"La Hongrie contemporaine ne nous donne pas beaucoup de raisons de l'aimer. Raison de plus pour aller la chercher là où elle est éminemment aimable, c’est-à-dire dans sa littérature. Je voudrais donc recommander Dernier jour à Budapest de Sándor Márai que l’on trouve au Livre de poche. Màrai imagine qu’un personnage réel, l’écrivain Gyula Krúdy, surnommé Sindbad, parti à la recherche de l’argent nécessaire à l’achat d’une robe pour sa fille et au règlement d’une facture d’électricité se laisse emporter par un impérieux besoin de flâner dans une ville dont chaque quartier ouvre les vannes de sa mémoire, inspire sa nostalgie et nourrit sa conviction que les Hongrois sont voués à la solitude des antihéros. « En effet, écrit Màrai, le peuple hongrois vit au milieu des grandes puissances slaves et germaniques dans la même solitude qu'une tribu bédouine dans le désert. Personne ne comprend sa langue. Ses caractéristiques ethniques et ses traditions ont plutôt tendance à être considérées comme un folklore exotique et non comme un ensemble organique faisant partie des civilisations qui l'entourent. Et tout ce qui est lié à ce peuple est comme recouvert de sable par la solitude. C’est sur cette Hongrie solitaire que Sindbad a écrit ». Bousculé par ses souvenirs comme une boule de billard électrique, Sindbad ne trouvera jamais l’argent de la robe et de la facture d’électricité. Il le regrettera moins qu’il ne le fera des hippodromes où l’on allait pour le plaisir de voir courir les chevaux et non pour gagner au tiercé, des bains où l’on traînait non par hygiénisme, mais parce qu’ils étaient les meilleurs salons où l’on cause, des cafés dont les maîtres d’hôtel donnaient leur avis sur les livres des écrivains qu’ils servaient, des fêtes que l’on donnait pour célébrer un homme qui avait réussi à vivre 40 ans sans jamais exercer un métier …"