Les brèves

Cartographies du pouvoir : histoire du paysage de la vallée du Jourdain

Béatrice Giblin, créée le 20-10-2024

"J’ai trouvé ce livre très beau dans sa forme, dans son format, et la qualité de ses cartes. Il est signé de Ben Gitai, qui est historien, géographe, et s’intéresse à la chose politique. Ce très bel ouvrage s’intéresse à un endroit très particulier de la vallée du Jourdain, à la confluence avec le Yarmouk, sur trois périodes. La période ottomane au XIXème siècle, celle du mandat britannique, puis celle des Etats indépendants. L’auteur montre comment le paysage a bougé dans son rapport au pouvoir et aux stratégies des uns et des autres. C’est passionnant de suivre ce travail, au croisement de l’architecture, de la géographie, de la géopolitique, de l’Histoire … Comment la carte est non seulement un instrument de découverte, mais aussi d’exercice du pouvoir. Captivant et extrêmement original."


Vers la guerre ? La France face au réarmement du monde

Michaela Wiegel, créée le 20-10-2024

"Les livres des ministres sont rarement recommandables, mais je voudrais faire une exception pour celui qu’a écrit Sébastien Lecornu, ministre des Armées. Il s’agit d’une réflexion réellement passionnante, avec des détails qui m’avaient échappés. Par exemple, il raconte comment, lors du vote de la dernière loi de programmation militaire, il y eu une coalition ad hoc pour sortir l’Allemagne de la liste des partenaires de la Défense française. Ainsi, une bonne partie des députés du RN et de LFI avaient décidé que l’Allemagne ne devait plus y figurer. Cela n’a pas réussi, mais M. Lecornu décrit cela comme un signal alarmant. Un signe de la fragilité de la relation franco-allemande. "


Exposition Olga de Amaral

Lionel Zinsou, créée le 20-10-2024

"Pour répondre à ce besoin de joie et avant de se rendre à l’Opéra, je vous recommande d’aller à la Fondation Cartier, voir l’exposition de la plus grande artiste colombienne, Olga de Amaral. C’est sublime, et magnifiquement mis en valeur par la scénographie de Lina Ghotmeh, jeune architecte franco-libanaise. En outre, c’est la dernière exposition de la Fondation Cartier dans son bâtiment de Jean Nouvel sur le boulevard Raspail. L’exposition durera jusqu’au mois de mars, après quoi la Fondation Cartier sera en face du Louvre (dans ce qui fut le Louvre des antiquaires). Il y a un merveilleux travail sur les tissus, sur les couleurs, cela rend compte des origines profondes de la Colombie, qui ont beaucoup à voir avec l’Afrique, à cause de la traite des Noirs. Une explosion de joie."


Une tombe pour deux

Marc-Olivier Padis, créée le 13-10-2024

"Je recommande moi aussi un roman américain, signé de Ron Rash. Jeune soldat envoyé en Corée en 1951 (« La Seconde Guerre mondiale était finie depuis 6 ans à peine »), Jacob Hampton doit quitter la Caroline du Nord et sa jeune épouse enceinte, Naomi. C’est un mariage d’amour, décidé sans l’accord de ses parents. Déshérité, Jacob doit faire vivre sa petite famille sans l’aide de ses parents et il ne peut échapper à la conscription. Rentrera-t-il vivant de la guerre de Corée ? S’il est blessé, pourra-t-il se réconcilier avec ses parents ? S’il meurt, que deviendront sa femme et sa fille ? Un plan tordu et terrible commence à s’échafauder dans la tête de ses parents pour regagner leur fils et couper les liens avec une belle-fille qu’ils n’ont pas choisie. Ce n’est pas à proprement parler une intrigue policière. Plutôt une sombre histoire d’amour possessif dans une Amérique étouffante et pourtant rachetée par la force des paysages et l’obstination taciturne des êtres qui font le bien sans jamais se mettre en avant."


Katherine Mansfield : rester vivante à tout prix

Jean-Louis Bourlanges, créée le 13-10-2024

"Henriette Levillain est universitaire, elle avait déjà écrit une thèse remarquable sur Saint-John Perse. Ici, elle signe une biographie de Katherine Mansfield. Cette romancière est essentiellement connue pour un seul livre, La Garden Party (bien qu’elle en ait écrit d’autres). Foudroyée à 35 ans par la tuberculose, ce portrait est aussi celui de l’Angleterre qui passe de la période edwardienne à la modernité. Virginia Wolf disait de Mansfield que c’était la seule personne dont elle était littérairement jalouse. Le livre est d’une infinie tristesse, il raconte une oscillation pathétique entre l’idéal et la sensualité, entre la souffrance et la mort, entre la Nouvelle-Zélande, l’Angleterre et la France. Aussi intense que désespéré, mais très beau."


Le paradis des fous

Nicole Gnesotto, créée le 13-10-2024

"Pour moi, un roman américain de Richard Ford. Cet auteur nous raconte depuis près de quarante ans les aventures de son personnage, Frank Bascombe, agent immobilier, représentant typique de la classe moyenne américaine, doté d’un humour noir et d’un sens de l’auto-dérision ravageurs. Dans ce livre-ci, il a 74 ans, retrouve son fils de 47 ans, qui vient d’apprendre qu’il est atteint d’une maladie incurable. Tous deux décident de faire un voyage ensemble, un road-trip à travers les Etats-Unis. Mais les Etats-Unis moches : les motels miteux, le kitsch, le banal, le vulgaire. Drôle, féroce, ce voyage nous dévoile petit à petit la déliquescence de la middle class américaine. Un régal."


Ma Comédie-Française : une histoire intime de la Maison de Molière

Philippe Meyer, créée le 13-10-2024

"Aliette Martin nous fait découvrir « sa » Comédie-Française qu'elle fréquente depuis ses 6 ans. Dans l'ombre pendant quarante ans, de Pierre Dux à Eric Ruf, elle était le métronome de cette maison, chargée d’abord d'assister la direction artistique puis la coordination de la salle Richelieu. Au rythme de ses souvenirs, elle nous emmène aux côtés des metteurs en scène, des comédiens et des administrateurs. « J'ai beaucoup appris à leur écoute. Les êtres humains sont faillibles, mais je peux témoigner de la sincérité, de la rigueur que chacun s'efforce d'avoir. » Et de la persévérance, comme celle dont fit preuve Francis Huster, héros tourmenté de Tchekhov dans la Mouette, qui essaya un nombre incalculable de fois d'accéder au poste d'administrateur du théâtre. Le ton est affectueux, volontiers humoristique, sauf quand Aliette Martin n'hésite pas à dire les choses qu'elle réprouve et ne cache pas les moments de tension. Les colères du metteur en scène Robert Wilson lors de la création des Fables de La Fontaine ou les affrontements entre l'administratrice Muriel Mayette-Holtz – première à faire rentrer au repertoire un auteur américain, Tennessee Williams – et le conseil d'administration où certains sociétaires sont présents. Cette écriture tendre, à la première personne, dévoile les rapports au sein de la troupe, décrit les spécificités de ce théâtre qui vont des acrobaties de l'alternance des représentations dans la salle Richelieu au fonctionnement de la Société des comédiens français et aux comités de fin d'année dont dépend le sort des uns puis des autres."


Survivre : une histoire des guerres de Religion

David Djaïz, créée le 13-10-2024

"J’avais déjà recommandé le livre de Jérémie Foa consacré au massacre de la Saint-Barthélémy. Il vient d’en commettre un autre, que je vous conseille vivement aussi. Là encore, fidèle à la tradition de la sociologie de Chicago, tout est raconté à hauteur d’homme et de situations. L’auteur nous livre ici une description magistrale de la vie au quotidien des guerres de religion, et dans la guerre civile en général. La guerre civile, c’est un effondrement fiduciaire : on ne peut plus faire confiance à quiconque, ni aux lieux censés être des abris. La chambre à coucher, et même le lit, peuvent devenir le tombeau, on ne peut plus faire confiance aux mots, dont le sens peut varier du tout au tout d’une faction à l’autre. On comprend parfaitement pourquoi Montaigne écrit ses Essais dans un tel contexte : le monde est devenu « une branloire pérenne », un endroit où l’on ne peut plus se fier à rien. En creux, on comprend aussi pourquoi l’Etat français absolutiste du XVIIème siècle a joué ce rôle de stabilisateur, jusque dans la langue avec l’Académie française. Le livre est magnifique, il s’agit d’une nouvelle perspective sur les guerres de religion."


Chefs-d’œuvre de la galerie Borghese

Philippe Meyer, créée le 06-10-2024

"Je voudrais m'insurger contre l'exposition au musée Jacquemart-André des chefs d'œuvres de la galerie Borghèse. C'est en effet un attrape-nigaud. Ayant été l'un de ces nigauds, je peux dire que l'absence d'un quota de visiteurs autorisés à entrer abouti à une telle concentration de personnes épaule contre épaule qu'on pourrait la comparer sans exagérer à l'agglomération des passagers de la ligne 13 du métro entre 17h et 20h. La société Culturespaces qui gère ce musée ne semble pas avoir d'autres buts que financiers et, pourvu qu’ils paient, elle n’éprouve aucune gêne à entasser les visiteurs dans des conditions qui défient même les règlements sanitaires applicables à l’élevage des volailles en batterie."


Grands diplomates : les maîtres des relations internationales de Mazarin à nos jours

François Bujon de L’Estang, créée le 06-10-2024

"Au risque de paraître un peu corporatiste, je voudrais recommander cet ouvrage paru au printemps. C’est un livre collectif (sous la direction d’Hubert Védrine), qui passe en revue, à la manière d’une galerie de portraits, un certain nombre de très grands architectes de la diplomatie à travers l’Histoire. On commence par Mazarin, et on chemine à travers les XVIIIème, XIXème et XXème siècles. Hubert Védrine signe une postface très intéressante, expliquant pourquoi aucun de ces grands diplomates ne pourrait advenir aujourd’hui, tant la diplomatie a changé. C’est une promenade très agréable et instructive, chaque portrait est rédigé par un auteur différent, dont certains sont de vrais maîtres … On y croise de vrais « pros », mais aussi des hommes d’Etat, comme Bismarck, Metternich, Disraeli … ou des figures moins connues mais tout à fait cruciales. Aussi intéressant que divers."



Une sacrée envie de foutre le bordel

Marc-Olivier Padis, créée le 06-10-2024

"J’ai lu avec intérêt ce livre d’entretiens entre Jean-Louis Missika et l’entrepreneur Xavier Niel. Ce dernier prend peu la parole, on sait qu’il a créé la société Free, l’école numérique gratuite « 42 », un centre de start-ups … On est curieux de lire ce qu’il a à dire sur les évolutions du monde numérique. Nous sommes en pleine révolution technologique, avec le développements d’outils grand public d’IA, l’économie et la vie quotidienne s’en trouvent bouleversés, c’est donc intéressant d’avoir le regard d’un optimiste forcené, croyant dur comme fer à la théorie de Schumpeter de la destruction créatrice, sur la polarisation des opinions, sur la désinformation de masse … Un point de vue intéressant, avec un angle auquel nous ne sommes guère habitués. "