La crise de l’intelligence

Brève proposée par David Djaïz dans l'émission Quels principes de réalité vont s’imposer à l’action gouvernementale ? / Les Etats-Unis rattrapés par leurs démons ? / n°360 / 21 juillet 2024, que vous pouvez écouter ici. ou ci-dessous.

La crise de l’intelligence

David Djaïz

"Je vous recommande ce livre du sociologue Michel Crozier, sociologie que j’admire beaucoup, l’un des pères de la sociologie des organisations. On le connaît pour ses analyses de la bureaucratie, de la société bloquée … En 1995, au moment du plan Juppé, il écrit ce petit pamphlet avec Bruno Tilliette, dans lequel il revient sur son parcours : « voilà trente ans que je dissèque la société française, sa bureaucratie et ses blocages, mais en réalité je n’avais pas vu le cœur du problème. Ce qui pourrit véritablement la France, c’est la formation intellectuelle de ses élites. Trop individualiste, trop darwinienne, trop orientée sur la production de solutions brillantes par des grands esprits qui ont eu de grands diplômes à 20 ans, incapables d’entraîner les gens, ou de comprendre comment raisonne la diversité des acteurs dans une organisation ou dans la société ». La lecture de ce petit livre de colère, très intelligent, sifggné de l’un de nos meilleurs sociologues, est à mon avis très urgente pour tous les dirigeants français qui aspirent à gouverner le pays. "


Les autres brèves de l'émission :

Hommage à Benoît Duteurtre

Philippe Meyer

"Je veux rendre hommage à Benoît Duteurtre, mort d’une crise cardiaque à 64 ans, mercredi dernier et dont Etienne de Montéty a si justement écrit dans le Figaro qu’« entre mille dons, musique, littérature, il avait celui de l'amitié» Ami, il le fut de Sempé et de Kundera, de Philippe Muray et de Jean Clair, Il était studieux mais sans l’afficher, courageux, mais sans en faire parade. Il fit rendre gorge au Monde qui, ne supportant pas sa critique de la musique contemporaine française et du pontificat de Pierre Boulez, l’avait comparé à Robert Faurisson. Le Monde, aussi rancunier que la mule du pape, a passé sous silence cet épisode dans l’articulet d’une parfaite platitude qu’il a consacré à la mort du producteur d’Étonnez-moi Benoît. Son ironie était à la fois cruelle et de bonne humeur, qu’il brocarde l’époque où qu’il tourne la maire et la mairie de Paris en ridicule. Dans les choix qui lui ont valu tant d’auditeurs heureux à France Musique, tout était sincère et il réussissait à naviguer non à contre-courant, mais sur des cours d’eau à l’écart. Il se sentait du Havre et des Vosges, du pays reçu et du pays choisi et il savait en parler et les faire découvrir. L’incrédulité a rendu encore plus navrante l’annonce que son cœur l’avait lâché."


Impossibles adieux

Lucile Schmid

"Je vous recommande ce roman, de la romancière et poétesse coréenne Kang Han. Il nous plonge dans l’histoire de la Corée en 1948-1949, au moment où a lieu un grand massacre sur l’île de Jeju, au sur de la péninsule. Le roman est extraordinaire, car l’histoire se passe ne hiver, dans une ambiance où la neige ne cesse de tomber, et où les fantômes de ceux qui ont été massacrés vont resurgir progressivement, autour d’une famille dans le déni de ce massacre. Ces impossibles adieux sont les adieux aux disparus, ceux dont on ignore le sort (notamment où sont leurs corps). Ambiance incroyable où le rêve et la réalité ne cessent de se mêler, autour de la narratrice qui fait le voyage dans l’île pour des raisons très anecdotiques (nourrir le perroquet d’une de ses amies hospitalisée). Le roman nous montre aussi comment les démocraties peuvent aussi se construire sur le déni historique. Aussi intéressant que bouleversant. "


Faites mieux ! Vers la révolution citoyenne

Lionel Zinsou

"Le livre que je viens de lire est sans doute moins captivant que celui dont vient de parler Lucile, il s’agit du dernier livre de Jean-Luc Mélenchon. Il y a encore beaucoup à découvrir dans la personnalité de M. Mélenchon, tant sa capacité de métamorphose est hors du commun. On connaît ses qualités à l’oral, et le lire est riche d’enseignements. En termes intellectuels, ce n’est pas mal, même si on sent l’autodidacte studieux. Quand on regarde son parcours professionnel, il n’a rien fait d’autre que de la politique (ce qui est tout à fait honorable), mais évidemment, cela ne nourrit pas forcément un patrimoine intellectuel. Or ce livre est théorique, Certes, il ne révolutionne ni la philosophie, ni la science politique, mais il y a tout de même quelques fulgurances qui méritent d’être relevées. Il a ainsi été écologiste assez tôt, et c’était l’un des rares politiques (et encore plus rares idéologues), à faire un pladoyer pour l’eau. C’est devenu très banal, mais c’était tout à fait nouveau à l’époque. A côté de ces éclairs, il y a aussi une vraie exécration de sa carrière politique du temps où il était socio-démocrate (il fut ministre de Lionel Jospin). Il a abjuré tout cela, puis exécré François Hollande. Tout cela est théorisé. C’est une lecture agréable pour l’été, car certains moments sont involontairement humoristiques, et cette contradiction permanente dans sa biographie et dans sa pensée, lui confère une certaine profondeur. Pour la plage, vous serez parés."


Retour à Lemberg

Nicolas Baverez

"J’ai deux recommandations qui complèteront la lecture de Jean-Luc Mélenchon, et lui serviront peut-être d’antidote. D’abord, cette bande dessinée tirée du livre à succès de Philippe Robert Sands. Lemberg est aujourd’hui en Ukraine et s’appelle Lviv. Sands vient y donner une conférence, et à cette occasion, il fait l’histoire de deux juristes juifs qui ont inventé les notions de crime contre l’humanité et de crime de génocide, qui se trouvent être tous deux originaires de cette ville. L’histoire est extrêmement intéressante, et malheureusement encore très actuelle."


Les dieux ont soif

Nicolas Baverez

"Et puis l’excellente réédition de ce livre d’Anatole France. Grand figure de la gauche, Anatole France avait été excommunié par Aragon et les surréalistes, et était admiré par Joseph Conrad. Milan Kundera expliquait que c’était à travers la lecture de ce livre qu’il avait découvert le fonctionnent interne d’une dictature. Le livre est excellent, il se passe pendant la Terreur ; on suit un peintre raté, qui devient un juge fanatique au sein du tribunal révolutionnaire, avant de finir lui-même sur l’échafaud. "