Les brèves


L’animal et la mort

Béatrice Giblin, créée le 12-12-2021

"Je vous recommande cette semaine un ouvrage qui m’a beaucoup plu, celui de l’anthropologue Charles Stépanoff, qui travaillait essentiellement sur les peuples autochtones du sud de la Sibérie. Avec la pandémie, il a dû faire du terrain ailleurs, à une centaine de kilomètres de Paris, en s’intéressant aux chasseurs paysans. C’est extrêmement intéressant, car son enquête montre qu’ils ne sont pas si éloignés que ses sujets dénudés précédents, qui eux aussi chassent, pour se nourrir. Certes les chasseurs paysans ne sont pas dans une culture chamanique, mais la connaissance du milieu, du gibier, et du rapport à l’animal son très comparables. Il parvient à établir deux grandes catégories : l’animal-enfant, avec lequel on joue, l’animal domestique qui ne sait plus rien faire par lui-même, et la production animalière (l’élevage pour la viande notamment). Tout ce qui est hostile à la chasse combine ces deux aspects, mais un autre rapport au vivant est possible : celui de ces chasseurs paysans. Passionnant."


Trésors de la collection Al Thani

Nicole Gnesotto, créée le 12-12-2021

"Je voudrais partager avec vous une expérience artistique assez rare : la visite de la collection Al Thani à l’Hôtel de la Marine, place de la Concorde. Le cadre est déjà exceptionnel, mais l’exposition est exceptionnelle puisque c’est la première fois (du moins pour moi) qu’une collection est consacrée à notre commune humanité. Les objets rares qu’a réunis ce milliardaire qatari ne sont pas regroupés par période ou par civilisation, mais par thème. Il y a notamment une galerie de sculptures de têtes, dans toutes sortes de matériaux, où l’on voit une tête de Mésopotamie vieille de 5500 ans, à côté d’une autre tibétaine, mexicaine, égyptienne … C’est vertigineux car ce téléscopage ne montre qu’une chose : à quel point le désir de beauté et de durer sont communs à tous les Hommes. "


Fado dans les veines

Akram Belkaïd, créée le 12-12-2021

"Je vous recommande un spectacle de Nadège Prugnard, qui est à la fois une pièce de théâtre et un spectacle musical, qui se joue au théâtre de l’Echangeur à Bagnolet. Il s’agit de l’itinéraire d’une fille d’immigrés portugais, sa destinée et celle de ses parents. Le spectacle rappelle des choses dont on ne parle plus en France, par exemple que l’immigration portugaise a longtemps été clandestine, avec son lot de misères, de passeurs … C’était à l’époque où le Portugal était sous la dictature de Salazar, et de nombreux immigrés portugais atterrissaient dans des bidonvilles français et y sont restés longtemps. L’auteure-metteuse en scène raconte sa volonté de sortir des « trois f » (Fado, Fátima et Football). Le récit est puissant, la musique est bonne et il y a deux chanteuses de fado sur scène."


Liquidation de la SAM

Philippe Meyer, créée le 12-12-2021

"Pendant que trop de médias vaticinent sur des sondages qui leur tiennent lieu de connaissance de la réalité et qu’ils traitent comme des prédictions, dans l’Aveyron, à Decazeville, après la fermeture de la mine de charbon, après la mise à l’arrêt des activités de Vallourec, la Société aveyronnaise de métallurgie, la SAM va être liquidée parce que Renault, son unique client, a décidé de se fournir dans des pays où les rémunérations sont plus faibles et le droit du travail plus accommodant et bien que la SAM consacre près de la moitié de son activité à l’équipement des voitures hybrides et électriques. 333 ouvriers et cadres de la SAM se retrouvent sur le carreau. Ce qui reste du bassin industriel de l’ouest du département, Decazeville, Viviez et Aubin, est frappé à mort par la décision d’une entreprise, Renault, dont l’État est actionnaire à 15%. Nul doute que la décision de Renault n’ait une logique économique, mais une logique économique qui ne prend pas en compte les conséquences sociales de ses décisions n’est pas une logique économique, c’est une logique comptable. Je connais bien cette région ; j’ai vu Decazeville et son bassin prendre les uns après les autres les coups donnés par ces décisions à courte vue, toutes ont blessé, la dernière tue."


Joséphine Baker l’universelle

Richard Werly, créée le 05-12-2021

"On sait que Joséphine Baker repose désormais au Panthéon, du moins son cénotaphe, et qu’Emmanuel Macron a prononcé à cette occasion un discours tout à fait touchant. J’avoue que je n’étais pas familier du parcours de Joséphine Baker, et c’est pourquoi je me suis plongé dans ce livre, signé par l’un de ses enfants. Je trouve qu’il s’agit d’un magnifique modèle, à offrir notamment aux élèves des classes, à la fois par son itinéraire, son courage, et par ce qu’elle a subi aux Etats-Unis, qu’on oublie. J’ai ainsi découvert qu’elle accompagnait Martin Luther King Jr lors de la marche des droits civiques, et qu’elle prononça un discours ce jour-là. Il me semble que le moment est propice pour rappeler qui était Joséphine Baker, et pour que son exemple nous inspire."


Picasso l’étranger

Béatrice Giblin, créée le 05-12-2021

"Dans le même ordre d’idées, je vous recommande cette exposition qui démarre au Musée national de l’histoire de l’immigration. Picasso était anarchiste, réfugié politique et communiste, il fut donc surveillé de près par les services de renseignement français pendant des décennies. La nationalité française lui fut refusée quand il la demanda, et il la refusa quand on la lui reproposa, une fois au sommet de sa notoriété. L’exposition est très belle, les documents très émouvants et inédits : on trouve des oeuvres méconnues de Picasso, mais aussi des documents secrets de la police de Paris. Le Musée de l’immigration est un endroit remarquable, dont Benjamin Stora est toujours le conseiller scientifique. Saluons le courage de l’établissement d’exposer cet épisode peu glorieux de l’attitude française vis-à-vis des immigrés. Compte tenu du moment que nous vivons, ce rappel me semble important. "


Paroles de combattants de la Libération

Philippe Meyer, créée le 05-12-2021

"Il y a sur Tweeter un compte « Paroles de combattants de la Libération » qui s’emploie chaque jour à rappeler le souvenir d’un homme ou d’une femme qui a payé de sa vie son engagement contre Vichy et contre les nazis. Juste quelques lignes après leur nom. André Soussote, 21 ans, radio d’un mouvement de résistance qui écrit à sa fiancée « Ils ne pourront jamais me faire autant de mal que je leur en ai fait, S'ils me fusillent qu'est-ce que la vie d'un homme contre tout ce que j'ai contribué à faire couler, bateaux, sous-marins..." Raymonde Le Névé, 34 ans, photographe à Nantes, qui développe les clichés pris en fraude des installations militaires allemandes et qui sera assassinée au camp du Struthof, Blanche Mouttet, 35 ans, qui recueille des maquisards du Vercors. Les Allemands bruleront sa ferme, et elle à l’intérieur. Justinien Gillaizeau, 63 ans, qui cache des juifs et qui sera mis à mort pour cela. Bernard Courtault, instituteur, qui écrit à son père avant d’être fusillé : « J'ai été heureux pendant les 20 ans que j'ai vécus sur la Terre et tu y es pour beaucoup[...] Je vais mourir en souriant ». « Qu’importe comment s’appelle/Cette clarté sur leur pas/Celui qui croyait au ciel/Celui qui n’y croyait pas/ Un rebelle est un rebelle/Nos sanglots font un seul glas. »"



The diary of a nobody

Lucile Schmid, créée le 05-12-2021

"Pour nous réconcilier avec la perfide Albion, je vous recommande un livre en anglais. Il date de la fin du XIXème siècle, et a été écrit par les frères Grossmith. Il est très drôle et nous rappelle à quel point l’humour est constitutif de la culture britannique. Il met en scène un anti-héros appelé Putter, un employé de bureau essayant en vain d’utiliser tous les codes de l’ascension sociale. Les personages préfigurent Laurel et Hardy, c’est Courteline au pays de Boris Johnson. Irrésistible."


Le Roi Lear à la Porte Saint-Martin

Nicole Gnesotto, créée le 28-11-2021

"Deux brèves théâtrales pour moi cette semaine. La première est ce Roi Lear qui se joue au théâtre de la Porte Saint-Martin, avec un Jacques Weber époustouflant dans le rôle-titre. Dépêchez-vous car cela finit bientôt. C’est une production du théâtre de la Ville, auquel je voudrais manifester mon soutien, car il est empêtré dans un marasme architectural depuis 2016, avec une incurie incroyable de la municipalité. Les travaux auraient dû s’achever en 2019, on parle désormais de 2023 …"


Illusions perdues

Nicolas Baverez, créée le 28-11-2021

"Les classiques continuent à nous éclairer. On s’aperçoit que Tocqueville est encore très précieux pour comprendre la démocratie américaine. Quand il s’agit de la presse ou des médias d’aujourd’hui, on pense évidemment à Balzac et aux Illusions perdues. Le film qu’en a tiré Xavier Giannoli est excellent, il nous fait prendre conscience de la puissance d’anticipation de Balzac, qui au moment où naissait la presse avait bien compris qu’elle était naturellement l’otage de ses propriétaires, de la réclame, et des fausses nouvelles. Un commerce sans foi ni loi, en somme. Balzac fait dire à l’un de ses personnages « un journal n’est plus fait pour éclairer mais pour flatter les opinions ». Il observait que le journalisme était la religion des sociétés modernes, mais que son clergé était déjà corrompu. C’est toujours le cas."