Résultats du premier tour des élections législatives / Stratégies pour le second tour / n°358 / 5 juillet 2024

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RÉSULTATS DU PREMIER TOUR DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES

Introduction

ISSN 2608-984X

Philippe Meyer :
Au premier tour de législatives anticipées, le Rassemblement national est arrivé dimanche en tête avec 33,15% des voix. Il devance de 5 points l’alliance des partis de gauche, sous l’étiquette de Nouveau front populaire (NFP) qui atteint 27,99% et laisse en troisième position la majorité présidentielle, à 20,04%. Dans cette bataille, les trois blocs n’abandonnent que 10,23% des voix à la droite des Républicains - UDI et divers droite. Trois semaines après une dissolution surprise et au terme d’une campagne de premier tour hâtive, 66,7 %, des électeurs se sont exprimés soit près de 20 points de plus que lors des précédentes éditions de 2017 et 2022. Cette très forte participation semble avoir profité aux trois blocs. Ce premier tour de ces élections législatives dessine un entre-deux-tours inédit avec 76 élus dès le premier tour, et avant désistements, seulement 191 duels, 5 quadrangulaires et surtout 305 triangulaires. Un record, alors que seulement sept triangulaires avaient eu lieu en 2022 et une seule en 2017. La conséquence d’une tripartition de la vie politique française à l’œuvre depuis 2017.
En nombre de voix, la progression du parti d’extrême droite passe de 4 millions d’électeurs au premier tour de 2022 à 12 millions deux ans plus tard, alors que le bloc de gauche, en nombre de voix, se maintient. Le RN aborde le second tour en tête dans 222 circonscriptions et les candidats LR soutenus par lui dans 38 autres. Alors que pendant des années, le vote frontiste s’est développé et amplifié dans l’arc méditerranéen et dans les territoires désindustrialisés, la conquête de l’extrême droite touche maintenant quasiment toutes les zones, sauf les grandes métropoles et les villes les plus importantes (un seul candidat qualifié à Paris, dans la quatorzième circonscription, sans aucune chance d’être élu).
En miroir de cette diffusion de l’extrême droite, l’affaissement électoral du macronisme est l’autre fait majeur de ce premier tour, avec 20,15% au niveau national. Les représentants du président de la République n’arrivent à se qualifier que dans 321 circonscriptions avant les désistements dans certaines triangulaires (contre 419 en 2022 et 513 en 2017). Ils ne sont en tête que dans 68 circonscriptions (201 en 2022, 449 en 2017). Les zones de forces se situent dans les métropoles, les banlieues et des territoires plus ruraux, comme le Puy-de-Dôme.
Arrivé deuxième au niveau national avec 27,99%, le bloc de gauche, hormis ses 31 élus du premier tour, aborde le deuxième tour en tête dans 128 circonscriptions, alors que 191 candidats émergeaient à la première position en 2022.

Kontildondit ?

Marc-Olivier Padis :
Je pense qu’il faut aborder le commentaire de ces élections avec modestie. D’abord à cause de la profusion des autres commentaires, ensuite parce que nous ne sommes sans doute pas capables d’appréhender les vastes desseins des considérables esprits qui ont imaginé la dissolution. Comme l’a dit un jour le sénateur François Patriat à propos du président : « si les Français ne l’apprécient pas, c’est qu’ils sont gris alors qu’il est brillant ». Il est donc sans doute présomptueux de notre part de se croire à la hauteur de ces sublimes stratégies. C’est pourquoi je me limiterai à quelques remarques un peu évidentes.
La première est que le président a justifié la dissolution par un besoin de clarification. Et je crains que celle-ci n’ait pas eu lieu. La précipitation, l’absence de consultations, l’impossibilité de construire un débat dans un temps aussi réduit, le mode de scrutin lui-même qui contraint à des alliances parfois difficiles (voire contre-nature) et puis à des désistements, rien de tout cela n’a permis la clarification. Et de fait, pour la plupart des Français, les trois semaines qui viennent de s’écouler ont d’abord été une période de grande confusion, voire d’angoisse. Une des réelles nouveautés de la situation politique, c’est qu’Emmanuel Macron est devenu un facteur anxiogène de notre vie politique.
Deuxièmement, s’il y avait besoin d’une clarification, c’est qu’on était dans une situation confuse, or cette confusion venait du président lui-même, par son refus de reconnaître pour ce qu’elle était l’équation politique qui a suivi sa réélection de 2022. C’est-à-dire un président sans majorité parlementaire, alors même que les institutions de la Vème République ont été conçues de manière à assurer une majorité parlementaire au président. Sa responsabilité était donc de construire une coalition, pour donner une majorité stable au pays. Il s’est au contraire enfermé dans une forme de déni, aidé par les grandes facilités que donnent les institutions du parlementarisme rationalisé. Mais ce déni a fini par affecter sa lucidité, au point de conduire à cette dissolution.
Troisièmement, le mode de scrutin uninominal et majoritaire à deux tours montre toutes ses limites. Il est censé apporter deux choses : d’abord, garantir une stabilité politique, et ensuite protéger des extrêmes. Or aujourd’hui, il fonctionne à rebours de ce pour quoi il a été conçu : il ne protège plus d’un parti anti-républicain, ni de la fragmentation politique. C’est ainsi que nous nous retrouvons aujourd’hui au bord de l’inconnu.
Il y a un changement du rapport à l’action de la proportionnelle. Cette dernière a longtemps été défendue par des partis dont les scores étaient réduits, et à qui la proportionnelle aurait permis d’être plus avantageusement représentés au Parlement. Aujourd’hui, l’argumentaire est radicalement différent : si on plaide pour ce système, c’est pour pacifier la vie politique française et donner plus de civilité aux campagnes électorales : dans une proportionnelle, on est inévitablement conduit à former des coalitions. Et quand on sait qu’on va devoir s’entendre avec d’autres formations politiques, on mène la confrontation autrement, on est plus ouvert au compromis.
Enfin, cette campagne a montré que le RN restait indéniablement un parti extrémiste, malgré la stratégie de dédiabolisation. Ils ne sont pas prêts, et ils n’ont pas changé. On voit bien que Marine Le Pen a eu l’habile intuition qu’il fallait empêcher les députés RN de prendre la parole au Parlement, et pendant la campagne, dès que les candidats se mettaient à dire ce qu’ils pensent, il était évident que le parti reste fondamentalement extrémiste. On l’a vu pendant les élections européennes. On entendait ainsi beaucoup que le RN n’était plus vraiment un parti anti-européen (parce qu’il avait renoncé à la sortie de l’UE), mais quand on lit leur programme, ils disait tout de même qu’il n’acceptait que deux choses dans l’Europe : Erasmus et la protection civile, c’est-à-dire mobiliser des pompiers européens quand il y a des feux de forêt dans un des pays de l’UE. Tout le reste est soit récusé, soit remis en question, sans qu’on sache comment on négocierait avec les autres pays européens … Ce parti demeure dangereux, et toujours aussi extrémiste.

Matthias Fekl :
Il me semble que la progression du RN vient à la fois de loin et de très près. De loin, car il y a un mouvement mondial à l’œuvre, dont le RN n’est que l’avatar français. Dans notre pays, son histoire a plusieurs décennies, elle commence avec Jean-Marie Le Pen, qui parvient en 2002 à se qualifier au second tour de l’élection présidentielle. C’est ensuite sa fille qui a repris le flambeau, mais on constate qu’il y a un enracinement, progressif et ancien, de ce parti dans le paysage politique français. Il ne faut donc pas faire porter tout le blâme de sa position d’aujourd’hui aux actuels détenteurs du pouvoir. Il n’empêche que le situation nouvelle vient aussi de très près.
Parce que depuis 2017, le pays est tout de même gouverné de très loin. D’abord, avec une communication outrancière, permanente … Jupiter dans toute sa gloire. Ensuite, un mode de gouvernement qui a sans doute été le plus technocratique de la Vème République, où aucune décision est prise à plus de deux ou trois personnes au sommet de l‘État, où le gouvernement est davantage un casting qu’une réelle équipe, où l’ensemble des cabinets ministériels est nommé par l’Elysée, et non par les personnalités politiques censés exercer le pouvoir … Un mode de gouvernement qui a encore éloigné le sommet de la base. Et puis, il y a eu l’absence de campagne en 2022, à la présidentielle et aux législatives. Certes, il y avait des circonstances extérieures (la guerre en Ukraine), mais de la part du président réélu, il y avait un vrai refus de faire campagne, chèrement payé au Parlement, où il n’a pas obtenu de majorité absolue.
Tout ceci a progressivement installé l’idée qu’il n’y avait plus vraiment d’alternance possible, ou alors que la seule alternative était l’extrême-droite. A tort ou à raison, elle est apparue comme la seule force d’opposition du pays. Et quand on installe l’idée qu’il y a les gentils réformistes pro-européens d’un côté, et que tout ce qui n’en fait pas partie est rejeté aux extrêmes, quand on s’acharne à détruire le peu qu’il restait des partis de gouvernement, sans rien reconstruire à la place, on en arrive immanquablement à ce moment où le risque d’alternance avec l’extrême-droite se concrétise.
A mon avis, ce sont là les enseignements de ce premier tour. La positon du RN s’enracine aussi dans ce que vivent beaucoup de Français, un sentiment de déclassement, l’éloignement des services publics … Dans ces conditions, la situation politique actuelle n’a rien d’étonnant, même si elle est effectivement effrayante, car elle présente un grand risque de violences politiques, et de blocages institutionnels.

Jean-Louis Bourlanges :
Je ne crois pas au danger unilatéral du RN, pour moi il y a une double menace, c’est pourquoi je suis très hostile à la démarche du NFP, adoptée par les partis de gauche. La menace de LFI et celle du RN sont extraordinairement jumelles. Les partisans de LFI s’indignent de la comparaison avec le RN, elle est pourtant parfaitement justifiée. Certes, les programmes et les boucs émissaires ne sont pas exactement les mêmes. Côté LFI, le bouc émissaire, ce sont les sionistes, (et pour une partie d’entre eux, les Juifs), côté RN, ce sont les immigrés. Mais à part cette différence d’ennemi désigné, nous sommes en présence d’une tentative jumelle de remise en cause des choix fondamentaux de la France et des Etats d’Europe occidentale depuis pratiquement l’après-guerre. Le rapprochement avec les Américains, le traité CECA, le traité de Rome, tout cet ensemble libéral et social, d’une économie de marché tournée vers la redistribution et l’Etat-providence, tout cela formait un tout, sur lequel se sont rebâties des sociétés civilisées au lendemain de la seconde guerre mondiale. Et ces grandes lignes sont simultanément remises en cause par le RN et LFI. C’est pourquoi il ne suffit pas de dire que les Français ont voté à 33% pour le RN. Ils ont aussi voté de façon importante pour LFI. On est donc en présence d’une bonne moitié de nos concitoyens (sans qu’ils en aient forcément conscience, tant le débat est nul) engagés dans cette double impasse.
Je suis frappé par le fait qu’au soir du 9 juin, il y a potentiellement trois forces de niveau identique : d’un côté, Hayer et Glucksmann. Glucksmann a fait une campagne de dissidence par rapport à LFI. Hayer, maladroitement mais assez justement, a pointé que Glucksmann et Ensemble étaient très proches. Et de fait, les deux formations, autour de 14% chacune, étaient de taille à rivaliser avec le RN. Et ce qui me paraît frappant (et très grave), c’est que le soir du 9 juin, les responsables politiques agissent très mal. Le président de la République fait un choix aussi irrationnel que téméraire : faire appel au suffrage universel contre le suffrage universel. On ne peut pas espérer que des gens votent différemment de ce qu’ils viennent de voter en à peine trois semaines … Quand une élection est annulée, à moins que l’annulation ne soit due à une fraude patente, il est constant que les électeurs votent de la même façon. Espérer un résultat différent était donc tout à fait illusoire, et très orgueilleux : « vous vous êtes trompés, mais je vous donne une chance de vous rattraper ».
A gauche, Glucksmann a vraiment raté une occasion historique. Il a fait campagne contre Mélenchon et LFI, sur une exigence de solidarité européenne très forte (et notamment avec l’Ukraine). Mais il n’a pas été fichu de dire : « je n’ai pas fait tout cela pour me retrouver avec Mélenchon ». L’aile gauche ce cet ensemble qui dirige la France depuis l’après-guerre était donc déjà très compromis. A cela se sont ajoutées les incertitudes de la droite, chez LR avec d’une part la scission de Ciotti, et de l’autre Bellamy. La différence entre les deux est assez simple : Ciotti saute dans le vide, tandis que Bellamy demande une marche. En tous cas, la passion anti-Macron conduit à un communiqué vraiment grave, dans lequel LR ne fait aucune distinction entre le RN, le NFP et la majorité sortante. C’est ainsi que LR se maintient dans certaines circonscriptions, risquant de faire élire le RN. Les deux branches de ce bloc central sont brisées, c’est très grave, et c’est ce qui conduit à la situation actuelle.
Face à ce décrochage, je suis effrayé de la vacuité totale du débat politique : pas un problème de fond n’a été posé. Personne n’a parlé d’Ukraine, par exemple. La guerre est à nos portes, nous sommes engagés dans une confrontation avec Vladimir Poutine, dans laquelle se jouent la crédibilité et l’avenir de l’Europe et des puissances occidentales. Cette campagne n’a été que manœuvres tactiques (« je te donne ceci si tu m’accordes cela ») et indignations sélectives.
Ce qui s’est organisé, c’est un refus du front du refus. Le 9 juin, le front du refus a été majoritaire. Les gens qui n’étaient pas pour le RN ont décidé, non pas de se mettre d’accord sur un projet commun, mais de s’opposer à cette vague. C’est pourquoi je crois que quelle que soit l’issue du scrutin, on se prépare à un retour de bâton de la part de ce front du refus, à qui on n’aura rien proposé. Cela ne peut qu’enfler les vagues protestataires, et déboucher sur une remise en cause de l’élection présidentielle. Pour mener à une arrivée de l’extrême-droite au sommet de l‘État.

Marc-Olivier Padis :
Je voudrais exprimer deux désaccords avec Jean-Louis. Premièrement, je ne crois pas à cette « double menace », c’est une fausse symétrie, et pour deux raisons. Je précise que je n’ai jamais défendu Jean-Luc Mélenchon et n’entends pas commencer aujourd’hui. Mais premièrement, il n’y a aucun cas de figure dans lequel nous nous retrouvons avec un gouvernement LFI lundi matin. C’est purement et simplement impossible. Alors qu’on peut tout à fait avoir un gouvernement RN. Et deuxièmement, on a d’un côté un LFI dilué, tandis que de l’autre, on a un RN chimiquement pur. Le NFP est un cartel électoral, dans lequel des éléments de programme de LFI n’ont pas été entièrement versés.
Deuxièmement, je crois pas à « l’occasion manquée » de Raphaël Glucksmann. Le 9 juin, il a exprimé à 20h45 le projet de construire un nouvel espace politique, et il s’agissait bien de se démarquer de LFI. Et à 21h, Emmanuel Macron a parlé, et cela a fermé l’opportunité qui était ouverte, et lui a retiré le tapis sous les pieds. Ce n’est pas lui qui n’a pas tenté le rapprochement, c’est le président qui en a fermé la possibilité.
Dans cette campagne, on a malgré tout vu émerger à gauche des figures nouvelles : Raphaël Glucksmann a fait une bonne campagne pour les européennes, et a tenu une ligne claire, y compris sur l’Ukraine. Et Marine Tondelier chez les Verts, qui a montré qu’il était possible de débattre avec le RN sans paraître complètement stratosphérique.

Philippe Meyer :
Sans vouloir diminuer les deux personnes que vous venez d’évoquer, les médias ont une responsabilité dans une grande partie de la dynamique de cette élection. Pas seulement les chaînes d’information continue. Ainsi, on entendait davantage de commentaires à propos de la couleur de la veste de Mme Tondelier qu’à propos du contenu de ses propositions. Il y a une façon de se jeter sur M. Glucksmann et Mme Tondelier, parce que c’est nouveau et que ça va faire son effet un petit moment, qui n’a pas pu laisser apparaître les éléments de fond.

Jean-Louis Bourlanges :
Je remercie Marc-Olivier d’avoir pointé le caractère non symétrique du NFP et du RN. Il a évidemment raison : d’un côté un parti homogène et très centralisé, tenu par Le Pen et Bardella, et de l’autre une coalition. Et la majorité sortante en tient compte. Sa ligne est le refus du RN et de LFI, et donc l’examen au cas par cas du candidat NFP dans chaque circonscription : c’est quand c’est un LFI qu’on s’oppose à lui. Il n’en reste pas moins que la mainmise de LFI sur le NFP reste préoccupante, avec des arbitrages en termes de sièges massivement favorables à LFI, avec un programme complètement irréaliste, dans lequel le Hamas n’est même pas reconnu terroriste (il y est qualifié de « parti théocratique » … on croit rêver). Le programme économique est à l’avenant : il s’agit d’un décrochage pur et simple. Quant aux positions de LFI sur l’Ukraine, elles sont nettes : le dernier acte politique auquel j’ai participé à l’Assemblée nationale, était la visite du président Zelensky, que le groupe RFI a complètement boycotté. C’est là où je trouve que Glucksmann a manqué de courage. Le soir du 9 juin, il avait la chance de dire « on fait autre chose » et ne l’a pas saisie.
Nous sommes désormais dans une situation où, du côté de tous ceux qui refusent le RN (dont je fais partie), il y a une formidable incapacité à dire quelque chose de clair aux Français.

STRATÉGIES POUR LE SECOND TOUR

Introduction

Philippe Meyer :
La domination électorale du Rassemblement national et de ses alliés ciottistes au premier tour des législatives, a conduit l’alliance de la gauche et la coalition présidentielle à dicter un mot d’ordre commun pour la dernière ligne droite de la campagne : faire barrage à l’extrême droite. La gauche a demandé que dans toutes les circonscriptions où le Rassemblement national est arrivé en tête, et où un candidat du Nouveau Front populaire est troisième (ou quatrième), ce dernier se désiste. De même pour le cas où un candidat RN est arrivé en deuxième position mais qu’un maintien du candidat du NFP pourrait conduire à son élection. Du côté du camp présidentiel, quand certains appelaient à un retrait systématique dans les circonscriptions où un candidat de l’alliance de la gauche est en position favorable pour barrer la route du RN, d’autres parlaient plutôt de choix au cas par cas, excluant nombre de circonscriptions où le candidat en question a été investi par La France Insoumise. Résultats, selon des données officielles du ministère de l'Intérieur publiées mercredi, après les 224 désistements de candidats qualifiés, la physionomie du second tour a complètement changé. On assiste à une diminution massive du nombre de triangulaires, passées de 306 à 89.
127 candidats investis par le Nouveau Front populaire ou la gauche se sont désistés dans des circonscriptions où le RN aurait été en mesure de s’imposer face à plusieurs adversaires, selon l’AFP. 81 candidats d’Ensemble se sont également retirés, tout comme trois candidats de Les Républicains. Le RN compte encore 386 candidats et 37 députés ont été élus au premier tour ... Le NFP a encore 281 représentants pour 32 élus, soit 313 au total. Ensemble, le parti présidentiel compte 2 élus et 218 candidats en lice. Les LR tendance ciottiste ont encore 55 candidats pour 1 déjà élu. Le parti LR canal historique compte lui aussi 1 élu pour 52 encore candidats. Les autres nuances politiques représentent un total de 61 candidats.
Selon le baromètre Toluna Harris Interactive pour RTL, M6 et Challenges, publié mercredi, le RN n’obtiendra pas la majorité absolue de 289 sièges à l'issue du second tour, mais, avec ses alliés, une fourchette de 190 à 220 sièges. Selon ce sondage, le Nouveau Front populaire pourrait obtenir 159 à 183 députés, Ensemble, 110 à 135 et Les Républicains 30 à 50.
Face au risque d'une France ingouvernable, certains responsables du centre droit et de la gauche envisagent une vaste coalition pour échapper à la paralysie. Gabriel Attal a évoqué la possibilité de construire « une Assemblée plurielle » pour éviter un blocage institutionnel, si l’extrême droite n’obtenait pas la majorité absolue. La proposition de Gabriel Attal de former un gouvernement d'unité nationale après le second tour a déjà provoqué des clivages. La France Insoumise a immédiatement réagi, en affirmant qu'ils étaient là pour appliquer le programme du Nouveau Front populaire. Du côté des écologistes et une partie des socialistes, certains seraient prêts à réfléchir à cette proposition de former un front républicain.

Kontildondit ?

Matthias Fekl :
En 2022, au lendemain des élections législatives, j’avais écrit un article intitulé « Bienvenue dans la IXème République » Il me semble que depuis 2022, on a le pire de la Vème, additionné au pire de la IVème. Tout se passe comme si nous allions inévitablement vers la crise de régime après les élections de dimanche.
Que reste-t-il de la Vème République ? Jupiter est bien abîmé, il s’est transformé en Icare, dont les ailes ont presque fini de fondre … Je le dis sans aucun plaisir, car l’affaiblissement inédit de la figure présidentielle est une partie importante du problème, et va compliquer la donne. Du côté du Parlement, il faut d’abord ne pas oublier qu’une majorité absolue du RN est encore possible. Même si le scénario le plus probable est celui d’une Assemblée ingouvernable, avec des extrêmes (y compris à gauche) ayant des projets très destructeurs pour ce qui fonde notre République d’aujourd’hui.
Il faut poser des critères. En matière de politique étrangère et de Défense, il y a un exercice appelé le livre blanc, qui consiste à faire un diagnostic des menaces et à les hiérarchiser, pour adapter les actions en conséquences. Il faut aujourd’hui faire la même chose en politique. Et la première menace, c’est le risque d’une majorité absolue pour le RN. C’est ce qu’il faut éviter à tout prix. L’arrivée au pouvoir de ce parti signifierait la fin de l’UE telle qu’on la connaît, la fin du moteur franco-allemand, une allégeance à la Russie, et en interne, une destruction totale du lien social entre les Français, la xénophobie, et toutes les vieilles pulsions rances qui vont ressortir. Tous ceux qui pensent que le RN les protègera ont tort, car quels que soient les discours officiels ou les décisions, l’ambiance créée dans le pays, la libération de la parole raciste et antisémite créeront une atmosphère absolument délétère.
Menace n°2 : la crise de régime et le désordre permanent à l’Assemblée nationale. Un désordre attisé aussi par l’extrême-gauche. Il faut être tout à fait intransigeant avec cette menace-là qu’avec celle du RN, elle ne mérite aucun égard.
Cinq critères me paraissent déterminants aujourd’hui, pour distinguer ce qui est respectable de ce qui ne l’est pas. Et toutes les idées ne se valent pas.
Le premier est le positionnement à l’égard de la démocratie et du débat public : y a-t-il une culture démocratique, une manière de respecter l’adversaire, de répondre à ses idées, et non de détruire en permanence ?
Le deuxième est l’attachement à la construction européenne, qui reste plus indispensable que jamais. Vouloir se passer d’Europe dans un monde aussi dangereux que celui d’aujourd’hui est une folie.
Le troisième est l’attitude à l’égard de la Russie. Ce qui se joue en Ukraine est déterminant pour notre Etat de droit.
Le quatrième est l’attachement à la République et à la laïcité. Les accommodements à ce propos sont nécessairement coupables.
Le cinquième est l’attachement à une forme d’économie sociale et écologique de marché, même si une multitude d’options est ici possible, avec toutes sortes de régulations possibles, une fiscalité plus ou moins grande, mais quelque chose qui respecte à la fois la liberté d’entreprendre et la juste redistribution des richesses créées.
C’est à mon avis là-dessus qu’on peut tenter de construire quelque chose. Je crains qu’une coalition ne soit que du rafistolage, qui ne finisse par encore renforcer les extrêmes. Mais dans les projets de gouvernement, à gauche comme à droite, il faudra être attentif à ces critères. C’est la condition pour que la politique soit à nouveau une compétition raisonnable, respectueuse, à même de mener le pays vers l’avant.

Marc-Olivier Padis :
Nous sommes vraiment au bord de l’inconnu, et nous nous apprêtons à faire un grand pas en avant … Il semble quand même que nous nous orientions vers un blocage institutionnel, pouvant mener à une crise de régime. Si l’extrême-droite n’a pas de majorité parlementaire, la pression qu’elle exercera sera dirigée contre le président, pour le pousser à démissionner. Ce qui comptera pour le scrutin de dimanche, c’est la mobilisation différentielle. D’après les estimations, une moitié des électeurs dont le candidat n’est plus présent au second tour (à cause des désistements) devrait s’abstenir. Et dans une telle baisse de la participation, ce qui fera la différence, ce sera la démobilisation : qui sera le plus démobilisé ? On ne sait pas vraiment ce qui se passera dimanche, tout est encore possible. Mais il est vrai que la désinihibition dans l’atmosphère politique est tout à fait frappante : on entend un certain nombre de messages et de discours tout à fait inquiétants.
Une « grande coalition » est-elle possible ? Ou un gouvernement technique pour gérer les affaires courantes. Car le président ne peut pas dissoudre avant un an. Et même si Emmanuel Macron démissionnait, un nouveau président ne pourrait pas dissoudre avant le 30 juin prochain. Or en septembre, il va falloir voter un budget. Comment le faire sans majorité ? Le seul cas de figure où une marge d’action est possible est celui où, à eux deux, LFI et le RN n’auraient pas 289 députés (ce qui leur permettrait de renverser un gouvernement sur un texte budgétaire). Tout cela reste très hypothétique …
La France est un pays suradministré, je me demande s’il n’est pas également un peu surgouverné. A-t-on besoin d’être gouvernés à ce point, et de cette façon ? Ne peut-on imaginer un autre art de gouverner, faisant une plus grande part au dialogue, à la concertation et au compromis ? Ce qui se fait dans une démocratie mûre et responsable, en somme …
Quel message va porter l’extrême-droite si elle veut encourager ses électeurs dans le sentiment que cette élection lui a été « volée », à cause du système des triangulaires et des désistements ? Elle fait un refus d’obstacle en annonçant qu’elle ne gouvernera qu’en cas de majorité absolue, mais elle le changera en accusation. Nous allons vers des moments compliqués.

Philippe Meyer :
Notre camarade Richard Werly vient de publier un article dans lequel il émet l’hypothèse qu’un scénario possible soit une réplique de ce qui est arrivé aux Belges, qui avaient eu 530 jours sans gouvernement …

Jean-Louis Bourlanges :
Je suis d’accord avec les cinq critères énoncés par Matthias, et je pense que c’est exactement le discours qu’aurait dû tenir M. Glucksmann le soir du 9 juin. Ce sont en effet les conditions sur lesquelles il eut été possible de bâtir quelque chose de viable. Cela aurait d’autre part replacé le débat sur le fond, au lieu de le focaliser sur ces histoires d’alliances, et aurait invité chacun à se situer.
Et je suis également d’accord avec Marc-Olivier, en qui je vois un héritier d’Anatole France, qui fait dire à M. Bergeret dans Monsieur Bergeret à Paris « je pardonne à la République de gouverner mal, car elle gouverne peu ». C’est comme en médecine : quand on n’est pas capable de bien gouverner, au moins, ne pas nuire …!
Je souscris aux deux dangers qu’a énoncés Matthias, mais lundi, quand le résultat sera connu et que les dés auront été jetés, il n’y aura que deux hypothèses. Dans l’une, le RN et ses quelques alliés auront une majorité absolue. Et on voit bien que cette perspective effraie Jordan Bardella. Mais si c’est l’hypothèse qui se produit, le président de la République sera bien obligé de faire appel à lui. Et si, selon l’article 49.1 de la Constitution, le Parlement lui vote la confiance, on voit mal comment il pourrait se dérober à cette responsabilité. On serait donc dans une situation très curieuse, avec des risques très réels d’affrontements, et un programme du RN tout à fait inexistant, y compris sur leur grand cheval de bataille de l’immigration, où ne sont proposées que des mesures symboliques … Tout à fait répugnantes, mais inapplicables. Je souhaite par exemple bien du plaisir à qui voudrait remettre en question le droit du sol, tradition séculaire de la République et même de l’Ancien Régime. Et puis le rayonnement français doit beaucoup aux binationaux. Ainsi le cardinal de Mazarin (franco-italien) est-il celui qui a instauré l’hégémonie française sur l’Europe pendant un siècle et demi … De même, leur propositions à propos des OQTF sont une vaste blague : tout le monde sait bien qu’on ne peut rien faire de mieux, d’abord parce que les personnes concernées disparaissent dans la nature, mais aussi et surtout parce qu’on ne sait pas où les envoyer, par manque de protocoles d’accord avec d’autres Etats, qui les refusent. De même sur le pouvoir d’achat, le programme est totalement bidon : l’idée que l’Etat puisse dispenser du pouvoir d’achat est absurde. Il peut redistribuer davantage et réduire des inégalités, mais il ne peut pas créer de richesses ex nihilo. Dans aucun de ces domaines, le RN ne pourra faire quelque chose de vraiment significatif. Les mesures culturelles seront sans doute assez dures, cependant. Mais ce qui doit inquiéter le plus, c’est qu’il parviendra à rendre l’Europe inerte, et notamment à bloquer l’effort de mobilisation en faveur de l‘Ukraine, à un moment où celui-ci est tout à fait crucial. A court terme, l’enjeu ukrainien est sans doute le danger numéro un. Face à cela, il restera le président de la République, dont on espère qu’il cessera d’errer entre des options difficilement compréhensibles, car il disposera tout de même d’outils non négligeables : la nomination aux emplois civils et militaires, l’article 16 (conférant au président de la République des pouvoirs étendus), dont je préfère personnellement qu’il soit entre les mains de M. Macron que de Mme Le Pen. Tout cela constitue un contre-pouvoir. Mais les risques d’effondrement demeurent réels. Et le RN en est très conscient, c’est pourquoi il répugne à gouverner. De plus, Mme Le Pen se méfie : si Bardella échoue, elle ne sera pas élue en 2027, et s’il réussit, elle aura un rival.
La seconde hypothèse est celle sans majorité parlementaire absolue, celle d’un chaos complet. Et là, le RN va enfler. Il serait effectivement souhaitable que la gauche entende Matthias et utilise les critères énoncés ci-dessus pour faire un accord de gouvernement (et non une simple alliance tactique) entre la majorité sortante, la gauche non extrémiste et les rescapés de la droite républicaine. Là, il serait possible de faire quelque chose. Mais personnellement, je ne sens pas cette clarification s’opérer. Comme vous, je redoute la crise de régime. Mais je souligne qu’une nouvelle élection présidentielle ne résoudrait rien, puisque le problème est à l’Assemblée nationale et que celle-ci ne peut plus être re-dissoute.
Institutionnellement parlant, le blocage vient davantage de la réforme de la Constitution de 1962, que de la Constitution de 1958 elle-même. La modification de 1962 - l’élection du président de la République au suffrage universel - si séduisante soit-elle (et impossible à remettre en question aujourd’hui) est ce qui pose le vrai problème. Je suis très inquiet de voir ce panier de crabes et l’ampleur de la crise qui s’annonce.
Je crois qu’il faut aller vers la proportionnelle. D’abord parce qu’elle permet aux Français d’être représentés de façon plus équitable, mais surtout parce qu’elle libère les forces, pour appliquer les cinq critères de Matthias. Il faut que la gauche républicaine puisse se libérer du boulet LFI, et la droite républicaine du RN. Mais c’est une question assez subsidiaire, qui pâlit devant les dangers à venir. Je crains de graves orages, sur un fond de violence. Car l’opinion publique est chauffée à blanc. Derrière la mobilisation aux élections, il y a aussi une indignation et un ressentiment qui ne demandent qu’à s’exprimer. Je crains beaucoup la violence.

Philippe Meyer :
Un dernier mot sur la manière dont ce « front du refus » dont parle Jean-Louis a cherché à renvoyer le RN au fascisme et au nazisme. Je pense que c’est une erreur, et que c’est davantage à Orbán ou à Kaczyński qu’il le comparer. La manière dont les institutions ont été changées progressivement, dont les libertés ont été, non pas abolies, mais vidées de tout contenu …

Les brèves

Neuf mois : récit

Philippe Meyer

"Je n’ai pas dû manquer beaucoup d’articles de Philippe Garnier, ce journaliste qui parlait beaucoup de cinéma et éventuellement de rock n’roll, ni ses traductions, de John Fante ou Bukowski. Et si j’en avais manqué, Bertrand Tavernier (qui l’aimait beaucoup) me l’aurait signalé … Il vient de publier un livre aux éditions de l’Olivier, qui s’intitule Neuf mois, c’est-à-dire le temps qui a séparé le diagnostic du cancer de l’estomac de sa femme Elizabeth, de sa mort. Un livre dans lequel il faut entrer très poliment, et dont on sort avec le besoin d’un long moment de silence. Je le commenterai avec trois citations. La première est de Philippe Garnier lui-même : « j’écris ce livre non pour me faire pardonner, ni pour la faire revivre, mais plutôt comme un tribut à la femme dont j’ai toujours cru tout savoir, et qui m’a surpris jusqu’au bout ». La deuxième est d’Henri Calet : « ne me secouez pas, je suis plein de larmes » ; et la dernière de Jean-Loup Dabadie, qui fait dire à Jean Rochefort dans « Nous irons tous au paradis » : « vous qui pénétrez dans mon cœur, ne faites pas attention au désordre »."

Minuit moins dix à l’horloge de Poutine

Marc-Olivier Padis

"J’en reviens à des sujets politiques, et au climat de violence latente que l’on peut ressentir. On pointe souvent la responsabilité des médias et des réseaux sociaux, mais il faut comprendre qu’il ne s’agit pas d’un phénomène advenant mécaniquement, mais qu’il y a des acteurs qui cherchent à amplifier les tensions au sein de la société française. Nous ne sommes certes pas en guerre contre la Russie, mais pour autant, celle-ci a bel et bien lancé une guerre informationnelle contre la France. On en a des preuves tous les jours. David Chavalarias est chercheur, mathématicien et spécialiste des réseaux. Il a un site internet, Politoscope, que je vous recommande d’aller voir. Il travaille sur la manière dont l’amplification des violences verbales et des opinions extrêmes est opérée par des agents. Il a écrit un livre (Toxic data) et sur son site, il a fait une note plus directement liée aux élections européennes, dans laquelle il décrit très bien le fonctionnement de diffusion et d’amplification de fausses informations et d’opinions extrêmes, qui n’ont pour but qu’échauffer les esprits. On se souvient par exemple de deux expéditions de pieds nickelés russes, pour peindre sur les murs de Paris des étoiles de David, ou des mains rouges sur le Mémorial de la Shoah. Tout cela est fabriqué. Aujourd’hui, le fait de garder notre sang-froid, de résister aux extrêmes, et de comprendre pourquoi la démocratie a besoin de modération est une tâche se salubrité publique."

Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France

Matthias Fekl

"Puisqu’il est à la mode de faire des listes de binationaux et de Français d’origine étrangère, je conseille un livre paru il y a une dizaine d’années sous la direction de Pascal Ory, qui nous rappelle tout ce que notre pays doit à des étrangers. Certains sont devenus Français, d’autres pas, et que ce soit dans les sciences, les arts, la littérature, la chanson, ils sont partout. Même Astérix est né de deux pères d’origine étrangère ! Marie Curie, Joséphine Baker, Picasso, Le Corbusier, Zola, Beckett, Gary, Aznavour, Pierre Cardin, Goscinny, Uderzo … N’oublions pas tout ce qu’on leur doit."

Conseil à nos auditeurs

Jean-Louis Bourlanges

"Je suis un peu embarrassé, car je n’ai pas préparé de brève. Je me contenterai donc d’un conseil : lisez les journaux, et soyez particulièrement attentifs aux programmes, aux absences de programmes, aux esquives. Abordez ce scrutin de dimanche avec le minimum de préjugés et d’idées vagues, et le maximum d’informations sur ce que veut et ce que craint chacun des partis en présence, et surtout, ce qu’ils dissimulent. Car en réalité, ils se caractérisent moins par ce qu’ils disent que par ce qu’ils cachent."