des sondages seront sans doute bien différentes des résultats, très difficiles à prévoir.
Deuxième élément à garder en tête : les législatives sont des élections mixtes, à la fois locales et nationales. En 2022, le RN était arrivé au second tour dans 208 circonscriptions, et avait fait plus de 46% dans 146 d’entre elles. Cela donne une idée du rapport de forces. Le RN a indéniablement progressé depuis 2022, mais dans un scrutin uninominal à deux tours, si l’on se fie à ce qui s’était passé il y a deux ans, il pourrait remporter au maximum 208 circonscriptions. C’est certes énorme, mais ce n’est pas une majorité absolue.
Ce qui a surpris, c’est la vitesse de la recomposition politique. Mais cette rapidité ne fait que dévoiler des mouvements souterrains en cours depuis longtemps. Notamment au sein de LR. Et il est intéressant d’observer un certain nombre de personnalités politiques tenter leur chance et s’abstenir de la logique collective et partisane. C’est le cas d’Eric Ciotti, qui était envisagé il y a quelques semaines encore comme un ministre possible d’Emmanuel Macron. L’opportunité individuelle l’emporte donc sur la discipline collective.
Ce qui a encore surpris, et notamment la majorité présidentielle, c’est a rapidité avec laquelle s’est constituée une alliance à gauche, alors que la tentative précédente, la NUPES, s’était entre-déchirée. Comment expliquer ce début de structuration en à peine 48 heures ? J’y vois trois raisons : d’abord, une culture anti-RN, très forte à gauche, quelle que soit la formation. Ensuite, et cette deuxième raison est moins noble, l’opportunité : une chance se présente, et il s’agit de la saisir. Enfin, la détestation d’Emmanuel Macron a sans doute servi de ciment à cette union à gauche.
Du côté de la majorité présidentielle, la recomposition n’est pas sur le fond, mais sur les personnes. Ainsi, en 48 heures, Gabriel Attal, après avoir ouvertement affiché sa déception face à la décision de dissoudre, devient leader de ces élections législatives, où il prend en quelque sorte la place d’Emmanuel Macron, en tous cas sur les affiches. J’observe aussi que Yaël Braun-Pivet, ci-devant présidente de l’Assemblée nationale, a elle aussi affiché une ambition personnelle, et qu’Edouard Philippe n’a pas hésité à se séparer très explicitement d’Emmanuel Macron.
Dans ce moment de décomposition et de recomposition, la question de qui croire devient très compliquée. Les programmes devraient être éclairants, mais pour le moment, ils me font l’effet de la foire à la saucisse …
Richard Werly :
Je reviens sur quelques termes qu’a employés le président de la République (puisque c’est à sa décision que nous devons la recomposition actuelle). Quand il a annoncé la dissolution, il a répété à plusieurs reprises le mot de clarification. Et à n’en pas douter, il y en a quelques unes en ce moment. D’abord, la capacité de la gauche à s’unir, défiant par là les pronostics présidentiels. Ensuite, la dynamique renforcée du RN (certains sondages placent aujourd’hui Jordan Bardella à 35,5% avec l’appoint de la droite d’Eric Ciotti, contre 31,8% aux élections européennes). Troisième clarification : la disparition d’Emmanuel Macron. Tout le monde fait comme s’il était déjà parti, on ne veut plus de sa photo ou de son nom sur les affiches de campagne, et personne ne s’interroge sur ce qu’il faudrait faire avec lui les deux prochaines années.
Ensuite, le mot démocratique. Car je crois qu’Emmanuel Macron a accompli là un geste démocratique qu’il faut saluer. Il est revenu au peuple en tant que souverain. S’interroger sur la crise que provoque la dissolution ne doit pas faire oublier qu’elle vient tout de même d’un réflexe démocratique. Certes, le calendrier pose problème, on peut se demander s’il est réellement démocratique de forcer les gens à se prononcer en deux semaines, avec une campagne extrêmement courte, et dans un contexte tendu par l’approche des Jeux Olympiques.
Un troisième mot est beaucoup prononcé en ce moment : la détestation d’Emmanuel Macron. Selon les sondages, on promet au camp présidentiel entre 22% et 25% des voix. Le président dispose donc d’un socle de fidèles, qui croient depuis 2017 à son message et à sa vision. La « détestation » a cependant pris beaucoup d’ampleur dans les médias, mais reconnaissons qu’ils ont intérêt à cela : rien de tel que de diaboliser des personnages pour entretenir un débat, mais M. Macron est-il davantage détesté qu’aujourd’hui qu’en 2017 ? Ce n’est pas sûr. Il mise en tous cas sur son socle.
Pour autant, la recomposition n’adviendra pas réellement, car la France est un pays où tout remonte au président de la République, or on n’a toujours pas compris ce que celui-ci voulait. Il pourrait y avoir une recomposition si le président avait dit comment il voyait l’avenir et ce qu’il comptait faire. Mais je constate qu’il n’a donné aucun élément : il a répété je ne sais combien de fois qu’il fallait faire barrage aux extrêmes, mais à part cela, il ne donne pas son projet. C’est ce qui entraîne la décomposition actuelle, et empêche la recomposition : dans un pays où tout vient de l’Elysée, le président laisse le pays en plan.
Béatrice Giblin :
Mais aurait-il été entendu ? Il est permis de se poser la question. Et puis un socle de 25% de fidèles signifie tout de même une désaffection de 75% du pays …
A droite, dans ce qu’on appelait la droite de gouvernement, il y a indubitablement des décompositions. Ceux qui sont séduits par le RN, ceux qui sont séduits par le centre-droit d’Edouard Philippe. Mais dans la perspective de ces élections législatives, n’oublions pas que la droite dispose d’élus locaux très ancrés dans leur territoire, qui ne seront pas faciles à battre. Le côté local de ces élections sera crucial. Un député qui fait bien son travail et qui est bien identifié dispose d’un avantage considérable. Autrefois les députés étaient aussi maires, ou présidents de conseil général. Avec la fin du cumul des mandats, l’identification est devenue plus difficile, au point que beaucoup de Français sont bien en peine de dire qui est leur député. Ce problème d’identification est déterminant dans la situation actuelle : l’échéance est très proche, il y a de la précipitation, et on est tenté de se réfugier dans un nom connu, qui rassure. Enfin, les sondages donnent des tendances justes (le RN aura très certainement une forte poussée), mais certainement pas une photographie très précise.
Du côté de la gauche, je vois dans cette recomposition express un réflexe pavlovien. En 2002, quand Jean-Marie Le Pen avait battu Lionel Jospin au premier tour, on expliquait que c’est parce que la gauche était divisée : « Sans Chevènement ou Taubira, on était au second tour », disaient-ils. On entend à peu près les mêmes choses aujourd’hui, alors que nous sommes dans une situation très différente. Le RN de 2024 est beaucoup plus puissant que ne l’était le FN de 2002 : il couvre désormais l’ensemble du territoire. Par ailleurs, dans l’union de la gauche de 2002, c’était le Parti socialiste qui était moteur. Qui est le moteur du Nouveau Front populaire ? C’est plutôt LFI. La grande habileté de François Ruffin, c’est d’avoir dit « Front populaire » dès dimanche soir, à peine le président avait-il terminé son allocution. Et cela a pris, grâce au fort capital de sympathie dont il dispose, il a entraîné toute la gauche derrière lui, dans cette sorte de réflexe. Deuxième personnalité capitale dans cette recomposition : Marine Tondelier, qui est allé voir aussitôt LFI, en proposant l'union. Le PS est arrivé bien tard, avec un Raphaël Glucksmann qui s'est fait tondre la laine sur le dos.
Quoi qu'on en dise, le leader qu'on associe à ce Nouveau Front populaire demeure Jean-Luc Mélenchon. Il risque fort d'avoir le plus grand nombre d'élus. Dans ce cas, que se passera-t-il au second tour ?
Jean-Louis Bourlanges :
L’attitude des Verts vis-à-vis de la proposition de François Ruffin est la reproduction de ce qui s'était passé au moment de la constitution de la NUPES. Les socialistes et les communistes étaient prêts à s'allier avec les Verts, mettant ainsi LFI de côté, et ce sont les Verts dans leur version extrémiste qui ont tout de suite fait affaire avec LFI, court-circuitant le processus. De ce point de vue, rien n'a changé …
A propos de la recomposition à gauche, le mythe de l'union de la gauche a joué à plein. Il est bien antérieur à Lionel Jospin, c'est un mythe ancien, car la gauche est fractionnée depuis le congrès de Tours. D'autre part, il y a l'intérêt électoral. Mais il y a quelque chose de très grave et très profond, c'est que ces gens ont voulu coller à ce qu'ils estiment être les attentes du pays, mais que sur bien des points, elles sont les mêmes que celles du Rassemblement national. Seuls les boucs émissaires diffèrent (l'immigration pour le RN, la colonisation sioniste pour LFI), mais sur le fond, les attentes et les programmes sont les mêmes.
J'aimerais parler un peu du président de la République. Les auditeurs habitués de notre émission savent que j'ai souvent été critique, et même ironique, à son égard. Je suis donc d'autant plus à l'aise pour m'étonner de la façon dont tout le monde s'en prend à lui dans sa majorité. Non pas pour ses erreurs stratégiques et tactiques (qui sont indiscutables), mais pour l'affaiblir. Il y a quelque chose de grave dans la façon dont cette ex-majorité s'en prend au président, dans des termes assez identiques à ceux de MM. Bardella et Mélenchon. Car il faut faire une distinction entre les erreurs de conduite politique d'Emmanuel Macron, et les principes fondamentaux qu’il représente. Il y a deux erreurs, évidentes : une erreur tactique (la vitesse à laquelle il faut tenir ces élections législatives, tout à fait téméraire), et une erreur stratégique, que j'ai dénoncée dès le lendemain des élections de 2022 : son incapacité à penser les équilibres institutionnels. François Mitterrand avait su l'éviter en 1988, en nommant Michel Rocard (qu'il n'aimait pas) à Matignon. Il n’a pas compris que face à un Parlement aussi mal équilibré, il fallait renforcer le pouvoir du Premier ministre, lui permettant de "tricoter" à l'allemande une majorité. Un contrat de législature, en somme, fixant quelques priorités pour les cinq ans d'exercice. Mais il n'a pas voulu faire cela, ne pouvant supporter l'idée d'un autre foyer de cohérence de l'action gouvernementale que le sien. Il le paie chèrement aujourd'hui.
En revanche, il faut que la majorité se ressaisisse sur les options fondamentales, car les deux programmes d'opposition sont déments. Economie, Europe, Ukraine … on marche sur la tête. Les bons choix fondamentaux sont toujours du coté du bloc central et du président de la République. Certes, on peut faire mieux, mais il n'y a pas d'alternative réelle à ces choix fondamentaux.
Que veut-on du président ? Qu'il démissionne ? Mais c'est absurde ! le pouvoir du président de la République est l'un des seuls garde-fous que nous conservons face à la folie qui s'est emparée du pays. Le président est élu pour cinq ans, c'est ce que prévoit la Constitution. M. Bardella nous dit que s'il n'a pas de majorité absolue, il faut que le président démissionne. Et pourquoi ? En quoi est-ce que cela créerait une majorité au Parlement, déjà ? Chacun son rôle. Le président de la République a des pouvoirs. Il est chef des armées, il nomme aux emplois civils et militaires, il dispose de l’article 16 (qui lui confère des pouvoirs exceptionnels) … Il a donc une responsabilité dans la configuration institutionnelle, et il doit l’exercer. Que MM. Bardella et Mélenchon disent le contraire, on les comprend, mais que ceux qui sont supposés être du côté de M. Macron réclament son départ est inadmissible. Distinguons les maladresses tactiques et stratégiques du bien-fondé de certains principes fondamentaux : l’Europe, la solidarité avec l’Ukraine, une économie raisonnablement libérale et ouverte sur le monde, une démocratie représentative attachée à la représentation des pouvoirs … Ce sont là des choses solides, sérieuses, qui doivent être défendues.
J’entends des gens me dire que si Macron est minoritaire, il doit quitter le pouvoir, comme l’avait fait Alexandre Millerand quand Edouard Herriot était arrivé au pouvoir. Mais cette comparaison ne tient pas ! Millerand ne voulait pas accepter le verdict des urnes, alors qu’il est évident que Macron l’acceptera. Mais s’il nomme M. Bardella, et que celui-ci récuse cette nomination, s’il propose ensuite au Nouveau Front populaire et que ce dernier ne reçoit pas l’assentiment de la chambre, s’il propose enfin à quelqu’un du bloc central, bien que celui-ci n’ait pas de majorité, nous ferons face à un problème parlementaire, et pas présidentiel. La difficile solution dans un cas pareil, sera de nommer une personnalité indépendante, qui essaiera de décrocher ceux qui doivent l’être au Nouveau Front populaire (Glucksmann, Hollande …) et chez LR, c’est-à-dire les gens compatibles avec le bloc central. Un peu comme ce qui s’était passé en Italie avec M. Draghi, par exemple. Je vois très bien qui pourrait faire partie d’une chose pareille : des gens comme François Villeroy de Galho (président de la Banque de France), Didier Migaud (ancien président de la Cour des Comptes) … Et il y en a d’autres. Mais en tous cas, c’est le président de la République qui, avec une chambre difficilement gouvernable, restera le maître du calendrier et des équilibres. Ne tirez pas sur le pianiste !
Lucile Schmid :
Comme Jean-Louis, je m’inquiète de la vitesse à laquelle on oublie à quel point Emmanuel Macron a pesé à l’échelle européenne et internationale, et à quel point nous avons besoin d’un président qui ne soit pas seulement dans la relation à une société française en colère.
Mais rappelons que nous ne sommes pas au bout de nos surprises en termes de péripéties. Nous nous livrons aujourd’hui à un exercice de politique-fiction, alors que nous n’avons même pas encore passé le premier tour. Et tout l’enjeu de ce Nouveau Front républicain se verra au deuxième tour, lors de possibles triangulaires ou quadrangulaires. Car la dimension locale de cette élection fait que nos voix ne pèsent pas le même poids selon le territoire où nous votons. Il faut le rappeler aux belles âmes qui se gargarisent de leur noble indignation dans la presse : en vérité, les choses vont se jouer territorialement.
Aujourd’hui, nous voyons un certain nombre de députés macronistes tourner ostensiblement la page : remplacer la photo du président, et dire combien il leur faudra composer avec la nouvelle manière de faire. C’est quelque chose qui m’intéresse : sortir de la logique des blocs, dont on nous rebat les oreilles à chaque campagne électorale. Pour en avoir fait plusieurs, je puis vous dire qu’une campagne électorale est un moment où on embrouille les électeurs alors qu’elles devraient être celui où on les éclaire. Mais les choses ne s’éclaircissent généralement qu’après le vote. C’est pourquoi l’idée de faire les choses différemment à l’Assemblée, d’imaginer des alliances entre personnes raisonnables, est importante.
Enfin, je voudrais préciser une chose à propos du Nouveau Front populaire. Il est très composite certes, mais n’oublions pas qu’il compte aussi des personnes raisonnables, et qu’il est contre le RN. Ne perdons pas de vue que c’est cela qui a déclenché cette dissolution. La façon dont on considère que le RN est déjà aux portes du pouvoir et qu’il est inéluctable me bouleverse. Quand Valérie Rabault chiffre le programme du Nouveau Front populaire, elle arrive à un chiffre différent, on n’est pas obligés de ne considérer que ce que dit LFI. Cela me rassure. Quand des gens comme François Hollande (qui était très critique à l’égard de la NUPES) se parachute en Corrèze, cela me rassure aussi. Mais la seule chose dont nous pouvons être certains, c’est que nous ne savons pas ce qui va se passer.
Richard Werly :
J’admire Jean-Louis Bourlanges qui, tout en ayant réussi à se contredire entre le début et la fin de son exposé, me conduit pourtant à tout approuver. Il commence par dire qu’il aurait dû faire un contrat de coalition puisqu’il n’avait pas de majorité absolue. Et il termine en disant que la solution est une personnalité respectée (comme Mario Draghi) réussissant à former une coalition, aux objectifs bien définis. Sauf que vous avez un problème : Emmanuel Macron. Est-il capable de comprendre aujourd’hui ce qu’il n’a pas compris depuis 2022 ? Bon nombre de mes confrères correspondants étrangers et moi-même attendions avec ferveur que le vent du parlementarisme intelligent souffle enfin sur le château. Mais il n’en a rien été, M. Macron s’est acharné à tenter de gouverner sans le Parlement. Vous nous expliquez qu’il va changer aujourd’hui ? Admettez qu’il y a de quoi être un peu sceptique …
Béatrice Giblin :
N’oublions pas que s’il n’y a pas eu de coalition, c’est aussi parce que beaucoup de parlementaires n’en voulaient pas. L’idée de trouver des terrains communs essuyait un grand « non » à gauche. A droite, le RN a commencé par dire non avant de s’assouplir, et il en est allé de même pour LR. Personne ne voulait travailler à un consensus, les parlementaires pas davantage que le président.
En ira-t-il autrement avec la peur de l’arrivée de RN ? Car le climat est à la peur. C’est pour cela que le discours de « barrage au RN » a une signification concrète : dans chaque triangulaire (et il y en aura beaucoup), que fera-t-on si le RN est en tête ? La candidat arrivé en troisième position acceptera-t-il de se désister au profit du deuxième ? Aux élections régionales, le PS s’était retiré pour permettre à Xavier Bertrand de battre son adversaire RN. Est-on prêts à en faire autant aujourd’hui ? Si le Nouveau Front populaire en est capable, je serai rassurée. Mais aussi très étonnée ...
Jean-Louis Bourlanges :
Cher Richard, la contradiction que vous pointez n’est pas la mienne, mais celle de la Vème République. Elle est porteuse de deux logiques. Celle de 1958, de Michel Debré, qui était de construire un régime parlementaire dans lequel c’est le Premier ministre qui gouverne. La grande innovation par rapport à la IIIème et à la IVème Républiques était le rétablissement du droit de dissolution, instrument de stabilité gouvernementale. Et puis il y a la logique née de la guerre d’Algérie et du « domaine réservé », selon laquelle tout revient au président de la République. C’est une logique monarchique, voire bonapartiste. En 2017, j’avais écrit qu’il y avait deux façons pour Emmanuel Macron de prendre les choses en main. Soit la logique bonapartiste « ralliez-vous à moi individuellement, je suis votre fédérateur », faisant ainsi disparaître les partis politiques ; soit une logique plus allemande, consistant à rapprocher plusieurs familles : socio-démocrates, centristes, gaullistes … Le président a choisi la première solution (avec l’exception du Modem). Je crois que ce n’était pas la bonne.
Béatrice, vous avez raison de rappeler que ni la gauche ni la droite ne voulaient d’une coalition. Mais c’était à Emmanuel Macron de davantage montrer qu’il essayait d’en construire une.
Vous me demandez s’il est capable de changer. Je n’en sais rien, mais il est certain qu’il a eu là une sévère leçon, et qu’il est président de la République. Qu’apporterait l’organisation d’une élection présidentielle ? Rien, si ce n’est un super-bonapartisme (Bardella et Le Pen). Ce serait refermer complètement le jeu, alors que la tri-partition des forces politiques en France oblige à faire autrement. Dans le camp de la majorité sortante, on devrait garder à l’esprit que l’une des seules options possibles est de reconstituer un ensemble beaucoup plus vaste que ne l’était cette majorité sortante. Quel est l’avenir du pays ? Quelle est l’alternative ? Ni M. Hollande ni M. Glucksmann ne croient un seul instant à ce Nouveau Front populaire. Je suis inquiet des rapprochements que je vois entre ce mouvement et le RN. Car je crains que le Nouveau Front populaire préfère avoir le RN comme adversaire que le bloc central ; entre Macron et le RN, ils seront tentés par un « vote révolutionnaire » (comme disaient les communistes qui votaient pour l’extrême-droite), leur permettant de revenir à leurs vieilles amours manichéennes : la droite contre la gauche. C’est un raisonnement très dangereux et particulièrement irresponsable étant donnée la situation internationale (Ukraine, perspective du retour de Donald Trump), et la situation économique.