Les aveuglés : comment Berlin et Paris ont laissé la voie libre à la Russie

Brève proposée par François Bujon de L’Estang dans l'émission Nouvelle situation sur le front ukrainien / Le gouvernement Netanyahou a-t-il une stratégie au-delà des destructions civiles et militaires ? / n°322 / 5 novembre 2023, que vous pouvez écouter ici. ou ci-dessous.

Les aveuglés : comment Berlin et Paris ont laissé la voie libre à la Russie

François Bujon de L’Estang

"Je vous recommande le livre de Sylvie Kauffmann, particulièrement éclairant dans le contexte actuel. L’auteure analyse comment la France et l’Allemagne ont pensé possible de s’entendre avec M. Poutine, comment elles ont entretenu des illusions à propos de ce chef à la fois révisionniste et impérialiste. Sylvie Kauffmann a vécu en Allemagne et a pu enquêter auprès de presque toute la classe politique, ce qui montre à quel point l’aveuglement a été généralisé. Les socialistes ont toujours prôné une Ostpolitik qui les a conduit à des relations économiques aussi intégrées que possible avec la Russie, mais les conservateurs ont en définitive mené exactement la même. Les décisions qui ont placé l’Allemagne en totale dépendance à l‘égard de la Russie (la suppression de l’énergie nucléaire par exemple) ont été prises par Mme Merkel. Et pendant ce temps, nos présidents français ont entretenu d’extraordinaires illusions à propos de Vladimir Poutine."


Les autres brèves de l'émission :

L’enlèvement

Philippe Meyer

"Le 23 juin 1858, à dix heures du soir, la police pontificale fait irruption au domicile de la faille Mortara, à Bologne, ville soumise à l’autorité du pape. Les huit enfants sont tirés du lit, et les parents apprennent que l’un d’entre eux, Edgardo, âgé de 6 ans a été secrètement ondoyé quelques mois après sa naissance par la servante catholique des Mortara, qui le croyait en danger de mort. L’ondoiement est une sorte de baptême d’urgence qui peut être administré par n’importe quel chrétien. Il a fait d’Edgardo un catholique. A ce titre, il ne peut plus demeurer dans une famille juive, sauf si toute la famille se convertit. Conduit à Rome après diverses péripéties, l’enfant est élevé à la Maison des catéchumènes, un internat pour Juifs et musulmans nouvellement convertis au catholicisme et financé par les taxes imposées aux synagogues de l'État papal.  L'affaire connaît un retentissement international inédit et la conduite de l'Église est fortement critiquée, notamment par Napoléon III, dont les troupes assuraient alors la protection militaire des États pontificaux. Pie IX, le pape qui a fait adopter par un concile le dogme de l’infaillibilité pontificale, oppose un refus inflexible à toutes les demandes de restitution de l’enfant à sa famille et fait confirmer son ondoiement par un baptême auquel il assiste. De cette affaire, que Steven Spielberg avait songé à traiter, Marco Bellochio a réalisé un film, « L’Enlèvement » dans lequel tout se tuile : la vie des Juifs dans les États pontificaux, la souffrance des parents, le désarroi d’Edgardo et sa fascination pour les pompes de l’Église, la crispation et la brutalité d’un pape autrefois libéral face à une Italie qui lui échappe et qui construit son unité, face aussi à un monde que les idées progressistes travaillent et transforment. « L’Enlèvement » m’a conquis par son intelligence, par sa beauté et par son mélange de colère et de chagrin."


Ce cher et vieux pays

Richard Werly

"Si vous vous interrogez sur la France, son état politique, ses difficultés à faire face aux crises intérieures et mondiales, ce petit ouvrage d’une quarantaine de pages signé Pascal Ory vous apportera beaucoup de réponses. Le centre de son argument : la France et les Français sont coincés dans une ambivalence : ils aiment la démocratie autoritaire. C’est ce qui les rend incapables de trancher entre la volonté de liberté de la démocratie et l’amour de l’autorité, hérité du bonapartisme et de l’empire. C’est lumineux, et quelques pages m’ont fait plaisir, dans lesquelles l’auteur trace un contre-portrait de la France, qui s’appelle la Suisse. "


Ma cinquième (Vol. 1)

Jean-Louis Bourlanges

"Si j’ai aimé ce livre, c’est parce qu’il est parfait pour le paresseux que je suis. Michèle Cotta a quasiment le même âge que moi, et sa vie est entièrement parallèle à la mienne. Nous avons fait les mêmes expériences, elle à partir du centre-gauche, moi gaulliste de gauche, mais je retrouve les mêmes personnes, les mêmes anecdotes que celles de ma vie. Quand je lis ce livre, j’ai l’impression que je suis dispensé d’écrire mes propres souvenirs, pour un flemmard comme moi, c’est délectable. A mesure que je trouve les pages, je retrouve de vieux amis. Michèle Cotta n’a jamais fait de mystère de ses sympathies politiques pour la gauche modérée, on sent par exemple qu’elle n’aime pas beaucoup le général de Gaulle, mais on ne peut l’accuser de sectarisme, elle est très ouverte aux arguments du camp d’en face. Michèle Cotta est ma « sœur », elle a écrit mes souvenirs à ma place et je l’en remercie."


Ruth Orkin, Bike trip, USA, 1939

Lucile Schmid

"Je vous conseille cette petite exposition qui se tient à Paris, à la Fondation Henri Cartier-bresson. Elle ne fait qu’une quarantaine de photos, mais c’est la première fois que sont montrées en France des clichés de cette grande photographe américaine. En 1939, alors qu’elle a 17 ans, Ruth Orkin décide de quitter Los Angeles avec son vélo, et documente son voyage. Elle parcourt les grandes villes américaines, et prend des photographies incroyables, dans lesquelles le vélo lui-même devient un sujet, voire un outil de cadrage. C’est une introduction idéale à l’œuvre remarquable d’Orkin, qui vous donnera peut-être envie de voir le film qu’elle a réalisé avec son mari, Little fugitives, adoré de Truffaut et Cassavetes, mettant en scène un jeune enfant de 6 ans perdu dans New York. Ruth Orkin associe la liberté au mouvement, et à une époque où nous aimons de plus en plus le vélo, cette exposition nous fait goûter à m’la sensation d’avoir 17 ans et de quitter ses parents pour parcourir les Etats-Unis."