"J’avais évoqué il y a quelques semaines le livre qui a eu le prix Renaudot consacré au docteur Mengele, et j’étais habité, je ne sais pas si je l’avais vraiment exprimé, par une espèce d’inquiétude : cette façon de faire de l’histoire romancée, de restituer des conversations qui sont évidemment imaginées par l’auteur me gêne en application du principe formulé par Paul Valéry selon lequel le mélange du vrai et du faux est plus faux que le faux. Je dois dire que cette fois-ci j’ai lu le prix Goncourt d’Eric Vuillard, L’Ordre du jour, qui se présente comme un récit autour de l’Anschluss, et je l’ai abordé avec la même appréhension, avec l’idée que faire un récit sur quelque chose d’historique c’était très délicat. En réalité je dois dire que je salue vraiment la performance. Il y a un bonheur d’écriture, je donne juste deux lignes : quand il parle des lois, il dit qu’elles sont méprisées, évidemment, tant pis pour les chartes les constitutions et les traités, « tant pis pour les lois, ces petites vermines normatives et abstraites, générales et impersonnelles, les concubines d’Hammourabi, elles qui sont dit-on les mêmes pour tous, des traînées. ». C’est quand même très bien. Mais ce que je trouve, c’est que le récit chez lui permet vraiment de saisir la quintessence d’une situation, je pense notamment au chapitre consacré à la visite de Halifax chez Goering, le portait d’Halifax, les nuances nous permet vraiment de saisir quelque chose de fondamental dans la complaisance de la haute société britannique à l’égard de Hitler."