Les brèves


Proust, roman familial

Nicole Gnesotto, créée le 18-02-2024

"Je quitte l’écologie pour l’aristocratie, en vous recommandant l’ouvrage de Laure Murat, sorti en novembre dernier. C’est un livre très intéressant : il ne s’agit pas vraiment d’un essai sur Proust, ni une autobiographie, ni une analyse sociologique de l‘aristocratie française au XXème siècle, c’est un peu les trois à la fois. Laure Murat est une professeur d’histoire culturelle à Los Angeles. Elle est fille du prince Murat (noblesse d’empire) et de la duchesse de Luynes, son pédigrée aristocratique est donc impressionnant. Grande lectrice de Proust, elle s’aperçoit au cours de ses recherches qu’il parle de tout ce qu’elle a connu en tant que petite fille. Et elle va faire exactement le même cheminement que Proust : partant d’une fascination pour l’aristocratie, elle va arriver à une espèce de mépris sans borne pour ces gens : incultes, parasites, hypocrites ... Et c’est formidable. Elle raconte par exemple que le jour où elle dit à sa mère qu’elle est homosexuelle, celle-ci la regarde, ne lui dit rien … et ne la revoit plus jamais. Elle n’est pas rejetée parce qu’elle est homosexuelle, mais parce qu’elle n’entend pas le cacher. Le livre est très drôle, et d’une intelligence remarquable. Un bonheur de lecture."


Hommage à Alfred Grosser

Jean-Louis Bourlanges, créée le 11-02-2024

"J’aimerais rendre hommage à Alfred Grosser, qui vient de nous quitter. Il avait été un très grand professeur à Sciences Po, il avait écrit un manuel définitif sur la politique française, il était personnellement centriste et pro-européen. Il avait fait sa thèse sur la IVème République et la politique extérieure (et non la politique extérieure de la IVème République), absolument prodigieuse. Et évidemment, c’était un Juif allemand, faisant partie de ces gens qui ont engagé la réconciliation franco-allemande dès 1945 et la fabrication de l‘Europe. Comme Simone Veil, qui m’avait dit : « en revenant des camps, j’ai vu qu’il n’y avait qu’une alternative : soit on les tue tous (mauvaise option), soit on fait l’Europe ». C’est à des gens comme Alfred Grosser que nous devons de vivre en paix. "


Et vous passerez comme des vents fous

Lucile Schmid, créée le 11-02-2024

"Je vous recommande un roman magnifique, écrit par Clara Arnaud. Le titre est une expression empruntée au grand poète arménien Hovhannès Chiraz. Le roman décrit les conflits autour des questions écologiques : biodiversité, ours dans les Pyrénées, etc. Le romanesque est parfois très fort, et dans un moment où l’on a l’impression d’impasses politiques quant à l’écologie, s’attacher à des personnages et à des histoires fait du bien. C’est un très beau roman, dont j’espère qu’il vous aidera à penser qu’on peut imaginer une société harmonieuse, entre agriculteurs et écologistes. "


À propos de la cérémonie des César

Philippe Meyer, créée le 11-02-2024

"J’ai reçu d’un auditeur cinéaste une copie d’un communiqué émis par l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma le 23 janvier 2024. Il est intitulé : Non-mise en lumière d'une personne éligible aux César en cas de mise en cause judiciaire Un consensus s’est dégagé pour décider que dans l’hypothèse d'une mise en examen ou d’une condamnation judiciaire d’un·e participant·e à un film éligible pour des faits de violences, notamment à caractère sexiste ou sexuel, la personne ainsi mise en cause ne ferait l’objet d’aucune mise en lumière. En pratique, sans préjudice de la présomption d’innocence, la personne mise en examen ou condamnée ne sera invitée à aucun de ces événements organisés par l’Association. La révélation de la décision de mise en examen ou de condamnation pénale pourra être le fait de la publicité donnée à une affaire par les médias nationaux. Cette révélation pourra également venir de la victime partie civile ou de son avocat, qui pourront contacter à cet effet le secrétariat de l'Académie (…) Enfin, si à l'issue des deux tours de scrutin, les membres votants de l’Académie décidaient d’attribuer un César à une personne faisant l’objet d’une mise en cause judiciaire, ce vote ne donnerait lieu à aucune remise de César sur scène ni à aucun discours par ou pour la personne concernée, qui ne bénéficiera d’aucun parcours presse ni d'aucune mise en avant sur les différents supports de l’Académie.
D’un commun accord entre le Bureau et la Chambre des Représentants de l’Académie, il a enfin été décidé que la réflexion se poursuivrait après la Cérémonie 2024, afin d’évaluer ce nouveau dispositif et d’étudier toutes les pistes qui pourraient permettre de l’augmenter, tout en s’inscrivant dans le strict respect du droit des personnes mises en cause. En écho, ce tweet de mon confrère Hubert Huertas Il est étonnant à observer cet hommage absolu à Robert Badinter de la part d'une société qui pratique ce qu'il a dénoncé toute sa vie: la condamnation à mort (sociale), sans jugement, au nom de « la victime » qui devient le juge, l'avocat général et le jury. Ces dernières années, devant la cascade de dénonciations-condamnations dans les affaires de viols ou d'abus sexuels, Badinter le disait, avec sa femme Elisabeth, et tous deux étaient renvoyés à leur état de bourgeois réactionnaires par ceux qui enterrent aujourd'hui le flamboyant Robert, en le couvrant de fleurs."



Manifeste de Seillac

David Djaïz, créée le 11-02-2024

"Comme il a beaucoup été question d’agriculture ces dernières semaines, je me suis plongé dans les textes d’Edgard Pisani, ceux de la dernière période. Il fut un grand ministre de l’Agriculture, artisan des lois de modernisation agricole de 1962. En 1992, un petit groupe se réunit à Seillac, dans une sorte de conclave. En sort un petit texte, le « manifeste de Seillac », tout à fait remarquable de clairvoyance. Il est très difficile à trouver aujourd’hui sur internet, mais vous le trouverez par le lien ci-dessus."


Un vieil homme et la terre

David Djaïz, créée le 11-02-2024

"Edgard Pisani est également l’auteur de ce livre, mélange de réflexions sur l’agriculture et de mémoires politiques. Il y revient en détail sur la modernisation agricole : ses avantages extraordinaires (l’augmentation des quantités produites, la souveraineté alimentaire, les performances à l’export …) mais aussi les dégâts que le « tout-marché » a provoqué sur les équilibres sociaux et sur l’environnement. C’est intéressant de voir à quel point la transformation de l’agriculture et de l’industrie doit s’inscrire dans un dessein politique. C’est ce qui me paraît manquer cruellement aujourd’hui : où veut-on emmener un système aussi complexe que l’agriculture ? On ne peut pas se contenter de n’avoir que des normes et des chèques. "



L’assiégé : dans la tête de Dominique Venner, le gourou caché de l’extrême-droite

Michel Eltchaninoff, créée le 28-01-2024

"Je vous recommande ce livre captivant, et qui se lit très vite. Renaud Dély a fait le roman vrai de cette personnalité peu connue du grand public mais véritablement très importante. On en a entendu parler le jour de son suicide à l’arme à feu en 2013 à Paris, dans la cathédrale Notre-Dame. Venner vient d’une famille de collaborateurs, qui a fait l’Algérie, qui a torturé et a tué … Il est devenu un grand idéologue de l’extrême-droite dans les années 1960-70, et a voulu « finir en beauté », comme il le disait lui-même, d’où son suicide spectaculaire, inspiré de Mishima, qu’il admirait. C’est une biographie vraiment très bien racontée, qui nous fait comprendre la façon dont Dominique Venner a transformé la pensée d’extrême-droite dans les années 1960. Il l’a faite sortir du vieux nationalisme français pour faire de la défense de l’Europe blanche menacée par les flux migratoires la pierre angulaire de toute la pensée d’extrême-droite actuelle. Les mouvements identitaires d’aujourd’hui se réfèrent aujourd’hui - explicitement ou implicitement - à l’œuvre, éminemment raciste, de Dominique Venner. Très éclairant. "


Réflexions sur la question antisémite

Béatrice Giblin, créée le 28-01-2024

"J’ai été frappée par l’augmentation du nombre d’actes antisémites : on en est à 1676, soit plus de 1000%, depuis le 7 octobre dernier. Je suis donc allée relire le livre de Delphine Horvilleur, paru en 2019. Comme toujours avec cette autrice, c’est extrêmement intelligent, avec une pointe d’humour. Le livre nous montre comment le Juif voit l’antisémite, et comment la cause juive vit avec ce qui veut sa perte. Elle explique en quoi l’antisémitisme n’est pas un racisme comme les autres, avec un « en haut » qui méprise un « en bas ». C’est au contraire une pensée qui rejette celui qui est perçu comme ayant davantage. Une forme de jalousie envers le Juif, à qui on reproche toujours d’avoir trop (de richesses, de respect … et sans tenir compte de la situation réelle de celui qu’on méprise, évidemment)."


Le déclin de la petite bourgeoisie culturelle

Philippe Meyer, créée le 28-01-2024

"L’auteur s’intéresse à un ensemble apparemment hétérogène, où l’on trouve des professeurs, des instituteurs, des conseillers d’orientation, des bibliothécaires, des artistes, mais aussi des travailleurs sociaux, des dirigeants d’association, des psychologues, des designers, des publicitaires, des journalistes … Ces personnes ont en commun d’avoir, à partir des années 80, connu une vie matérielle et un statut social meilleurs que ceux de leurs parents. Leur évolution est due à l’acquisition d’un capital culturel constitué dans l’effondrement du monopole de l’école dans la production des normes. Les politiques publiques, nationales, régionales ou municipales, ont favorisé et soutenu cette petite bourgeoisie. Or, depuis le début du XXIème siècle, ces politiques publiques s’effritent à grande vitesse. Il en résulte une fragilisation de cette petite bourgeoisie culturelle dont Élie Guéraut écrit : qu’elle « occasionne une perte de son pouvoir sur les institutions locales conquis dans les années 1980 et 1990, mais aussi de sa légitimité à se présenter en prescripteur de goûts et de pratiques culturelles. » Le paysage  culturel et ses habitants changent à bas bruit et la recherche menée par Élie Guéraut pourrait bien, comme le dit son auteur, « fonctionner comme un miroir grossissant de phénomènes valables à l’échelon national » et, à travers cette incarnation particulière des classes moyennes qu’est la petite bourgeoisie culturelle, nous éclairer sur les déceptions et les angoisses de toute cette partie de nos concitoyens."