LES INTERVENANTS

Philippe Meyer

Homme de plume et de radio, il anime et produit les émissions La prochaine fois je vous le chanterai sur France Inter et L’Esprit public sur France Culture. Il a consacré plusieurs livres à la capitale, dont Paris la Grande (Flammarion, 1997) et Un Parisien à travers Paris (Robert Laffont, 2009).

 

Les brèves proposées par Philippe Meyer:

Notre-Drame de Paris

"Livre consacré à la gestion de la ville de Paris par son actuelle maire. Je n'aime pas le ton de ce livre, je ne comprends pas pourquoi lorsque l'on dispose d'autant de faits qui sont terribles pour l'actuelle municipalité (absence de prise en considération des problèmes les plus importants, relation avec les oligarques, arrogance avec laquelle la ville est gouvernée, ridicule), on utilise un ton aigrelet, quand il suffirait de dire les faits en sa possession. Néanmoins ce livre informe."


Petit paysan

"Ce film se tire formidablement d'une situation difficile. Il n'y avait rien de plus tentant que de chercher la larme à l’œil en exposant la situation parce que tout le monde se sent coupable face au monde agricole. Là pas du tout. C'est vraiment la situation d'un petit paysan face au drame de la vache folle, et à la dépossession de tout ce à quoi il a consacré par plaisir son existence. Pour faire partager cette situation, le cinéaste a construit son film presque comme un roman policier. Il y a une tension dans le récit. C'est un film tout à fait remarquable."


Le cardinal Lustiger

"Il y a dix ans disparaissait le cardinal Lustiger. Le dictionnaire du Vatican, qu’ont publié récemment les éditions Robert Laffont dans la collection Bouquins, mentionne une quantité considérable de cardinaux, des très anciens et des très récents, sauf le cardinal Lustiger. Je crois que cela donne la mesure de l’importance et du dérangement que ce personnage extrêmement énergique, quelque fois sans doute une énergie qui pouvait un peu heurter les autres, mais ce converti, qui avait aussi la vigueur et l’impatience des convertis, a pu apporter à l’Eglise de France, et comme il y a beaucoup de manifestations autour du souvenir du cardinal Lustiger je voulais simplement signaler qu’à mon avis, surtout compte tenu de l’étonnant silence de l’Eglise de France sur un certains nombre de questions, notamment celle des migrants, pourrait intéresser nos auditeurs."




L’exposition des portraits princiers de Rubens

"Quand on va ensuite dans la grande salle des Rubens au Louvre, cela procure une grande délectation avec en plus comme on sait le fait que Rubens n’a pas tout peint lui-même : il a fini certains tableaux, en a confiés à d’autres de ses élèves comme Van Dyck. Il y a dans cette exposition plusieurs portraits, de Philippe IV d’Espagne mais aussi de Marie de Médicis et que c’est assez drôle que de voir selon la position du peintre, le portrait n’est pas tout à fait le même et que l’indulgence n’est pas aussi grande chez l’un que chez l’autre, et Rubens qui était à la fois un peintre, un diplomate et un homme de cour a su magnifiquement mettre en valeur Marie de Médicis, mais pour moi il reste au Louvre cet incroyable tableau qui est Henri IV convaincu par l’amour quand on lui montre le portrait de Marie de Médicis qu’il va devoir épouser et cela donne tout à fait envie d’aller le revoir."


Edmond Maire

"Juste un mot pour souligner le rôle, l’importance, la qualité de cet homme qu’était Edmond Maire, nous l’avions reçu dans une autre circonstance et dans un autre endroit. C’était un homme qui avait entre ses propos et ses actes une cohérence qui n’était en plus pas ennuyeuse Il y a des gens qui sont cohérents et qui vous donne l’impression qu’ils vous donnent une leçon, lui non. Il faisait ce qu’il avait à faire, et il l’a fait. C’était un homme de parole."






LES FOURBERIES DE SCAPIN de Molière à la Comédie Française

"Je voudrais recommander les représentations à la Comédie Française des Fourberies de Scapin. Les Fourberies de Scapin sont une pièce énormément jouée, ce n’est pas la pièce la plus chargée d’un message de Molière mais c’est une pièce d’acteurs, tout particulièrement pour Scapin. C’est donc une pièce difficile à jouer puisqu’il faut faire oublier les Scapins qui vous ont précédé et Dieu sait si à la Comédie Française il y en a eu au moins deux, Robert Hirsch pour les plus anciens qui était une espèce de Scapin bondissant et puis Philippe Torreton qui était lui plutôt côté chat de gouttière, chat sauvage, chat écorché. Et là c’est Benjamin Lavernhe, et Benjamin Lavernhe a trouvé quelque chose qui pour moi est un mélange du comédien italien d’Otto glorieux notamment à travers le pigeon, du brave soldat Chvéïk c’est-à-dire quelqu’un qui sait parfaitement ce qu’il fait mais qui fait l’imbécile avec énormément de succès, et aussi du Grand Duduche, ajoutez à cela un peu de Charlie Chaplin et cela donne un Scapin que j’ai trouvé particulièrement remarquable. Petite remarque latérale, il montre son derrière. La Comédie Française devient une sorte de pépinière de derrières, on se demande si bientôt cela va faire partie du règlement de la Comédie Français que tous les comédiens et peut-être aussi l’administrateur, et au guichet quand on ira acheter son billet, il y aura un vendeur ou une vendeuse sur deux qui sera… "


Le Débat, La sociologie au risque d'un dévoiement

"A titre de brève je voudrais signaler la parution du numéro de novembre/décembre de la revue Le Débat, dans laquelle un ensemble d’articles est consacré à la sociologie et au risque d’un dévoiement. Gérarld de Bronner et Etienne Géhin, Olivier Galland, Nathalie Heinich, Dominique Schnapper et Pierre-Michel Menger s’interrogent sur la manière dont s’est cléricalisée la sociologie et sur la manière dont elle a essayé, elle est en train, elle s’occupe pour une partie d’entre elle, sous un certain nombre de slogans assez faciles - notamment celui qui dit que la sociologie est un sport de combat - de prendre la place du journalisme, non pas pour nous renseigner sur la société comme elle est, mais pour être, pour devenir ce qui dise ce qui est juste et bon sans avoir à prendre la moindre responsabilité, ni le moindre risque. C’est évidemment plus détaillé, plus fin que ce que je viens de résumer brièvement, mais je trouve que c’est un excellent ensemble d’excellents articles, qui mérite d’être signalé."


Time to Philo

"Je recommande un livre de Gaspard Koenig, publié chez Larousse, Time to Philo, sous-titré Notre monde vu par la philosophie. Pourquoi est-ce que la lecture de Tocqueville est intéressante pour comprendre le Front National, pourquoi est-ce que la question de la corruption peut être de manière intéressante traitée à la fois en lisant la Fable des abeilles de Mandeville et en même temps Kant, comment à partir de l’histoire d’Erostrate qui laissa un nom dans l’histoire comme incendiaire et profanateur, comment nous pouvons réfléchir à la manière dont nous parlons du terrorisme, et comment nous gardons le nom de celui qui a assassiné ces enfants juifs à Toulouse, que je ne prononce pas exprès, et non pas le nom des martyrs c’est à dire ces enfants et ces parents juifs. Tout cela est très brièvement, rapidement, de manière extrêmement vive illustré par le livre de Gaspard Koenig qui navigue d’un philosophe à l’autre et qui à mon avis donne le goût de la lecture en même temps qu’il alimente la réflexion."



Dîtes-leur que je suis un homme

"En ce qui me concerne je recommande un roman qui est paru chez Liana Levi, qui est même dans l’édition de poche de Liana Lévi, roman d’Ernest Gaines, écrivain noir américain qui s’intitule Dîtes-leur que je suis un homme, qui est un concentré de description de la situation d’une communauté noire dans les années 60 au moment où les droits sont acquis mais où ils ne sont en aucun cas et en très peu de lieux respectés, et où un noir condamné à mort simplement parce qu’il était au mauvais endroit, au mauvais moment, se trouve face à un défi qui peut paraître étrange qui est simplement le défi de mourir comme un homme. Toute cette communauté autour de lui le soutient dans cette entreprise. C’est un livre d’une retenue, qui provoque une émotion extrêmement forte, sans doute parce qu’il est fondé sur une description et sur un sens du détail très remarquables."


Mélancolie(s)

"J’avais déjà dit ici tout le bien que je pensais du travail de Julie Deliquet qui dans le monde de la mise en scène est quelqu’un qui a une personnalité extrêmement forte et qui réussit me semble-t-il remarquablement. Elle avait avec beaucoup de succès monté au théâtre du Vieux Colombiers de la Comédie Française, Vania, et elle vient de monter un spectacle qu’on peut voir jusqu’au 12 janvier au théâtre de la Bastille qui s’appelle Mélancolie(s) et qui est la fusion des Trois Soeurs et d’Ivanov. Donc on est en plein dans Tchekhov, il y a davantage d’Ivanov que des Trois Sœurs mais c’est un travail très étrange parce qu’il s’agit d’improviser, à partir du texte de Tchekhov, les comédiens n’ajoutent pratiquement rien sauf quelques petites chevilles pour que les choses tiennent ensemble et ils montent - avec cette excellente idée de marier ces deux pièces - un spectacle qui est extrêmement fort et extrêmement naturel. On parle beaucoup de revisite, ce n’est pas la revisite, c’est d’avoir pris ce texte de Tchekhov et de lui permettre d’avoir tout son naturel, et je trouve que Julie Deliquet est quelqu’un de tout à fait remarquable. "



MÉMOIRES, Édition intégrale

"J’ouvre cette séquence des brèves en vous signalant avec une joie toute particulière, la reparution des mémoires de Jean-François Revel, dans la collection de poche Bouquins, aux éditions Robert Laffont. Ce sont les mémoires de Jean-François telles qu’ils avaient été publiés sous le titre, « Le Voleur dans la maison vide », augmentés d’un certain nombre de textes, dont le « bada » qu’il préparait, le bada étant comme le savent tous les Marseillais le petit supplément que le marchand de glace ajoute sur les glaces que vous avez commandées. Ce bada est tout aussi étonnant, traduit une vie tout aussi extraordinaire que celle de Jean-François Revel. Je pense que les gens qui disent que personne n’est irremplaçable n’ont jamais connu Jean-François Revel. C’était un personnage tout à fait extraordinaire, qui était polyglotte, qui lisait les journaux dans six langues, ce qui explique la qualité de ces éditoriaux toujours fondés sur des informations Il avait un goût qui allait de la cuisine à la peinture, à la musique, et je ne parle même pas de la littérature et de la philosophie (son Histoire de la philosophie est, de tous ses ouvrages, celui qui a la vie la plus longue dans les librairies). C’était un homme d’une exigence absolument constante, c’est lui qui m’a attiré vers le journalisme, qui m’a fait quitter mon métier. Travailler avec lui était exceptionnel : quand vous lui envoyiez un article, il vous le renvoyait non pas pour essayer de vous faire changer d’avis mais pour le corriger en vous disant « Mais non, là je comprends ce que tu veux dire, avec quoi je ne suis pas d’accord, mais tu ne le dis pas bien, il manque quelque chose, il y a une cheville qui manque, il y a un paragraphe, une explication, ce n’est pas clair. » Sans compter le temps qu’on pouvait passer avec lui à disputer des mérites respectifs de l’œuf mayonnaise et du hareng pommes à l’huile, sa capacité à connaître les endroits les plus étonnants pour y partager des repas. Je n’ai de ma vie rencontré quelqu’un qui ait une pareille largeur d’humanité, et une pareille largeur d’intelligence mais c’est aussi un écrivain. C’est un écrivain qui manie l’humour, l’ironie et quelque fois la férocité, avec une efficacité redoutable, Je pense à son portrait en six lignes d’Alain Minc. Si on faisait mon portrait dans cette tonalité là, j’irais directement chez l’armurier pour acheter comme dirait l’autre, une corde pour me pendre."


L'infini va bientôt finir

"Je recommanderai le livre les poèmes que Jean Pérol a rassemblés sous le titre L’Infini va bientôt finir (Editions La Rumeur libre). De la poésie de Pérol, Alain Jouffroy a écrit « elle atteinte plein fouet la cible ratée par tant de narcissiques du langage-pour-le-langage ».
Je vous en propose « Autres amours » :
ça mâchait du micron-ondake
le soir devant la télé
et pensait dur micro-pensable
sur le canapé des coeurs affalés
tapotait du micro-tweetable
pour des tweets sur des écrans bleus
ça broyait du micro-vivable
dans le lit sans pouvoir dormir
ça baisait du micro-baisable
En suivant les cours du comment jouir "



Micro-histoire de la Grande Terreur : la fabrique de culpabilité à l'ère stalinienne

"A partir de sources inédites, l'auteur s'attache à expliquer la fabrique de la culpabilité qui a fait l'originalité de la Grande Terreur soviétique et à comprendre comment des cadres soviétiques sont devenus, une fois arrêtés et emprisonnés, des coupables convaincus de l'être. C'est à travers le destin d'un prisonnier politique, Israël Vizelski, qu'il montre la violence de l'engrenage stalinien."




Phantom et Quobuz

"Il se trouve que pour Noël j’ai reçu un Phantom, le Phantom c’est quelque chose qui est fabriqué par la maison Devialet, qui est une enceinte qui se branche sur des ordinateurs ou des smartphones et dont la qualité sonore est absolument extraordinaire, le tout sur un tout petit volume. Grosso modo je ne comprends pas grand chose à la technique mais c’est la puissance du numérique avec la qualité, la finesse de l’analogique. Ce Phantom, que j’ai transporté dans ma maison dans le Massif central, a été la joie de mes vacances de Noël.
Il a été deux fois, la joie de mes vacances de Noël parce que j’ai découvert un site de musique de streaming qui s’appelle Quobuz et je l’ai trouvé infiniment meilleur que tout les autres que j’avais essayé parce que la qualité sonore, parce que la diversité de l’offre est considérable parce qu’en plus la plupart des enregistrements qu’on peut entendre est accompagnée de livrets qui vont avec et que donc on trouve des tas de renseignements. On est pas voué à une consommation passive et un peu bêtasse. Ces deux outils sont pour moi source d’une volupté considérable. Ca n’est pas donné ni dans un cas ni dans l’autre mais enfin le jour où on décide de casser sa tirelire soit pour soi-même soit pour faire un cadeau, on en est absolument récompensé."


L'insulte

"Je recommande « L’insulte » un film du réalisateur libanais Ziad Doueiri. A Beyrouth, un conflit d’abord tout ce qu’il y a de plus limité, entre un Libanais chrétien et un Palestinien musulman gonfle jusqu’à prendre des proportions nationales. Ziad Doueiri effectue avec une grande maitrise une sorte d’aller-retour permanent entre un conflit privé et un conflit politique. Cet aller-retour est mené de manière extrêmement habile, je dirais presque policière, avec un sens du suspense qui ne l’éloigne jamais de l’importance de son contenu jusqu’à un moment d’explosion extrêmement impressionnant. J’ajoute qu’il y a sans doute aussi dans ce film un portrait de l’homme, du mâle, en tant que réservoir inépuisable de testostérone."



Jean-Claude Lattès

"Jean-Claude Lattès était un grand éditeur, je veux dire par là que c’était d’abord quelqu’un qui avait le courage de créer. Il avait créé sa propre maison d’édition et avait eu le courage d’avoir du succès ce qui lui a été constamment reproché d’avoir publié des best-sellers. Chacun sait que les grands éditeurs, ceux qui sont des éditeurs historiques répugnent à l’idée de vendre leurs livres et sont absolument dégoutés dès qu’un livre dépasse les 300 exemplaires dans les librairies. Jean-Claude Lattès était aussi un éditeur exigent, d’abord parce qu’il ne publiait pas n’importe quelle littérature populaire et puis aussi parce que c’est ce qui l’avait fait connaître. Il avait publié nombre de livres érudits et savants et il était devenu lui-même un érudit et un savant en plus d’être un homme extrêmement simple, attentif et chaleureux. "




Les Temps Modernes: Venezuela, le pays des fractures

"Le tribunal administratif a annulé l'arrêté de Madame Hidalgo, qui a fermé la circulation automobile aux berges, cet arrêté est extrêmement intéressant d'abord parce qu'il donne une extrêmement bonne mesure du peu d'intérêt qu'Anne Hidalgo éprouve pour les lois en général. Par ailleurs, il ne faut pas tomber dans le piège de savoir si on est pour ou contre cette fermeture des voies sur berge c’est qu’on est pour ou contre la bagnole pour parler comme les adversaires de l’automobile. C’est pas la question, on est pour ou contre l’ouverture de Paris à sa banlieue et à sa grande banlieue c’est la fonction principale des voies sur berge, c’est de permettre aux banlieusards de venir à Paris, de traverser Paris et de ne pas être obligé de le contourner pour aller de l’Est à l’Ouest ou du Nord au sud. Et par ailleurs, il y a une possibilité de piétonniser ou de donner aux quais la circulation lente, ce qui mérite d’être discuté. Sauf qu’Anne Hidalgo n’a aucune espèce de goût pour la discussion, a empêché que l’on discute.
Et par ailleurs, je voudrais signaler la parution des Temps modernes consacré au Venezuela par des vénézuéliens dont beaucoup de Chavistes repentis, peut-être pas tous repentis au point de se rendre compte des erreurs qu’ils avaient pu commettre. Il est quand même cependant très intéressant de voir décrite la situation économique, politique, sociale du Venezuela à travers le regard de gens qui ont été pour ou contre Chavez et pour ou contre son successeur. "


Zone de Mort

"J’ouvrirai cette séquence des brèves en recommandant un ouvrage de feu Paul Yonnet, le regretté Paul Yonnet. Livre qui s’intitule Zone de mort et qui est préfacé par Jean-Pierre Le Goff. Cela fait 7 ans maintenant que Paul Yonnet, spécialiste des pratiques populaires, du jeu par exemple et du sport, est mort. Un sociologue tout à fait atypique très original, non pas par goût de l’originalité mais par capacité à penser par lui-même. Il y a donc 7 ans que Paul Yonnet est mort et c’est sur la période dans laquelle il a su qu’il allait devoir affronter la mort pour la seconde fois de sa vie mais cette fois-ci la bonne ou la mauvaise comme on voudra que comme l’écrit Jean-Pierre Le Goff : « Paul Yonnet l’expérience limite d’un individu avec sa propre histoire et son rapport au monde ». Mais par delà ce parcours unique et tragique, il dévoile une vérité abrupte qui s’adresse à tous, celle de l’individu confronté à la souffrance et à la mort et d’une société qui fait tout pour les mettre à distance. Ce texte, l’écrit Jean-Pierre Le Goff, est un coup de poing contre ce monde aseptisé, l’envers du décor de l’optimise enjoué des bien-pensants de la postmodernité et des partisans doucereux du suicide assisté. Et c’est édité aux éditions Stock dans la collection Les Essais."


La Déposition de Pascale Robert-Diard

"De mon côté je voudrais recommander la publication en Folio du livre de Pascale Robert-Diard La déposition qui porte sur l’affaire Leroux ou Agnelet comme on voudra mais qui porte ici sur l’un des fils Agnelet : Guillaume, qui à un moment donnée a désiré soulager sa conscience en cessant de taire ce qu’il savait et de raconter ce qu’on lui avait demandé de raconter. Il y a une atmosphère extrêmement dramatique comme dans les comptes rendus de Pascale Robert-Diard pour ceux qui la connaissent dans le Monde, reconnus pour leur sobriété et leur qualité. On est emporté par une énigme quand on a affaire à des gens comme Maurice Agnelet qui sont d’un seul bloc et que ce bloc semble tellement exsuder le mal et le goût du mal qu’on cherche à se demander ce qui, en eux, nous fait appartenir à la même humanité. C’est donc la réédition de Pascale Robert-Diard que je vous conseille cette semaine !"


L'Égypte en révolutions de Stéphane Lacroix et Bernard Rougier

"Où va l’Égypte ? Le peuple a-t-il « fait tomber le régime », comme le proclamaient les milliers de mani-festants de la place Tahrir en janvier 2011 ? Que s’est-il passé depuis la chute de Moubarak le mois suivant ? Pourquoi l’islam politique, porté par les urnes lors des premières élections libres jamais organisées, a-t-il fait l’objet d’un rejet massif lors de la deuxième révolution de juin 2013 ? Assiste-t-on au rétablissement définitif d’un ordre autoritaire après la répression sanglante des Frères musulmans, l’accession à la présidence du maréchal al-Sissi et l’arrestation de militants révolutionnaires ? Le pays est-il le poste avancé d’une contre-révolution régionale soutenue par les monarchies du Golfe ? Plus active que jamais, la violence jihadiste peut-elle contaminer l’ensemble du spectre islamiste – à commencer par la base militante des Frères musulmans, qui s’interroge sur l’action à conduire et dont les dirigeants, condamnés par la justice, croupissent en prison ? Cet ouvrage est le premier à rendre compte des dynamiques en cours dans le pays depuis l’irruption révolutionnaire. Rédigé par des spécialistes égyptiens, américains et français qui ont vécu au rythme des bouleversements de l’actualité égyptienne, il éclaire l’avenir d’un géant démographique, politique et culturel dont les élans et les crises affectent l’ensemble du monde arabe et musulman."


Les islamistes saoudiens. Une insurrection manquée de Stéphane Lacroix

"Les événements du 11 septembre 2001 ont projeté au cœur de l'actualité les islamistes saoudiens, dont Oussama Ben Laden se veut le plus éminent représentant. Du fait de la très grande opacité du royaume saoudien, cette mouvance reste néanmoins largement méconnue. Qui sont ces activistes qui défient au nom de l'islam un pouvoir ayant fait de la religion la ressource principale de sa légitimité ? Et comment sont-ils parvenus à étendre leur emprise et à mobiliser en profondeur dans la société saoudienne ? Enfin, pourquoi leur " insurrection " s'est- elle in fine heurtée à la résilience du pouvoir des Al Sa'ud' ? C'est à ces questions que répond le présent ouvrage, en s'appuyant essentiellement sur des sources écrites et orales de première main, recueillies notamment lors d'enquêtes de terrain en Arabie Saoudite."


Le Lambeau de Philippe Lançon

"Je voudrais recommander le livre de Philippe Lançon, journaliste à Libération et journaliste à Charlie Hebdo. Il était à Charlie le jour où sont rentrés les terroristes, il en est sorti vivant, extrêmement blessé et qui a réussi à transformer une situation, un moment de sa vie qui ne peut être que très difficilement partagé. Lui a réussi à le partager et ainsi montrer ce dont est capable la littérature. C’est aux éditions Gallimard et ça s’appelle le Lambeau"


Le Lambeau

"Je voudrais ouvrir cette séquence des brèves en répétant ce que j’ai dit la semaine dernière. On dit souvent que lire c’est vivre la vie des autres ou du moins la vie que l’on a pas. Quand il s’agit des Mousquetaires on s’imagine vivre des aventures exaltantes et des exploits formidables dans un contexte d’amitié étonnant. Quand il s’agit de lire le livre de Philippe Lançon Le Lambeau, on est d’abord impressionné par sa capacité à faire de la littérature. C’est à dire ne pas faire du stylé ou des manières mais arriver à retransmettre quelque chose qui semble intransmissible, je rappel que Philippe Lançon était ce journaliste qui travaillait à Libération et Charlie Hebdo et qui se trouvait à Charlie au moment de l’attentat, c’est d’ailleurs un rescapé. Sur le fait d’être un rescapé il écrit des choses très fortes. Mais c’est un rescapé terrible, il a passé deux ans à suivre des opérations chirurgicales d’une difficulté étonnante. Ca n’est pas ça l’important puisqu’il suffirait de faire la liste de ses malheurs si on voulait attirer la sympathie. Il ne cherche pas à attirer la sympathie, c’est peut-être même pas le partage puisque je pense que c’est quelque chose qui n’est pas partageable. Mais peut-être une façon d’alléger le fardeau qu’il porte et pour ça il faut être un écrivain et Philippe Lançon l’est, son livre s’appelle le Lambeau et il est publié aux éditions Gallimard."



Mister Everywhere

"Je vais recommander un livre coédité par Acte Sud et l’institut Lumière qui a deux préfaces l’une de Clint Eastwood et l’autre de Bertrand Tavernier. Le livre s’intitule Mister Everywhere et ce sont des entretiens de Pierre Rissient avec Samuel Blumenfeld, journaliste du Monde. Pierre Rissient est un personnage tout à fait étonnant, atypique, je n’en connais aucun autre, c’est l’homme le plus anticlérical que je connaisse, non pas au sens d’être contre les prêtres d’une religion quelconque mais contre les clercs en général, contre la façon de penser en bande, en groupe, en banc comme les poissons. C’est un homme qui se fait ses opinions lui-même et qui est tout à fait capable d’avoir des opinions qui varient avec les années ou en voyant un film ou en revoyant un autre. Vous aurez compris que c’est un cinéphile majeur, tout à fait reconnu à travers le monde et notamment aux Etats-Unis et ce parcours de cinéphile qu’il raconte dans ses entretiens est extrêmement intéressant. D’autant plus intéressant qu’il ne mâche pas ses mots et qu’il exprime ses opinions avec une très nette fermeté. "



Revue Commentaire: article de Georges Walden

"Je citerai un article de la revue Commentaire celui de Georges Walden. Il a été diplomate et député conservateur de la circonscription de Buckingham. Il a été secrétaire d’état à l’enseignement supérieur du gouvernement de Mme Thatcher puis ensuite de celui de Major. Il écrit à propos de son parti un article d’une sévérité et d’une cruauté remarquable qui n’a d’égal que la cruauté et la sévérité qu’il eut à l’égard du parti travailliste et plus précisément à propos de Jeremy Corbyn. Voilà donc un très bon article pour les 40 ans de la revue Commentaire."


Zadig

"Je recommande la revue trimestrielle que Le 1 vient de faire paraitre : « Zadig » qui raconte la France. L’entretient avec Mona Ozouf est remarquable. Je citerais notamment le passage suivant « l’ensauvagement des mots précède l’ensauvagement des actes». Il y a également de nombreux textes sur des villes de France tel que celui de Maylis de Kerangal sur Le Havre ou cette excellente idée d’aller demander au rappeur Orelsan d’expliquer le lien entre la ville de Caen et sa chanson. En vente dans tous les bons endroits ! "


Histoire du Portugal contemporain, de 1890 à nos jours par Yves Léonard

"L’histoire contemporaine du Portugal reste encore trop méconnue en France, alors que des flux croissants de touristes français découvrent le pays, parfois pour s’y installer l’heure de la retraite venue. Mais clichés et préjugés continuent d’avoir la vie dure, du « bon émigré portugais » à la trilogie des trois F – Fado, Fátima et Football. Sans compter le prisme réducteur des agences de notation, si prégnant ces dernières années. Pourtant, le Portugal a le plus souvent reflété, voire précédé, l’histoire européenne, du renversement de la monarchie et de l’implantation précoce de la République en octobre 1910, à la longue dictature salazariste et aux tourments coloniaux, ponctués par le rétablissement de la démocratie avec la singulière Révolution des œillets, le 25 avril 1974, avant de vivre pleinement à l’heure européenne, non sans tourment. Yves Léonard propose ici une synthèse – la première de ce type en France –, nourrie des apports récents de la recherche et des débats historiographiques, mettant en lumière la complexité et la richesse d’une histoire du Portugal contemporain loin des idées reçues."


Ch. Maurras, L'Avenir de l'intelligence et autres textes (coll. Bouquins)

"Vous êtes beaucoup à vous inquiéter de l’absence de notre amie Michaela Wiegel. Soyez rassurés, Michaela Wiegel va bien et elle est fortement occupée. J’en ai eu la preuve directement avec la sortie de son livre Emmanuel Macron : Ein Visionär für Europa – eine Herausforderung für Deutschland qui doit vouloir dire en français Un visionnaire pour l’Europe, un défi pour l’Allemagne. Ensuite, récemment une éditrice devenue ministre, Françoise Nyssen, a décidé que la biographie de Charles Maurras serait retirée du volume annuel des commémorations nationales ce qui a d’ailleurs provoqué la démission de Jean-Noël Jeanneney. C’est inquiétant qu’une éditrice puisse faire une chose pareille et ensuite, c’est très inquiétant que la rumeur suffise à imposer ou à renverser des décisions de cette nature. La réponse est venue des éditions Bouquins de Robert Laffont puisqu’elles publient un volume qui a été préfacé par Charles Maurras, un volume de Jean-Christophe Buisson et qui a été annoté par Martin Motte. Ce livre a donné lieu à un article dans le Monde qui discute les choix qui ont été faits. Il y a d’ailleurs un peu de la poésie de Maurras qui ne devrait pas porter à beaucoup de contestations ou à quelconque bagarre. En tout cas, ce qui est extrêmement positif à ce volume c’est qu’on peut enfin discuter. On peut lire, on peut contester l’édition, aucune des horreurs de Maurras ne sont absentes de ce livre."



La Guerre de Sécession par Ken Burns en DVD

"Arte, nous en parlions entre nous avant le début de cet enregistrement, a diffusé cette semaine les films de Ken Burns sur le Vietnam qui sont des films absolument remarquables que l’on peut revoir facilement sur internet. Cela me permet de rappeler un autre travail extraordinaire de Ken Burns que l’on peut obtenir en DVD facilement, c’est son travail sur la Guerre de Sécession, qui est un travail d’une documentation et d’une précision tout à fait remarquable. Je l’avais signalé en son temps mais je dois dire qu’en ce qui me concerne il ne se passe pas 18 mois sans que je ne revois la totalité de ce formidable travail qui ne remonte en effet pas le moral et qui ne donne pas de l’humanité une vision bien sympathique, but that’s the way it is comme disait le regretté Walter Cronkite. François Bujon de l’Estang me signale qu’il y a de Ken Burns un documentaire sur l’histoire du jazz qui demande lui aussi à être regardé."


Continental films

"Je recommande la lecture d’un livre publié par une vaillante petite maison d’édition cinéphile, pas seulement cinéphile mais très cinéphile, ce sont les éditions de La Tour Verte. Le livre est signé de Christine Leteux et il s’intitule Continental films. C’est donc un livre d’histoire sur cette firme allemande installée à Paris dirigée par Alfred Greven et qui a eu un rôle déterminant dans la production cinématographique pendant l’occupation, et qui a entre autres fait travaillée avec des gens comme Jean-Paul Le Chanois, comme Richard Pottier, comme Henri George Clouzot, Maurice Tourneur, et un certain nombre d’autres. Et c’est autour de cette Continental films que Christine Leteux fait une enquête méthodique qui permet de savoir qui a vraiment fait quoi, et comment. A l’intérieur de cette firme allemande, il y a eu d’un côté une volonté hégémonique allemande, mais de l’autre côté énormément de petites initiatives, qui ont fait en sorte que cette endroit soit un endroit où on fasse essentiellement des films, et surtout pas de la propagande. Christine Leteux ne dissimule ni qu’il y avait des salauds, ni qu’il y avait des profiteurs, ni qu’il y avait des imbéciles, ni qu’il n’y avait peu de juifs (quoique, comme Le Chanois, et aussi la manière dont un certains nombre d’entre eux ont été protégés par ceux qui étaient employés par la Continental). Et aussi elle examine un certain nombre de dossiers qui ont été jugés sans qu’il y ait eu une instruction ni à charge ni à décharge, ou plus exactement seulement à charge, notamment l’histoire du fameux voyages des 8 à Berlin : ils étaient 7 comédiens et 1 journaliste et en réalité on s’aperçoit que par exemple, Danielle Darrieux n’y est allée, que parce qu’elle a obtenu en échange de pouvoir voir son fiancé qui était dans un camp d’internement, que tel autre n’y est allé que parce qu’on lui avait dit que s’il n’y allait pas, on allait ressortir le livre antinazis qu’il avait publié avant la guerre et qu’il allait faire autre chose que du cinéma, … bref le seul qui était un collaborateur enthousiaste, c’était le journaliste qui les accompagnait, et tous les autres y sont allés en marche arrière, et c’est très intéressant. Sauf peut-être Susie Delair, qui va avoir 100 ans bientôt, mais on se demande si ce n’est pas parce qu’elle avait quand même Ein Ziegel in seinem Kopf, un pois chiche à l’intérieur du crâne. Quelque soit ces qualités d’actrices que l’on vient de pouvoir admirer de nouveau dans la rediffusion de Quai des Orfèvres, dans la version restaurée par Arte qui était vraiment une splendeur. Voilà donc Christine Leteux, Continental films, aux éditions de La Tour Verte."


Le Monde vu d'Asie au fil des cartes

"Actuellement au musée Guimet : une exposition qui s’appelle le « Monde vu d’Asie ». C’est une exposition qui montre comment les cartes géographiques les japonaises, les chinoises, les indiennes ou les coréennes, se sont représentées le monde au fil des siècles. Sur le plan de l’esthétique ce sont des cartes absolument magnifiques et sur le plan de l’analyse géographique ou géopolitique, il y a là de quoi méditer et de quoi se renseigner. Et donc j’invite vivement ceux de nos auditeurs qui sont parisiens, banlieusards ou qui viendraient à venir à Paris à aller voir cette exposition « le Monde vu d’Asie au fil des cartes »."


J'ai épousé un communiste - Philip Roth

"J’inaugure notre dernière séquence des brèves en faisant remarquer que vous avez parlé les uns et les autres de la manière condescendante dont on regarde trop souvent l’Italie. Je tiens à préciser que dans notre précédent avatar nous avons consacré beaucoup d’émissions à l’Italie et que dans cet avatar-ci nous en consacrerons une autre avec Marc Lazar qui sera l’une des 6 thématiques consacrées à des pays et qui sera diffusé cet été, j’y reviendrai. Cette semaine le Un avait pour principal sujet Philip Roth récemment disparu. Peut-être, chacun selon son inclinaison du moment, si on veut se remettre à cet auteur, relire ou lire J’ai épousé un communiste qu’on trouve en collection de Poche et pour ceux qui devrait le découvrir car après tout pourquoi tout le monde le connaîtrait. Je trouve que la manière dont ce roman tourne autour du Maccarthysme, la manière dont on ressent cette pression dont elle vous détruit progressivement est admirablement décrite par Philip Roth. Tout ça avec un allant tout à fait étonnant."


Cause toujours Philippe Muray

"Je rangeais des livres et j’ai retrouvé celui-là. Ce sont des chroniques que Philippe Muray, le regretté Philippe Muray, donnait à la Montagne. Il les a données pendant cinq ans, elles ont été sélectionnées et regroupées sous le titre Cause toujours aux éditions Descartes et Cie en collaboration avec la Montagne. D’abord, retrouver Philippe Muray est chaque fois quelque chose d’important. On est vraiment secoué, on s’arrête parfois et on est frappé par l’intelligence, la qualité du regard, la façon de voir les choses et évidemment aussi par la façon de les écrire. J’ajoute quand même qu’on pouvait reprocher à Philippe Muray d’être long et c’est arrivé dans un certain nombre de ses publications. Mais en même temps, il y a l’obligation, dans un journal, de format qui le sert formidablement. Je pense que Muray était d’accord avec la phrase de Gide « l’Art nait de lutte, vit de contrainte et meurt de liberté ». La contrainte du journalisme, cette contrainte de distance, à mon avis, potentialisait le talent de Philippe Muray et donc ça s’appelle Cause toujours et les références seront sur notre site."


Le Un - Faut-il trier les étudiants?

"L’hebdomadaire Le 1 se demande cette semaine s’il faut trier les étudiants et donc se penche sur Parcoursup. Je ferais remarquer en particulier un article sur la violence symbolique de l’attente et Annabelle Allouch souligne qu’être en attente revient à faire l’expérience à 17 ou 18 ans d’une position où même les bonnes notes n’assurent qu’une prise limitée sur l’avenir, lequel est laissé au fonctionnement d’un système qui impose son rythme propre. C’est un article sur lequel, je crois, il y a lieu de méditer."



Loi Paris-Lyon-Marseille

"- Je vais ouvrir la séquence des brèves en rappelant qu’on commence à évoquer telle ou telle candidature pour les élections municipales de 2020 ici ou là à Paris, à Lyon ou à Marseille. Mais personne ne parle de la loi scélérate qui fait que les habitants de ces trois villes ne votent pas pour leur maire mais pour un collège d’électeur. C’est la loi Paris-Lyon-Marseille qui a été fabriquée dans les cuisines de François Mitterrand pour sauver la peau de Gaston Deferre, ce qu’elle a d’ailleurs fait à Marseille, elle avait été dénoncée avec indignation par la droite et Jacques Chirac qui s’en est servi après avoir ajouté deux secteurs nouveaux à Marseille pour sauver la peau de Monsieur Gaudin qu’elle a d’ailleurs sauvé. C’est une loi qui permet qu’on soit élu avec une minorité. Pourquoi est-ce que les parisiens, les marseillais, les lyonnais n’ont pas le droit d’élire directement leur maire ? Pourquoi est-ce qu’il faut qu’on en arrive à des combinaisons de cette nature ? Pourquoi est-ce qu’un système qui nous a si profondément indigné quand aux Etats-Unis il a permis l’élection de Georges Bush Junior contre celle d’Al Gore alors que Bush était minoritaire en voix tout comme Trump ? Pourquoi faut-il qu’il y ait indignation de ce côté-ci de l’Atlantique et résignation de l’autre côté ? Personnellement, je suis pour certaines initiatives, et je crois que je vais contribuer à l’une d’entre elles, pour que ces lois scélérates soient abolies."


La loi PLM

" Je vais ouvrir la séquence des brèves en rappelant qu’on commence à évoquer telle ou telle candidature pour les élections municipales de 2020 ici ou là à Paris, à Lyon ou à Marseille. Mais personne ne parle de la loi scélérate qui fait que les habitants de ces trois villes ne votent pas pour leur maire mais pour un collège d’électeur. C’est la loi Paris-Lyon-Marseille qui a été fabriquée dans les cuisines de François Mitterrand pour sauver la peau de Gaston Deferre, ce qu’elle a d’ailleurs fait à Marseille, elle avait été dénoncée avec indignation par la droite et Jacques Chirac qui s’en est servi après avoir ajouté deux secteurs nouveaux à Marseille pour sauver la peau de Monsieur Gaudin qu’elle a d’ailleurs sauvé. C’est une loi qui permet qu’on soit élu avec une minorité. Pourquoi est-ce que les parisiens, les marseillais, les lyonnais n’ont pas le droit d’élire directement leur maire ? Pourquoi est-ce qu’il faut qu’on en arrive à des combinaisons de cette nature ? Pourquoi est-ce qu’un système qui nous a si profondément indigné quand aux Etats-Unis il a permis l’élection de Georges Bush Junior contre celle d’Al Gore alors que Bush était minoritaire en voix tout comme Trump ? Pourquoi faut-il qu’il y ait indignation de ce côté-ci de l’Atlantique et résignation de l’autre côté ? Personnellement, je suis pour certaines initiatives, et je crois que je vais contribuer à l’une d’entre elles, pour que ces lois scélérates soient abolies."




La peur est au-dessus de nos moyens - Pour en finir avec le principe de précaution par Jean de Kervasdoué

"Croyant se protéger, les Français se terrent et laissent les autres participer à l'aventure scientifique des cellules souches ou des transferts de gènes, sans eux. Ils interdisent l'épandage d'insecticide, mais s'en couvrent le corps au moindre bourdonnement. Ils dépensent l'argent qu'ils n'ont pas en dizaines de millions de vaccins contre un virus, certes contagieux, mais peu virulent. Ils invoquent le principe de précaution alors qu'il n'est qu'une conjuration de l'incertitude et se révèle, à l'usage, beaucoup plus onéreux et tout aussi efficace que de brûler un cierge à la patronne des causes désespérées. Avec une ostentation prétentieuse, l'esprit des Lumières s'éteint dans le pays qui l'a vu naître. La peur est devenue le seul fondement de toute action collective. Véritable insulte à la raison, elle est aussi la source de la baisse de compétitivité de nos entreprises. Il ne faut pas s'étonner : la chance sourit aux audacieux."


L'Europe en première ligne

"Pascal Lamy : C’est une première. Nous avons l'habitude d'échanger, sur l'Europe, des idées générales, d'en vouloir « plus » ou « moins », de polémiquer. Grâce à Pascal Lamy, nous la voyons fonctionner pour de vrai, de l'intérieur, Concrètement. Et les mots — Europe, mondialisation, etc. —, les grands mots, prennent un tout autre sens. Ancien collaborateur de Jacques Delors, l'auteur a été nommé en 1999 commissaire européen chargé du commerce, poste stratégique par excellence. Il est de tous les Sommets internationaux (Seattle, Doha) et de toutes les négociations publiques ou secrètes. Dans son livre, il relate, il décrit: l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce, l'incompréhension américaine, la détresse des pays du Sud, les enjeux culturels, la bataille pour le libre accès des sidéens à un traitement adapté. Bref, l'Europe en action, efficace quand elle est unie, fragile quand elle ne l'est pas. « J'ai choisi, dit Pascal Lamy, ces quelques épisodes pour raconter à ma manière ce qu'est aujourd'hui la mondialisation et comment il nous faut, à nous Européens, la maîtriser. » Un livre qui nous montre le dessous des : Cartes. Un livre de conviction."


Où va le monde?

"Pascal Lamy : Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi le désordre, la violence, le chaos donnent-ils le sentiment d’être les nouvelles règles du système international, alors que la paix, la prospérité, la liberté, la règle du droit étaient données, il y a à peine vingt ans, comme les promesses de la fin de la guerre froide ? Quelles dynamiques dominent aujourd’hui le monde ? Le marché ou la force ? L’économie ou la géopolitique ? La première va-t-elle réussir à pacifier le monde et l’unir dans un destin commun ? La seconde finira-t-elle par casser l’unification des marchés au profit de désordres et de rivalités incontrôlés ?"


Quand la France s'éveillera

"Pascal Lamy : Inviter les Français à regarder le monde tel qu'il est ; leur montrer que le monde est moins une menace qu'une chance ; les convaincre qu'ils ont tous les atouts à condition de briser le prisme à travers lequel ils lisent le monde et que briser ce prisme ne signifie pas renoncer aux spécificités et aux ambitions françaises, ni tourner le dos à l'égalité et à la justice sociale, bien au contraire. Telle est l'ambition de ce livre. . Je voudrais transmettre ici un message d'espoir : le monde regarde l'Europe et nous regarde. Je l'ai appris lors de mes rencontres avec un grand nombre de responsables politiques, économiques, sociaux de la planète. Avec tous ceux qui attendent de l'Europe qu'elle "civilise la mondialisation". Car la France, et l'Europe avec elle, peuvent être des acteurs essentiels de ce nouveau monde globalisé qui émerge depuis une génération."


Le Yémen: De l'arabie heureuse à la guerre

"Le Yémen a longtemps fasciné bien des voyageurs, parfois illustres, d’Ibn Battuta à Arthur Rimbaud et André Malraux. Il apparaît comme l’incarnation d’une authenticité tant arabe que musulmane. Toutefois, bien que pris dans les soubresauts de l’histoire mondiale (colonisation, guerre froide et terrorisme) et occupant une place stratégique à la croisée des continents, il reste mal connu et perçu comme marginal et passif. Patrie d’origine de la famille Ben Laden, lieu où l’attentat contre Charlie Hebdo a été commandité, le Yémen a émergé en tant que menace à la sécurité internationale dans le contexte de la guerre mondiale contre le terrorisme et a vu son image se détériorer. L’offensive armée saoudienne lancée en mars 2015 en a fait une victime directe de la lutte entre puissances régionales. L’ambition de cet ouvrage est de dépasser ces perceptions catastrophistes et cette lecture purement sécuritaire pour s’intéresser aux modes d’intégration du Yémen dans les relations internationales. Il s’agit, à partir de figures et d’interactions spécifiques (du diplomate au terroriste en passant par le migrant et l’artiste), d’analyser la place qu’occupent cet État et cette société dans les enjeux contemporains. Car le Yémen, loin d’être une marge, se trouve au cœur de processus fondamentaux qui ont trait aux flux transnationaux, aux mécanismes de domination et aux résistances qu’ils engendrent. Mieux le comprendre, c’est aussi mieux appréhender un Moyen-Orient et un monde en crise."


Chindiafrique: La Chine, l'Inde et l'Afrique feront le monde de demain

"Cet essai de prospective montre comment les trois géants – Chine, Inde, Afrique – vont renforcer leurs complémentarités et former un nouveau triangle de développement. Analysant les conséquences de cette recomposition, Jean-Joseph Boillot et Stanislas Dembinski mettent au jour ses risques et ses opportunités pour l’Occident : dynamisme économique et culturel des diasporas, diffusion d’un low cost de qualité, business models frugaux et dont pourraient bien s’inspirer les pays riches. On voit ainsi se dessiner un monde où les changements sont infiniment plus rapides et plus massifs qu’ils ne l’ont été pour notre révolution industrielle. Et si la Chine se place en tête de cette course à la croissance, les auteurs montrent qu’elle est en voie de stabilisation, tandis que l’Inde et l’Afrique devraient révéler tout leur potentiel dans les prochaines décennies. Un décalage dont l’Europe devrait savoir jouer afin de contrebalancer une Chine trop hégémonique. "


Un monde d’inégalités

"Depuis plusieurs années, et singulièrement après la crise financière de 2008, les inégalités sont redevenues un thème d’actualité. Des best-sellers internationaux se consacrent à cette question trop longtemps négligée. Des ONG publient des chiffres alarmistes qui illustrent le fossé croissant entre les pauvres, qui paraissent toujours plus nombreux et vulnérables, et les ultra-riches, qui ne savent plus comment dépenser leurs gigantesques fortunes. D’Athènes à Caracas, de Madrid à New York, de Hong Kong à Ouagadougou, les mouvements populaires qui placent la lutte contre les inégalités au cœur de leur programme se multiplient et prennent de l’ampleur. Mais, derrière les slogans, comment appréhender et mesurer précisément ces inégalités qui pèsent de plus en plus sur l’agenda international ? Politiques, économiques, sociales, raciales, culturelles ou sexuelles : comment s’enchevêtrent les différentes facettes des inégalités ? Pourquoi les institutions internationales, elles-mêmes très inégalitaires, échouent presque toujours à atteindre les objectifs qu’elles se sont fixés en matière de « développement » ? Pourquoi l’accès à l’alimentation, au logement, à l’éducation ou à la santé reste-t-il à ce point inégalitaire ? L’injustice ressentie par de nombreuses populations favorise-t-elle les conflits et la violence politique ?"


CHINE, HONG KONG, TAÏWAN. UNE NOUVELLE GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE DE L’ASIE

"Le nouveau millénaire s’inscrit dans une tendance profonde à la régionalisation de l’économie mondiale, autour des trois grands pôles que sont l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie. Les logiques géographiques de chacun de ces pôles sont néanmoins contrastées. pour l’asie, le principe majeur de localisation des activités suit un axe maritime nord-sud allant du japon à l’indonésie. C’est une véritable Méditerranée asiatique bordée de pôles industriels, marchands et financiers, et d’une mosaïque de petites mers intérieures qui la structurent en zones de voisinage de plus en plus intégrées au fur et à mesure que les conflits s’éloignent et que les économies s’ouvrent sur le schéma de croissance tirée par l’exportation et l’investissement direct (IDE). La montée rapide du monde chinois (Chine, Hongkong et Taïwan) instaure non seulement une structure géopolitique bicéphale (Japon-monde chinois) en asie de l’est, mais elle entraîne également un véritable effet d’attraction sur toute la région par le seul effet des masses démographiques et financières : près de 750 millions d’actifs pour la seule chine continentale contre 180 dans le reste de l’asie émergente et moins de 70 millions au Japon. Cet ouvrage est une présentation empirique des espaces économiques chinois dans la nouvelle géographie économique de l’asie. Un accent plus particulier est mis sur le triangle de chine du sud qui constitue indéniablement le grand succès économique des vingt dernières années. à l’aide des outils de la » nouvelle géographie économique » (Paul Krugman notamment), les auteurs montrent que les miracles chinois illustrent très largement les effets dynamiques des spécialisations territoriales à l’oeuvre sur les bordures côtières. Plus que les avantages comparatifs traditionnels, ce sont les rendements d’échelle et les externalités positives qui tirent les économies chinoises et structurent de plus en plus la région Asie."


Pierre de Panafieu et Éric Chol, Cas d'écoles

"J’ai eu l’occasion de me rapprocher ces derniers temps de l’École Alsacienne et de découvrir son fonctionnement que je résumerais en disant que faute d’avoir pu être son élève quand j’en avais l’âge, j’aimerai bien devenir son élève honoris causa. Cette discussion sera sans doute tenue prochainement au sein du conseil d’administration, en tout cas ce qui est certain c’est que ce que j’ai découvert est exposé dans un livre du directeur de cette école, Pierre de Panafieu, livre qui s’intitule Cas d’écoles (Fayard) zet qu’il a écrit en collaboration avec un ancien de l’école qui est aujourd’hui directeur de Courrier International, Éric Chol. Dans une période où l’on est en train d’essayer de reprendre en main l’Éducation nationale, il est très recommandable de lire cet ouvrage. "


Thomas Lilti, Première année

"Je voudrais recommander le film d’un médecin-cinéaste, de plus en plus cinéaste et de moins en moins médecin – mais toujours considérablement préoccupé par la médecine – c’est Thomas Lilti. On se souvient je pense de son film Hippocrate qui avait beaucoup marqué sur ce que c’est que la vie dans les hôpitaux entre autres choses. On se souvient aussi de Médecin de campagne, œuvre de fiction qui marche sur un sujet de société pourtant ingrat. Là il a tout à fait réussi ce film qui s’appel Première année avec deux comédiens tout à fait choisis : Vincent Lacoste et William Lebghil. En sortant je me suis demander s’il ne fallait pas créer une ONG pour venir en aide aux étudiants de première année : c’est abominable. Il paraît que l’on va s’occuper de réformer tout cela mais je n’avais aucune idée de ce que c’était et je ne comprends pas qu’il y ait des médecins, des professeurs, des universitaires qui aient pu accepter de voir cette formation en première année devenir d’une telle brutalité. Comme œuvre de fiction, ce Première année est une réussite très remarquable avec un rythme remarquable. "


Voyage à travers le cinéma français. Mes cinéastes de chevet.

"Il y a quelques temps Bertrand Tavernier a sorti au cinéma Voyage à travers le cinéma français, un film qui dure 3 heures 10 et qui a eu un très grand succès d’estime et un véritable succès commercial. Bertrand Tavernier, c’était prévu de longue date, a dans la foulée réalisé une série de documentaires sur le même principe qu’il a sous-titré : Mes cinéastes de chevet. Ces documentaires sont diffusés par France 5, le premier l’a été il y a une dizaine de jours. France 5, qui a suivi de près l’enthousiasme des spectateurs de Bertrand Tavernier et de Bertrand Tavernier lui-même, diffuse ces documentaires à 23h35. De plus il n’y a pas de dossier de presse disponible numériquement. Il n’y a que quelques petites phrases dans lesquelles on apprend que parmi les premiers cinéastes auxquels Bertrand Tavernier s’est intéressé pour faire son documentaire il y a Jean Grémillon et c’est un plaisir de nous faire découvrir quelqu’un dont on connaissait parfois à peine le nom mais dont on ne savait pas à quel point il possédait les talents les plus divers y compris des talents de musicien. À toutes les personnes qui dorment à 23h35, je signale qu’elle peuvent voir en replay ces documentaires de Bertrand Tavernier. "


Le loup dans la bergerie

"Je voudrais inaugurer la séquence des brèves en évoquant la mémoire d’Abel Michéa. Abel Michéa était la seule personne à pouvoir faire acheter L’Humanité à un abonné du Figaro dans les années 50, 60 et 70. Pourquoi ? Parce qu’il en écrivait la rubrique de sport. Personne n’a jamais écrit aussi bien sur le football qu’Abel Michéa. Le fils d’Abel Michéa, Jean-Claude Michéa est capable de faire lire Marx à n’importe quel abonné des Échos et il vient de publier aux éditions Climats un livre qui s’appel Le loup dans la bergerie et qui analyse la situation actuelle à partir d’une phrase du Capital que je cite : « Dans sa pulsion aveugle et démesurée, dans sa fringale de surtravail digne d’un loup-garou, le capital ne doit pas seulement transgressé toutes les limites morales, mais également les limites naturelles les plus extrêmes. » "


Gilles Vigneault

"Hier, Gilles Vigneault a eu 90 ans. C’est l’occasion d’appeler l’attention sur ce chanteur, poète, compositeur, homme de scène absolument exceptionnel. C’est sans doute l’un des rares, peut être même le seul chanteur qui ait été capable d’exprimer toute une collectivité nationale, culturelle, sans aucun esprit de chauvinisme, mais qui ait accompagné, traduit une société qui a profondément changé, qu’il a connu quand elle était encore entièrement congelée, et sauvegardée, et en même temps sous la botte de l’Église qui lui a sauvé la vie et qui en même temps l’a fait vivre dans des conditions extraordinairement disciplinaires. C’est un homme de scène tout à fait remarquable, cela se sent dans ses disques dont beaucoup ont été enregistrés en direct et dont on tire une grande satisfaction. "


Suzanne

"Suzanne est un livre signé Frédéric Pommier sur sa grand-mère. Le livre fait des va-et-vient entre la vie de cette femme, les rêves de cette femme, les amours de cette femme, les engagements de cette femme et sa vie d’aujourd’hui où elle est dans un EHPAD (établissement d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes) dans lequel elle est traitée sans affection, ce qui serait beaucoup demandée, mais sans même de respect et ce pour beaucoup de raisons dont certaines tiennent à l’absence des moyens nécessaire et d’autres au fait qu’il y a des gens d’une moins bonne composition que d’autre. C’est un livre composé avec beaucoup d’intelligence par Frédéric Pommier qui avait écrit une belle pièce de théâtre donnée au Bouffes du Nord. "



Écoliers en guerre : 1914-1918

"Je voudrais signaler une exposition et un livre qui en est le catalogue : Écoliers en guerre 1914-1918. L’exposition rassemble la collection graphique de l’École alsacienne c’est-à-dire les dessins faits par les enfants parmi lesquels certains étaient appelés à devenir illustre comme Théodore Monod ou Jean Bruller qui est devenu par la suite l’écrivain Vercors et le fondateur des éditions de Minuit. L’exposition a lieu à la mairie du 6ème arrondissement et le catalogue, fait en partie par les élèves d’aujourd’hui et par Florence Lacombe, Emmanuelle Crosnier et Emmanuel Larroche, reprend les dessins et les remet dans la perspective historique de l’époque. Les dessins sont étonnement beaux et notamment chez certains dessinateurs de 8 ans qui maîtrisent le dessin et les couleurs d’une manière étonnante. En même temps ils permettent de suivre comment la guerre est vécue de l’intérieur par des enfants qui croient d’abord comme tout le monde que c’est une affaire de quelques semaines et qui vont d’apercevoir que c’est loin d’être le cas. "


Leurs enfants après eux

"L’attribution du prix Goncourt au livre de Nicolas Mathieu Leurs enfants après eux montre qu’il y a eu d’une certaine façon une anticipation du mouvement social parce qu’après des années de mise en avant de livres consacrés à l’introspection la plus intime de leurs auteurs et de leur auteur-es, voilà un livre qui décrit dans la Lorraine la fin d’une civilisation ouvrière sûre d’elle-même extrêmement organisée. À travers quatre adolescents dont l’évolution est racontée dans ce livre, le livre raconte cette France qui a cessé d’appartenir à la communauté nationale ou qui lui appartient de moins en moins et je me demande si cette attribution du Goncourt à ce roman social n’est pas le signe que nous commençons à nous intéresser à nous-même plutôt que chacun à lui-même. "


Raboliot

"Je commencerai par rappeler que va entrer au Panthéon l’auteur de Raboliot, Maurice Genevoix, tant mieux si cela permet d’attirer vers son œuvre de nouveaux lecteurs, Raboliot est un livre magnifique qui était interdit au collège où j’étais quoiqu’il eût reçu le prix Nobel car ce braconnier qui n’aimait que le désordre et qui avait l’amour du jeu contre les autorités aurait pu nous donner de mauvaises idées. D’ailleurs à propos de collège Maurice Genevoix a écrit un roman de jeunesse qui s’appel L’aventure est en nous dans lequel il décrit de manière impitoyable et précise comme il le fit après dans Ceux de 14 les conditions de vie. "


Carnets de Louis Barthas

"Je regrette que le Président de la République ait une nouvelle fois regardé exclusivement vers le haut c’est-à-dire vers quelqu’un qui a été reconnu et secrétaire perpétuel de l’Académie française et qu’il n’ait pas pensé à Louis Barthas, le fameux auteur des carnets. Louis Barthas est ce tonnelier qui a fait toute la guerre de septembre 1914 à avril 1918 et dont un professeur de Toulouse a retrouvé tardivement 1 800 pages de carnet écrites à l’encre violette avec une encre de certificat d’étude et qui non seulement donne un aperçu de ce qui a été la vie des poilus et qui est d’une grande sévérité, mais d’une sévérité précise et documentée sur les méthodes de commandement. "


Le général de Castelnau

"Je pense que l’on aurait pu aussi honorer le général de Castelnau qui aurait du selon Lyautey et selon Gallieni être le responsable suprême des armées françaises mais qui ne l’a pas été car il était catholique et très engagé dans l’Église catholique et parce que les radicaux socialistes ne lui ont pas pardonné d’avoir soutenu la loi des trois ans et que Clémenceau ne lui a pas pardonné son catholicisme affiché. Le général de Castelnau était quelqu’un qui allait au feu, qui était extrêmement soucieux des conditions de vie de ses soldats, il était sur ce plan l’anti Joffre. Le général de Castelnau était donc souvent célébré par ses anciens soldats qui lui prêtaient la formule : « Je vais aux obus ». Alors qu’il était le numéro 2 de l’armée française, trois de ses fils sont morts au front. Aujourd’hui où beaucoup de gens confient à des proches des emplois fictifs peut être il était utile de donner en exemple quelqu’un qui ne se servait pas mais servait. Une autre chose m’enchante chez le général de Castelnau est qu’il a planqué des armes pour la Résistance en 40, il a été immédiatement hostile à l’armistice et ne s’est pas gêné pour l’exprimer. Quand le cardinal Gerlier, d’horrible mémoire, lui a envoyé un émissaire pour lui dire qu’il devrait parler moins en mal du maréchal, le général de Castelnau, du haut de ses 90 ans lui a répondu : « Ah il a une langue votre cardinal, je croyait qu’il l’avait usé à lécher le cul de Pétain ». Pour toutes ces raisons je pense que nous pourrions faire du général de Castelnau un maréchal de France à titre posthume. "


Voyages à travers le cinéma français. La série

"Bertrand Tavernier a réalisé, c’est sorti dans les salles il y a un peu plus d’un an maintenant, un Voyage à travers le cinéma français qui a eu un accueil extrêmement favorable et viennent de sortir en DVD les 8 épisodes supplémentaires qu’il a réalisés sous la forme de 8 émission diffusées tardivement, et fort mal annoncées, par le service public en l’occurrence France 5. Ces 8 prolongements, ces 8 développements, ces 8 jubilations partagées d’un cinéphile au combien connaisseur sont désormais disponibles en DVD ce qui, pour les gens qui sont à court d’imagination pour les cadeaux de Noël et même pour ceux qui ne sont pas à court d’imagination, est une excellente nouvelle. "


Pupille

"Je voudrais juste conseiller d’aller voir le film de Jeanne Herry qui s’appel Pupille qui est l’histoire d’une adoption. C’est un film à voir pour les acteurs quand on aime les acteurs : il y a une telle flopée d’acteurs y compris pour les rôles minuscules. Par ailleurs, chose qui n’est pas fréquente et dont j’ai fait l’expérience comme d’autres à qui j’ai posé la question, certains acteurs que l’on aime pas du tout et qui sont dans ce film sont aimables dans ce film. "


La Nouvelle revue française

"En faisant tomber quelque chose de ma bibliothèque tout l’étage dédié aux numéros de la NRF est tombé et du coup je me suis assis et j’ai commencé à les feuilleter à nouveau. Toutes les revues sont intéressantes et si nous passions à lire les revues le quart du temps que nous passons à regarder les télévisions d’information directe nous serions beaucoup moins bêtes et peut être même plus intelligent. Je dois dire que la NRF qui a été réformée récemment par Michel Crépu est vraiment une revue formidable. La littérature y est prise par tous les bouts pour raconter le monde d’aujourd’hui, le monde d’avant et le monde d’après. La NRF est une revue particulièrement recommandable. "


Ingo Kramer

"Je voudrais juste informer nos auditeurs qui ne le sauraient pas que le président de la fédération patronale allemande monsieur Ingo Kramer s’est dit étonné de la rapidité de l’intégration des réfugiés sur le marché du travail allemand. Sur 1 million de personnes arrivées en 2015 près de 400 000 ont soit une formation soit pour la grande majorité un emploi soumis à cotisation sociale et monsieur Ingo Kramer a dit que finalement Angela Merkel avait raison avec sa phrase « Wir schaffen das » : « On va y arriver ». "


Glissez mortels

"Je souhaiterais recommander un livre de Charlotte Hellman, Glissez mortels édité chez Philippe Rey. Charlotte Hellman a cinq arrières grand-mère. Deux du côté paternel et trois du côté maternel. Il y a son arrière grand-mère naturelle, Jeanne, son arrière grand-mère adoptive, Berthe, ainsi que son arrière grand-père qui s’appelait Paul Signac. Cet arrière grand-père a épousé Berthe, il l’a aimé et a été aimé d’elle puis il a vécu avec Jeanne suite à ses 25 années de mariage avec Berthe. Il a eu avec Jeanne un enfant, ce qu’il n’avait jamais pu avoir avec Berthe. Jeanne et Berthe se sont détestées et combattues puis rapprochées et finalement entendues au point que Berthe a adopté l’enfant de Jeanne afin que ce dernier puisse hériter de son père. Charlotte Hellman s’est plongée, à la manière d’un détective et d’une descendante à la recherche de la vérité sur sa famille, dans l’histoire compliquée mais belle de ces deux femmes et de cet homme. Elle réussit à écrire ce roman d’une manière extrêmement remarquable dans un livre tout à fait fluide. Peu importe que cet arrière grand père s’appela Paul Signac; il aurait pu s’appeler Paul Dupont, l’histoire aurait été tout aussi intéressante. "


Comme une rage de justice

"Je voudrais recommander le livre d’entretien de Sabine Rousseau, paru aux éditions du Cerf, avec le frère Burin des Rosiers qui a quitté la France après s’être établi en usine après mai 68. Il a quitté la France et a vécu pendant très longtemps en Amazonie où il s’est battu pour les droits des paysans jusqu’à ce que l’âge et la fatigue ne le fasse revenir en France mais ça été un long combat de trente ans si je ne me trompe. Ce livre décrit cette condition de l’esclavage qui est celle de beaucoup de paysans brésiliens."



L'Incroyable histoire du facteur Cheval

"Sur une tonalité plus gaie je voudrais recommander d’aller voir le film sur le facteur Cheval. D’abord parce que le facteur Cheval est une bénédiction mais la manière dont Jacques Gamblin - Laetitia Casta est très bien par ailleurs - incarne le facteur Cheval fait que si ce dernier était américain il ferait la une de magasines « en veux tu en voilà ». C’est un film de Nils Tavernier qui est excellent et le jeu de Jacques Gamblin est magnifique. "


La comédie des Halles : intrigue et mise en scène

" Je voudrais chaudement recommander un livre de Françoise Fromonot qui est architecte et professeure d’architecture paru aux éditions La Fabrique intitulé « La comédie des Halles ». Il porte sur l’aménagement des anciennes halles à Paris. Françoise Fromonot enquête sur les causes de ces dérapages et en fait voir les conséquences : une gare souterraine transformée en vestibule d’un centre commercial, des équipements publics relégués aux étages d’un forum qui n’a jamais si mal porté son nom, un jardin où l’on ne s’arrête plus planqué de caméras de surveillance et parsemé de grilles d’aération. Ce sont les stigmates d’une opération qui s’est soldée par la privatisation et la normalisation accrues de l’espace public dans la capitale pour le plus grand profit d’une firme qui s’appelle Unibail. Unibail est à l’urbanisme ce que Monsanto est à l’agriculture. "


La comédie presque française 

"Je vais ouvrir cette séquence des brèves en parlant d’un programme radio. Pendant très longtemps et jusqu’à une date récente, la radio de service public a été épargnée par les considérations d’audience et elle s’est surtout concentrée sur l’idée que ses successifs présidents se faisaient de leur mission. Ça donne un trésor considérable d’archives. Ces archives sont régulièrement sélectionnées et diffusées par les Nuits de France Culture. On peut actuellement y télécharger une émission qui s’appelle « La comédie presque française ». C’est une émission qui avait été enregistrée à Hollywood pour une fin d’année dans laquelle des acteurs d’Hollywood - et pas n’importe lesquels -jouent en français des grandes scènes que l’on identifie au répertoire de la Comédie française. On peut notamment entendre Edward G.Robinson qui joue Monsieur Jourdain ainsi qu’Audrey Hepburn qui joue la fameuse scène d’Agnès dans l’Ecole des femmes. C’est charmant, très touchant et en même temps cela pousse à une réflexion sur la comédie française dans un endroit où l’on attend pas qu’elle soit célébrée; c’est à dire Hollywood. "


La ligue du LOL

"Je voudrais ouvrir la séquence des brèves avec un fait d’actualité. Les participants à la ligue du LOL; ceux qui à la naissance des réseaux sociaux les ont utilisés pour harceler hommes et femmes, s’en prendre à leur physique, ridiculiser leur travail en substituant l’injure à l’argument. Ceux qui les calomniaient, ceux qui arrivaient à truquer des photos pour les mettre dans des situations qui n’étaient pas extrêmement sexuellement flatteuses et tout autre chose du même genre que cela ont été à leur tour dénoncé, mis à pieds, licenciés et vilipendés sur Twitter et sur Facebook. Celui qui blessera par le réseau social sera blessé par le réseau social. Je crois qu’il n’y a rien à dire là-dessus et que peu de comportements sont aussi antipathiques que ceux de ces meutes. Les uns après les autres, les harceleurs se frappent la poitrine mais leurs employeurs - et je pense notamment à ces deux confrères que sont Libé et les Inrocks - ont été très rapides, très prompts à les licencier mais je me demande aussi si ces derniers n’auraient pas à réfléchir eux-mêmes à ce qui dans leur propre comportement institutionnel d’entreprise ne relevait pas de l’arrogance et de l’absence de respect d’autrui. J’ai en mémoire quelques articles : un article sur une actrice italienne, Ornella Muti qui était traitée de loukoum, un article sur Alain Resnais qui était traité de crétin… C’est peut être en se remémorant et parcourant leurs propres archives que, à leur tour, les employeurs de ces harceleurs pourraient peut être se rendre compte de ce qu’a été et de ce qu’est encore leur comportement. "


Le traître (Il traditore)

"Ce qui me permet d’évoquer le film de Marco Bellocchio, qui à 80 ans, nous raconte dans « le Traître », l’histoire de Tommaso Buschetta, mafieux repenti, qui refuse d’ailleurs de se faire appeler « repenti », car il dit s’être conduit en fonction du code d’honneur de la mafia. Il reste un homme d’honneur, même en ayant fait tomber Totò Riina, (qui lui, est à proprement parler un monstre) et même si ses dénonciations ont abouti à cet extraordinaire procès (pour lequel il a fallu construire une salle) qui a fini par aboutir à une condamnation, grâce à l’habileté et l’entêtement de quelques juges. Tommaso Buschetta est admirablement joué par Pierfrancesco Favino, absolument méconnaissable."



Sondage de Morning Consult

"Le site morning consult fait état d’un sondage fait auprès d’un échantillon représentatif d’étasuniens. On a demandé aux sondés de placer l’Iran sur une carte du monde, et le site montre les réponses. Seuls 23% d’entre eux le situent correctement, les réponses des autres sont plus ... distrayantes. Certains d’entre eux situent la république islamique aux Etats-Unis, dans la Bible Belt. On passe par Madagascar ou l’Europe. En France l’Iran est quelque part au sud du Mont Saint-Michel, ou bien dans le Cantal ou le Nord-Aveyron à la rigueur ..."


Philosophie magazine n°142 (Septembre 2020)

"Au delà du thème général, « comment avoir confiance ? », deux articles m’ont particulièrement intéressé. L’un est groupement d’hommages à Bernard Stiegler, qui est mort il y a peu. Je n’ai jamais eu le plaisir de le rencontrer, mais le lire en donnait très envie. L’autre est un article de Michel Eltchaninoff, qui avait inauguré la série « Dans la tête de ... » avec Vladimir Poutine. Ici, il s’agit de Didier Raoult. Etant donnés le sérieux et sens de la mesure de l’auteur, cet article donne une idée que je crois assez juste de qui est Didier Raoult."


Corentine

"Je voudrais recommander le dernier livre de Roselyne Bachelot, Corentine, qui est le portrait d’une femme sortie de la Bretagne la plus misérable. L’intérêt du livre provient de la précision des différentes situations, décors, ainsi que des différents personnages. Corentine sort de la Bretagne arriérée pour vivre à Paris la vie d’une domestique la plus esclavagisée pour avoir la chance de rencontrer quelqu’un qui la sortira de sa condition. Elle même devient ouvrière durant la guerre de 14 et ce livre nous offre alors une description de la condition des ouvrières. Il y a là quelque chose qui donne un portrait absolument remarquable et très admirable. "






La Chute de l’Empire américain

"Je voudrais aussi recommander le film de Denys Arcand - celui là même qui avait écrit Les Invasions barbares et Le Déclin de l’Empire américain - « La chute de l’empire américain ». Le titre est, à mon avis, une ruse de producteur car ce n’est pas la suite de l’Empire américain mais bien autre chose. Ça m’a fait penser à l’Arnaque sauf qu’avec Denys Arcand il y a toujours un côté critique sociale et politique. C’est en effet une arnaque montée par un innocent qui finit par devenir assez bon en ce domaine. "


Fanny et Alexandre

"Et enfin ne manquez pas Fanny et Alexandre à la Comédie française dans la mise en scène de Julie Deliquet. C’est un travail - moi qui vais au théâtre un grand nombre de fois - où il m’y est arrivé quelque chose qu’on attend d’un spectacle : c’est d’être surpris. Il y a une intelligence de la mise en scène, du découpage non seulement du film mais aussi du feuilleton télévision. Une distribution à la Comédie français qui, quand elle est à son meilleur, elle vous cloue à votre fauteuil. "


 50 ans après De Gaulle

"J’inaugure la séquence des brèves en signalant un numéro de la revue trimestrielle « Books » intitulé « 50 ans après De Gaulle » avec deux articles très intéressants. L’un de Julian Jackson qui fera paraitre en septembre une biographie de De Gaulle qui a beaucoup fait parler dans le monde anglo-saxon, « une certaine idée de la France » et la controverse est avec Ferdinand Mount qui fait une critique tout à fait féroce du général alors que celle de de Jackson est plus nuancée. "


Les Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne - Philippe Brunet

"Le CRAN qui est le groupe d’influence qui prétend parler au nom de la population noire a réussi à empêcher la représentation des Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne mis en scène par Philippe Brunet. Je souhaiterais donc vous lire son texte : « Le théâtre est le lieu de la métamorphose, pas le refuge des identités. Le grotesque n’a pas de couleur. Les conflits n’empêchent pas l’amour. On y accueille l’Autre, on devient l’Autre parfois le temps d’une représentation. Dans Antigone, je fais jouer les rôles des filles par des hommes, à l’Antique. Je chante Homère et ne suis pas aveugle. J’ai fait jouer les Perses à Niamey par des Nigériens. Ma dernière Reine perse était noire de peau et portait un masque blanc.» "




Confessions d’un enfant de La Chapelle

"Je suis en train de déplacer une bibliothèque et il me tombe à ce titre bon nombre de livres sur les pieds. J’ai redécouvert les Confessions d’un enfant de la Chapelle d’Albert Simonin. Pour tous les gens qui aiment Paris, c’est une description savoureuse, d’une époque avant les Trente Glorieuses où l’on a beaucoup de mal à atteindre le nécessaire. Il y a un passage du roman qui souligne que la famille se retrouve sur la paille après avoir pris l’option de l’enterrement septième classe soit celui qui coute le moins cher. Tout cela est plein de renseignements sur les conditions de l’époque et sa vie artistique; avec notamment une description du théâtre des Bouffes du Nord. C’est une lecture délectable et dont je suis sorti avec beaucoup d’images dans la tête. "





Ce que le numérique fait aux livres

" Je souhaiterais signaler un livre de Bertrand Legendre publié aux presses universitaires de Grenoble et intitulé « Ce que le numérique fait aux livres ». On nous avait d’abord annoncé que le livre allait disparaitre puis que le numérique avait échoué, Bertrand Legendre a fait une étude extrêmement sérieuse sur ces points là. Une étude qui d’ailleurs qu’il ne conclut pas absolument : il montre là où le numérique a emporté le livre, la « métamorphose des mécanismes de notoriété », le changement de la relation entre écrivains et éditeurs. Bref pour tout ceux qui s’intéressent à cette chose qui en France a grâce à Dieu une importance aussi réelle et symbolique. "


James McCearney

"Je prends les pas d’un sentier ouvert par Jean-Louis Bourlanges il y a quelques semaines qui avait cité la biographie de David Lloyd George par James McCearney aux éditions Guillaume De Roux. James Mc Carney a également écrit deux autres biographies : celle de Gladstone et celle de Disraeli. Je fais partie de ceux qui n’arrivent ni à comprendre ni à se consoler de ce qui arrive actuellement en Grande-Bretagne aussi bien à l’intérieur du pays que vis à vis du continent européen et je pense que l’Histoire est un des moyens d’y voir un peu plus clair surtout quand elle est si intelligemment racontée. Ce sont des biographies qui sont aussi des portraits de l’époque, de tout ce qu’il peut y avoir de conflits internes et l’empreinte religieuse de l’Histoire de la Grande Bretagne. "



Les marches

"Je souhaiterais signaler un livre tout à fait étrange de quelqu’un qui a été secrétaire d’état aux prisons en Grande-Bretagne, député conservateur de l’Ecosse et qui est maintenant candidat à la succession de Madame May avec autant de chance que moi d’être président de la banque européenne. Ce député européen, Rory Stewart et son père qui est un écossais ayant travaillé dans les services secrets de sa majesté marchent le long du mur d’Hadrien. C’est un grand marcheur et son livre a eu un grand succès dans les pays anglophones et vient d’être traduit par Gallimard. C’est un ouvrage curieux fait de bric et de broc avec des partages de points de vue différents entre le père et le fils. C’est un des moyens d’un peu mieux comprendre la Grande-Bretagne."


" Le 6 juin1944, le visage en sueur de Bill Millin était d’un vert sensiblement plus pâle que celui de son kilt aux couleurs du clan Fraser, et quant à détailler les soubresauts, les spasmes et les nœuds de ses tripes et de ses boyaux, la décence m’en empêche absolument. Vous savez ce que c’est que le mal de mer : d’abord on pense en mourir, mais, très vite, on se sent tellement mal que l’on espère en mourir. Aussi, lorsque Bill Millin vit qu’il pouvait sauter de sa fichue péniche de débarquement, il ne se soucia pas un instant de ce qui l’attendait sur la rive de cette plage de Ouistreham rebaptisée Sword, Il sauta, et tandis que son kilt flottait en corolle autour de ses reins, il attrapa sa cornemuse et entama Hieland Laddie, une vieille chanson jacobite au 18ème siècle qui servit d’hymne aux partisans de Charles Edward Stuart, le fameux Bonnie prince Charlie. Elle dit : Où étais-tu tout ce temps ?  Fier garçon de nos montagnes J’étais à Culloden 
  Affronter William Duc de Cumberland et ses hommes 
  
   Là nos ennemis après avoir occis et brûlé 
  
   Ont enfin eut ce qu’ils méritaient 
   Fier garçon de nos montagnes. Arrivé sur la plage, Bill Millin, debout, continua la chanson. Quand sa cornemuse eut achevé Hieland Laddie, Millin reconnut la voix qui lui criait « une autre ! ». C’était celle de Simon Fraser, 24ème chef du clan Fraser, 15ème Lord Lovat, commandant des Lovat scouts et de la première brigade du spécial service dans laquelle combattaient 177 fusiliers marins français aux ordres du commandant Kieffer. Bill Millin entama The Road to the Isles, chanson populaire, pastorale et mélancolique où l’on célèbre la beauté des paysages de l’ouest des Hautes Terres que traversent les hommes qui se rendent aux Iles. « C’était comme si on nous rappelait pourquoi nous nous battions », devait se souvenir Tom Duncan, des Lovat’s scouts. L’un des Français des commandos, Maurice Chauvet, jurait, des années plus tard, qu’en entendant The Road to the Isles, les Allemands s’étaient arrêté de tirer pendant quelques instants. Quelques éléments avancés de la brigade s ‘emparent du pont de Bénouville, rebaptisé Pegasus Bridge. Vers 1 h de l’après-midi, Lord Lovat vient à la tête de ses troupes faire jonction avec la poignée d’hommes qui tiennent le pont sous le feu allemand. Devant lui marche Bill Millin, au pas, soufflant dans sa cornemuse All the Blue Bonnets are over the border, autre chanson jacobite incitant les Ecossais à se saisir de n’importe quoi qui puisse servir d’arme et à voler au secours de leur cause. Lord Lovat suggère à Bill Millin que, vu le nombre de snipers allemands qui leur tirent dessus, il aurait meilleur temps à presser le pas pour traverser le pont, et même à courir. Bill Millin n’en fait rien et conserve la même allure. J’ai rencontré Bill Millin une trentaine d’années après ces événements. Il avait nettement meilleure mine qu’au matin du 6 juin 1944 : son teint était même plutôt de brique. Je me suis enhardi à lui demander à quoi il pensait en soufflant Blue Bonnets sur le pont de Bénouville tandis qu’on lui tirait dessus. « A ne pas jouer faux », me répondit-il. La sagesse populaire britannique prétend qu’un gentleman est un homme qui sait jouer de la cornemuse et qui s’en abstient. La sagesse populaire va avoir à se débrouiller avec la mémoire de Bill Millin. Souhaitons-lui bonne chance."


De la science et de la démocratie

"Je souhaiterais recommander le livre du professeur Philippe Kourilsky qui a enseigné jusqu’il y a quelques années la biologie au Collège de France paru chez Odile Jacob : « De la science et de la démocratie ». Il applique à la réflexion politiques des concepts qui viennent de sa discipline : celui de robustesse et celui de complexité pour en étudier les facteurs qui tirent dans un sens et dans l’autre. Il étudie également le renouvellement des mécanismes démocratiques, au même titre que le renouvellement de nos cellules. "


Vulgarité et modernité

"Je voudrais signaler un livre de Bertrand Buffon qui s’intitule Vulgarité et modernité. Flaubert disait que nous sommes entrés dans l’âge du mufflisme. C’est ce mufflisme que dissèque Bertrand Buffon. Il donne aussi des directions qui permettraient de lutter contre l’avènement et le triomphe de ce mufflisme. Il oppose la vulgarité de personages de la Bruyère à des personnages comme Monsieur Jourdain dans le Bourgeois Gentilhomme ou ceux de Turcaret qui sont vilains en pesant devenir quelque chose ou plutôt quelqu’un. Il y a dans ce livre et une analyse assez fine et drôle de notre société et peut être les moyens de s’y comporter différemment."









Ceux que je suis

"Un premier roman, signé par Olivier Dorchamps, qui s’intitule « ceux que je suis ». Auguste Comte disait que l’humanité se compose de davantage de morts que de vivants, je pense que c’est vrai aussi pour chacun d’entre nous. L’auteur, qui est un Français qui vit à Londres, ayant pris l’identité d’un Franco-Marocain, développe le roman de la découverte de ceux à qui nous devons d’être nous-mêmes. C’est en même temps une sorte de reconnaissance, dans tous les sens du mot. "


Journal d’un indigné

"Je voudrais recommander aussi un livre qui m’a fait beaucoup rire, d’André Perrin qui avait autrefois publié « les scènes de la vie intellectuelle en France » également chez l’Artilleur. Il s’agit ici du « journal d’un indigné ; magnitude 7 sur l’échelle de Hessel » précise-t-il dans le sous-titre, avec une admirable préface de Pierre Manent. André Perrin, philosophe, a écouté la radio et regardé la télévision, et puis de temps en temps, il a noté quelque chose qui l’a frappé, et il est allé voir ce qu’il en était vraiment. Et il n’en est vraiment rien, ou tout à fait autre chose, plus exactement. Il faut prendre son parti du fait que le cléricalisme est maintenant dans les médias, et notamment dans les médias audiovisuels, et que par conséquent le meilleur moyen de le supporter c’est de pouvoir en rire, c’est pourquoi il faut être reconnaissant à André Perrin. "


Commentaire n°167

"Je recommande le dernier numéro de la revue commentaire, et plus particulièrement sur un article remarquable de Jérôme Jaffré sur les rapports entre Rocard et Mitterrand. Il ne s’agit d’ailleurs pas tant des rapports personnels entre les deux hommes que de la manière dont l’ouverture a échoué, et des raisons pour lesquelles elle a échoué. C’est une analyse politique que je trouve extrêmement juste, fine, et pondérée. Il y a aussi, à propos de l’affaire Lambert, un article de Jean-Eric Schoettl, intitulé : « affaire Lambert : la guerre des juges n’a pas eu lieu », qui met l’accent sur la dernière décision de la cour d’appel, et qui éclaire également le comportement d’un certain nombre d’instances judiciaires."


Georges Bernanos : histoire d’un homme libre

"Lundi 30 septembre à 22h35, France 3 Hauts-de-France diffusera un documentaire sur Georges Bernanos, réalisé par son petit-fils Yves Bernanos et son petit-neveu Jean-Pascal Hattu. On peut se demander si un tel sujet ne méritait pas une diffusion nationale, à moins de considérer Georges Bernanos comme un écrivain régional ou régionaliste. Ce documentaire montre la région natale de Georges Bernanos, l’Artois, d’une manière très impressionnante, qui donne envie de sauter dans la première voiture pour aller voir ce pays magnifique. Mais surtout, tout Bernanos est dans ce documentaire, sans aucune espèce de complaisance ni de cachotterie. Le film parvient à être à la fois profondément affectueux et d’une probité remarquable."


De Gaulle : une certaine idée de la France

"Je voudrais recommander le livre de Julian Jackson sur De Gaulle. Hitchcock disait : « ce qui fait le suspense, c’est qu’on connaît la fin ». C’est le cas à propos de De Gaulle, et il y a dans ce livre un suspense remarquable, en ce sens qu’on se demande toujours comment Julian Jackson a trouvé que la fin est venue. C’est magnifiquement documenté, et écrit (et traduit) avec une fluidité remarquable. Certaines constantes demeurent : l’anglophobie, absolument consubstantielle à la pensée du général, une méthode qui consiste à foncer dans le lard agressivement puis à revenir plus tard en paraissant avoir fait des concessions (mais en ayant simplement changé de ton), et une idée : ce qui divise la société, ce ne sont pas les différences entres républicains et monarchistes, mais entre ceux qui servent l’état et ceux qui le desservent. Enfin, une vision quasi mystique de la France et des méthodes extrêmement pragmatiques. "





Nos vies contre l’oubli

"Ce sont des entretiens avec Laurent Greilsamer. Je m’arrête simplement sur la question du traitement en France des Juifs pendant la guerre. Les Klarsfeld, qui ne sont pas seulement activistes mais aussi historiens, établissent que contrairement à la légende, il y a eu très peu de dénonciations. Elles ont lieu jusqu’en 1942, et viennent de gens précis qui travaillent avec les gens qu’ils dénoncent, souvent pour obtenir, d’une manière commode bien qu’infecte, une meilleure position professionnelle. Pour les Klarsfeld, c’est essentiellement le recensement qui a permis les arrestations, c’est à dire la confiance que les Juifs de France et d’Europe centrale réfugiés en France ont placé dans le système français. Autre chose qui va à l’encontre des « vérités » fabriquées par les paresseux ou les réseaux sociaux : l’importance du rôle des Églises, catholiques et protestantes. Pour les Klarsfeld, ce sont les églises et la population qui ont permis de sauver 75% des Juifs, une population marquée par la charité chrétienne et les valeurs républicaines inculquées par le curé et l’instituteur."


Histoire de l’Ecosse

"Comme on le sait, il se passe des choses après le Brexit, en Irlande par exemple où les partisans de la réunification commencent à montrer le bout de leur nez, ainsi qu’en Ecosse où les rangs des indépendantistes ne cessent de grossir. Peut-être est-ce le moment de lire l’histoire de l’Ecosse de Michel Duchein, parue d’abord chez Fayard, puis a été rééditée et augmentée chez Texto. Cette Histoire va des origines jusqu’à 2013, et on en retiendra beaucoup de choses, sur les spécificités du pays, certes mais aussi sur les différences frappantes avec l’Angleterre."



Scoop

"En ces temps de « Dupont de Ligonnèsseries », j’ai relu un livre qui m’avait enchanté en son temps, il s’agit de Scoop, d’Evelyn Waugh, le célèbre écrivain et humoriste britannique. C’est une description du milieu de la presse, absolument impitoyable et d’une drôlerie effrayante. Grosse modo, de quoi s’agit-il ? Un journal est la propriété d’un milliardaire, Lord Copper, qui ne tolère que deux types de réponses : « definitely, my Lord », et « up to a point, my Lord ». A la suite d’un dîner mondain au cours duquel une dame lui tourne la tête, Lord Copper désire envoyer un correspondant dans un pays au bord de la guerre civile, appelé Ismaël. Mais il se trompe de nom et au lieu d’envoyer le correspondant que la dame lui a recommandé, il envoie un homonyme, spécialiste des jardins et des animaux domestiques. Ce dernier va donc découvrir le monde des correspondants à l’étranger, mais aussi comment de nombreux évènements qui n’existent pas peuvent se produire grâce au concours des journalistes. Ce spécialiste du jardin va finir par déclencher la guerre civile qu’il est venu couvrir."


Patrimòni

"On ne peut pas toujours partir en voyage, mais l’on peut trouver dans la littérature ou ce qui se publie quelques moyens d’évasion. Et notamment dans un journal du patrimoine, qui concerne l’Aveyron et ses voisins, intitulé Patrimòni, dans lequel vous trouverez un excellent article sur le nourrissage hivernal des oiseaux, sur le viaduc du Viaur, ainsi qu’un article en occitan sur le chemin des dames, le vrai, celui du général Nivelle, l’ancêtre de la technocratie mal informée et malfaisante. "



Guerres de business

"J’ai le plaisir de vous dire que nous sommes soutenus aujourd’hui par un autre podcast, ou plus précisément par un producteur étasunien de podcasts, Wondery, qui lance la version française de l’une de ses séries à succès : Business Wars. Sous le titre « guerres de business », Wondery propose un premier épisode consacré à la rivalité sans fin et quinquagénaire entre Adidas et Nike. Cela ressemble à Capital en mode Game of Thrones, on nous y raconte les compétitions de l’hypermarketing, les opérations des influenceurs, les défis des bureaux de tendance, l’investissement des marchés de niche, la course aux stars (pour en faire les égéries des marques), les risques de l’innovation et les ruses de la communication. On y découvre aussi comment organiser la rareté pour faire exploser les ventes. Comme cette guerre est incessante, les rebondissements succèdent aux rebondissements, il y aura un nouvel épisode chaque lundi, et vous pouvez vous rendre sur le site de Wondery, où vous trouverez le premier en français. "


Devenir Matisse

"Au musée Matisse du Cateau-Cambrésis, ville d’origine du peintre, se tient en ce moment une très belle exposition, charmante, gaie, intelligemment faite, intitulée « devenir Matisse ». Si vous vous rendez en voiture dans cette ville, ce qui est probable vu l’état de la circulation ferroviaire en ce moment, vous avez aussi la possibilité de passer par l’abbaye de Longpont, de visiter Soissons, ou la cathédrale -et même la ville- de Laon, qui est intéressante à plus d’un titre, puisqu’elle donne à comprendre comment le pouvoir central en a fini avec des villes qui étaient d’une grande importance géographique ou militaire. Mentionnons aussi le château de Blérancourt, où un musée franco-américain est aussi naïf que touchant."


Disparition de Fred Mella

"On a appris ce matin la mort de Fred Mella. C’est un nom qui ne dit rien à beaucoup d’entre vous, mais Fred Mella était le soliste des Compagnons de la Chanson, c’était le meilleur ami de Charles Aznavour, c’était aussi un très bon photographe, comme l’était Paul Tourenne des Frères Jacques, et Pierre Jamet des Quatre Barbus. Fred Mella était le dernier de cette tradition des groupes qui étaient nés au moment du Front Populaire, avec « tourisme et travail ». Il y eut énormément de choses développées avant ou après la guerre, comme le cabaret la Rose Rouge, la compagnie Grenier-Hussenot, le grenier de Toulouse ... C’était un moment où l’on a découvert dans les milieux populaires que la culture est quelque chose qui permet d’élargir sa propre existence, et de sortir de ce qu’Hannah Arendt appelait « la prison que chacun d’entre nous est pour lui-même ». "


Une des dernières soirées de carnaval

"Un spectacle qui se donne actuellement au théâtre des Bouffes du Nord. C’est la dernière pièce que Goldoni écrit à Venise, avant de trouver refuge à Paris, par désespoir de ne pas pouvoir faire changer les traditions théatrâles vénitiennes, marquées par un essoufflement de la Commedia dell’Arte. Il y a d’ailleurs un très joli hommage continu à Venise tout le long du spectacle. La mise en scène de Clément Hervieu-Léger est comme d’habitude extrêmement intelligente et sensible. "



J’accuse

"Un mot aussi sur le film de Polanski. Il est remarquablement joué, par des acteurs qui ne se laissent tenter par le surjeu à aucun moment, et Dieu sait si c’est facile quand on joue les bons ou les méchants. Sur l’aspect historique, on sait de quelle « novélisation » le film repose. Il en a les mêmes défauts : n’avoir pas bien compris ce que c’était que Picquart, et pour quelle raison Picquart a fait ce qu’il a fait. Il en a fait une sorte de bon samaritain héroïque. Ce film m’a fait le même effet qu’Amadeus. J’étais sorti furieux de la représentation de Mozart en punk hennissant dans ce film, et en même temps ébloui par l’intelligence du film, sa construction, sa splendeur, et toute l’envie qu’il pouvait donner d’écouter la musique. Je pense la même chose de J’accuse."



Georges Picquart

"Picquart est un personnage tout à fait extraordinaire, il est très cultivé et mélomane, grand connaisseur de le littérature, il parle 6 langues, c’est un wagnérien fervent, un cavalier remarquable, bref c’est un personnage comme ce que la grande bourgeoisie de cette époque peut donner de meilleur. La thèse de Christian Vigouroux est que c’est le sens de l’honneur qui a poussé Picquart à agir comme il a agi, à payer comme il a payé pour finalement en être récompensé par Clémenceau. Elle est très différente de celle que tient par exemple Laurent Greilsamer, qui dans la vraie vie du capitaine Dreyfus, pense plutôt que Picquart a agi comme il l’a fait quand il a compris qu’on avait arrêté la mauvaise personne, et donc qu’il restait un espion au sein de l’état-major, qu’il s’agissait de trouver. Je voudrais vous lire un petit extrait de ce que Georges Clémenceau a dit aux obsèques du général Picquart : «  Jeunes gens, si sévères parfois aux anciens, lisez l’histoire de cet homme. Apprenez-la surtout dans les odieux pamphlets de haine et d’outrage dont la plus pure conscience s’est vue assaillir, lisez tout, sans vous laisser rebuter par aucune vilénie, par aucune infamie, et apprenez au prix de quelles douleurs se conquièrent ces droits de justice et de liberté dont quelques-uns parlent sottement, tandis que des rôdeurs se demandent, puisque certains des vôtres semblent n’y pas tenir, s’ils ne pourraient pas réussir à vous les enlever. »"


Slow démocratie

"« Ralentir » est l’idée qui sous-tend ce livre. David Djaïz part de la constatation devrait plutôt être appelée hyper-mondialisation, parce que si elle a réduit les inégalités entre les pays, elle les a aggravées au sein des pays. Parce que les conséquences de cette hyper-mondialisation n’ont pas été régulées, et c’est cette absence de régulation qui rendrait toute sa légitimité à la nation, pas dans le sens où l’extrême-droite entend ce terme, mais une nation dans laquelle la citoyenneté précède la nationalité. Son propos doit nous inciter à revenir à la subsidiarité chère à Jacques Delors, donc à réhabiliter la puissance publique, à développer de toutes les manières possibles une démocratie plus directe, à associer les citoyens, à reconnaître qu’on ne change pas une société par décret. Bref, la nation est pour David Djaïz la seule forme politique dans laquelle on peut faire coexister les libertés civiles avec la solidarité, et c’est un sujet trop important pour le laisser à l’extrême-droite."


Après Macron

"Je voudrais recommander un petit livre, qui n’est pas récent puisqu’il a été imprimé il y a deux ans. Il est de Philippe Frémeaux, éditorialiste d’alternatives économiques et homme de gauche. Il s’intitule « Après Macron » et est publié aux éditions des petits matins. C’est un livre qui d’une part proposé une analyse que je trouve très riche des raisons pour lesquelles Emmanuel Macron est devenu président de la République. Le livre se pose ensuite les questions des limites de ces raisons, et qui essaie de réfléchir aux conditions nécessaires pour qu’il réexiste ce qu’on appelle une gauche de gouvernement. C’est écrit avec une grande efficacité, il y a là un raisonnement qui ne se perd dans aucune fioriture. Si ancien soit-il, ce livre conserve à mon avis toute sa force."


Le cimetière de Picpus

"A propos de la Terreur, je signale qu’on peut aller au cimetière de l’église de Picpus, dans lequel il y a deux fosses communes. Dans l’une d’elles se trouvent les Carmélites de Compiègne, celles du Dialogue des Carmélites de Bernanos. C’est un cimetière très étonnant, dans lequel le drapeau américain a flotté pendant toute la guerre, car il y a là la tombe de Lafayette. Il a été créé par les aristocrates, pour les guillotinés et leurs familles. C’est un cimetière privé, ouvert au public à certains moments. On y voit ce que l’aristocratie a payé, notamment en 1914-1918. Il y a là quelque chose qui est de l’ordre du sens des responsabilités, je pense au général de Castelnau ; il était chef-adjoint d’état-major, quoi de plus commode pour plaquer ses enfants, or trois de ses fils sont morts, et deux de plus à la guerre suivante. C’est un endroit très émouvant."



La mouche

"Christian Hecq et Valérie Lesort avaient déjà fait ensemble au Vieux-Colombier un « Vingt mille lieues sous les mers » absolument féérique. C’est exactement la même chose ici, avec une excellente maîtrise de tout ce que la technique peut apporter à un spectacle fantastique, avec tout ce que Valérie Lesort et Christian Hecq peuvent apporter d’humour, et une science du jeu que que les quatre comédiens partagent. J’y ai découvert à cette occasion un confrère visionnaire, celui qui s’est retrouvé en garde à vue pour avoir dit que le président de la République assistait à la réprésentation. J’étais dans la salle ce soir là. Cette garde à vue est une totale stupidité, en plus d’être un manquement aux règles tout à fait déplorable. Mais ce confrère est visionnaire en ce que, dans une déclaration ultérieure à sa garde à vue, il a dit qu’on lui avait confisqué son téléphone, parce que ce dernier contenait une vidéo montrant le président et son épouse s’enfuyant. Moi qui étais dans ce théâtre et avais le couple présidentiel parfaitement dans mon champ de vision, je les ai vus ne pas quitter le théâtre, applaudir aux saluts, et je sais qu’ils sont allés discuter avec les interprètes, même s’il y avait dehors l’attroupement que l’on sait. Par ailleurs, que des gens attendent le président de la République à la sortie d’un théâtre pour lui dire qu’ils ne l’aiment pas : rien à redire. Qu’en revanche ces gens entrent dans un théâtre et interrompent un spectacle, c’est vraiment montrer à l’égard du travail (celui des comédiens notamment) un mépris, à propos duquel on perd le droit de s’offusquer quand on prétend le ressentir soi-même."







Qui gouverne Paris ?

"Je vais dire quelques mots sur cette émission hors-série du lundi 2 mars à 19h, intitulée « qui gouverne Paris? ». La compétition municipale braque les projecteurs sur les partis, sur leurs héros, sur les programmes et sur les rivalités. Mais la ville d’aujourd’hui, et plus encore celle à venir, se décide-t-elle encore dans les assemblées élues pour l’administrer ? Au cours des dix dernières années, qu’est-ce qui a pesé le plus lourd dans l’accès au logement à Paris ? La politique de l’Etat ? Les décisions du conseil municipal ? Ou le développement d’AirBnB ? Quelles sont les régulations possibles ? Quelles initiatives permettent de faire remonter de la population des innovations, des outils (en dehors des périodes où elle est invitée à élire ses représentants) ? C’est autour de ce thème que nous réunissons Cécile Maisonneuve, qui dirige la Fabrique de la Cité, Alexandre Mussche, de l’agence d’urbanisme Vraimentvraiment, Marc-Olivier Padis de Terra Nova et notre amie Lucile Schmid. "


American Factory

"Dans la foulée je recommanderai cet autre documentaire, visible sur Netflix. Il a été tourné à Dayton, Ohio, dans une usine fabriquant des vitres pour les automobiles, et qui a été rachetée par les Chinois. Les ouvriers Chinois arrivent, ils ne sont évidemment pas payés un centime de plus que s’ils étaient en Chine, travaillent six jours par semaine (contre cinq pour les Américains), et sont corvéables à merci. A un moment on emmène la maîtrise américaine, plutôt réticente, en Chine pour essayer de la convaincre, à l’occasion d’une fête d’usine chinoise. Je préfère n’en rien dire, tellement les dessous de cette fête sont épouvantables. Tout le personnel a été mobilisé pour chanter, danser, etc. Quand on lit la traduction des paroles de ces chansons, cela donne à peu près : « vivement que nous puissions travailler encore plus ! Vive la productivité accrue ! Vive nos chefs ! Etc. » On a l’impression d’être dans un film de Mel Brooks, ce n’est hélas pas le cas."



The Deuce

"« The Corner »  racontait la vie quotidienne d’un quartier de Baltimore grignoté par la drogue et par la violence; The Wire  («  Sur Écoute ») explorait tous les aspects de la criminalité dans la mème ville du Maryland, à l’époque de la disparition de la sidérurgie et de la montée du chômage et de la pauvreté. « Treme », racontait La Nouvelle Orléans après Katrina. « Show me a Hero » retraçait l’obstruction d’une grande partie de la classe moyenne blanche à l’installation d’habitations à loyer modéré - le plus souvent attribuées à des Noirs- dans une ville de la banlieue de New York, Yonkers. Derrière ces séries, un même homme, David Simon, ancien fait-diversier du Baltimore Sun, reporter méthodique et scénariste ou producteur inspiré. «  The Deuce  »  (« La Quarante-deuxième ») décrit l’évolution concomitante de la prostitution, du cinéma porno et de l’immobilier à New-York et le triomphe final des promoteurs au détriment d’habitants rejetés dans les ténèbres extérieures. Cette dernière série est actuellement proposée sur OCS et on y retrouve toutes les qualités d’observation et d’humanité de David Simon et des équipes qu’il réunit."


Sous le Soleil de Satan

"Je vous recommande cette réédition du roman de Bernanos, parue il y a quelques mois déjà dans la collection Folio Classique. Elle s’accompagne d’une excellente préface de Michel Crépu, le patron de la nrf, ainsi que d’une très intéressante chronologie de la vie de Bernanos, établie par son petit-fils Gilles. Elle aidera beaucoup de gens qui y voient flou quand on parle de Bernanos, ne sachant pas très bien quelle sorte d’histoire personnelle et politique a été la sienne. "


Présence des morts

"Emmanuel Berl est à la veille d’une opération à laquelle il pourrait ne pas survivre. La pensée de sa mort le conduit à penser à ses disparus et les souvenirs qui remontent à sa mémoire sont déconcertants. Il écrit : « Les morts à la fois m’assaillent et me fuient Ils me ressemblent trop, ils se ressemblent trop peu les uns aux autres. Il y en a trop qui sont trop misérables. La mort leur prend plus que la vie ne leur avait donné. (…) Il me semble que, moi-même j’appelle ceux qui ne peuvent me joindre, comme je suis appelé par eux, et non moins vainement. »"


Didier Bezace

"On entrait de plain-pied dans son ambition. Il ne l’expliquait pas, il la donnait à voir et à entendre. Il l’illustrait par ses choix si ouverts, d’auteurs, de textes, d’interprètes, de mises en scène, par son besoin de partager ces choix avec le public le plus large, de concevoir sa programmation pour ce public et non pour flatter le conformisme de la critique. Il chantait volontiers, il avait même d’abord pensé que c’était sa vocation, aidé autant que trompé par sa voix au timbre de clarinette basse et se sentant chez lui dans l’univers de Brassens ou de Montero, de Pia Colombo ou de Patachou, de Lluis Llach ou de Pete Seeger. On entrait de plain-pied dans sa camaraderie. Aller voir les spectacles qu’il programmait au Théâtre de la Commune d’Auberviliers, en parler avec lui, le suivre dans cette cafétéria où il était disponible à tout le monde, c’était revigorer les enthousiasmes, les rêves et les idéaux que nous avaient insufflés, dont nous avaient persuadés, qu’avaient incarné pour nous Jean Vilar et la troupe du TNP. Ceux qui lui doivent d’avoir fait vivre cette idée du théâtre malgré la pétrification des milieux culturels et le carriérisme qui y règne sont dans un profond chagrin."




Parlement

"L’Europe n’est pas à proprement parler un sujet qui puisse faire sourire, et c’est bien la raison pour laquelle je recommande une série d’une dizaine d’épisodes de 28 minutes « Parlement », diffusée par France télévision et accessible en tout temps sur sa plate-forme de rediffusion. Bismarck disait «  la politique c’est comme les saucisses il vaut mieux ne pas voir comment c’est fait ». Il s’agit ici, à travers les yeux d’un jeune, inexpérimenté et naïf assistant parlementaire qui s’efforce de faire aboutir un amendement sur la protection des requins, de comprendre comment sont faites les saucisses de Bruxelles et de Strasbourg ou plutôt à Bruxelles et à Strasbourg. Excellent scénario, cornaqué par Noé Debré avec, entre autres, Maxime Calligaro, (eurocrate averti, dont j’avais signalé le livre « Les Compromis ») parfaite distribution internationale : « Parlement » est une satire initiatique sur un sujet inattendu voire inespéré : l’Union Européenne."


Chroniques de La Montagne

"Dans cette période, la lecture d’Alexandre Vialatte et des chroniques de La Montagne sont un grand recours, et je vous citerai la conclusion de l’une d’entre elles, où il s’interroge sur la gloire. « La gloire est une affaire qui ne concerne plus l’homme auquel elle voudrait s’adresser. On n’est jamais plus mort qu’en bronze. Ensuite, à partir de ce geste nécessaire, on entre dans l’anonymat.Il pleuvra, il fera noir, le square sera fermé. Les enfants qui reviendront de l’école regarderont à travers la grille, verront cette statue dans l’ombre, plus noire que l’ombre, et demanderont qui c’est. Avec respect au maximum. Voilà la gloire. Elle consiste à être oublié. À être oublié de façon personnelle ». "



Éloge funèbre de Marc-René d’Argenson

"En 1721, à l’enterrement du deuxième Lieutenant de Police de Paris, Marc-René d’Argenson, c’est Fontenelle qui fut chargé de l’éloge funèbre de cet ancêtre du Préfet de police Voici dans quels termes il s’acquitta de cette tâche : « Tenir les abus nécessaires dans les bornes précises de la nécessité qu’ils sont toujours prêts à franchir, les renfermer dans l’obscurité à laquelle ils doivent être condamnés et ne les en retirer pas même par des châtiments trop éclatants ; ignorer ce qu’il vaut mieux ignorer et ne punir que rarement et utilement ; pénétrer par des conduits souterrains dans l’intérieur des familles et leur garder les secrets qu’elles n’ont pas confiés tant qu’il n’est pas nécessaire d’en faire usage ; être présent partout sans être vu ; enfin, mouvoir et arrêter à son gré une multitude immense et tumultueuse et être l’âme toujours agissante et presque inconnue de ce corps, voilà quelles sont, en général, les fonctions du magistrat de la Police. » "



Que sont nos amis devenus ?

"Je recommanderai un roman signé Antoine Senanque publié par Grasset et intitulé « Que sont nos amis devenus ? » C’est un roman sur l’amitié ; c’est un roman sur les gens qui n’entrent pas dans les moules et qui n’aiment pas les lois sécuritaires. C’est un roman sur les écrivains qui sont des traîtres qui mettent vos secrets dans leur livre. C’est un roman sur le grand âge et sur les maisons qui l’hébergent. C’est aussi un roman sur les vieillards rétifs, ceux qui illustrent l’aphorisme du biologiste Jean Rostand selon lequel « ce qui vieillit le moins vite c’est le vieillard ». Je dirais bien que c’est un roman d’humour et d’eau fraîche, non parce que l’on en voit beaucoup, mais parce que, en usage externe, l’eau fraîche requinque. "


Fermeture de l’UGC George V

"Nous avons donc appris cette semaine qu’un cinéma situé depuis 82 ans sur les Champs Élysées, l’UGC George V, ne rouvrirait pas ‪le 22 juin‬, contrairement aux autres salles. La covid-19 n’y est pour rien. C’est le propriétaire des murs, la société Groupama qui en a décidé ainsi, parce qu’il juge le loyer « insuffisant ». Pas parce que l’UGC lui fait perdre de l’argent, pas parce que l’UGC George V ne lui rapporte rien, simplement parce que cette salle de cinéma ne lui rapporte « pas assez » et qu’il préfère la transformer en hôtel. Groupama est aussi propriétaire des murs du théâtre de l’Athénée que dirigea Louis Jouvet, de 1945 à sa mort. Le directeur de ce théâtre, qui a porté à 75% le taux de fréquentation de sa salle, essaie en vain depuis plusieurs années de faire adouber par le ministère de la Culture le projet de rachat des murs de l’Athénée par une fondation dont il a rassemblé les potentiels donateurs. Peut-on espérer que la fermeture de l’UGC George V secoue l’immobilisme de la rue de Valois ?"


Les vérités inavouables de Jean Genêt

"« Monition ». Monition est un mot issu du droit canon et qui signifie avertissement adressé par l’autorité ecclésiastique avant que ne soit infligée une censure. Le dérèglement du climat intellectuel fait que, chaque année, il pleut davantage de monitions sur les réseaux sociaux, puis dans ceux des médias qui croient y entendre la vox populi, réseaux et médias qui ont désormais remplacé l’autorité ecclésiastique. Ces derniers mois, les monitions ne tombent pas en pluie, mais en rafales et en giboulées. Ces dernières semaines, ces derniers jours, ce ne sont plus des rafales et des giboulées, c’est la mousson.  Des quantités de personnes notoires ou avides de le devenir, se précipitent à la recherche tantôt d’un gredin, scélérat, à moucharder, tantôt d’une victime à chaperonner. Ils entraînent derrière eux followers et journalistes. Pour que ces intentions aient de la noblesse, il faut qu’elles relèvent d’un souci de justice plutôt que du souci de soi. Pour qu’elles relèvent d’un souci de justice, il faut que les affaires sur lesquelles se prononcent ces personnes soient instruites à charge et à décharge. Or les charges sont toujours présumées et de décharge, on n’observe guère que la décharge d’adrénaline que procure à des bourreaux en herbe la perspective de faire tomber des réputations comme au chamboule-tout. A tous ces exécuteurs précoces, je propose un livre de l’historien Ivan Jablonka paru au Seuil en 2005. Ils y verront comment leurs prédécesseurs, dont beaucoup sont encore en service, on fait passer pour une victime, et même pour une sorte de porte-parole de toutes les victimes du monde, un écrivain qui avait célébré la radicalité du nazisme et de la milice et qui chanta la poésie du massacre d’Oradour sur Glane, où, il y a 76 ans, une unité de Waffen SS massacra 642 habitants, hommes, femmes et enfants. Le livre s’intitule « Les Vérités inavouables de Jean Genêt »."


Routiers

"Je voudrais signaler un livre publié aux éditions de L’Iconoclaste par Jean-Claude Raspiengeas, journaliste à La Croix, « Routiers ». C’est un livre de reportage, comme il n’y en a pas assez, fruit d’une année passée dans les 40 tonnes sans lesquels nous n’aurions pas pu tenir pendant le confinement. De quoi est faite la vie quotidienne de ces soutiers de l’économie que nous voyons sans les voir ni les connaître, quelles pressions s’exercent sur eux, comment voient-ils le monde du haut d’une cabine qu’ils quittent de moins en moins, pressés par nos impatiences et nos exigences et bousculés par des employeurs impétueux, privés d’une bonne part de leur vie de famille, sur les routes jour et nuit, par tous les temps et qui maintiennent tant qu’ils peuvent quelques rassemblements qui leur permettent de croire à leur grande famille. On trouvera dans ce livre un chapitre sur Max Meynier, qui anima pendant des années toute la tranche du soir de RTL avec son émission « Les Routiers sont sympas », émission qui fit la preuve qu’on peut -qu’on pouvait- être une radio commerciale et programmer un véritable service public."


L’immeuble Yacoubian

"J’ai découvert, grâce à Matthias Fekl, l’écrivain égyptien Alaa el Aswany. J’ai commencé avec « L’immeuble Yacoubian », un roman tissé d’une foule de petites histoires qui auraient été observées avec clairvoyance et précision par un successeur de l’étudiant Cléofas, à qui Asmodée, le diable boîteux, permit de soulever les toits des maisons. Alaa el Aswany voit tout de ce qui se passe dans l’immeuble Yacoubian, il superpose toutes les vies qu’il abrite, celle des puissants, celle des corrompus, souvent les mêmes, celles pour qui le pays ne se remettra jamais de la prise du pouvoir par Nasser, celles à qui l’on vient d’enlever l’espoir d’un avenir, celles qui se jettent dans les bras des islamistes, celles qui essaient de trouver chaque jour les moyens d’atteindre le jour suivant. Toutes ces vies, et c’est le talent d’El Aswani, nous deviennent en quelques lignes familières, nous nous soucions d’elles, nous attendons de leurs nouvelles, nous espérons leur réussite, nous nous réjouissons de leurs amours, nous souhaitons leur châtiment. Je me suis derechef plongé dans un autre roman d’El Aswany, « Automobile club d’Égypte » et, là aussi, je me délecte de son réalisme magique. "


Le Prince

"« Celui qui devient prince par la faveur du peuple doit travailler à conserver son amitié, ce qui est facile, puisque le peuple ne demande rien de plus que de n’être point opprimé. Quant à celui qui le devient par la faveur des grands, contre la volonté du peuple, il doit, avant toutes choses, chercher à se l’attacher, et cela est facile encore, puisqu’il lui suffit de le prendre sous sa protection. Alors même le peuple lui deviendra plus soumis et plus dévoué que si la principauté avait été obtenue par sa faveur ; car, lorsque les hommes reçoivent quelque bien de la part de celui dont ils n’attendaient que du mal, ils en sont beaucoup plus reconnaissants. Du reste, le prince a plusieurs moyens de gagner l’affection du peuple ; mais, comme ces moyens varient suivant les circonstances, je ne m’y arrêterai point ici : je répéterai seulement qu’il est d’une absolue nécessité qu’un prince possède l’amitié de son peuple, et que, s’il ne l’a pas, toute ressource lui manque dans l’adversité. » Tiré du chapitre 9."



Hommage à Antoine Rufenacht

"Antoine Rufenacht nous a quittés cette semaine. Ancien maire du Havre, ancien président de la région Haute-Normandie. C’était un homme politique, je veux dire par là que quand il s’est lancé dans la politique après avoir brillamment réussi dans les affaires, il savait pourquoi. Il avait une certaine de sa région, et de ce que sa ville pouvait et devait être. Il y a réussi, avec obstination, il lui a fallu quatre tentatives pour être maire, mais à peine l’a-t-il été qu’il n’a pas perdu son temps : le port du Havre, le musée Malraux, la reconnaissance de l’œuvre d’Auguste Perret ... Pour pouvoir mener à bien ses projets pour Le Havre, il a tourné le dos à une carrière politique nationale. Il était pince-sans-rire, peu démonstratif dans ses manifestations de camaraderie ou d’amitié. C’était un homme fin, drôle, et qui a fait ce que tant de politiciens n font pas : il avait préparé sa succession. Après avoir confié Le Havre à Edouard Philippe, il a su garder leurs désaccords pour la sphère privée. Une histoire drôle à son propos. Il a été président de la région avec deux voix d’avance. Son concurrent était Laurent Fabius, qui ayant mal pris son échec, avait déclaré :« les deux voix avec lesquelles Antoine Rufenacht a été élu ne peuvent que venir du Front National ». On apprit par la suite que les deux voix en question venaient du Parti Communiste, qui préféraient de loin avoir affaire à un adversaire politique qu’à un ami politique ..."



Le projet d’hommage aux héros en Normandie

"Je m’interroge sur ce projet normand d’hommage aux héros. Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas très clair. S’agit-il d’un vrai exercice d’hommage et de mémoire à propos du débarquement, ou bien, comme la presse le laisse entendre, d’un « D-dayland » ou d’un Puy-du-Fou normand ? Veut-on réellement rendre hommage aux combattants français, américains, allemands, canadiens ... ou seulement trouver une nouvelle façon de faire du merchandising, comme c’est le cas pour beaucoup de ces nouvelles manifestations mémorielles ? Le Monde a publié une tribune qui pointe du doigt des dérives qui seraient écœurantes. "


Honeyland

"Le film se passe en Macédoine. Il s’agit du résultat d’un tournage documentaire de quatre ans, qui est monté avec un grand sens du rythme et de l’ellipse. L’héroïne est une macédono-turque, apicultrice, qui vit de la vente du miel des abeilles sauvages, qu’elle va régulièrement vendre en ville. Tout à coup arrive dans son village déserté une famille de Turcs, très nombreuse (huit enfants si j’en crois le générique), qui veulent aussi produire du miel , mais ne savent malheureusement pas le faire. Leurs abeilles maltraitées deviennent agressives et attaquent les abeilles de la voisine, et finalement ... Je vous laisse voir le film. Nous n’étions que cinq à la séance où je suis allé, c’est bien dommage car le travail est absolument remarquable, le film est d’une grande beauté, il est une façon de nous rapprocher de gens qui mènent d’autres vies que les nôtres."


Les lumières de Lhomme

"Je recommande cette semaine à la fois un livre et un film. Le livre est sur un homme qui fut décisif pour beaucoup de films : Pierre Lhomme. Il est signé de Luc Béraud, dont j’avais déjà recommandé le livre sur Jean Eustache. Pierre Lhomme a été le chef opérateur de William Klein, d’Alain Cavalier, de Claude Miller, de Jacques Doillon, James Ivory, et j’en passe ... Ce livre est d’abord une occasion de montrer ce qu’est un directeur de la photographie, mais aussi une façon une façon de faire voir comment se fait la fabrication d’un film."


Exposition Turner

"Un mot sur l’exposition Turner au musée Jacquemart-André d’abord. Je trouve toujours les expositions de ce musée très agréables, parce qu’elles sont d’une taille raisonnable. Pour ce qui est de celle-ci, on y trouve quantité de choses impressionnantes quant au travail de Turner, sur la lumière bien sûr mais aussi sur le mouvement. D’autre part l’audioguide de l’exposition est très bon, juste assez bref et dense. J’aimerais qu’une télévision ait l’idée de programmer le film de Mike Leigh, « Mr Turner », dans lequel Timothy Spall incarnait magistralement le peintre."


Il nous reste les mots

"J’avais dit en son temps tout ce que j’avais pu tirer du livre du docteur Georges Salines, dont la fille avait été tuée au Bataclan, il se trouve que le docteur Salines a été contacté par le père de l’un des trois assassins, M. Azdyne Amimour. Cette rencontre s’est d’abord faite à reculons (on imagine aisément pourquoi), mais elle a fini par donner ce livre de conversations Il est difficile de dire tout ce qu’on tire de ce livre. D’abord, une espèce de moment d’arrêt, où l’on repense à ces attentats et à la possibilité qu’ils se reproduisent. Les positions des deux hommes sont évidemment très différentes, mais M. Amimour a eu une vie très loin de l’a priori qu’on pourrait avoir : très variée, riche de voyages et d’expériences. "


Revue « Books »

"Peut-être ne faut-il pas se lamenter trop vite sur la disparition des revues, puisque d’excellentes anciennes revues demeurent (Esprit, Commentaire, La Revue des Deux mondes ...), de nouvelles viennent de se créer, comme Zadig ou Germinal. Il y en a aussi qui sont à la lisière du magazine, comme Books, que je recommande souvent. Le sous-titre de cette revue est « les livres questionnent le monde ». Pour ce faire, Books traduit des articles provenant de toutes sortes de publications à travers le monde. Le numéro de septembre porte sur la hiérarchisation des risques, et celui d’octobre sur la tentation autocratique."


Exposition « l’âge d’or de la peinture danoise »

"La peinture danoise est une peinture de la lumière, celle qui est exposée en ce moment au petit Palais date du début du XIXème siècle, étrange période où le Danemark venait de subit quantité de défaites. En même temps, sa peinture est ici à son apogée. J’y suis allé avant les décisions sanitaires annoncées par le président, je ne sais donc pas ce qu’il en est en ce moment, mais pour moi la jauge était tout à fait agréable. C’est le moment d’en profiter."


La plaque honorant la mémoire d’Arnaud Beltrame

"Je voudrais dire un mot de l’affaire de la plaque déposée à Paris à la mémoire du Colonel Beltrame. Cette plaque dit « Jardin Arnaud Beltrame 1973-2018 Colonel de Gendarmerie Assassiné lors de l’attentat du 23 mars 2018 à Trèbes (Aude) Victime de son héroïsme ». Il y a plusieurs interprétations , mais la plus probable me paraît être la faute de français : dans cette formulation, l’héroïsme est une maladie. Arnaud Beltrame est victime de ses assassins. Mais ce n’est pas ce qui m’interpelle le plus. Quand il s’agit d’honorer quelqu’un, il faut le faire de manière plus explicite. On aurait dû je crois dire que le colonel Beltrame s’est porté volontaire pour remplacer une otage, et qu’il a par la suite été assassiné par un terroriste. Qu’on sache la nature de son acte héroïque. J’en appelle aux municipalités, pour que les héros soient honorés explicitement, et non pas pour que nous-mêmes nous donnions l’air d’avoir fait notre devoir."



Hippolyte et Aricie

"On croit que le confinement ne permet plus de voir des spectacles, ce n’est pas tout à fait vrai. Nombreuses sont les initiatives dans le monde du théâtre et de la musique. Notamment Hippolyte et Aricie de Rameau, qui devait être donné à l’Opéra Comique, et qui sera diffusé le 14 novembre sur Arte. De la même manière, la Comédie-Française a ressuscité la chaîne qu’elle avait créé pendant le premier confinement, qui permet de voir une tragédie de Racine assez peu jouée, Bajazet, mise en scène par Eric Ruf."



Une prière pour l’école

"Dans cette période de confinement, on parcourt sa bibliothèque, et on y retrouve des livres qu’on a déjà lus, voire déjà recommandés. C’est le cas de celui-ci, signé de Frédéric Béghin. C’est l’histoire de quelqu’un qui pendant un an, parcourt la France à la rencontre des professeurs, des instituteurs, des responsables de cantine, des infirmiers, etc. Le livre est paru en 2018, et tout ce qu’on y lit enrichit extraordinairement nos réflexions d’aujourd’hui, après l’assassinat de Samuel Paty. Je recommande notamment de lire à la page 116 ce qui est arrivé à un professeur d’arts plastiques du collège François Villon de Mulhouse qui, le 8 janvier 2015, au lendemain de l’attaque contre Charlie Hebdo, avait décidé de consacrer son cours à la caricature. Il a été suspendu pour quatre mois. "


Témoin à charge

"L’une des règles de cette émission est de ne pas dire du bien les uns des autres, mais quand d’autres parlent favorablement de l’un d’entre nous, pourquoi ne pas leur faire écho ? Nicolas Baverez a reçu le prix de l’essai de l’Académie Française pour son livre Le monde selon Tocqueville. Nicolas est avocat, une profession qui m’a tenté grâce à deux films. Le premier est Autopsie d’un meurtre, d’Otto Preminger, et le deuxième vient d’être superbement réédité, il s’agit de Témoin à charge (Witness for the prosecution) de Billy Wilder. Outre un suspense absolument formidable et des retournements de situation étonnants, ces deux films ont en commun qu’à chaque fois l’avocat se fait absolument flouer par son client. "



De l’Histoire à l’histoire

"Les hommages à Daniel Cordier ont été nombreux ces derniers jours : au lieutenant de la France libre, au secrétaire de Jean Moulin, à l’auteur de Alias Caracalla. J’aimerais inciter tous ceux que Daniel Cordier a impressionnés à lire ce livre d’entretiens que Cordier a accordés à Paulin Ismard. Il y est beaucoup question de la Résistance, mais aussi du reste de sa vie, et notamment de la manière dont Daniel Cordier a travaillé et a pu faire son œuvre d’historien. On apprendra au passage que François Mitterrand ne l’y a pas beaucoup aidé ..."



Carnet d’adresses de quelques personnages fictifs de la littérature

"Les grands prix littéraires cachent les petits, j’ai découvert cette semaine qu’il existe un prix Hennessy du livre dont la littérature est l’héroïne. Le livre qui l’a remporté est signé de Didier Blonde, il regroupe les adresses, les numéros de téléphone et autres renseignements à propos des personnages de romans que Didier Blonde a croisés au fil de ses lectures. C’est également une jolie réflexion sur les adresses en littérature et sur la rêverie qu’elles suscitent. On y trouve également un passage un peu plus personnel dans lequel Didier Blonde raconte que le numéro de téléphone de l’appartement où il vécut une enfance heureuse est toujours valide. Il hésite à appeler, puis se décide et ... je vous laisse découvrir la suite."










CRA 115 propos d’hommes séquestrés

"Valentin Vander : Un autre livre pour moi, d’un poète, danseur et auteur qui habite à Montpellier, Mathieu Gabard. Il me paraît important, et me semble lui aussi raconter notre société. Les CRA sont les Centres de Rétention Administrative, dans lesquels on enferme pour une durée plus ou moins longues les étrangers en situation irrégulière, avant d’être expulsés ou libérés. Il a recueilli leurs propos, à divers moments de leur procédure. Il n’y a aucun commentaire, seulement les paroles de gens. C’est important de se rappeler que malgré la pandémie, certaines situations reléguées au second plan sont toujours préoccupantes. "


Hommage à Marielle de Sarnez

"J’aimerais rendre hommage à Marielle de Sarnez, ou plutôt braquer un projecteur sur les hommages qui lui ont été rendus à la nouvelle de sa mort. S’ils vont de l’extrême droite à l’extrême gauche, c’est sans doute parce que comme présidente de la Commission des Affaires Européennes, elle a eu à cœur de faire en sorte que le Parlement joue son rôle, et que la démocratie soit respectée. Tous ont reconnu et salué cette volonté, cette énergie, cette capacité de travail, qui sont allé dans le sens d’un respect actif, et même proactif de la démocratie parlementaire."


Le Napoléon du crime

"Je vous recommande une lecture très distrayante : « le Napoléon du crime », par Ben Macintyre. Les lecteurs de Conan Doyle auront reconnu le surnom donné au professeur Moriarty. Il s’agit ici du personnage réel qui inspira l’ennemi juré de Sherlock Holmes : Adam Worth, qui eut une carrière de voleur de 35 ans, sans haine, sans crainte et sans arme. Il n’utilisa jamais la violence, et était doté d’un talent et d’une passion pour le vol absolument remarquables. Les fortunes qu’il a accumulées se sont envolées car elles n’était pas ce qu’il cherchait. Il voulait être un artiste, et a été reconnu comme tel par les frères Pinkerton, les fameux détectives. On croisera aussi la duchesse de Devonshire, sous la forme de son portrait par Gainsborough, que Worth a volé et qu’il emporte partout dans les conditions les plus romanesques. On rencontre dans ce livre une quantité de personnages pittoresques, pas mal d’imbéciles aussi, mais jusqu’à la dernière ligne ce livre m’a fait passer un très bon moment."


L’autre art contemporain

"Ce n’est pas un pamphlet, bien que cela en ait les caractéristiques, notamment le côté assez enlevé ; ce n’est pas non plus seulement une enquête, bien qu’il y ait des récits assez détaillés (par exemple, comment Jeff Koons peut passer pour un artiste). C’est également une réflexion sur les rapports avec le beau, menée par un auteur qui a conscience de mettre les pieds dans le plat, et qui par conséquence ne retient pas sa plume et s’en donne parfois à cœur joie. Cela m’a rappelé un autre livre, de Benoît Duteurtre, qui fit du bruit en son temps : Requiem pour une avant-garde, qui montrait comment il y avait eu plusieurs possibilités de développement de l’art, et que certaines avaient été empêchées uniquement pour des questions de rapports de pouvoir."


Citation du Cavalier Marin

"Je voudrais citer, pour faire écho à la situation actuelle (et peut-être bien plus ancienne) un texte de Gianbattista Marino, le Cavalier Marin, qui fut célèbre à travers l’Europe au début du XVIIème siècle. Voici comment il parle de la France en 1615 : « La France est toute pleine de contradictions et de disproportions, lesquelles cependant forment une discorde concordante, qui la perpétue. Des coutumes bizarres, des fureurs terribles, des mutations continuelles, des extrêmes sans demi-mesure, des tumultes, des querelles, des désaccords et des confusions : tout cela, en somme, devrait la détruire et, par miracle, la tient debout »."


Jours anciens

"Je vous recommande ce livre de Michel Winock paru l’automne dernier. Il s’ouvre sur une époque quasi oubliée, comme un village submergé par la construction d’un barrage. « Je ne relate pas mes jeunes années dans l’illusion d’un paradis perdu. Je ne veux donner ici ni à admirer un autrefois qui n’est plus, ni à en réprouver les travers. J’invite simplement à la découverte d’un passé disparu, mais qui nous parle encore ». A lire ce livre où il est question d’école primaire, d’école secondaire, du football, de la guerre d’Algérie, de la tuberculose ... J’ai été très frappé par la présence de la religion catholique à l’école. Michel Winockraconte par exemple que le lycée autorisait une absence d’une semaine pour que ceux qui faisaient leur communion puissent effectuer une retraite, ou qu’on y fêtait la Saint Charlemagne ..."



Books

"Le bimestriel Books reparaît, alors qu’on le croyait perdu pour des raisons financières. Il a pour objectif d’éclairer tous les sujets d’intérêt général à travers les livres publiés dans le monde entier. Dans ce nouveau numéro, je vous recommande particulièrement un article qui m’a enchanté, John Perry, intitulé : « comment remettre la procarastination au lendemain ? » Il met en exergue une citation de Mignon MacLaughlin : « il y a tellement de choses qu’on voudrait avoir faites hier et si peu qu’on a envie de faire aujourd’hui. »"


Paul Morand

"Le propre d’une biographie réussie, me semble-t-il, c’est de reconstituer l’époque autour de son sujet. Pauline Dreyfus la peint et la croque et, pour ce qui me concerne, réussit à intéresser sans défaillir à son personnage sans plaidoirie ni réquisitoire. Je n’aimais pas Morand avant de la lire. Je l’aime encore moins après, mais je sais bien mieux maintenant pourquoi et je crois comprendre moins mal l’histoire de ce monde de gens de lettres dont Morand croyait être un marginal alors qu’il me paraît en avoir été un parangon illusionné et un fanfaron impénitent, mais c’est peut-être justement là qu’il est le plus intéressant à découvrir à travers cette biographie : pour ce qu’il représente au moins autant que pour ce qu’il est."



La guerre mondiale des ondes

"Je vous recommande ce livre de Sébastien Dumoulin à propos de la 5G, une affaire de 2 000 milliards de dollars, opposant la chine et les USA. Cette guerre mondiale des ondes se traduit par tout un tas de faits de guerre, notamment beaucoup d’arrestations arbitraires, ayant pour but d’intimider le camp adverse. On retient aussi la fragilité de ce système de 5G. Les antennes sont très coûteuses, et si elles sont endommagées, c’est tout le réseau qui s’écroule. C’est multiplier par mille ce qu’on vient de voir avec cet incendie à Strasbourg qui a arrêté des tramways à Dijon ou des serveurs d’entreprises un peu partout. "


Joseph Kessel Reportages, romans

"Me promenant dans ma bibliothèque, comme on fait beaucoup en ces temps de confinement, j’en ai sorti ce volume de Quarto chez Gallimard. Je l’ai ouvert par curiosité rétrospective, ne me souvenant plus très bien de ce que j’en avais pensé autrefois, et me disant que tout cela devait sans doute être bien dépassé. Ce n’est pas vrai. Ces reportages sont un genre littéraire, comprenant un peu d’invention, beaucoup d’observation, ainsi qu’un savoir-faire et un homme à l’intérieur duquel ce savoir-faire couve."



Le Grand

"Au début du siècle dernier Henri Cot, né en 1883 dans l’Aveyron au hameau du Cros de la commune de Mounès-Prohencoux et du canton de Belmont-sur-Rance atteignait au conseil de révision la taille de 2 mètres 12. Les médecins lui prédirent que sa croissance était loin d’être terminée. Lorsqu’il atteignit 2 mètres 60 et qu’il chaussa du 61, un entrepreneur de spectacles en fit sa vedette et l’emmena en tournée en France, d’abord, dans le vaste monde ensuite. Le succès fut considérable et lucratif. A Londres, en 1906, Henri Cot fit paraître cette annonce : « Séduisant, intelligent, français, 2 mètres 61, 176 kgs, larges moyens financiers recherche une femme d’intérieur avenante dans le but de se marier immédiatement. La demoiselle doit être disposée à faire le tour du monde ». Il reçut 301 réponses dont une faillit aboutir. Un nain de 60 centimètres baptisé Colibri devint son inséparable partenaire et compagnon. Peu à peu, la concurrence, d’abord confidentielle, devint rude et multiple… Daniel Carton, qui se distingua naguère par une critique sévère et documentée du journalisme politique en France avant de quitter ce métier a reconstitué l’histoire d’Henri Cot, une histoire dont il ne reste qu’une carte postale et une brochure de 5 pages publiée au Royaume-Uni. Il la fait raconter par un ami d’enfance imaginaire du géant dont le regard amical, émerveillé puis désolé observe l’hostilité provoquée par une différence aussi excentrique, la cupidité de ceux qui comprennent comment la changer en or, la naïveté peu à peu transmuée en vanité du héros.  Si on osait on dirait que la vie de ce géant est un raccourci d’humanité. Le livre est intitulé Le Grand. Il est publié chez Fayard."


L’emprise du faux

"Ce livre est signé du président de l‘agence France Presse, Fabrice Fries. Le sous-titre est Désinformation : le temps du combat, et il est parfaitement justifié par le contenu de l’ouvrage. Celui-ci recense ce qu’il y a d’ancien et ce qu’il y a de nouveau dans la désinformation, et analyse le pic qu’a constitué l’invasion du Capitole aux Etats-Unis. Il propose également un certain nombre d’actions et de réformes sur tous les maillons de la chaîne de la désinformation. "


Hérodote n°180

"Je me suis aperçu trop tard -ayant déjà fini mes études- que la géographie était la reine des sciences sociales. Pour m’en convaincre à nouveau, je n’ai eu qu’à lire le dernier numéro de la revue que dirige Béatrice Giblin ici présente, Hérodote. Le dernier numéro est consacré au Maghreb. J’ai particulièrement apprécié trois articles : l’un sur la Kabylie, à laquelle beaucoup d’amateurs de chansons sont attachés à cause de Matoub Lounès, un autre sur le racisme anti-Noirs, intitulé « dévoilements d’un tabou » (le pluriel est important), et un troisième sur le coronavirus au Maghreb."


Le brutaliste

"Chercher à éclairer et à comprendre une histoire vraie, celle de l’architecte Tomas Taveira l’auteur des trois gigantesques tours Amoreiras construites sur une hauteur de Lisbonne en béton brut, architecte célébré mondialement, en rupture avec le bon goût dans le Portugal d’après Salazar. Tableau des années 80 dans une société qui explose et que la modernité affole. Portrait de la mégalomanie et de l’érotomanie qui l’accompagne chez une sorte de Weinstein qui filme ses ébats sexuels violents et non consentis et qui en laisse publier les photos dans un petit magazine salace sans doute pour ajouter à la légende qu’il se construit d’architecte maudit, malgré une éclatante réussite qui volera en éclats. Qu’est-ce que la découverte détaillée de cette vie provoque chez l’auteur de cette découverte, c’est aussi ce que l’on découvre dans ce livre."


La grande illusion

"Je vous recommande le livre de Michel Barnier, récit de la négociation du Brexit. Il faut être honnête, ce n’est pas San Antonio. Certes, cela ne prétend pas l’être, mais c’en est tout de même très, très loin. Il y a quelque chose de très pénible dans le livre, c’est, autour de l’auteur, les perles de la couronne, à savoir les gens avec qui il a travaillés. Il pense qu’il est nécessaire de tous les nommer et de distribuer des bons points ... Il connaît absolument tout le monde, jusqu’au dernier ministre albanais ; On n’est absolument obligé de lire le moindre détail de l’éloge de chacun, car au bout d’un moment, on a l’impression que le dit éloge est destiné à la réfraction : si je suis entouré de gens aussi bien, c’est que je dois l’être moi-même ... On saute donc des pages, il faut l’avouer. Ceci étant dit, le récit du comportement des Britanniques est frappant du début à la fin. Theresa May apparaît comme un personnage absolument consternant. Après avoir pris position (sans enthousiasme) pour le remain, elle est chargée de négocier le Brexit, et devient psychorigide au point de couper les possibilités de négociation avant même qu’elles n’existent, en posant des exigences impossibles. Quant à Boris Johnson, il est décrit comme un escroc politique peu compétent. J’ai toujours eu beaucoup d’affection pour le Royaume-Uni, je suis sorti de ce livre en me disant que la France n’était pas en très bon état, mais que les Britanniques ne s’en sortaient pas mieux, loin de là ..."


L’aventure Tapie

"L’état de santé de Bernard Tapie nous empêche de charger sa barque, mais je recommande également à nos auditeurs de lire la biographie que Christophe Bouchet consacra à Tapie dans les années où il était justement flamboyant. Le travail de l’auteur était difficile, et s’était même révélé dangereux. Je rappellerai aussi que Bernard Tapie et Christiane Taubira ont eu avec François Mitterrand ce magnifique rapport, qui leur a permis d’éliminer Michel Rocard. "


Interview de Françoise Fromonot dans Libération du 22 juin 2021

"Je recommande à nos auditeurs de lire l’interview donnée par Françoise Fromonot, architecte, urbaniste et auteur d’un très bon livre sur Paris, sur la manière dont l’installation de la Samaritaine, inaugurée par le président de la République, et celle du musée Pinault, marquent l’achèvement de cette tendance de l’aménagement de Paris exclusivement en fonction du tourisme, et plus particulièrement du tourisme de luxe."


Vieplussimple.fr

"Je vous recommande ce site de Gaspard Koenig, qui est une sorte de collecte des complications de la vie. L’idée part d’une constatation de Georges Pompidou, à l’époque où il n’était que conseiller d’Etat : « de perfectionnement en perfectionnement, notre droit public, dont la vertu première était la simplicité et la souplesse, s’est progressivement compliqué au point de dérouter parfois les plus perspicaces. Dans le réseau complexe des règles et des principes, l’administrateur risque de se trouver peu à peu paralysé. Quant au citoyen que le droit doit protéger et aider, c’est avec quelque raison qu’il affirme bien souvent ne plus pouvoir le comprendre ni l’appliquer ». Après cette citation, Koenig rappelle que 36% des personnes éligibles au RSA y renoncent faute de pouvoir remplir les formulaires, que l’agriculteur lambda consacre 9 heures par semaine aux tâches administratives, que le code de l’urbanisme a battu un record en ayant aujourd’hui 3540 pages, et qu’il faut 76 jours pour lire l’ensemble des conditions d’utilisation que nous acceptons sur internet. Le site de Gaspard Koenig demande à chacun d’entre nous d’identifier l’un de ces problèmes qui lui pourrissent la vie sans faire avancer les choses."


Billy Wilder et moi

"Je vous recommande un livre délicieux du romancier britannique Jonathan Coe. L’héroïne est une gréco-britannique de 20 ans qui, alors qu’elle est en voyage aux Etats-Unis, se retrouve à la table de Billy Wilder dans un restaurant. Commence alors une longue relation à la fois paternelle et de travail, puisqu’elle sera amenée à être l’interprète de Billy Wilder lors de son dernier tournage en Grèce, pour le film Fédora. Jonathan Coe a trouvé le moyen de déployer une infinie tendresse admirative pour Wilder par le biais de cette narratrice, qu’on ne peut que partager. On se réjouit qu’elle soit si bien exprimée. Un grand bol d’air."


La nuit des aventuriers

"Par ailleurs, je voudrais recommander un livre de Nicolas Chaudun. J’avais déjà signalé à propos de son précédent livre combien cet auteur me paraissait écrire comme on monte à cheval. Il m’a d’ailleurs confirmé qu’il était cavalier, puisqu’il a par ailleurs été notre invité pour une émission sur Paris … Ce livre est consacré au coup d’état du 2 décembre du président Louis-Napoléon Bonaparte, au jour le jour, avec des descriptions absolument admirables et des portraits remarquables de toutes les canailles de l’entourage du futur Napoléon III, ainsi qu’une succession de petites informations distillées ici ou là, sur ce que faisait Victor Hugo, sur ce qu’a écrit Tocqueville, bref c’est un livre qu’on ne lâche pas."






Miarka

"C’est le portrait d’une jeune femme, à vrai dire encore une adolescente : elle a 19 ans quand elle entre dans la Résistance où elle est chargée de l’acheminement des faux papiers. Elle court de grands risques pendant deux ans, avant d’être arrêtée, torturée et envoyée à Ravensbrück puis à Mauthausen pendant que sa mère, son père, son frère Jean et ses sœurs Madeleine et Simone sont déportés dans le cadre de la solution finale. Denise Jacob – Miarka dans la Résistance- est la sœur de Simone Jacob, plus tard Simone Veil. Leur père, leur frère, leur mère mourront dans les camps. Miarka est le portrait d'une femme de beaucoup d’éclat physique et moral, issue d’une famille impressionnante par son attachement au savoir, aux livres, à la littérature, à la conversation, aux échanges, à l’impératif moral, à la recherche de la beauté et à la France. L’admiration qu’Antoine de Meaux voue à Miarka n’est pas béate, elle est tonifiante et contagieuse. Mais son livre est aussi un livre remarquable -et, quelquefois, terrible - par la clarté, la précision et la retenue qui en sont la marque. Pour moi qui ai signé avec Frédéric Rossif « De Nuremberg à Nuremberg », un documentaire sur le nazisme, la difficulté dans laquelle se sont trouvées les déportées parce que résistantes et les déportées parce que juives à partager leur destin n'a jamais été aussi claire, ni aussi prenante. La réflexion sur la transmission qui termine ce livre me touche au plus haut point."


La loi de Téhéran

"Je recommande ce film de Saeed Roustayi. Il s’agit d’un film iranien. Scénario, rythme, interprétation, tout est impressionnant, mais c’est également un formidable portrait de la société iranienne, pas du tout celle à laquelle on s’attend sous le régime des mollahs. Une société où la drogue, la corruption, et tout ce qui va avec sont à une niveau d’intensité inouï. Sans compter des images de ce que sont les gardes à vue dans le Téhéran d’aujourd’hui. "


Le livre de Maître Mô

"Maître Éolas, pénaliste affûté, suivi sur Twitter par plus de 360 000 abonnés, pédagogue limpide, railleur et ferrailleur, la liberté comme une fleur à la bouche m’a naguère fait lire « Au Guet-Apens » de son confrère lillois maître Mô. A peine ce livre terminé, j’avais dit aux auditeurs du Nouvel Esprit public à quel point j’avais été touché par ces récits brefs, denses et fraternels de l’ordinaire d’un avocat au pénal. Maître Mô, Jean-Yves Moyart, est mort en février dernier à 53 ans. Son confrère Éric Morain annonça cette perte en écrivant « Il y a les élégants, les talentueux, les généreux, les fêtards, les courageux, les fêlés laissant passer la lumière, mais je n’ai connu aucun autre avocat qui soit tout cela à la fois ». Et Pascale Robert-Diard, l’une des plumes qui donnerait envie d’être journaliste, saluait ainsi sa mémoire dans Le Monde : « Un colosse fragile qui se consumait pour ceux qu’il défendait, portait la peine des autres et ne riait que de lui. Un avocat bienveillant et ce n’est pas un oxymore ». Les quelques 70 000 personnes qui suivait maître Mô sur Twitter ont perdu – beaucoup l’ont écrit - un homme qui les tirait vers le meilleur d’eux-mêmes. « Au Guet-apens » et d’autres textes sont réédités aujourd’hui aux Arènes sous le titre « Le Livre de Maître Mô ». Je l’ai relu avec la même émotion, celle qui nait de la compagnie d’un homme intranquille, à qui rien de ce qui est humain n’était étranger."



Lorsque le dernier arbre

"Il y a plusieurs façons de dire d'un roman « c'est un gros roman ». Il y a la façon résignée et il y a la façon gourmande. C'est la seconde qui convient pour parler de Lorsque le dernier arbre, premier roman publié par Albin Michel du jeune canadien Michael Christie, livre habilement construit en allers-retours entre 2038, époque où le contact avec la nature sera réservé aux possesseurs de grandes fortunes et 1908, période où peuvent commencer des fortunes fondées notamment sur l'exploitation forestière. Christie mélange un sens impressionnant du suspense et de la construction dramatique avec une connaissance intime des arbres et des forêts qui en font des personnages d’un roman qui est aussi un roman politique de l'urgence environnementale. Ajoutons que je recevrai la traductrice de ce livre ; Sarah Gurcel, dans un prochain bada de la série « Si c’est pour la Culture, on a déjà donné »…"


Authentique rapport sur la nécessaire disparition de Venise

"« J’ai connu à Londres un Américain fort compétent, lequel m'a révélé qu'un bébé sain et bien nourri constitue à l'âge d'un an un plat délicieux, riche en calories et hygiénique, qu'il soit préparé à l'étouffée, à la broche, au four ou en pot-au-feu et j'ai tout lieu de croire qu'il fournit de même d'excellents fricassées et ragoûts. » Éclairé par cette information Jonathan Swift, pour résoudre le problème de la surnatalité et des famines endémiques en Irlande publia sa « Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres d'être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public. Celui qui, sous le pseudonyme de Casanuova publie aux Éditions Exils un « Authentique rapport sur la nécessaire disparition de Venise » est un disciple de Swift, mais un disciple qui soutient sa proposition avec les remarquables arguments qui ne peuvent être que le fait d’un connaisseur intime de la cité lagunaire et de sa situation actuelle. On en jugera par le titre de certains chapitres : « Une ville pour les riches ; Le Mose où comment enrichir les parasites ; L’invasion chinoise. Il n'y a plus de cité, juste un cliché ; L'empire du faux ; Lascaux l'a fait ». Et l'auteur D'emprunter sa conclusion à Swift : « Je n'ai en vue que le bien de mon pays. Je cherche le développement de son commerce, le bien-être de ses enfants, le soulagement de ses pauvres et un peu d'agrément pour les riches. »"




Debout les femmes !

"Le film de François Ruffin et Gilles Perret retrace le parcours d’une mission parlementaire sur les « métiers du lien », c’est-à-dire les auxiliaires de vie pour personnes âgées, les accompagnants d'élèves en situation de handicap, les femmes de ménage etc. La mission est tirée par un attelage disparate : François Ruffin, député mélenchoniste à poil dur et Bruno Bonnell, député macronien pur tweed. Elle se déroule pendant le confinement, souvent dans des conditions de protection très imparfaites pour ces femmes sur le front de tous les malheurs et dont les plus chanceuses gagnent à peine 1 000€ avec des horaires de travail intenables, et pourtant tenus. Toutes les qualités de documentariste des auteurs sont au rendez-vous de la relation de cette mission qui aboutira à une proposition de loi visant à améliorer et harmoniser les rémunérations, compter les temps de travail invisibles, mettre en place une formation continue, prévenir les accidents du travail etc... Celui qui croyait à la start-up nation et celui qui croyait à Nuit debout se casseront les dents sur une assemblée nationale dont on cherche encore à comprendre comment elle a pu refuser un pareil texte."




Revue Books n°116

"Voulez-vous prendre des nouvelles du monde autrement que par les voies habituelles ? Connaissez-vous le Zugzwang ? Oui, si vous êtes joueur d’échecs. C’est la configuration dans laquelle quel que soit le coup joué, il ne pourra que dégrader votre position. Books, devenu trimestriel à sa reparution, en consultant les listes des meilleures ventes de livres, a remarqué que les Russes, quand lis considèrent leur situation politique, économique ou sociale se sentent assez proches du Zugzwang. Alors ils se réfugient dans des livres qui retracent d’autres époques : celle du dégel sous Khrouchtchev, celle de l’ébulition artistique de l’Europe de 1913. Et, plus loin dans les pages de Books, Euphrosina Kernovskaia se souvient du Goulag où ses 30 ans rebelles l’ont conduite. Mais le dossier central de la revue a pour titre Testez vos préjugés. Vos préjugés sur le Parti communiste chinois, vos préjugés contre le foie gras, les préjugés des nouveaux censeurs contre l’Odyssée, ou le théâtre de Shakespeare, ou le président Thomas Jefferson bref, tous ces préjugés dont d’Alembert écrivait « les préjugés, de quelque espèce qu’ils puissent être, ne se détruisent pas en les heurtant de front ». Nous ne sommes pas prêts de sortir du Zugzwang."


Les Olympiades

"Les Olympiades sont un quartier de Paris qui n’existait pas jusqu’à ce que Jacques Audiard ait l’idée de rendre cette inexistence en choisissant de la filmer en noir et blanc. Dans ce Paris qui a bien peu à voir avec Paris, trois jeunes femmes et un jeune homme se croisent comme dans un dessin de Sempé, où l’on voit un jeune homme qui, seul chez lui, rêve d’une jeune femme qui, seule chez elle, rêve d’un jeune homme qui a les traits de celui qui rêve à elle. Lorsqu’ils sortent chacun de son appartement et qu’ils se croisent dans la rue, aucun des deux ne sait comment se déclarer à l’autre et ils passent leur chemin. Les héroïnes et le héros de Jacques Audiard font plus que se croiser, mais ils n’en passent pas moins à côté les uns des autres, sauf, peut-être les deux plus déjantées, Nora, qui a cru que monter à la capitale lui offrirait une nouvelle vie et Amber, qui gagne la sienne en monnayant ses charmes sur internet. Audiard filme, ces vies qui débutent et qui patinent, ces rapports qui se retournent comme des gants, dans ce non-lieu hautement cinématographique qu’est le quartier des tours des Olympiades avec un humour que je qualifierai d’intransigeant servi par des actrices et un acteur dont le choix montre une fois de plus son intelligence exceptionnelle de la distribution des rôles."


La guerre de vingt ans

"Lauréat du Prix du Livre de Géopolitique 2021. Vingt ans, déjà, que les tours du World Trade Center se sont effondrées. Qui aurait cru alors que, deux décennies plus tard, la guerre globale contre le terrorisme se poursuivrait sans issue en vue ? Des sables du Sahara aux jungles d'Asie du Sud-Est, des plaines irakiennes aux montagnes afghanes, les pays occidentaux et leurs alliés continuent de pourchasser des djihadistes à la détermination sans faille. La menace n'est pas cantonnée à ces contrées lointaines : l'Europe – et singulièrement la France – a payé un lourd tribut à ce long conflit. Al-Qaida a fait preuve d'une résilience remarquable et de nouveaux groupes, comme l'État islamique, sont apparus. La chute du " califat " proclamé par Daech n'a pas signé la fin de cette organisation, et encore moins celle de son idéologie mortifère. Le monde compterait deux à trois fois plus de combattants djihadistes aujourd'hui qu'au début du siècle. Ce constat d'une interminable guerre d'usure interroge : qu'avons-nous fait de ces vingt ans ? En dépit des centaines de milliers de vies perdues et des sommes considérables dépensées, pourquoi la menace est-elle encore si élevée ? Fruit de plusieurs années d'enquêtes de terrain, cet ouvrage exceptionnel constitue la première histoire de la guerre contre le terrorisme de 2001 à aujourd'hui. Décryptant les dynamiques stratégiques de cet affrontement, les auteurs expliquent pourquoi il est si difficile de casser la spirale de la violence et tirent de ces deux décennies de lutte des leçons essentielles pour l'avenir."


Dessous de scène Histoires d’opéra

"Ce tout petit livre d’Olivier Mantéi est aussi charmant que perspicace. L’auteur dirige désormais la philharmonie de Paris, ainsi que le théâtre des Bouffes du Nord, après avoir été des années le patron de l’Opéra Comique. C’est un monde à part que l’on découvre dans ce livre, un reflet du nôtre, ou peut-être mieux, une caricature. Les rapports de pouvoir, les rapports affectifs, tout est sous la loupe, du meilleur au plus risible."


Paroles de combattants de la Libération

"Il y a sur Tweeter un compte « Paroles de combattants de la Libération » qui s’emploie chaque jour à rappeler le souvenir d’un homme ou d’une femme qui a payé de sa vie son engagement contre Vichy et contre les nazis. Juste quelques lignes après leur nom. André Soussote, 21 ans, radio d’un mouvement de résistance qui écrit à sa fiancée « Ils ne pourront jamais me faire autant de mal que je leur en ai fait, S'ils me fusillent qu'est-ce que la vie d'un homme contre tout ce que j'ai contribué à faire couler, bateaux, sous-marins..." Raymonde Le Névé, 34 ans, photographe à Nantes, qui développe les clichés pris en fraude des installations militaires allemandes et qui sera assassinée au camp du Struthof, Blanche Mouttet, 35 ans, qui recueille des maquisards du Vercors. Les Allemands bruleront sa ferme, et elle à l’intérieur. Justinien Gillaizeau, 63 ans, qui cache des juifs et qui sera mis à mort pour cela. Bernard Courtault, instituteur, qui écrit à son père avant d’être fusillé : « J'ai été heureux pendant les 20 ans que j'ai vécus sur la Terre et tu y es pour beaucoup[...] Je vais mourir en souriant ». « Qu’importe comment s’appelle/Cette clarté sur leur pas/Celui qui croyait au ciel/Celui qui n’y croyait pas/ Un rebelle est un rebelle/Nos sanglots font un seul glas. »"


Liquidation de la SAM

"Pendant que trop de médias vaticinent sur des sondages qui leur tiennent lieu de connaissance de la réalité et qu’ils traitent comme des prédictions, dans l’Aveyron, à Decazeville, après la fermeture de la mine de charbon, après la mise à l’arrêt des activités de Vallourec, la Société aveyronnaise de métallurgie, la SAM va être liquidée parce que Renault, son unique client, a décidé de se fournir dans des pays où les rémunérations sont plus faibles et le droit du travail plus accommodant et bien que la SAM consacre près de la moitié de son activité à l’équipement des voitures hybrides et électriques. 333 ouvriers et cadres de la SAM se retrouvent sur le carreau. Ce qui reste du bassin industriel de l’ouest du département, Decazeville, Viviez et Aubin, est frappé à mort par la décision d’une entreprise, Renault, dont l’État est actionnaire à 15%. Nul doute que la décision de Renault n’ait une logique économique, mais une logique économique qui ne prend pas en compte les conséquences sociales de ses décisions n’est pas une logique économique, c’est une logique comptable. Je connais bien cette région ; j’ai vu Decazeville et son bassin prendre les uns après les autres les coups donnés par ces décisions à courte vue, toutes ont blessé, la dernière tue."



Une télévision française

"Comme il existe un cinéma documentaire, il existe un théâtre documentaire. Au théâtre de la Ville aux Abbesses, Thomas Quillardet et sa troupe le démontre avec finesse, drôlerie et pertinence dans « Une Télévision française », qui retrace le passage de TF1 du public au privé en 1987. « Les gens n’ont pas besoin qu’on leur fasse la morale, ils ont besoin qu’on leur rafraichisse la mémoire », écrivait Samuel Johnson. Quillardet et les siens, en remontant dans le temps, nous font voir comment cette privatisation est à l’origine d’un changement quasi géologique de l’information télévisée. La force de ce spectacle tient à la justesse avec laquelle il décrit ce qu’était le journalisme audiovisuel à l’époque de la télévision d’État dont il ne cache ni les scléroses, ni le retard d’équipement, ni les aspects pesamment institutionnels, tout comme il montre avec nuance à quelles lois nouvelles, celle du marketing et d’une nouvelle forme de complaisance, les journalistes vont devoir -ou pas- s’adapter. Mais cette pièce tient aussi sa force d’une mise en scène enlevée, maligne et même malicieuse, et à des comédiens épatants qui virevoltent d’un rôle à l’autre et nous font revivre des moments savoureux, tel celui ou Patrick le Lay promet sur sa chaîne quantité de retransmissions théâtrales et lyriques (et même les « chorégraphies d’Orange » (sic), tandis que Bernard Tapie annonce la célébration du cinquantenaire de la mort de Maurice Ravel. Du point de vue du spectateur, la pièce aurait pu s’appeler « Les Cocus magnifiques » et de celui des politiques, qui ont appris à passer sous les fourches caudines de l’audiovisuel « Vous l’aurez voulu Georges Dandin ».  "


L’Europe changer ou périr

"Je voudrais signaler la parution, aux éditions Tallandier d’un livre de Nicole Gnesotto, L’Europe, Changer ou périr. Elle rappelle qu’à sa fondation, l’Europe misait sur l’OTAN pour la défendre et sur le libéralisme, le marché et la concurrence pour assurer à la fois son progrès et sa prospérité. Nicole Gnesotto soutient qu’aujourd’hui il faut sortir de la dépendance à l’OTAN - et en convaincre nos partenaires est une tâche ardue - et que cette sortie ne se fera pas par la construction d’une défense européenne dont les bégaiements successifs montrent qu’elle est une chimère, mais par l’instauration d’une diplomatie européenne. Elle rappelle utilement que des interventions extérieures occidentales depuis la fin de la guerre froide, à part celle de 1991 pour le Koweit, se sont soldées par des catastrophe. Elle remarque que la force militaire n’est plus la condition de la puissance de l’Europe et qu’il est nécessaire qu’elle s’investisse dans les solutions diplomatiques et qu’elle cesse de laisser la pensée des crises aux Américains. Quant à l’économie, Nicole Gnesotto affirme que, bien plus qu’assurer le libre jeu du marché et de la concurrence, le rôle de l’Europe, si elle ne veut pas périr, est d’aider à limiter l’explosion des inégalités, provoquée par la mondialisation."


Don’t look up

"Il y a un engouement général à propos de ce film diffusé sur Netflix, à propos d’une catastrophe imminente. J’en suis très étonné, car il ne s’agit pas d’une caricature mais d’une farce. Autant la caricature à propos de l’infotainment me paraît réussie, autant la manière dont est représentée le pouvoir politique ne l’est pas : c’est du « tous pourris », tous sont ridicules. J’ai l’impression qu’en faisant l’éloge de ce film, on confond Pierre Desproges et Patrick Sébastien. "


Courrier d’auditeur

"A la suite de ma brève de dimanche dernier sur Don’t look up dans laquelle j’ironisais sur le caractère caricatural de la représentation de la politique aux États-Unis, et notamment du personnage de la présidente incarnée par Meryl Streep, plusieurs de nos auditeurs habitants aux États-Unis m’ont écrit pour me dire que je m’étais mis le doigt dans l’œil « usque ad omoplatum », comme on dirait dans Astérix. La critique la plus développée est celle que je vais lire, elle émane d’Emmanuel Dupuy d’Angeac.       « Je me permets un commentaire sur votre brève à propos du film "Don't look up". Je vis aux Etats Unis depuis maintenant près de 25 ans et je constate avec horreur depuis les années Bush (probablement depuis Reagan) la descente aux enfers de la démocratie américaine. La suppression du droit de vote, une cour suprême fanatisée, un Pentagone omni puissant et inquisiteur, la criminalisation de journalistes tels que Julian Assange, la propagande des médias américains, la captation du pouvoir par une minorité blanche - le sénat américain, par le découpage électoral, représente en gros 30% des électeurs, la remise en cause du droit à l'avortement, la toute puissance des polices (locales) américaines (En moyenne les polices américaine tuent 1000 personnes par an), l'incarcération de masse (Bill Clinton à lui tout seul est responsable de la mise en prison d'en gros 1 million de Noirs - "3 strikes and you are out"), l'omni puissance des lobbies américains (Le sénateur Manchin et sa femme ont touché en 2020 plus d'un million de dollars d'un producteur de charbon de West Virginia), l'éradication des syndicats (voir Amazon), le système de sécurité sociale inexistant, le salaire minimum qui n'a pas changé depuis les années Reagan. Le capitalisme américain a tué la démocratie en Amérique. Les parti démocrate et républicain sont complètement corrompus par le capitalisme. Je suis affolé de constater que les Européens ne voient pas la gravité de ce qui est en train de se passer de ce côté de l'Atlantique. Il est urgent de fermer le NY Times et de suivre le peu de journalistes intègres qui restent dans ce pays. Matt Taibbi et Glenn Greenwald sont par exemple des voix importantes. Le livre de Jane Mayer "Dark Money" est également un ouvrage important. Pour en revenir au film, oui c'est une caricature, mais à peine poussée. Une partie des dialogues sont d'ailleurs des reprises de Trump, notamment lorsque le fils parle de sa mère comme d’une nana qu'il aurait bien mise dans son lit si ce n'était sa mère. Trump a dit exactement la même chose de sa fille. Les élections de mi-mandat vont être une catastrophe et le futur très sombre. »"


Un coup de hache dans la tête

"Les auditeurs du Nouvel Esprit public connaissent le professeur Raphaël Gaillard patron du pôle hospitalo-universitaire de Sainte-Anne. Il avait, en juillet 2020, été l'invité d’une thématique remarquée sur « La psychiatrie dans la cité ». Raphaël Gaillard publie chez Grasset « Un coup de hache dans la tête », livre sous-titré Folie et créativité. Ce livre, qui devrait susciter des discussions musclées, notamment de la part des thérapeutes freudiens, s'appuie sur les connaissances littéraires de cet ancien élève de l'École normale supérieure qui lui ont fait emprunter son titre à une formule de Diderot: « Les grands artistes ont un petit coup de hache dans la tête », mais aussi sur des entretiens avec ses patients qui lui permettent de présenter la dépression, la bipolarité et la schizophrénie dont il relève les principales caractéristiques dans des termes heureusement familiers avant de les caractériser dans la suite de son livre selon une approche technique. En revenant sur des mouvements artistiques comme le romantisme ou le surréalisme et en soulignant les liens que ces mouvements revendiquent entretenir avec ces troubles de la personnalité ou les glorifient, il s'interroge sur la genèse et la nature de la parenté entre créativité et troubles mentaux. Comment l’homo sapiens a triomphé de l’homme de Neandertal par une augmentation conséquente du volume d’informations échangées dans le cerveau en privilégiant la quantité d’informations et quelles conséquences en sont résultées, c’est ce que Raphaël Gaillard éclaire avec la maestria que lui connaissent nos auditeurs."


Salman Rushdie

"Au mois d’août dernier à New York, Salman Rushdie a été poignardé et grièvement blessé. A la suite de cette agression, un certain nombre d’intellectuels et d’éditeurs ont été interrogés par Le Monde. J’aimerais reprendre une citation de Salman Rushdie qu’a utilisée Françoise Nyssen : « La littérature se réjouit des contradictions et, dans nos romans et nos poèmes, nous chantons notre complexité humaine, notre capacité à être simultanément à la fois oui et non, à la fois ceci et cela, sans en éprouver le moindre inconfort. A cette époque où l’on vise à tout simplifier, cette magnifique complexité n’a jamais été plus importante. (…) On nous somme de nous définir de plus en plus étroitement, de comprimer notre personnalité multidimensionnelle dans le corset d’une identité unique, qu’elle soit nationale, ethnique, tribale ou religieuse. J’en suis venu à me dire que c’était peut-être cela le mal dont découlent tous les maux de notre époque. Car, lorsque nous succombons à ce rétrécissement (…), alors il nous devient plus facile de voir en l’autre un ennemi. »"



Schnock n°44

"L’autre est faite pour les boomers. Schnock a maintenant beaucoup de bouteille, son premier numéro avait Jean-Pierre Marielle en couverture, le dernier a les Inconnus. Cette revue prend des éléments de la culture populaire la plus large et les creuse d’une façon à la fois très journalistique et très anecdotique. La mise en page n’a pas varié depuis le début, elle est très réussie. La revue aborde les sujets les plus divers, presque à chaque fois par les biais les plus plaisants."


Michelle Perrot

"Ce mardi 4 octobre, Michelle Perrot sera élevée à la dignité de Grand Officier de la Légion d’Honneur. Celles et ceux qui voudraient découvrir ou se souvenir de l’importance de ses travaux sur la condition des Femmes, la condition ouvrière ou la condition des prisonniers pourront se rapporter à notre site, où nous avions enregistré en 2020, pour notre rubrique « Kitafétoi ? » deux entretiens d’une heure chacun. Elle y a évoqué sa vie, notamment sa vie de parisienne puisque c’est une enfant du quartier des Halles, mais aussi son travail d’historienne. "


Lénine a marché sur la Lune

"Je voudrais signaler l’ouvrage de Michel Eltchaninoff, le philosophe qui écrivit « Dans la tête de Vladimir Poutine », livre à l’origine d’une riche collection aux éditions Actes Sud qui permet de mieux cerner Erdogan, Mark Zuckerberg, Julian Assange ou Bachar El Assad. Dans Lénine a marché sur la Lune, Michel Eltchaninoff se penche sur le cosmisme, mouvement né en Russie et qui prétend à rien moins qu’à abolir la mort et à coloniser l’espace et les planètes. Né dans la cervelle d’un farfelu qui fascina Dostoïevski et Tolstoï et qui pourrait bien être le père et l’inspirateur des transhumanistes californiens, comme de la vision politique de certains dirigeants russes actuels. C’est une plongée dans des théories qui inspirent aussi bien Elon Musk que le nouveau chef de l’administration présidentielle de Poutine, concepteur d’un réseau de scanners spatiaux destinés à sonder la pensée humaine. De quel progrès ce courant cosmiste est-il le creuset : vous le saurez en lisant Lénine a marché sur la Lune."


« Simple » de Gaspard Koenig

"Gaspard Koenig est philosophe et a créé un mouvement baptisé « simple », dont le but est de nous dépêtrer d’une saturation de règlements qui pourrit la vie publique, la vie sociale, la vie des entreprises et celle des individus. Je me suis d’abord demandé comment il était possible qu’une question aussi limitée puisse fonder une candidature à l’élection présidentielle. C’est peut-être parce que le fonctionnement démocratique est si insuffisant, et la démocratie si pétrifiée dans son fonctionnement, que pour que de telles questions soient audibles il faille se présenter à la présidence de la République. On voit venir le moment où il faudra le faire pour régler un problème de voisinage … Personnellement, j’aimerais que cette candidature reçoive les parrainages dont elle a besoin. "


Sanglantes moissons

"Je vous recommande ce livre déjà ancien de Robert Conquest. Il raconte l’histoire de la famine organisée en Ukraine par Staline dans la deuxième moitié des années 1930. Cette lecture me semble importante pour plusieurs raisons. D’abord parce que cet épisode est très peu connu, mais aussi parce que c’est une action qui a été menée pour des raisons idéologiques (éliminer les paysans riches). C’est aussi une stratégie impérialiste, et c’est enfin une action qui relève de quelque chose qui s’apparente au racisme : la conviction qu’un peuple est supérieur à un autre. Cela explique également (sans le justifier) ce qui s’est passé quand les armées allemandes sont entrées en Ukraine. Elles ont alors été perçues comme allemandes et pas comme nazies, parce que c’était un moyen, pour les uns de se venger, pour les autres de se débarrasser de Staline. Cela a évidemment conduit bon nombre d’Ukrainiens à accompagner les exactions que les nazis ont pu accomplir en Ukraine. A une heure où cet aspect des choses est évoqué trop partiellement, le travail de Robert Conquest est très éclairant."


L’ombre de Staline

"Après que j’ai signalé tout l’intérêt de « La Grande terreur », le livre déjà ancien de Robert Conquest traduit dans la collection Bouquins et précédé de « Sanglantes moissons », son étude de la famine provoquée en Ukraine par Staline et responsable de 4 à 6 millions de morts, de nombreux auditeurs m’ont recommandé le film d’Agnieszka Holland « L’Ombre de Staline » que je n’avais pas vu. Il est accessible sur nombre de plateformes et il traite de façon saisissante non seulement la famine elle-même, mais des obstacles que surmonta  un jeune journaliste britannique, Gareth Jones, témoin volontaire et courageux de ce meurtre de masse, pour le faire connaître dans son pays et au monde, décrédibilisé qu’il fut par les idiots utiles du journalisme occidental, notamment par un correspondant à Moscou du New York Times et prix Pulitzer, Walter Duranty, qui, quoique parfaitement informé, rendit à Staline le service de démentir son confrère. Gareth Jones fut enlevé puis assassiné par les services soviétiques alors qu’il avait à peine 30 ans. Walter Duranty mourut en Floride à 74 ans sans que son prix Pulitzer ne lui ait été retiré."


Serviteur du peuple

"On peut regarder sur Arte la série dont Volodymyr Zelensky fut le populaire protagoniste avant de devenir un héros national. « Serviteur du peuple », puisque tel est le titre de cette série, fait l’objet de plus de 35 accords ou demandes d’accords de diffusion avec le producteur. La Grande Bretagne, l’Italie, la Grèce, la Roumaine, plusieurs pays d’Amérique latine, les Etats-Unis … Voilà comment Wikipedia en résume la première série : « Alors qu'il confie à un collègue son dépit concernant la corruption des élites – avec force jurons –, le professeur d'histoire Vassili Goloborodko est filmé à son insu. La vidéo, postée sur Internet, atteint rapidement plusieurs millions de vues et l’humble citoyen est porté au pouvoir à la présidentielle. Dès les premiers instants de sa prise de fonctions, "l'indigné" croule sous les passe-droits et les privilèges, passant entre les mains d’une batterie de stylistes et d’esthéticiens, rencontrant son staff (dont un sosie employé principalement pour "boire avec le président Loukachenko", son homologue biélorusse, mais aussi un expert en flatteries à usage personnel, une psychologue, la psychologue de sa psychologue, un chamane...). Une tâche délicate l’attend : réformer le pays. »"







La France contre elle-même

"Je recommande également le livre de notre ami Richard Werly, « La France contre elle-même », aux éditions Grasset. On connaît le sens et le goût du reportage de celui que la ministre de la Culture désignait récemment comme « le plus suisse des journalistes français et le plus français des journalistes suisses ». Son fil conducteur est un parcours de la France d’aujourd’hui en suivant l’ancienne ligne de démarcation, celle qui créa une frontière intérieure entre juin 40 et novembre 42. Son livre, cette traversée d’une douzaine de départements, est une découverte des permanences d’un pays qu’il retrouve d’une époque à l’autre bureaucratique, courageux, inventif, et apeuré, profondément adepte du système D, pour les conduites les plus égoïstes comme pour les comportements les plus solidaires, dans un mélange éternel de crainte révérencielle de l’administration et de débrouillardise pour en contourner les règlements. Des ressemblances entre les deux périodes historiques que Richard Werly explore, il tire une conclusion sévère et amicale, celle que, malgré notre goût immarcescible pour la phraséologie de rupture, la centralisation maudite par tous mais pratiquée comme un recours ultime par chacun et l’incapacité à bâtir des compromis, « ce qui lie les Français entre eux est plus important que ce qui les sépare »."


Tartuffe ou l’hypocrite

" Depuis le 15 janvier dernier, la Comédie-Française présente une version en 3 actes de Tartuffe, version qui selon les travaux du professeur Forestier serait celle qui a été interdite par Louis XIV. La mise en scène d’Ivo van Hove m'a paru pesante, tape à l’œil, outrée et souvent idiote et je n’en ai que plus admiré que les comédiens parviennent à forcer notre intérêt. Dans la version présentée sur la scène de la Comédie-Française, la pièce s'arrête sur la réponse de Tartuffe à Orgon qui, enfin désabusé, entend le chasser de sa maison : « C'est à vous d'en sortir vous qui parlez en maître. » Il y a quelques jours nous avons enregistré une émission thématique avec Georges Forestier sur son Molière. En présentant la version en trois actes qu'il a élaborée, j'ai précisé qu'elle se terminait sur le triomphe de Tartuffe. À ma grande surprise j'ai vu Georges Forestier me faire derrière son micro de vigoureux signes de dénégation. Nous nous sommes donc expliqué sur ce point et le professeur Forestier m'a indiqué que la version en 3 actes se terminait par la fameuse scène où Madame Pernelle refuse de croire ce que son fils Orgon lui dit avoir vu et lui oppose une dénégation obstinée. Et c'est sur une réplique de Dorine à Orgon que la pièce s’achève : « Juste retour, Monsieur, des choses d'ici-bas : Vous ne vouliez point croire et on ne vous croit pas. » Les vers de la version Comédie française, Ivo van Hove est allé les chercher dans l’acte IV, l’un des deux que Molière rajoutera après l’interdiction. ​Ce tripatouillage du texte de Molière est une lâcheté. Cette fin falsifiée est une escroquerie. Les psychiatres nous apprennent que les hommes impuissants sont nombreux à battre leur compagne. L’impuissance des metteurs en scène à être des auteurs, leur incapacité à se passer des auteurs a conduit et conduira beaucoup d’entre eux à malmener les œuvres auxquelles ils s’attaquent en les tirant le plus loin possible de ce que disent les textes. Je me désole que ce soit dans sa maison et pour célébrer son 400ème anniversaire que cette déloyauté reçoive son billet de logement et que Molière reçoive ce baiser de Judas."





Scélératesse de la loi PLM

"Je m’attarde un instant sur le score dans sa propre ville de la maire de Paris au premier tour de l’élection présidentielle : 2,17%. Je voudrais le rapprocher de celui de l’abstention lors du second tour des municipales à Paris en 2020 : 63,29%. Indépendamment de la personnalité de la candidate, ceci me paraît être le fruit d’une loi, inventée par François Mitterrand pour sauver Gaston Defferre à Marseille, la loi dite « PLM » (Paris - Lyon - Marseille). Nous avions publié avec Robert Guédiguian (cinéaste marseillais) et le regretté Bertrand Tavernier (cinéaste lyonnais) une tribune pour en demander l’abrogation. Car cette loi aboutit à une situation que nous déplorons quand elle se passe de l’autre côté de l’Atlantique, comme lors de l’élection opposant Al Gore à George W. Bush, ou Hillary Clinton à Donald Trump : un candidat peut être battu alors qu’il a récolté un nombre de voix plus important que son adversaire. Car il y a des intermédiaires entre les citoyens et les candidats, et ce sont eux qui font l’élection. J’aimerais que les journalistes qui auront l’occasion d’interroger Emmanuel Macron et Marine Le Pen d’ici dimanche prochain leur demandent s’ils s’engagent à abolir cette loi qui mérite absolument le nom de loi scélérate. "


La ferme des animaux

"Nous avons tous des livres que nous sommes sûrs de bien connaître. On les a lus, on les a beaucoup aimés, on les cite même quelques fois. Et puis un beau jour, ils tombent de votre bibliothèque, et vous vous dites : « tiens ? ». Vous les re-feuilletez, puis les relisez, et vous apercevez à quel point tout le bien que vous en pensiez, toute l’importance qu’ils ont pu avoir dans votre formation était fondés, et que vous en avez sans doute un peu affadi ou perdu la puissance en les laissant sur l’étagère. Ce fut le cas de ce livre de George Orwell que je viens de relire."


Cendrillon

"Ma deuxième recommandation est pour un spectacle déjà assez ancien, mais que je n’avais pas encore vu. Cette pièce écrite et mise en scène par Joël Pommerat se joue au théâtre de la Porte Saint-Martin. Les trouvailles de mise en scène et de jeu sont très réussies, on remarque aussi la qualité des acteurs, des costumes, des lumières, bref tout est impeccable. Mais c’est surtout le fait que cette réussite formelle est au service du contenu. Jean-François Revel disait que ce qu’on cherche dans la poésie est un « voyage en tristesse » dont on sort rasséréné. Il y a quelque chose de cela dans la manière dont Pommerat regarde ce conte, et dont les éléments les plus tristes ne sont généralement considéré comme la mise en valeur d’une fin heureuse."



Autoportrait aux fantômes

"Je voudrais recommander un livre d’une particulière poésie. Le 16 novembre 2017 l'expression nègre littéraire a été officiellement bannie de notre langage au profit de prête-plume. Les Anglais et les Américains disent ghost writer : écrivain fantôme. On peut, et c'est mon cas, préférer cette seconde appellation. Didier Blonde a été à un moment de sa vie écrivain fantôme. Aujourd'hui il est devenu écrivain de fantômes. Habitués des longues errances sans boussole dans Paris et à des associations d'idées floues ou plutôt à des associations d'idées fixes floues, il orpaille les souvenirs, collectionne les absences, retrouve ceux et ce qui ont et qui a disparu, hommes, femmes, rues, immeubles, il fait sortir des actrices de la pellicule, il s'interroge sur ce qui est immuable et sur ce qui est fugitif, il se tient à la lisière des deux, dans un no man’s land qu’il repeuple et qu’il invite à repeupler à sa suite, chacun d’entre nous avec ses fantômes personnels et ceux qu’il découvrira ou qu’il imaginera en suivant l’exemple de Didier Blonde."



Hommage à Roselyne Bachelot

"J’aimerais rendre hommage à l’action de Roselyne Bachelot à la tête du ministère de la Culture.. Mme Bachelot est venue à ce micro avant d’être ministre, et plusieurs fois à nos émissions en public, tout le monde sait donc qu’elle entretient avec cette émission d’anciennes relations d’amitié. Je suis personnellement très attentif depuis longtemps à ce qui se passe au ministère de la Culture, et je dois dire que cela faisait longtemps qu’on y espérait quelqu’un capable de traiter les problèmes de fond, comme la question des droits d’auteurs ou des défis du numérique, tout en étant à la fois capable de tenir tête à d’autres ministères. On n’imagine pas ce qu’a été la bataille pour soutenir le monde du spectacle vivant pendant la crise sanitaire, pour permettre que les industries culturelles et les théâtres continuent de vivre…Certains, parmi les plus intéressés par ce sauvetage l’ont imaginé si peu qu'ils se sont revêtus de gilets jaunes de grands couturiers pour aller crier famine à la soirée des César … Le travail accompli par la ministre sortante demande de connaître parfaitement les rouages de l‘Etat et de l’administration, ainsi qu’une solide détermination politique. Rien de tout cela n’a manqué à Mme Bachelot, pas plus que le flair quand il s’est agi des nominations, au Festival d’Avignon, au Louvre, à Orsay, à Beaubourg …"



Gaumont classique

"Je signale l’ouverture récente de cette plateforme qui permet d’accéder à des trésors de cinéma, généralement en noir et blanc. En guise de mise en bouche, vous y trouverez par exemple Les affaires sont les affaires, d’Octave Mirbeau, film dans lequel Louis Seigner joue un bourgeois profondément imbu de la valeur de l’argent. Le texte de Mirbeau, la description de cette bourgeoisie lyonnaise si singulière et l’interprétation de Seigner en font une pure splendeur."


André Devambez - Vertiges de l’imagination

"Il est rare, lorsque nous faisons une recommandation à la fin de nos émissions d’être certain de ne faire que des heureux parmi ceux qui voudront bien la suivre. L’exposition des œuvres du peintre André Devambez (1867-1944) qui vient d’ouvrir au Petit Palais et le restera jusqu’au 31décembre est une pure gourmandise. Devambez est parvenu à mener une carrière académique consacrée par le prix de Rome et par l’élection à l’Institut et à cultiver une quantité de curiosités qui vont de la grande Histoire lorsqu’il peint la commune ou la guerre de 14 dans un tryptique saisissant à l’avènement des nouvelles techniques lorsqu’il peint, dès 1910, un avion vu d’avion dans une perspective vertigineuse que pourrait lui envier les films américains les plus dotés en trucages ou en effets spéciaux, la poésie en plus. C’est un peintre de la ville, de la rue, du métro, des gens ordinaires, mais c’est aussi un portraitiste qui a un sens des visages et des expressions saisissant, un illustrateur dont il est facile de voir ce que les dessinateurs de bandes dessinées de la ligne claire doivent à sa malice et à sa précision à l’amusement contagieux qu’il éprouve à dépeindre Gulliver chez les Lilliputiens aussi bien que des tableautins pleins d’une foule de détails dont on savoure l’invention comme le rendu. Cette exposition a une taille idéale. Son accrochage, astucieux et affriolant organise un parcours d’émerveillement et offre un moment d’une tonicité extrêmement bienvenue."


Zadig n°15

"Nous sommes partenaires de l’hebdomadaire Le 1, qui est aussi à l’origine de cette revue trimestrielle. Le dernier numéro s’intitule « que demande le peuple ? » Il y est question de ces cahiers de doléances du Grand débat, censés être le premier pas vers davantage d’attention à la société civile. On y trouve aussi des reportages, comme celui sur les bénévoles du Secours Catholique de Calais. Et pour un sujet moins grave, je recommande une autre de leurs publications, au format tout à fait improbable : « Légendes ». L’un des derniers numéros a été récemment remis en vente, il était consacré à la Reine Elizabeth II."


Madame l’Ambassadeur : de Pékin à Moscou, une vie de diplomate

"Je vous recommande ce livre de Sylvie Bermann, première femme à avoir été élevée à la distinction d’Ambassadeur de France. C’est beaucoup plus que « de Pékin à Moscou », ce pourrait être « de Pékin à Pékin », puisqu’elle a commencé sa carrière dans le Pékin maoïste pour la finir dans celui de Xi Jinping. Elle raconte également différentes négociations auxquelles elle a participé, notamment celle pour le traité de paix au Cambodge, qui fut très compliquée. L’avenir dira s’il faut ou non un corps diplomatique, mais ce livre prouve une fois de plus que la diplomatie est un métier, qui demande beaucoup de finesse et de vision."





L’énergie et la passion

"Je fais partie de ceux (heureusement, de plus en plus nombreux) qui sont très étonnés de la durée de l’imposture Jack Lang. Imposture politique, intellectuelle et morale. Le temps fera son œuvre, mais il y a un autre moyen pour remettre à leur place les rodomontades de ce mirobolant, c’est ce livre d’entretiens entre Jacques Toubon et Maryvonne de Saint-Pulgent. Jacques Toubon a acquis une bonne réputation en tant que Défenseur des droits, mais en tant que ministre ce n’était pas le cas. Quand il était ministre de la Culture et de la Francophonie, sa loi sur la langue avait inspiré beaucoup de quolibets. Il faut aussi reconnaître qu’en le faisant passer de la Culture à la Justice, notamment pour protéger Jean Tibéri et quelques autres, Jacques Chirac ne lui a pas rendu service. Il n’empêche qu’il fut un ministre de la Culture qui prit son portefeuille très au sérieux, c’est ce que détaillent ces conversations avec Maryvonne de Saint-Pulgent, à l’époque en charge du Patrimoine."


D-Day Land

"Nous avons discuté de questions mémorielles aujourd’hui, j’y rattacherai ce phénomène normand du « D-Day Land », une espèce de parc d’attractions autour du débarquement, contre lequel beaucoup de gens et notamment les derniers survivants du débarquement se sont élevés. Le Monde a récemment publié un article de Clémentine Goldszal sur le promoteur de ce projet, Roberto Ciurleo. On y apprend que si les maires qui soutiennent le projet le font pour qu’on parle de leur commune, cela ne se passera peut-être pas comme ils l’espèrent, ils risquent plutôt de figurer dans les pages judiciaires. On voit bien les ravages de la communication dans cette affaire, on voit aussi à quel point tous ceux qui ont idéalisé les maires et le fonctionnement des mairies, président de la République inclus, se mettent le doigt dans l’œil, et sacralisent des responsabilités qui méritent d’être passées au crible de la critique et de l’analyse, comme toutes les autres. Ce « Parc Astérix » du débarquement n’est pas seulement une gifle pour tous ceux qui ont participé à l’évènement, c’est aussi une illustration absolument exemplaire des ravages de la communication dans les modes de gouvernement, même à leur premier niveau, celui des municipalités. "


Clôture du procès des attentats de 2015

"Ces derniers mois s’est tenu à Paris le procès des attentats de novembre 2015. Au milieu de toute cette agitation, des errances d’un certain nombre d’institutions, de la muflerie dont nous parlions plus haut, de la montée du scepticisme voire de l’agressivité à l’égard des règles de la vie commune, il y a eu autour de ce procès un extraordinaire respect de ce qui fonde les règles de la démocratie, et plus précisément de sa justice. Dans la manière les victimes et les accusés ont pu s’exprimer et être défendus, ce fut une espèce d’îlot, quelque chose qui nous permet de nous représenter au nom de quoi la démocratie doit être non seulement respectée, mais consolidée. Marginalement, dans ce procès, la Belgique a été très présente à travers sa police. On a vu à quel point les institutions belges étaient dans un état de déréliction épouvantable. La Belgique est la plaque tournante de la drogue et du terrorisme. On a beaucoup rigolé quand le pays a été privé de gouvernement pendant plus de 500 jours, mais cela n’a pas été sans effet. L’extraordinaire bureaucratisation et pétrification des institutions belges qui en ont résulté ont abouti à faire de la police belge une passoire. La façon dont elle a été déshonorée a été révélée de façon flagrante lors des témoignages du procès. Pourtant, je n’en conserverai pas moins et d’abord quelque chose qui s’est un peu estompé dans les médias, le fait que ce procès a eu une tenue extraordinaire, et que des citoyens, des avocats et des magistrats ont pu faire vivre notre démocratie. Comme le disait Bernanos dans le dialogue des Carmélites : « ce n’est pas la règle qui nous garde mais nous qui gardons la règle »."







Le Shah

"Je vous recommande ce livre déjà ancien du journaliste polonais Ryszard Kapusciński. C’est la description de la révolte en Iran et de la chute du Shah. Cela fait un écho absolument étonnant à ce qui est en train de se passer. Cela donne l’idée un peu étrange que cette lecture anachronique est le moyen d’être auprès de celles et ceux qui sont en train de se révolter en Iran, avec la même endurance dans la souffrance et dans le mal infligé par les forces de l’ordre. Les comportements infâmes de la police iranienne pendant la chute du Shah sont fort utilement rappelés par l’auteur, mais à l’époque, les mollahs paraissaient à certains être une alternative possible. Aujourd’hui, il semble n’y en avoir aucune. Le livre est aussi attachant qu’il est frappant. "


Poulet frites

"La Belgique semble être un pays peuplé de personnages de bande dessinée. On les trouve non seulement dans les multiples productions locales du 9ème art, mais aussi grâce aux cinéastes. On se souvient sans aucun doute de l’étonnante émission de la RTBF, reprise sur France 3, Strip-tease, de Marco Lamensch et Jean Libon. Ce dernier est co-auteur avec Yves Hinant de ce film documentaire, diffusé en ce moment dans les meilleurs cinémas. C’est l’accompagnement d’une enquête policière à propos d’un meurtre, avec des personnages dont on a du mal à croire qu’ils ne sortent pas de l’imagination d’un scénariste, jusqu’à leur aspect physique. C’est à la fois très étonnant et très plaisant. Une réussite. "


L’effacement programmé du jury populaire de cour d’assises

"Le Monde a publié le 3 novembre une tribune intitulée « L’effacement programmé du jury populaire de cour d’assises porte atteinte à la liberté, l’humanité et la citoyenneté ». Cette tribune fait suite à celle publiée il y a un an par 3.000 magistrats et une centaine de greffiers qui déclaraient « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout ». Celle du 3 novembre commence ainsi : « Héritage de la révolution de 1789, symbole éclatant de la démocratie participative en matière judiciaire, le jury populaire de cour d’assises est en voie d’extinction. La participation citoyenne à la justice pénale est gravement menacée, remise en cause par une doctrine libérale qui, plaquant sur l’institution judiciaire une logique de marché, se donne le rendement pour seul horizon et le chronomètre pour unique boussole. » Ce texte mérite d’être connu et diffusé."


Richelieu

"Avec cette biographie du cardinal, Françoise Hildesheimer est parvenue à maîtriser une bibliographie considérable, et à en tirer une vision extrêmement fine de l’homme mais aussi de la période. Elle peint l’homme d’Etat, mais aussi le prêtre (ce qu’on oublie ou qu’on ignore), et cette légende de « l’homme rouge », à laquelle Michelet et Victor Hugo ont contribué. La carrière de Richelieu fut aussi mouvementée que fragile, et ce jusqu’à la fin. L’auteure en profite pour contribuer à la réhabilitation de Louis XIII, peut-être pas comme homme, mais au moins comme monarque."


Le voyant d’Etampes

"Je vous recommande ce roman d’Abel Quentin. Si vous battez les buissons aujourd’hui, il en sort des sycophantes. Si vous secouez les réseaux sociaux, vous verrez sortir des gens à l’affût de toutes sortes de dénonciations : de gens, de comportements, etc. Et ils sont tous d’un conformisme terrible, c’en sont même les vigiles. Abel Quentin a réussi à créer un roman qui traite de ce sujet en s’en moquant, il parvient même à tirer de son lecteur de francs éclats de rire. Je vous le conseille vivement."


Autour de minuit

"Le film de Bertrand Tavernier, Autour de minuit, restauré, vient de ressortir dans quelques salles à Paris et ailleurs. C’est l’histoire d’un musicien, un saxo-ténor, abîmé par la drogue et rongé par la solitude qui rencontre à Paris un de ses admirateurs qui s’échine à lui faire remonter la pente. L’admirateur, Francis, c’est François Cluzet. Le saxo-ténor, Dale Turner, c’est Dexter Gordon. Dans la distribution, Herbie Hancock, qui signe la musique du film, Martin Scorsese, Christine Pascal, Benoit Régent, John Berry, Philippe Noiret, Eddy Mitchell et Marcel Zanini … Bertrand Tavernier présentait ainsi ce film, dont la restauration aboutira bientôt à un DVD remarquablement documenté. D'abord, il y a eu une photo de Lester Young, seul dans une chambre d'hôtel minable, attendant l'inspiration ou la mort. Autour de Minuit est une rêverie à partir de cette photo. Une rêverie sur un homme "fatigué de tout sauf de la musique", sur les rapports entre cet homme qui vit de création et un autre, plus jeune, qui vit d'admiration. Parler de personnages comme Dale Turner, c'est parler de gens qui refusent tout compromis, sauf quand il est question de leur vie ... Rude leçon de modestie ! Heureusement, Je pouvais m'identifier à Francis, me laisser comme lui porter par la musique, essayer dans la dramaturgie d'en retrouver la liberté, la légèreté, la fluidité. Respecter dans la mise en scène le rythme des sentiments... Filmer comme les musiciens construisent un chorus, sans idées préconçues, ni parti pris. Bref, Il fallait simplement que je regarde tous ces personnages et que je les laisse me dicter le film. »"


Gouverner la France

"Nous vivons, après les élections présidentielles et législatives, avec un président hyperactif et solitaire et une Assemblée nationale effervescente, quelquefois frénétique et toujours fébrile. Il nous a semblé approprié de revenir, dans une émission thématique, sur la gouvernabilité de la France avec un historien, Michel Winock dont une partie de l’œuvre a été regroupée dans la collection Quarto de Gallimard sous le titre « Gouverner la France ». Michel Winock s’inspire d’un livre de Paul Veyne promouvant une Histoire qui s’appuie sur la comparaison. Il y théorise et y explore le concept de « grande crise politique ». Ces crises sont identifiées dans l’Histoire française récente, puis étudiées et enfin comparées. En mettant ainsi en lumière les particularités et les tendances de fond des évènements qui secouèrent le pays, Winock parvient à tirer quelques grandes observations. Ce sont ces dénominateurs communs qu’il cherche à tirer au clair dans son chapitre final, agrémenté de tableaux comparatifs. Il sera l’invité de l’émission de dimanche prochain."


Ma Comédie-Française

"La Comédie-Française a beaucoup évolué, sa troupe aussi et son public également. Aliette Martin a vu tous les spectacles donnés pendant les 42 ans qu'elle a passés rue de Richelieu comme directrice déléguée à la programmation. Elle a travaillé avec Pierre Dux, Jacques Toja, Jean-Pierre Vincent, Jean Le Poulain, Antoine Vitez, Jacques Lassalle, Jean-Pierre Miquel, Marcel Bozonnet, Muriel Mayette-Holtz et enfin Éric Ruf. Elle a été un truchement, comme le dit Denis Podalydès dans la préface du livre qu’Aliette Martin publie sous le titre Ma Comédie-Française, une histoire intime de la maison de Molière. Un truchement entre le possible et le faisable. Entre les exigences des metteurs en scène, les souhaits et les contraintes des comédiens, entre la Troupe et les administrateurs, entre les innovations et les trois siècles de tradition qui rendent ce théâtre unique mais qui en font un vaisseau lent à la manœuvre tout en étant capable d’assurer une alternance de spectacle sans équivalent. Elle en a connu toutes les crises et tous les avatars, elle a aidé la Maison avec son M majuscule à passer d’un administrateur à un autre, d’une vision artistique à une autre, elle a soutenu les administrateurs  dans leur rapports souvent difficiles avec leur tutelle. Elle a mesuré l’excellence des différents corps de métier qui concourent aux spectacles et aussi leurs sautes d’humeur, bref, elle a tout vu et elle le raconte avec une affection précise, discrète quand il faut l’être, ferme quand il s’agit de l’idée qu’elle se fait de la Maison et qu’elle sort ses griffes et distribue les coups de patte à ceux qui la méconnaissent. Quand son tour est venu de quitter la Comédie-Française, la Troupe et toute la Maison lui ont fait la surprise d’un hommage mémorable. Elle leur rend, dans ce livre, la monnaie de leur pièce et c’est une monnaie frappée à l’effigie d’un amour inconditionnel et donc exigeant."


682 jours

"L’amitié que notre équipe éprouve pour Roselyne Bachelot et Roselyne Bachelot pour notre équipe n'est un mystère pour personne. C'est pourquoi personne ne sera étonné que je signale et recommande à l'attention de nos auditeurs le livre qu'elle publie aux éditions Plon sous le titre 682 jours. Nos auditeurs pourront d'ailleurs retrouver sur notre site sous l’onglet Les Thématiques l'émission que nous avions réalisée avec elle en octobre 2021 sur la politique culturelle (n°214). Qu'il s'agisse du patrimoine, de l'évolution des pratiques culturelles, des conséquences de l'importance prise par le numérique, Roselyne Bachelot dresse un panorama dont elle ne se contente pas de signaler les points noirs, mais dont elle propose des pistes d'évolution. Elle règle aussi quelques comptes et les distribue de joyeux coups de griffe, notamment à ceux qui dans le monde artistique ont un comportement de nantis et un discours de victimes. Trop de commentateurs n’ont retenu que cet aspect de ce livre qui offre à tous ceux à qui la politique culturelle importe les éléments nécessaires à une véritable réflexion."


Oh, Canada

"Russell Banks est mort il y a quelques jours et son ultime roman, Oh, Canada est placé sous l’invocation d’un vers de Fernando Pessoa : « Au souvenir de qui je fus, je vois un autre ». La vie de son héros, un documentariste révéré en raison de ses investigations percutantes, est-elle une imposture ? Et, si oui, laquelle ? N’a-t-elle été qu’une longue cavale ? Et pour fuir qui, ou quoi ? Au moment où la mort a déjà saisi presque tout son corps, Léonard Fife, que certains ont héroïsé parce qu’il avait déguerpi au Canada pour éviter la conscription et donc la guerre au Vietnam, veut répondre à ces questions et démêler ce qui fut mystification de ce qui fut le véritable Léonard. Mais est-ce le refus de la guerre qui l’a conduit à abandonner femme et enfant ? Son affaiblissement lui permet-il encore de se souvenir ou les médicaments qui l’aident à maintenir un souffle de vie dans sa carcasse le conduisent-ils à battre la campagne ? La boîte aux souvenirs se révèle être une boîte de Pandore et l’ultime roman de Russell Banks une recherche poignante de la trace que nous gardons de nous-même à nos derniers moments et de celle que nous laisserons après nous."


Amin Dada

"Je voudrais signaler la remarquable biographie d’Idi Amin Dada, qui tint pendant huit ans, de 1971 à 1979 l’Ouganda sous sa botte, biographie éditée par Perrin et signée par Jean-Louis de Montesquiou. Barbet Schroeder qui lui consacra un documentaire, a dit d'Amin Dada qu’il était la somme mais aussi la caricature de tous les dictateurs. Trois ans après son arrivée au pouvoir, on estimait à 90.000 le nombre de morts à porter à son débit et il ne s‘arrêta pas en si bon chemin, ne serait-ce que pour masquer ce que ses impulsions contradictoires, sa brutalité, le désordre de ses ambitions successives, son racisme envers les Indiens, les Arabes, les Européens et les mulâtres eurent comme conséquences désastreuses sur ce pays qui avait été la perle de l’Afrique qui, en 1978, s’est retrouvé ruiné avec une agriculture qui ne suffisait pas à nourrir la population. Amin Dada était démesuré en tout. A la fin de sa vie, il pesait 200kgs – adulte, il n’en avait jamais pesé moins de 120 - il avait fait 60 enfants à 21 mères, dont 5 officielles. Il fut président de l’OUA, et, intervenant à ce titre à la tribune de l’ONU, il contribua au vote de la résolution 3379 qui déclare « le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale ». Humour macabre, sous son règne, l’Ouganda devint membre de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies… Ce n'est pas le moindre intérêt du livre de Jean-Louis de Montesquiou que de dresser un tableau extrêmement bien informé du jeu joué par les différentes puissances, la Grande Bretagne, Israël, les Etats-Unis, l’Arabie saoudite, la France et, bien sûr, les nations africaines dont les calculs égoïstes maintinrent pendant huit ans au pouvoir celui qui, dit Montesquiou, « offre une figure chimiquement pure du mal », un spécimen de laboratoire de ce que Kant appelait le mal radical, c’est-à-dire la prééminence de l’amour de soi sur toute autre considération."


Le Royaume désuni

"Je voudrais recommander le dernier roman de Jonathan Coe, « Le Royaume désuni ». Sept moments clés de l’histoire britannique récente, de la fin de la guerre à l’arrivée de Boris Johnson à travers l’histoire d’une famille et d’une petite ville. Le roman commence en 1945, alors que Doll Clarke balayant le Perron de sa maison 12 Bitch road savoure le calme de Bournville dans l’odeur du chocolat Cadbury fabriqué à deux pas et les pépiements des élèves de l’école communale assez proche et le roman finit en septembre 2020 avec Shoreh Nazari, émigrée iranienne, dans le brouillard de la pandémie accomplissant les mêmes gestes et savourant le même calme et les mêmes bruits après qu’elle est entrée par hasard en possession des carnets d’enfant de Mary - personnage essentiel et magnifique de ce livre- la fille de Doll et Samuel, la mère de Jack, Martin et Peter, la grand-mère de Lorna la contrebassiste de jazz avec lesquels nous traversons les années qui séparent le jour de la Victoire de mai 1945 de sa commémoration 75 ans plus tard en passant par le couronnement d’Elizabeth II, la finale de la coupe du monde Angleterre - Allemagne de l’Ouest, 1966, l’investiture du prince de Galles en juillet 69, son mariage en juillet 81, les funérailles de Lady Di en septembre 97. « J’écris, dit Jonathan Coe, pour arrêter le cours du temps ». Il fait mieux, il nous le rend à travers les voix de personnages dont il nous rend fraternellement proches."


Profession fripouille

"Je voudrais recommander les mémoires du comédien Georges Sanders, Profession fripouille, paru ou plutôt reparu, aux éditions Séguier dans la remarquable traduction et avec la postface instructive de Romain Slocombe. George Sanders est connu pour un rôle qui lui valut l'Oscar dans All about Eve de Joseph Mankiewicz, celui du cynique et machiavélique critique de théâtre Adison DeWitt. On se souvient que la distribution de ce film qui remporta six Oscars et fut un total insuccès avant de devenir un film culte regroupait Bette Davis, Anne Baxter, Celeste Holm et une débutante dénommée Marilyn Monroe. La vie de George Sanders, qu'il raconte avec une légèreté et un humour délicieux peut être qualifiée de romanesque. Né à Saint-Pétersbourg où il passa son enfance avant que la révolution ne chasse sa famille, élevé en Grande-Bretagne, où il fut la croix plutôt que la bannière de différents collèges, cherchant fortune en Argentine en jetant par-dessus la carlingue d'un avion des petits parachutes publicitaires pour une marque de cigarettes, établi provisoirement au Chili, figurant de cinéma à son retour au Royaume-Uni, vedette à l'insu de son plein gré, marié 5 fois dont une à Zsa Zsa Gabor, il n'est pas un épisode de son existence qu'il ne raconte avec une distance amusée et fort amusante. Il n'en devait pas moins mettre volontairement un terme à son existence après avoir joué dans une considérable quantité de navets en laissant ces mots : « Je m’en vais parce que je m’ennuie. ». Dans ses mémoires, il décrit et explique un comportement qui ne lassait pas d’étonner ses contemporains : « Peut-être comprendra-t-on mieux, mon étrange indifférence au succès, si j’explique que la force motrice de ma vie a toujours été la paresse ; pour pratiquer celle-ci, dans un confort raisonnable j’entends, j’étais même prêt, ponctuellement, à travailler. »"


Dernier jour à Budapest

"La Hongrie contemporaine ne nous donne pas beaucoup de raisons de l'aimer. Raison de plus pour aller la chercher là où elle est éminemment aimable, c’est-à-dire dans sa littérature. Je voudrais donc recommander Dernier jour à Budapest de Sándor Márai que l’on trouve au Livre de poche. Màrai imagine qu’un personnage réel, l’écrivain Gyula Krúdy, surnommé Sindbad, parti à la recherche de l’argent nécessaire à l’achat d’une robe pour sa fille et au règlement d’une facture d’électricité se laisse emporter par un impérieux besoin de flâner dans une ville dont chaque quartier ouvre les vannes de sa mémoire, inspire sa nostalgie et nourrit sa conviction que les Hongrois sont voués à la solitude des antihéros. « En effet, écrit Màrai, le peuple hongrois vit au milieu des grandes puissances slaves et germaniques dans la même solitude qu'une tribu bédouine dans le désert. Personne ne comprend sa langue. Ses caractéristiques ethniques et ses traditions ont plutôt tendance à être considérées comme un folklore exotique et non comme un ensemble organique faisant partie des civilisations qui l'entourent. Et tout ce qui est lié à ce peuple est comme recouvert de sable par la solitude. C’est sur cette Hongrie solitaire que Sindbad a écrit ». Bousculé par ses souvenirs comme une boule de billard électrique, Sindbad ne trouvera jamais l’argent de la robe et de la facture d’électricité. Il le regrettera moins qu’il ne le fera des hippodromes où l’on allait pour le plaisir de voir courir les chevaux et non pour gagner au tiercé, des bains où l’on traînait non par hygiénisme, mais parce qu’ils étaient les meilleurs salons où l’on cause, des cafés dont les maîtres d’hôtel donnaient leur avis sur les livres des écrivains qu’ils servaient, des fêtes que l’on donnait pour célébrer un homme qui avait réussi à vivre 40 ans sans jamais exercer un métier …"


Hommage à Daniel Defert

"Un mot également pour rendre hommage à Daniel Defert, qui vient de mourir. Il fut la cheville ouvrière de tout ce qui s’est mis en place pour assister les patients atteints du Sida, dans l’idée de rompre avec un comportement très ancré dans la médecine, consistant à considérer que le malade n’est pas un acteur de sa maladie et qu’il n’a qu’à faire ce qu’on lui dit quand on le lui dit. Ce fut particulièrement vrai avec les malades du Sida. Daniel Defert était maoïste, et avait puisé dans cette idéologie l’idée que le peuple était capable de s’emparer de ses problèmes pour participer à leur résolution. En outre, malgré son engagement profond et constant, il était doté d’une légèreté, d’une malice et d’une drôlerie qui le rendaient particulièrement attachant."


Les dimanches de Jean Dézert

"Je voudrais signaler la parution aux éditions Finitude du seul roman de Jean de La Ville de Mirmont, mort dans les premières semaines de la première guerre mondiale, dont le nom nous est un peu connu comme poète, auteur du recueil posthume L’Horizon chimérique qui inspira Gabriel Fauré et Julien Clerc. Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte / Le dernier de vous tous est parti sur la mer / Le couchant emporta tant de voiles ouvertes / Que ce port et mon cœur sont à jamais déserts / La mer vous a rendus à votre destinée / Au-delà du rivage où s'arrêtent nos pas / Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées / Il vous faut des lointains que je ne connais pas /Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre / Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d'effroi / Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère / Car j'ai de grands départs inassouvis en moi. / Le Roman de Jean de La Ville de Mirmont, Les dimanches de Jean Dézert a pour héros un « figurant de la vie », un être naïf et conformiste qui n’a aucun départ inassouvi en lu, Un employé au ministère de l'encouragement ou bien direction du matériel. Au bureau comme dans la vie il ressemble nous dit l'auteur à ses choristes des théâtres d'opéras qui tout en songeant à leurs affaires personnelles ouvre la bouche en même temps que les autres pour avoir l'air de chanter avec eux. Cyril Piroux, dont la thèse porte sur « la figure littéraire du rond de cuir » parle à propos des dimanches de Jean Dézert, de l’art de faire un livre sur presque rien. Jean de La Ville de Mirmont maîtrise cet art doux-amer et les spirituelles illustrations que Christian Calleaux a réalisées pour cette édition ont la même saveur."


Emmanuel Berl Le temps, les idées et les hommes

"Je voudrais recommander le volume paru aux éditions Bouquins et consacré à Emmanuel Berl. Le regretté Bernard de Fallois, qui signe la préface, observe qu’un obstacle majeur s’est interposé entre Berl et la gloire : il « ne s'admire pas. Il sait parfaitement qu'il vit dans une époque où la célébrité s'attache à la personne plutôt qu'à l'œuvre, où la plus-value biographique, déjà importante au dix-neuvième siècle, est devenue prépondérante. Rien n'y fait : il ne sculptera pas sa statue. Faiblesse suprême, le succès des autres ne lui cause aucun déplaisir ». Après cette préface, il me semble qu’il faut lire la soixantaine de pages dans lesquelles Bernard Morlino, admirable architecte de cet ensemble de textes, brosse la biographie de Berl. Ensuite chacun voguera dans ce volume au gré de ses propres curiosités. Ici, des portraits de Camus, de Chamfort, de Voltaire, de Proust ou de Cocteau. Là, des réflexions sur la Justice, ailleurs une plongée perplexe autour de la politique du général de Gaulle. Histoire de l’art, biologie, psychanalyse, autant de sujets qui mettent en mouvement cette intelligence d’une exceptionnelle probité et cette plume d’une exceptionnelle clarté."


COUACS

"Je voudrais recommander deux lettres d’information qui sont parentes non par leurs sujets mais par la qualité de leur contenu. La première, COUACS, explore avec un esprit aussi critique qu’informé et une plume assez proche du scalpel le monde de la musique classique, de ses jeux de pouvoir et de ses arrangements commerciaux. Mais COUACS est aussi un guide pour le mélomane dans une production pléthorique en même temps que son fondateur et rédacteur unique orpaille les rééditions d’anciens enregistrements et oriente ses lecteurs vers des trésors oubliés ou longtemps introuvables. C’est le créateur de la plateforme Qobuz, Yves Riesel, aujourd’hui retiré de cette entreprise, qui signe cette lettre."


Une semaine aux Etats-Unis

"La seconde, une semaine aux Etats-Unis, est rédigée par Guy Hervier, dont je ne sais rien, sinon qu'il est un auditeur du Nouvel Esprit public et un Chargé de cours sur les Etats-Unis à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Depuis qu'il a créé cette lettre, c'est à dire depuis 10 semaines, il a pris l'heureuse habitude de me la faire parvenir. La dernière lettre, enrichie, comme les précédentes de diverses vidéos, expose l'évolution de la Californie, marquée par un commencement d’exode de sa population, examine la situation des GAFAS, sous le coup de plusieurs procédures anti-monopole, et donne les dernières nouvelles de certains complotistes, telle Marjorie Taylor Green, élue de Géorgie à la Chambre des représentants, soutien de QAnon. Elle fit bénir sa candidature par un pasteur qui affirma que l’Ouragan Katrina s’était abattu sur la Nouvelle Orléans parce que la ville avait autorisé une gay pride et que Dieu avait envoyé Hitler sur la Terre pour créer Israël."


Les Anarchistes

"Inspiré par l’air du temps, je me suis plongé dans le dictionnaire biographique du mouvement libertaire francophone, publié aux éditions de l’Atelier sous le titre Les Anarchistes. C’est un ouvrage dans la lignée du célèbre Maitron, le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, créé par Jean Maitron pionnier de l’histoire ouvrière. Les anarchistes tiennent que de nombreuses sociétés ont vécu sans autorité politique. C’est l’idée qui préside à l’édification de l’abbaye de Thélème dont Rabelais écrit : « Toute leur vie était régie non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur volonté et leur libre arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boire ni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Et toute leur règle tenait en cette clause : Fais ce que voudras ». Plus politique, sous la Révolution, Jacques Roux, le « curé rouge » dans une adresse à la Convention : « La liberté n'est qu'un vain fantôme, quand une classe d'hommes peut affamer l'autre impunément. L'égalité n'est qu'un vain fantôme, quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie et de mort de son semblable. La république n'est qu'un vain fantôme, quand la contre-révolution s'opère de jour en jour par le prix des denrées auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes. Le despotisme qui se propage sous le gouvernement de plusieurs, le despotisme sénatorial est aussi terrible que le sceptre des rois, puisqu'il tend à enchaîner le peuple, sans qu'il s'en doute, puisqu'il se trouve avili et subjugué par les lois qu'il est censé dicter lui-même ». On voit par là qu’il n’est pas anachronique de s’intéresser à ceux qui se sont réclamés de l’anarchie."




La verticale de la peur : ordre et allégeance en Russie poutinienne

"Je vous recommande ce livre de Gilles Favarel-Garrigues, aux éditions La Découverte. L’auteur est directeur de recherches au CNRS, spécialiste de la délinquance, de la justice et de la police en Russie. Il entre dans les détails d’une enquête sur le terrain, et il faut reconnaître que ceux-ci peuvent être stupéfiants, je pense à tout ce qui concerne les huissiers. Surtout il décrit le maillage entre l’idéologie despotique et la corruption, qui est poussée à un point que le régime soviétique ne pouvait pas se permettre. La destruction du système communiste a ajouté du cynisme à la corruption, on a désormais l’impression que tous ces corrupteurs ont fait de hautes études de commerce, et manient la corruption avec une finesse et une efficacité glaçantes. "



Postures médiatiques : chronique de l’imposture ordinaire

"Et puis je voudrais recommander le livre d'un agrégé de philosophie ancien inspecteur pédagogique régional dans cette matière, André Perrin. Ce livre a pour titre « Postures médiatiques » et comme sous-titre « chronique de l'imposture ordinaire ». Il s’emploie, exemple après exemple et démontage après démontage, à pourfendre le cléricalisme qui étouffe l’esprit critique ou même la simple prise de distance dans trop de médias écrits, audios ou vidéos. Je m'étais abstenu d'en rendre compte parce que beaucoup -mais pas toutes, il s’en faut- des prises à partie très documentées qui font la qualité de ce livre concernent France Culture et que je ne voulais pas qu'on puisse douter de la sincérité de mon éloge en le mettant sur le compte d’une tentative de règlement de comptes avec celle qui a dû démissionner de la direction de cette chaîne et qui s’est tant employée à nous nuire. L’auteur a trois qualités : la précision dans la critique, une mémoire qui lui permet de mettre les imprécateurs face à leurs contradictions, leurs incohérences et leurs impostures, et un humour dont les traits peuvent être ravageurs. J’en ajouterais volontiers une quatrième, la bravoure qui fait aller André Perrin sur tous les terrains minés par celles et ceux qu’il démasque. Lorsqu’il lui arrive, tout philosophe qu’il est, de se laisser emporter et de lâcher quelque sophisme, force est de reconnaitre que ce n’est pas, comme ceux dont il se moque, par peur de ne pas être dans le troupeau de Panurge."


Le capitaine Volkonogov s’est échappé

"Je recommande très vivement ce film russe, signé de Natalya Merkulova et Aleksey Chupov. Il est sorti en 2021, ce qui signifie qu’il a été fait vers 2019-2020. Il serait tout à fait impossible qu’il soit fait dans la Russie d’aujourd’hui. Bien sûr à cause de la guerre et du verrouillage des diverses formes d’expression, mais aussi parce qu’il pose - entre autres- la question de la mémoire du stalinisme, une question décisive. Si décisive qu’on voit bien l’action que Poutine a mené contre ceux qui tentaient d’entretenir la vérité à son propos. Ici, on est en plein dans le pire de cette période, les années 1936 à 1938, au moment de la grande purge de 1936 et de la famine en Ukraine. A Saint-Petersbourg, le capitaine Volkonogov fait partie des équipes chargées d’arrêter les suspects, de fabriquer des accusations, des preuves et de passer aux exécutions. Et un jour, alors qu’il comprend que son sort sera le même que celui des gens qu’il a torturés et assassinés, il s’échappe. Et pendant sa fuite, il a une révélation. Premièrement, qu’il y a une vie après la mort et que le paradis existe, et deuxièmement qu’il n’y entrera jamais s’il n’y a pas au moins un parent de l’une de ses victimes qui le pardonne. Il part alors en quête de cette rédemption. Je ne connais pas d’autre film avec un sujet pareil. En tous cas celui-ci en parle d’une manière extrêmement forte. C’est un petit film, il est sorti il y a quelques semaines en France, on pouvait donc craindre que son sort commercial ne soit rapidement scellé. Or le jour où j’y suis allé, j’ai eu la bonne surprise de voir que la séance était complète. Espérons que cet engouement continuera, et qu’il portera longtemps cette magnifique expression du cinéma russe."



Rétrospective Louis Malle

"Je me suis récemment replongé dans la filmographie de Louis Malle. Il mériterait bien une rétrospective, mais il est vrai que son parcours d’électron libre dans le cinéma ne lui donne pas souvent droit à ce genre d’éclairage. Tous ses films sont accessibles sur internet, on peut donc se faire chez soi sa propre rétrospective sur mesure. On reverra avec beaucoup de plaisir « Zazie dans le métro », réussite totale de l’adaptation cinématographique d’un certain ton littéraire, celui de Queneau, mélange très singulier d’insolence et de fantaisie. On pense évidemment à « Ascenseur pour l’échafaud » ou aux « Amants ». On peut s’émerveiller de la diversité d’inspiration de ses films, du « Voleur » (magnifique adaptation de l’écrivain anarchiste Georges Darien), à « Milou en Mai » en passant par « Au revoir les enfants » très prenant et certainement autobiographique, « Le souffle au cœur », « My dinner with André » (sorte de non-film) ou « Lacombe Lucien », qui en son temps avait suscité de grands débats. "






Grève de la rédaction des Échos

"Quand on veut mesurer la relation qui unit deux phénomènes, on établit un taux de corrélation, qui se situe entre 0 et 1. Le regretté Raymond Boudon, dans son cours sur les statistiques appliquées aux sciences sociales, nous indiquait que le taux de corrélation entre le vol des cigognes au dessus de l’Alsace et la naissance des bébés était de 0,7, c’est à dire très élevé. Il en profitait pour nous rappeler que la corrélation et la causalité sont deux concepts différents. Il y a quelque temps, le directeur des Echos (propriété de M. Bernard Arnault) a été licencié. Son journal venait de publier un article sur des suspicions de l’administration envers l’une des entreprises de M. Arnault. Je ne voudrais pas établir d’autre lien que celui de la corrélation entre ces deux phénomènes, mais il se trouve que M. Arnault semble avoir trouvé un moyen de contourner le véto auquel a statutairement droit la rédaction des Echos. Si bien que la dite rédaction, qu’on ne saurait soupçonner d’idées d’extrême-gauche, s’est mise en grève pendant 24 heures. Ceci pose plusieurs problèmes, dont l’un est plus aigu en France que dans le reste de l’Europe : la propriété de la presse. Et aussi la garantie d’indépendance d’une rédaction. « Indépendance » ne signifie pas « irresponsabilité », toutes les rédactions ont à répondre de ce qu’elles publient. Il y a beaucoup à réfléchir pour garantir la manière dont les propriétaires de journaux respectent les engagements qu’ils ont pris, et l’indépendance des rédactions."


Médiacités

"Je voudrais rappeler à l’attention de nos auditeurs un site internet, qui s’est voué aux enquêtes sur les grandes métropoles en France. Le presse quotidienne régionale est dans beaucoup d’endroits assez peu dynamique, peu curieuse et souvent orientée vers des contenus les moins polémiques possible. Médiacités, sans jouer les Don Quichotte, a décider de créer dans les métropoles comme Nantes, Lille ou Montpellier des équipes faisant un très utile travail de reportages et d’enquêtes. Si Médiacités connaît des difficultés, c’est parce que des élus ou des personnes mises en cause dans ces enquêtes leur font des procès, qui coûtent évidemment très cher, même si Médiacités les gagne la plupart du temps. Allez donc voir leur site, et si cela vous paraît intéressant, ce dont je suis presque sûr, soutenez-les."




L’homme apprivoisé

"Je voudrais signaler un court roman d’un auteur salvadorien, Horacio Castellanos Moya, qui vit et travaille aujourd’hui à Pittsburgh, dans le cadre du programme « City of Asylum » (une des villes-refuges créées par Russell Banks). Comme l’écrit son éditeur, Horacio Castellanos Moya a écrit plus d’une dizaine de romans qui lui ont valu de nombreux prix, des menaces de mort et une reconnaissance internationale. Le héros de « L’Homme apprivoisé » a connu plusieurs exils et le dernier en date le conduit en Suède. Il vit à peine, il se traîne, secouru par une infirmière qui finira par ne plus supporter son état d’ataraxie, mélange d’incapacité à entreprendre quoi que ce soit là où il n’a ni racines, ni familiarité culturelle, ni même connaissance de la langue et qu’aggrave la dépendance aux neuroleptiques. Il survit donc dans un indémêlable désordre intellectuel, psychologique, sentimental, sexuel. Avoir échappé aux menaces ne guérit pas de la peur. Cela pousse plutôt à une méfiance bien proche de la paranoïa. On croit sauvés ceux qui ont pu fuir les dictateurs et les gangs et Horacio Castellanos Moya montre que pour certains, l’exil est un autre mal, mais un mal d’autant plus difficile à supporter qu’il est enkysté au plus profond de l’esprit et qu’il plombe l’existence de l’émigré. Erasmo Aragón, le héros de l’Homme apprivoisé n’aura finalement pas d’autre choix que de retourner dans le pays qu’il a dû fuir."


A propos de l’affaire d’Annecy

"A Annecy, le 8 juin, un Syrien demandeur en France d’un asile qui lui a été refusé car il l’avait déjà obtenu en Suède a poignardé quatre enfants et deux adultes. Il a été mis en fuite par un jeune homme. L’acte courageux de ce jeune homme a d’abord été commenté avec admiration, puis, quand il été connu qu’il s’agissait d’un jeune catholique effectuant un pèlerinage d’une cathédrale à l’autre, les réseaux sociaux et certains journaux se sont employés à présenter de ce garçon une image toute différent de celle d’abord partagée. De ce qu’il appartient aux scouts d’Europe, créés en opposition à la modernisation du scoutisme et marqués par le conservatisme, de ce qu’il portait un tee-shirt arborant le drapeau français, de ce que le flocage de son tee-shirt avait été réalisé par une entreprise travaillant avec la police et plus précisément avec le RAID, de ce que son père travaille pour une entreprise internationale de la transformation digitale – autrement dit du big data, de ce que l’un de ses cousins occupe un poste au Service national universel, de ce que, lors des interviews qu’il a données après le 8 juin, le jeune homme a affirmé sa foi catholique et son admiration pour le lieutenant-colonel Beltram, de ce qu’une partie de la droite et de l’extrême droite s’est livrée à une entreprise de récupération de son geste, des commentateurs ont conclu qu’il y avait du louche dans l’acte d’Henri d’Anselme. Il se trouve que, ces derniers temps, la question de la fin de vie fait l’objet d’un débat de société et que l’on propose différentes mesures. Je propose que l’on en ajoute une, à l’intention de ceux qui se sont employés à réduire les faits à leur idéologie ou à leurs fantasmes : que chaque citoyen puisse signer et faire connaître un document qui dirait : « au cas où mes enfants seraient agressés par une personne armée d’un poignard, je refuse qu’ils soient sauvés par un catholique traditionnaliste »."




Situation des Arméniens du Haut-Karabakh

"120.000 Arméniens vivent dans la région du Haut Karabakh. Depuis la dernière guerre contre l’Azerbaïdjan, ils sont ravitaillés par le couloir de Latchine, seul moyen de leur faire parvenir les ressources élémentaires. La sécurisation de ce couloir dépendait de la Russie (elle était la condition à la cessation des combats), qui ne l’assure plus : le couloir est désormais fermé. Des rapports solidement étayés nous apprennent que les morts d’inanition ont commencé dans le Haut-Karabakh. SI l’Azerbaïdjan compte profiter de la situation internationale compliquée pour régler son « problème » du Haut-Karabakh par un autre génocide arménien, il faut que l'ONU, l'Union européenne et la France l'en empêchent en faisant connaître la situation de cette population et en obtenant la réouverture du couloir de Latchine."





Tapie

"Enfin, une série, visible sur Netflix. Très bien faite et très bien jouée. A mon avis pas très honnête car elle se termine par l‘emprisonnement de Tapie, comme si la fin de ce personnage avait été de payer pour l’ensemble de son comportement. Si habile que soit la série (et elle l’est vraiment), on ne peut s’empêcher de se rappeler une phrase fâcheuse du président de la République, qui à la mort de Bernard Tapie, avait dit qu’il était une « source d’inspiration pour la jeunesse française ». Cela reviendrait à qualifier Patrick Poivre d’Arvor de source d’inspiration pour le journalisme ou la galanterie …"


Croix de cendre

"Je recommande ce roman d’Antoine Senanque, qui figure sur la liste des Goncourt. L’intrigue se déroule dans un milieu qui excite les curiosités, le milieu ecclésiastique, sur fond de rivalité entre religieux dominicains et prêtres séculiers au 14ème siècle, le siècle de Maître Eckart, l’un des héros de ce livre, juste après la peste noire. Antoine Senanque réussit à maitriser une documentation substantielle, il peint des personnages auxquels il n’est guère possible de ne pas s’attacher et d’autres - un autre notamment, l’inquisiteur de Toulouse - dont il n’est pas possible de ne pas être effrayé. Quand Antoine Senanque prend des libertés avec l’Histoire, ce sont des libertés fécondes et étonnamment vraisemblables. On a qualifié son roman de roman épique ou de polar moyenâgeux. Ce sont des qualificatifs incontestables, mais je leur ajouterai qu’Antoine Senanque est d’abord un écrivain de l’amitié. Cela m’avait frappé dans l’un de ses précédents romans Que sont nos amis devenus ? que j’avais signalé à nos auditeurs, c’est encore plus évident dans celui-ci et ce n’est pas le moindre de ses charmes."


Le dernier cortège de Fidel Castro

"Je signale aussi que Matthias Fekl signe, aux éditions Passés Composés Le Dernier cortège de Fidel Castro, dans lequel il parcourt à l’envers le chemin qui a conduit les barbudos de Santiago à La Havane, de la révolution au parti unique. Il place en exergue de son livre cette phrase d’Ivan de la Nuez : « Depuis longtemps, à gauche comme à droite, Cuba est un endroit où l'on vient non pour découvrir la réalité mais pour confirmer un script ; les paradoxes sont remis à l'arrière-plan et les habitants condamnés à être de simples symboles des préjugés et jugements antérieurs des visiteurs. »"


Mémorial face à l’oppression russe

"Je voudrais signaler la parution aux éditions plein jour d'un livre d’Étienne Bouche « Mémorial face à l'oppression russe » qui rassemble le fruit d'entretiens avec des personnalités de l'organisation non-gouvernementale Mémorial qui a reçu le prix Nobel 2022, a été empêchée d'agir par un tribunal aux ordres de Vladimir Poutine, et une réflexion sur le rapport de la société russe avec son passé. Etienne Bouche met en lumière la maladie de la mémoire qui affecte la société russe en même temps qu'il analyse l'échec de Mémorial à traiter et plus encore à guérir cette maladie. Nicolas Werth, l'historien de l'Union soviétique et président de Mémorial France parle « d'un livre foisonnant où le lecteur fait la connaissance des principaux acteurs ayant marqué depuis 30 ans Mémorial tout en obtenant de nombreuses clés d'explication sur cette maladie de la mémoire qui caractérise la société russe d'aujourd'hui. »"



Kometa

"Je voudrais signaler la création d'une revue et d'un site, Kometa, qui se propose de faire découvrir à ses lecteurs les voix rares et brillantes de l'est qu'elle fera dialoguer avec les plus grands auteurs français. Kometa entend partir de l'est pour éclairer les enjeux de notre monde et son premier numéro comporte notamment un récit d'Emmanuel Carrère parti à la rencontre de la Géorgie, sur les traces de sa cousine, présidente du pays. On y trouvera aussi un texte de Milan Kundera, la lettre d’un prisonnier de Poutine et le cri de colère de la poétesse ukrainienne Luba Yakimtchouk."


Le studio de l’inutilité

"Je voudrais dire le plaisir que j'ai eu à relire un livre paru en 2012, mais, grâce à dieu et à l'internet, qu’on peut très facilement se le procurer de nouveau aujourd'hui. Il s'agit d'un livre de Simon Leys Le studio de l'inutilité. Mon confrère et ami Pierre Boncenne avait écrit à la sortie de ce livre « il s'agit de la lecture la plus enrichissante à la fois profonde, brillante et délicieuse qu'il puisse se faire à propos de la Chine mais aussi de la littérature ou de la mer ». Quant à la Chine on retrouve la plume tranchante de l'auteur des Habits neufs du président Mao, du pourfendeur resté célèbre de Maria Antonietta Macciocchi et, dans ce livre, des divers intellectuels français dont la cécité ne laisse pas de stupéfier. La bêtise de l’intelligence est un sujet inépuisable. Quant à la littérature, c’est un bonheur de partager avec Simon Leys sa familiarité avec Chesterton, avec le prince de Ligne, avec Joseph Conrad, Henri Michaux ou Victor Segalen. Enfin la passion de Simon Leys pour la mer donne des pages amoureuses et souvent pleines d’humour et, on ne s’en étonnera pas sous sa plume, à rebours des clichés commodes et des idées préfabriquées."


L’enlèvement

"Le 23 juin 1858, à dix heures du soir, la police pontificale fait irruption au domicile de la faille Mortara, à Bologne, ville soumise à l’autorité du pape. Les huit enfants sont tirés du lit, et les parents apprennent que l’un d’entre eux, Edgardo, âgé de 6 ans a été secrètement ondoyé quelques mois après sa naissance par la servante catholique des Mortara, qui le croyait en danger de mort. L’ondoiement est une sorte de baptême d’urgence qui peut être administré par n’importe quel chrétien. Il a fait d’Edgardo un catholique. A ce titre, il ne peut plus demeurer dans une famille juive, sauf si toute la famille se convertit. Conduit à Rome après diverses péripéties, l’enfant est élevé à la Maison des catéchumènes, un internat pour Juifs et musulmans nouvellement convertis au catholicisme et financé par les taxes imposées aux synagogues de l'État papal.  L'affaire connaît un retentissement international inédit et la conduite de l'Église est fortement critiquée, notamment par Napoléon III, dont les troupes assuraient alors la protection militaire des États pontificaux. Pie IX, le pape qui a fait adopter par un concile le dogme de l’infaillibilité pontificale, oppose un refus inflexible à toutes les demandes de restitution de l’enfant à sa famille et fait confirmer son ondoiement par un baptême auquel il assiste. De cette affaire, que Steven Spielberg avait songé à traiter, Marco Bellochio a réalisé un film, « L’Enlèvement » dans lequel tout se tuile : la vie des Juifs dans les États pontificaux, la souffrance des parents, le désarroi d’Edgardo et sa fascination pour les pompes de l’Église, la crispation et la brutalité d’un pape autrefois libéral face à une Italie qui lui échappe et qui construit son unité, face aussi à un monde que les idées progressistes travaillent et transforment. « L’Enlèvement » m’a conquis par son intelligence, par sa beauté et par son mélange de colère et de chagrin."



Hommage à Laurent Greilsamer

"Le 1 vient de perdre l’un de ses deux fondateurs, Laurent Greilsamer, qui, en 2014, avait fait, avec Éric Fottorino le pari plus qu’audacieux de lancer un hebdomadaire au format étrange, ne traitant chaque semaine qu’une seule question d’actualité. En deux ans, le budget du 1 a atteint l’équilibre. A peine étions-nous amenés à quitter Radio France que les fondateurs du 1 m’appelaient pour m’offrir leur soutien moral et matériel. Il a été décisif. Pendant six ans, Laurent Greilsamer nous a suivi attentivement, me faisant part de ses réactions, me suggérant des thèmes ou des invités. Son élégance était dans sa tenue autant que dans son travail et dans son travail autant que dans ses façons d’être : à la fois discrète et savante, sérieuse et piquante. C’était un être de raison animé d’une curiosité scrupuleuse.  Il a publié une biographie d’Hubert Beuve-Méry, le fondateur du Monde, un remarquable dictionnaire Michelet, un livre qui a renouvelé le regard sur Alfred Dreyfus, des ouvrages sur Nicolas de Staël, Picasso, ou Gérard Fromanger. Avec son épouse, Claire, il a signé un captivant dictionnaire George Sand. Une chanson de Brassens lui allait comme un gant : son refrain dit « c’est un modeste ». Il m’avait averti qu’on lui avait découvert une maladie rare, une amylose AL, qui part de la moelle osseuse, dérive dans le sang et s’attaque au cœur. Son cœur a lâché mercredi. Son dernier message me disait à quel point les équipes médicales sont formidables. Dès son origine, le 1 a fait place à la poésie. Je dédie au souvenir de Laurent Greilsamer ce poème de Norge intitulé « On ne verra plus Robert » : « Le voici, comme il est pâle / Il sourit d’un œil lassé / Et presque tout son ovale / De visage est effacé / Un oiseau qui le traverse / N’a même pas tressailli / Puis, on dirait qu’une herse / S’abaisse entre nous et lui, / Le petit ourlet moqueur / De sa lèvre s’agrandit / Et son pouvoir sur nos cœurs / S’agrandit comme ce pli. »"



Le livre des amis

"Je recommande ce tout récent ouvrage de Jean Clair, édité par Gallimard. C’est une plongée dans l’art du dernier demi-siècle, d’Alechinsky à Xavier Valls en passant par Louise Bourgeois, Lucian Freud, David Hockney, Henri Cartier Bresson, Balthus, Roseline Granet ou Raymond Mason. Clarté du style, fermeté du propos, intimité avec les œuvres et, le plus souvent, avec les artistes, Le Livre des amis fait partie des lectures dont on sort reconnaissant à l’auteur de nous avoir donné un regard mieux informé, une compréhension plus riche et un appétit d’aller y revoir. Les serviteurs de l’art ont leur place dans ce recueil chaleureux. Le portrait du galeriste Claude Bernard, disparu en 2022 « l'un des derniers marchands dans sa profession qui ont su garder le sens et la dignité de leur métier, quand tout le marché de l'art se constituait comme un gigantesque marché à la criée, soutenu par des organismes officiels comme les FRAC constituant non des réserves mais des débarras toujours plus vastes des productions éphémères de l'art actuel » Non loin de celui de Claude Bernard, on trouvera Françoise Cachin, la première directrice d’Orsay, puis des Musées de France, fonction dans laquelle elle fit un remarquable travail en faveur des musées de province. Jean Clair rappelle avec admiration l'exposition « Images d'une métropole, les impressionnistes à Paris. Il s'agissait bien sûr de plus que des impressionnistes elle commence avec Corot pour finir avec Matisse. Mais surtout elle montre, mêlée aux maîtres, de Manet à Caillebotte, des œuvres peu connues, de Maximilien Luce à Devambez, d'Adler à Louis Anquetin, qui donne de Paris une image bien éloignée de la vision traditionnelle de la ville lumière, celle d’une ville industrielle et pauvre, avec les cheminées d'usine, les fumées des locomotives et les gazomètres, avec les foules en fureur, les défilés, les émeutes ouvrières … Jean Clair célèbre aussi le courage avec lequel Françoise « s’opposa dans un silence embarrassé puis hostile contre la dérive mercantile des musées qui les voient assimiler les œuvres patrimoniales qu'ils ont la charge de conserver, d'étudier et de faire connaître à de simples marchandises que l'on peut vendre ou bien louer comme s'il s'agissait de réserves naturelles de pétrole ou de champs de patates. »"


Simon Leys : vivre dans la vérité et aimer les crapauds

"J’avais dit, il y a quelques semaines, le plaisir que j’avais éprouvé à relire Le Studio de l’inutilité de Simon Leys. Avec Alexandre Vialatte et, dans un tout autre genre, Georges Brassens j’y trouve beaucoup de l’humeur nécessaire à une échappée. Une échappée d’un univers d’injonctions, de certitudes et de simplifications. Dans le petit livre qu’il vient de consacrer à Simon Leys, Jérôme Michel note : « la littérature, Simon Leys la conçoit, à l'instar de Milan Kundera, comme le plus puissant et le plus salutaire antidote à la malédiction de la réduction qui s'acharna à défigurer l'humanité à l'âge des totalitarismes politiques et à en effacer les traits à l'heure contemporaine du non-sens bruyant, du bavardage permanent et de la disparition du monde de la vie derrière l'opacité des écrans. ». Dans son court essai, Jérôme Michel reprend tout ce que Simon Leys a appris de la Chine -et tout ce qu’il nous a appris qu’elle n’était pas quand des intellectuels possédés par le besoin d’appartenir débitaient des sornettes et proféraient des malédictions contre ceux qui avaient les yeux ouverts- mais aussi le passeur inlassable de romans et de romanciers que fut l’auteur du Bonheur des petits poissons. Au moment où sort sur les écrans le film de Ridley Scott sur Napoléon, Jérôme Michel rappelle que Simon Leys fut l’auteur d’un roman, La Mort de Napoléon, où l’on voit l’empereur évadé de Sainte-Hélène où il a laissé un sosie, devenir marchand de melons et de pastèques et se voir condamné à ne plus être que cela quand tous ses plans de reconquête du pouvoir tombent à l’eau parce que son sosie meurt dans son île lointaine. Après avoir visité un asile où pullulent les autoproclamés Napoléons, il ne lui reste plus qu’à examiner ce que fut sa vie. Où cet examen le conduira, c’est ce que je laisse découvrir aux lecteurs de Jérôme Michel et de La Mort de Napoléon."




Monténégro : la mer de pierres

"Richard Werly, notre ami suisse dirige pour un éditeur belge, Nevicata une collection baptisée L’Âme des peuples. De courts volumes d’une centaine de pages qui traite aussi bien de pays, la Suisse, l’Australie, le Liban, l’Indonésie, l’Afghanistan, que des régions, la Crète, le Danube, la Provence ou des villes Grenoble et, dans sa dernière livraison, Venise. Je me suis attaché au livre consacré au Monténégro sous la plume affectueuse de Jean-Arnault Dérens. Dans mon imaginaire, le Monténégro était un pays proche de la Syldavie. C’est plutôt - et c’est ce qui le rend intéressant - un concentré de ce qui se passe à l’est de ce qui fut le rideau de fer. On y rencontre - c’est l’aspect syldave- un improbable roi qui ne règne pas quoique sa généalogie royale remonte en ligne directe à 1516. Il a étudié aux Beaux-arts à Paris où il vivait tranquille jusqu’à ce qu’il entreprenne son premier voyage dans le pays de ses ancêtres où les foules se sont pressées pour le prier de les aider à sortir du marasme où les avaient plongées la sortie de la Yougoslavie, puis la guerre des Balkans. Depuis, il s’emploie à éviter que le Monténégro ne tombe dans les mains de ceux, mafieux russes ou hommes d’affaires français, qui voudraient en faire une sorte de Monte-Carlo et la base de différents trafics. Ce n’est pas un petit travail que de construire un État dans un pays soumis à de pareilles pressions, sans compter les difficultés qui tiennent aux divisons entre orthodoxes, musulmans et catholiques. Dans cette entreprise, l’adhésion à l’Union européenne à laquelle le Monténégro est candidat joue un rôle non négligeable et, là aussi, le minuscule exemple monténégrin permet de bien voir ce que l’arrimage au continent européen représente comme bouclier et comme promesse."



L’internat

"Jacques Pilet : Ce livre de me tient beaucoup à cœur. Son auteur Serhiy Jadan est un grand écrivain ukrainien (dont plusieurs livres sont traduits). Celui-ci décrit la situation dans le Donbass en 2014. L’auteur est originaire de cette région (de Lougansk) et il décrit l’histoire d’un prof qui va chercher son neveu dans un internat situé dans une zone de combat. La description des débuts de ce conflit est absolument saisissante, on voit que c’est une guerre civile : les Ukrainiens entre eux s’opposent, se méfient, se dénoncent ou se tolèrent. On écoute l’accent de son interlocuteur pour lui témoigner sympathie ou hostilité … Il n’y a pas réellement de ligne de front, seulement quelques explosions ici ou là. Mais surtout des villes étouffées par la peur, avec des chiens qui rôdent, des bus qui s’arrêtent en pleine campagne, des trains qui ne partent pas, une sorte de pourriture de la vie quotidienne, avec au ventre la peur de l’Autre. J’ai rarement lu un récit qui parle de la guerre ainsi. "


Banlieusards

"Nina Belz : Je voudrais vous recommander un film que j’ai vu récemment sur Netflix, qui s’appelle Banlieusards, co-réalisé par Kery James, le célèbre rappeur français. Ce film raconte le quotidien d’une famille de banlieue parisienne. Il y a beaucoup de choses connues : la violence, la discrimination policière, l’école, les drogues, etc. Mais il y a une partie que j’ai particulièrement aimée : deux jeunes avocats débattant sur la question : « l’état est-il le seul responsable de la situation des banlieues ? ». Venant d’un pays libéral, j’ai beaucoup apprécié le traitement de cette question."


Le manchot magnifique

"Sylvie Bermann : Si on veut s’intéresser à la Russie pendant les prémisses de la révolution, je recommande le livre de Guillemette de Sairigné. C’est l’histoire de Zinovi Pechkoff, fils adoptif de Gorki, né à Nijni-Novgorod, et qui montre bien d’ailleurs que Gorki n’est pas seulement celui qui a collaboré avec le régime (qu’on accuse parfois de lâcheté), mais aussi quelqu’un qui défendait les Juifs, et les révolutionnaires. En 1914, Pechkoff a voulu s’engager dans la Légion étrangère, où il a combattu. Il est devenu général, et même ambassadeur du général de Gaulle auprès de Tchang Kaï-Chek. C’est une vie extraordinaire, et une histoire passionnante qui couvre tous les continents. "


L'hôpital Par Jean de Kervasdoué

"Si l’hôpital est un lieu familier à tous, son fonctionnement, les règles qui gouvernent cette institution sont mal connus. C’est que l’hôpital a de multiples missions et de nombreux visages : centre de référence des techniques médicales, lieu de recherche et d’enseignement ou encore espace de prévention et d’éducation à la santé, il est aussi un hôtel qui accueille des patients toute l’année, une entreprise au personnel nombreux dont les fonctions et statuts sont variés, un bâtiment civil aux normes d’hygiène et de sécurité innombrables, une institution, ouverte 24 heures sur 24, accueillant toutes les détresses… Alors que les réformes succèdent aux réformes, cet ouvrage aide à mieux comprendre les enjeux universels de l’organisation hospitalière et la particularité des choix français. Ils ont des conséquences économiques, sociales, politiques, scientifiques et techniques mais surtout éthiques."


Les prêcheurs de l'apocalypse : Pour en finir avec les délires écologiques et sanitaires

"La vision catastrophiste du monde entretenue par le discours dominant se nourrit d'approximations, voire de contre-vérités, qu'il s'agit de rectifier. Le charbon est en réalité plus fatal que l'amiante, et l'un et l'autre cent fois plus que les radiations nucléaires. Malgré l'indéniable réchauffement de la planète, la Terre n'a pas encore atteint la température de l'an mil. Par ailleurs et surtout, l'espérance de vie n'a cessé de croître dans les pays riches, jamais leurs habitants n'ont vécu aussi vieux et en meilleure santé, même si " leur vie demeure une maladie sexuellement transmissible, 100 % mortelle ". L'auteur démythifie ici le discours écologique ambiant et dénonce le " médicalement correct ". En se focalisant sur des dangers imaginaires (nitrates, OGM...), en regardant ici (le nucléaire) et pas là (le charbon), les grandes associations écologistes ont abandonné une partie de l'humanité en chemin. Les bons sentiments ne feront rien pour réduire la contradiction majeure entre la santé d'aujourd'hui, l'économie de demain et la survie d'après-demain. La raison et l'analyse des intérêts de chacun seront la seule chance des déshérités actuels et de l'humanité à venir."



La Vie et rien d'autre

"Annette Becker : Une recommandation de film : La Vie et rien d’autre, de Tavernier dans Vous venez de parler. Je pense que c’est le film qui a le mieux senti ce que je n’appellerai plus une catastrophe mais une tragédie. C’est-à-dire qu’on sait que l’on va inévitablement vers une fin avec ces millions de morts, n’oublions pas ces millions de blessés qui restent dans la société, et cela me paraît tellement bien vu par Tavernier. Et en même temps à l’intérieur de cela, l’absurdité comme ces soldats coloniaux qui cherchent un soldat inconnu et qui ne doivent surtout pas le trouver noir ou jaune parce que la France est blanche. Tavernier a compris cela et en même temps le sens de l’honneur, le sens du dévouement pour le bien public, de cette jeune institutrice qui a travaillé dans cette gare car il fallait le faire elle n’avait pas le choix, mais elle est heureuse de l’avoir fait. Et c’est cela une tragédie, et je crois que Tavernier l’a vu au mieux."


Daniel Cohen, Il faut dire que les temps ont changé. Chronique (fiévreuse) d’une mutation inquiète (Albin Michel)

"Éric Le Boucher : Nos auditeurs connaissent certainement Daniel Cohen, professeur à l’École normale. Il vient de publier un livre. Cela dit tout sur notre entrée dans une ère de l’homme digital où nous avons à préparer tous les mécanismes de protection sociale et autre que nous avions mis douloureusement en place il y a plus d’un siècle et demi. Il explique très bien ce travail que nous avons à faire. C’est un peu inquiet parce que l’on peu rater notre coup et passer la main à des populismes mais le livre est inquiet sans être pessimiste. "


On manque de beurre

"Éric Le Boucher : Je voudrais vous faire part d’une très grave inquiétude : si je comprends bien c’est au moment où on va retrouver des riches qu’on va manquer de beurre. On manque de beurre en France, en Europe à cause de mauvaises récoltes, c’est à dire la sécheresse, à cause de la fin des politiques de quota de Bruxelles et à cause du gout pour le beurre qui se développe mondialement et notamment en Asie. Les Français consomment encore beaucoup de beurre mais le prix est passé de 2,800€ la tonne à 7,000€ la tonne."


David Tang: ‘The party’s over’

"Éric Le Boucher : Deuxième brève à propos de la mort de David Tang qui était un chroniqueur britannique, en vérité chinois, né à Hong-Kong d’une famille très riche, déshérité puis « réhérité", qui a vécu parmi les stars, qui a fait fortune au jeu, qui a perdu plusieurs fois sa fortune., et qui vivait vraiment avec les stars. Le Financial times lui avait demandé une chronique sur l’urbanisme, la décoration, et il était toujours en retard et donnait des excuses pour son retard que le FT a raconté drôlement : « je suis désolé je suis en tournée avec les Stones » ; « je suis désolé Kate Moss m’emmène au tatouage » ; ou encore la meilleure, « la Reine trouve que vous me faites trop travailler. »."


Angela Merkel, l'ovni politique

"Éric Le Boucher : Un livre d’actualité avant les élections allemandes : un portrait d’Angela Merkel par une journaliste, Marion Van Renterghem (recommandé dans le précédent épisode par Michaela Wiegel) qui s’appelle un ovni politique. Elle a vu des dizaines et des dizaines de gens sauf Angela qu’elle n’a vue que 5 minutes, elle répond à cette énigme qu’est cette femme qui domine la scène européenne depuis plus de 10 ans. Fille de protestants à l’Est, ambiguë sur le communisme au départ, ambiguë sur ses relations avec les partis parce que c’est elle qui a fait tomber Kohl, son mentor pour des raisons de morale, fille de protestants. Et au fond la clef donne Marion Van Renterghem, c’est de dire que c’est une scientifique, c’est une chimiste et au fond elle raisonne par logique, et si elle est devenue très européenne, c’est que l’Europe c’est la logique. C’est un portrait très fouillé, très intéressant sur en effet, un ovni politique."



Souvenirs dormants

"Éric Fottorino : Un homme errant, je vais vous citer Patrick Modiano et ses Souvenirs dormants, j’ai eu une hygiène depuis plus de 20 ans c’est que dès qu’un Modiano sort, je l’achète le jour même et je le lis le jour même. L’avantage quand on a lu Modiano tout petit c’est qu’on comprend que chaque livre est une petite pièce de puzzle et que lorsqu’on les ajoute les unes aux autres on commence à avoir la grand panorama. Ce livre de Modiano a une particularité, il n’y a pas marqué roman, il y a écrit récit, mais on croit qu’on est dans un roman de Modiano, donc on comprend tout, on comprend à quel point il a entremêlé le vrai et le faux et ses ombres errantes dans Paris ne nous quittent pas même par une matinée ensoleillée comme aujourd’hui."


Evremond De Bérard

"François Sureau : Un élément nécrologique puis une recommandation. L’élément nécrologique c’est que le plus grand écrivain français depuis une quarantaine d’année est mort hier dans l’indifférence générale : Guy Dupré. Qui est l’auteur de Les fiancées sont froides, du Grand Coucher et des manœuvres d’Automne. Disparition qui a d’ailleurs été remarquablement saluée par le président de la République, ça fait plaisir de temps à autre quand on voit les platitudes auxquelles les discours officiels nous ont habitué sur le départ des grands écrivains, c’est assez frappant. Et Guy Dupré, j’engage tous nos auditeurs à trouver ses livres, c’est un personnage tout à fait étonnant, moitié japonais, moitié français, dont l’œuvre se situe aux confluents de Maurice Barrès et d’André Breton ce qui est quand même une gageure. Dans une phrase absolument magnifique avec une part énorme de l’incertitude et de la douleur française au travers des deux guerres mondiales, Guy Dupré était un auteur absolument exceptionnel.
Deuxième chose, il faut voyager et moi j’aime beaucoup les peintres voyageurs, vous savez comme les peintres de marine, et on publie ces jours-ci les œuvres complètes, l’œuvre picturale, c’est un petit livre d’art qui coûte pas cher, d’Evremond de Bérard qui a exploré un très grand nombre de pays. Il est né en 1822, il est mort en 1880 et l’essentiel de sa production c’est 1850-1860. Il y a des aquarelles et des gouaches de ses voyages en Perse, en Egypte en particulier qui sont d’une intelligence ethnologique et sensible absolument remarquable."


Salafism in Yemen: transnationalism and religious identity

"Le salafisme est devenu l’un des nouveaux épouvantails politiques de l’Occident. Beaucoup considèrent le mouvement comme le sous-produit d’une plate-forme centralisée de politique étrangère façonnée par les soi-disant intérêts saoudiens, ainsi que par l’idéologie choisie par des groupes violents tels qu’Al-Qaïda. Basé sur des recherches approfondies menées à travers le Yémen entre 2001 et 2009 -- en particulier dans la province méridionale de Yâfi' -- ce livre propose une approche originale du salafisme et dresse un contre-récit nécessaire, considérant la dynamique du mouvement salafiste ainsi que ses relations avec contextes locaux, régionaux et internationaux en évolution. Après avoir étudié plus d'une centaine de sermons et de conférences enregistrés et des dizaines de livres, et après avoir interviewé de nombreux religieux, intellectuels et militants, Laurent Bonnefoy apporte une nouvelle perspective sur la doctrine salafiste prétendument apolitique promue par le célèbre salafiste yéménite Muqbil al-Wadi'. je. S'appuyant sur les principes de la théorie des relations internationales et de la sociologie politique, il fait référence aux pratiques quotidiennes des partisans dévoués d'al-Wadi'i, à leurs rivalités et à leurs trajectoires évolutives. Il démontre que -- plutôt que le résultat de politiques spécifiquement planifiées -- le salafisme yéménite est, depuis le début des années 1980, né d'une série de mécanismes spontanés et populaires, souvent façonnés par des flux transnationaux, qui ont intégré ce mouvement dans des systèmes yéménites complexes. ."


Exposition : Cent portraits pour un centenaire, les soldats de Foch vus par Burnand

"François Sureau : Je voudrais recommander deux choses, que j’ai vues récemment et qui sont deux expositions. L’une est l’exposition Karmitz qui s’appelle Etranger résident, à La Maison Rouge, qui est une collection de photographies sur l’histoire du XXème siècle qui est absolument exceptionnelle, et l’autre aussi surprenante, c’est une exposition qui a lieu au Musée de la légion d’honneur, qui est en face du Musée d’Orsay à Paris, et cette exposition expose 100 portraits du peintre Eugène Burnand qui est un peintre assez extraordinaire, Eugène Burnand était un peintre vaudois qui a du mourir dans les années 30, fils de pasteur, et qui a fait des tableaux religieux qui marquent par leur grand réalisme, à tel point qu’il a été accusé d’être devenu inutile à l’époque de la photographie. Pour montrer que cela n’était pas le cas, il a demandé au maréchal Foch l’autorisation de peindre des portraits de soldats de la Grande Guerre. Ce sont des pastels qui sont peints de face comme si c’étaient des photographies. Il faisait venir chez lui ses modèles, le Malgache, le Slovène, le Serbe, le Monténégrin, le Français, le chasseur alpin, le légionnaire arménien, passaient des semaines retirés du front dans la villa d’Eugène Burnand qui les peignait. Ces 100 portraits de la Grande Guerre sont exposés dans une grande salle, ce sont toutes les nations alliées, représentées par des têtes d’hommes, et c’est une exposition absolument bouleversante."


La maison rouge, exposition

"François Sureau : Je voudrais recommander à tout le monde d’aller à La maison rouge, qui est le musée personnel d’Antoine de Galbert qui est 10 boulevard de la Bastille, avant qu’il ne ferme puisqu’Antoine de Galbert qui a été un mécène remarquable va fermer la maison rouge et faire don d’une très grande partie de ses collections à un musée situé à Lyon et c’est une chose suffisamment rare pour être relevée, s’agissant d’un mécène privé qui n’a jamais rien demandé à personne. A la maison rouge en ce moment il y a une exposition de photographies notamment de Marin Karmitz, le producteur de cinéma, cela s’appelle Etranger résident et c’est une collection absolument extraordinaire, qui est une véritable traversée du siècle, les photos de Hine sur les classes populaires et les Noirs dans les Amériques dans les années 20 ou 30, les photos de kibboutz en Hongrie en 1937, les photos de l’époque des années 60. Des photographes absolument extraordinaires, c’est un magnifique voyage dans le XXème siècle."



Le Yémen de Laurent Bonnefoy

"Stéphane Lacroix : Le Yémen a longtemps fasciné bien des voyageurs, parfois illustres, d’Ibn Battuta à Arthur Rimbaud et André Malraux. Il apparaît comme l’incarnation d’une authenticité tant arabe que musulmane. Toutefois, bien que pris dans les soubresauts de l’histoire mondiale (colonisation, guerre froide et terrorisme) et occupant une place stratégique à la croisée des continents, il reste mal connu et perçu comme marginal et passif. Patrie d’origine de la famille Ben Laden, lieu où l’attentat contre Charlie Hebdo a été commandité, le Yémen a émergé en tant que menace à la sécurité internationale dans le contexte de la guerre mondiale contre le terrorisme et a vu son image se détériorer. L’offensive armée saoudienne lancée en mars 2015 en a fait une victime directe de la lutte entre puissances régionales. L’ambition de cet ouvrage est de dépasser ces perceptions catastrophistes et cette lecture purement sécuritaire pour s’intéresser aux modes d’intégration du Yémen dans les relations internationales. Il s’agit, à partir de figures et d’interactions spécifiques (du diplomate au terroriste en passant par le migrant et l’artiste), d’analyser la place qu’occupent cet État et cette société dans les enjeux contemporains. Car le Yémen, loin d’être une marge, se trouve au cœur de processus fondamentaux qui ont trait aux flux transnationaux, aux mécanismes de domination et aux résistances qu’ils engendrent. Mieux le comprendre, c’est aussi mieux appréhender un Moyen-Orient et un monde en crise."


La France des Belhoumi de Stéphane Beaud

"Philippe Frémeaux : C’est le livre de Stéphane Beaud qui raconte l’histoire d’une famille immigrée dans la même période avec un travail d’historien à la fois très respectueux des gens alors qu’il en parle avec toute la vérité crue et toutes les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Leur mode de vie aussi, l’intégration et l’ascension sociale que certains peuvent connaître dans la famille grâce à l’école. C’est un livre extrêmement intéressant puisqu’il y a une très profonde humanité, qui aborde tous les problèmes sans minimiser les difficultés qu’il peut y avoir de l’immigration ou de l’intégration en France. Il va très au-delà de ce qu’on entend souvent avec des polémiques d’actualité qui finalement rendent peu compte de ce qu’est le vécu des gens."


L'Italie sur le fil du rasoir : Changements et continuités de l'Italie contemporaine

"Marc Lazar : L'Italie sidère quand elle élit pour la troisième fois Silvio Berlusconi. L'Italie inquiète quand on voit les ordures s'accumuler dans les rues de Naples, l'économie en panne de croissance, une tendance au repli frileux ou la mainmise sur les médias. Sauf que Milan organisera l'Exposition universelle de 2015, que le pays tente de se réformer, qu'il a su depuis 1945 se colleter avec tous les défis que représentaient une démocratie fragile, une fracture Nord/Sud et une européanisation à marche forcée. Au fond, l'Italie joue avec le feu ; tout est réuni pour que l'incendie prenne et, à chaque fois, il est conjuré à temps. Dans un essai incisif qui combine une approche historique et un jeu d'allers-retours comparatifs, Marc Lazar explore cette Italie à la fois insolite, beaucoup plus compliquée qu'il n'y paraît et capable d'inventer une manière inédite de se moderniser à partir de recettes et d'ingrédients largement immuables."


L'Italie contemporaine

"Marc Lazar : l’Italie, dont l’expansion depuis la Deuxième Guerre mondiale a été spectaculaire, n’en finit pas de surprendre. Or ce pays, perçu pourtant comme le creuset où s’est élaborée la civilisation européenne, est mal connu de ses plus proches voisins. Deux malentendus survenus entre la France et l’Italie en témoignent : les trois victoires électorales de Silvio Berlusconi, qui ont provoqué la stupeur des Français, et la protection que la France accorde aux ex-terroristes italiens, à commencer par Cesare Battisti, qui ne cesse d’indigner les Italiens. Cet ouvrage restitue les multiples aspects de la trajectoire de l’Italie depuis 1945 : la difficile formation d’une démocratie qui, après deux décennies de totalitarisme fasciste, a su relever de grands défis ; la lente mise en place de l’unité nationale qui a tenu compte des diversités géographiques ; son action en Europe, en Méditerranée et dans le monde ; ses grandes mutations économiques ; la modernisation de sa société, mais également la persistance de ses traditions et des héritages non résolus, à savoir la question du Mezzorgiorno ou encore les relations entre l’Etat et l’Eglise catholique. Pour parachever ce tableau riche et contrasté, c’est aussi toute la créativité culturelle et l’inventivité artistique de l’Italie qui sont présentées ici, ainsi que la place de la télévision et le rôle des intellectuels. Une trentaine de spécialistes de l’Italie, français ou franco-italiens travaillant en France, historiens, historiens de l’art, du cinéma, de la littérature, politistes, sociologues, économistes et géographes, ont ainsi œuvré à la réalisation de cet ouvrage, complet et indispensable au spécialiste comme au néophyte."



L'économie de l'Inde

"Alors que la Chine connaît en 2015 les premiers soubresauts de sa mutation postdécollage, certains voient l’Inde prendre le relais pour les trente prochaines années. Est-ce crédible ? En dépit d’une croissance qui s’est accélérée, l’Inde bute sur un ensemble de contradictions qui obèrent le développement, comme la pauvreté de masse et les inégalités. Il en résulte une lenteur de la transition industrielle et de forts goulets d’étranglement dans les infrastructures. Faut-il pour autant ignorer l’Inde ? Certainement pas. À la différence de nombreuses économies émergentes, les structures de la plus grande démocratie du monde lui confèrent une forte résilience face aux tensions internes comme externes. Le modèle indien continuera de s’affirmer comme un modèle de développement unique, qu’il faut connaître et comprendre pour se repérer dans le monde de demain. Au-delà des notions d’innovation frugale, de gradualisme dans les réformes ou de tension entre démocratie et société de castes, quelles sont les caractéristiques de ce modèle, qui suscite trop souvent des jugements extrêmes ?"


Staline archives inédites 1926-1936

"Les documents présentés dans cet ouvrage, et inédits à ce jour tant en russe qu’en français, révèlent un Staline sinon totalement sincère du moins parfaitement authentique. Chaque année le tout-puissant Secrétaire général part un mois ou deux au bord de la mer Noire. Il correspond intensivement avec ceux de ses lieutenants restés « garder » le Kremlin en son absence. Dans ces étonnants courriers à usage interne, beaucoup de familiarité et de sarcasmes, énormément de cynisme et peu de retenue. À côté des domaines sensibles (police politique, armée, relations internationales, appareil administratif, industrialisation et collectivisation) figurent des questions relatives à la vie privée du dictateur. Enrichi d’une iconographie inédite, le présent ouvrage montre comment Staline est parvenu à s’imposer comme le maître absolu de l’Union Soviétique durant la décennie 1926-1936."


L'Inde et l'Asie

"Depuis près de vingt ans, l’Inde a changé d’image : les réformes économiques engagées à compter de 1991 et les essais nucléaires de 1998 ont témoigné de sa volonté de s’affirmer comme une puissance émergente. Elle est désormais reconnue comme telle, y compris par la Chine. Après la longue césure de la colonisation et de la guerre froide, le retour de l’Inde dans un continent en mouvement dessine une nouvelle Asie, plus vaste, plus peuplée, plus complexe que la seule Asie orientale. Cette évolution fait naître de nouveaux équilibres sur un échiquier où jouent, entre autres acteurs, l’Inde, la Chine, le Japon, les États-Unis, et les voisins de l’Inde, ceux de l’Asie du Sud comme ceux du « voisinage étendu » qui court du Moyen-Orient à l’Asie du Sud-Est. Ce « grand jeu » contribue à redessiner peu à peu un nouvel ordre mondial, dans lequel les puissances dominantes occidentales doivent apprendre à redéfinir leurs relations avec une Asie nouvelle. En trois étapes qui analysent la « présence du passé », le nouvel échiquier géopolitique et les enjeux économiques de l’Asie en mouvement, cet ouvrage réunissant historiens, économistes et géopolitologues, spécialistes de l’Inde, mais aussi de la Chine, du Japon et de l’Asie du Sud-Est, éclaire de façon inédite les voies multiples par lesquelles l’émergence du pôle indien dynamise l’ensemble de l’Asie et, au-delà, appelle à repenser les relations Nord-Sud."


New Delhi et le monde

"Un demi-siècle après le règne flamboyant de Nehru, l’Inde est de retour sur la scène internationale. Les successeurs immédiats de Nehru avaient été contraints de se concentrer sur leur région, l’Asie du Sud, le théâtre de tant de guerres au cours des années 1960-1980. Si la vision du monde de Nehru était plutôt globale et idéaliste celle de sa fille et de son petit-fils fut donc plutôt régionale et réaliste. Depuis les années 1990, l’Inde est gouvernée par des hommes qui ont voulu accroître la force de frappe de l’Inde – notamment au plan militaire – et qui ont donc, de nouveau, les moyens de mener une politique globale. Ils ont choisi de le faire sur un mode réaliste, ce qui semble trancher avec la méthode nehruiste. Ce contraste apparent mérite ici d’être nuancé. Certes, l’engagement de Nehru au nom des peuples à disposer d’eux-mêmes l’aurait conduit à s’impliquer davantage que les gouvernants actuels au Népal et en Birmanie. Certes aussi, Nehru aurait répugné à se rapprocher des États-Unis autant qu’eux. Du coup, on est en droit de regretter le non-usage de sa puissance toute neuve par l’Inde car tout se passe comme si la quête de cette puissance était devenue une fin en soi. Mais le fil rouge qui court sur toute la période reflète une continuité fondamentale : la volonté d’indépendance nationale qui sied à un grand pays porteur d’une civilisation à part entière. Ce sentiment national – ce nationalisme devrait-on dire – forme un socle commun à toutes les forces politiques du pays. Ainsi, on voit la gauche communiste et la droite nationaliste hindoue se retrouver aujourd’hui pour condamner un accord nucléaire avec les Etats-Unis qui entame à leurs yeux l’indépendance nationale. Mais Manmohan Singh, le signataire de l’accord, n’est certes pas prêt à hypothéquer cette indépendance nationale. Il ne s’agit pas pour lui d’aliéner la souveraineté nationale mais, de façon pragmatique, d’obtenir l’appui des Etats-Unis pour accélérer la montée en puissance de l’Inde. Manmohan Singh serait donc moins un réaliste qu’un pragmatique."







Clemenceau

"Ma Brève sera consacrée à une bonne nouvelle : à partir de janvier, Michel Winock rejoindra notre équipe. Tous ceux qui se désolent et s’inquiètent de la raréfaction de l’Histoire dans l’enseignement et de sa méconnaissance dans les analyses comme dans les proclamations politiques ne pourront que se réjouir qu’un historien de ce calibre ait une nouvelle occasion de faire entendre sa voix. Je profite de cette bonne nouvelle pour signaler l’existence en poche, dans la collection Tempus, de la biographie que Michel Winock a consacré à Clemenceau, « homme de gauche maudit par la gauche du moment que celle-ci s'est affirmée révolutionnaire ». « Son histoire nous rappelle écrit Winock qu'il a existé une autre gauche : la gauche républicaine. L'homme, ses convictions, ses combats sont sans doute d'une époque révolue mais ils s'inscrivent dans une tradition, dans une famille politique issue de la révolution de 1789 et ils illustrent un certain nombre de valeurs qui ne sont pas hors de saison : l'esprit démocratique, l'impératif laïque, l'amour de la patrie, l'individualisme philosophique doublé du réformisme social. » A propos de la célèbre formule de Clemenceau, « la révolution est un bloc », Winock rappelle dans quelles conditions elle fut prononcée. Celles d’un débat à la Chambre autour de l’interdiction d’une pièce, Thermidor,  de Victorien Sardou auteur qui prenait avec l’histoire autant de libertés que Ridley Scott, et qui prétendait réduire la Révolution à la Terreur. « Depuis 3 jours écrit Clemenceau tous nos monarchistes revendiquent à l'envi la succession de Danton ; quelles que soient vicissitudes, péripéties, injustices qui ont émaillé la décennie révolutionnaire il faut considérer son héritage comme un tout : la révolution est un bloc. » On voit par-là que l’on a raison de se méfier des petites phrases et de ceux qui les sortent de leur contexte."


Le musée de la Marine

"Georges-Bernard Shaw, lorsqu'il découvrait une nouvelle salle de concert, commençait sa critique en la décrivant : était-on bien assis, avec un espace suffisant pour les jambes, à quoi ressemblait le public, comment se conduisait- il ? Était-il connaisseur où suiviste, venu pour montrer ses toilettes et son statut social ou amateur de musique ? Conservateur ou ouvert ? Je commencerai donc cette brève sur le nouveau musée de la Marine que j'ai visité à Paris (il se déploie aussi à Brest, à Rochefort, à Toulon et à Port-Louis) par dire qu'il est devenu méconnaissable et si spacieux que les maquettes qui en ont toujours été la principale attraction peuvent être vues et détaillées dans un remarquable confort. De son public, je dirais que le jour de ma visite il était composé de Parisiens guère moins jeunes que moi, mais depuis aussi longtemps et qu'il se divisait en connaisseurs et en arpenteurs. Les connaisseurs font parler les objets, les arpenteurs les passent en revue. Et il y a de quoi voir : rien n'est oublié, ni les grands tableaux des ports, ni les expéditions scientifiques, ni la pêche ni le sauvetage, ni la plaisance, ni les porte-conteneurs, ni les paquebots, ni la traite négrière, ni l'archéologie sous-marine, ni la chasse à la baleine, ni les tempêtes, ni les instruments de navigation, ni la vie à bord, ni les fonctions de représentation si décoratives de l'arme qui s'est longtemps fait appeler la Royale. Afin de ne pas être compté parmi les arpenteurs, j'ajouterai une remarque à ce qui concerne les scaphandres dont on voit au Musée de remarquables exemplaires : le détendeur, qui permet à un plongeur de respirer l'air contenu dans sa bouteille de plongée à la pression à laquelle il évolue n’a pas été conçu pour aller sous l’eau, mais sous terre. Son concepteur, le lieutenant de vaisseau Auguste Denayrouze, réformé et rentré dans son Aveyron natal après être devenu poitrinaire au Tonkin, l’a réalisé à la demande d’un ingénieur des mines de Decazeville, Benoît Rouquayrol, afin de faciliter le sauvetage des mineurs pris dans un coup de grisou et risquant de périr d’asphyxie. Jules Verne lui rend hommage dans « 20.000 lieues sous les mers ». On voit par là qu’il est bon que les choses soient dites."


Un jour aux Etats-Unis - Audition de Claudine Gay par Elise Stefanik

"J’ai reçu ce matin la lettre hebdomadaire de Guy Hervier « une semaine aux Etats-Unis », que j’ai déjà eu l’occasion de recommander. Un article m’a particulièrement intéressé, celui qui concerne l’audition des présidents d’université devant le Congrès américain, auditions beaucoup reprises par les chaînes de télévision françaises. Une députée de New York, Elise Stefanik, s’est montrée particulièrement pugnace dans ces débats face à ces présidents d’université, et notamment sur la question de l’antisémitisme. C’est du moins ainsi que l’ont présentée les télévisions françaises. Mais il se trouve que le débat a été plus profond sur l’interprétation de l’article de la Constitution américaine qui garantit la liberté d’expression (qui n’est pas envisagée de la même façon en France, il est toujours bon de le rappeler). Qui est Elise Stefanik, et quels sont ses rapports avec Harvard ? On ne nous l’a pas dit. Et Guy Hervier nous apprend que Mme Stefanik a été priée de quitter le conseil consultatif de Harvard, après ses positions en faveur de l’insurrection manquée du 6 janvier 2021 au Capitole, et sa contestation de la victoire électorale de Joe Biden. Faut-il en déduire qu’Elise Stefanik a voulu se « venger » de Harvard ? Pas forcément, en tous cas si l’ont veut faire de l’information, il faut donner ce genre de fait, et non se contenter de l’élément théâtral de l’interruption de la présidente de Harvard par Mme Stefanik. C’est une mauvaise nouvelle pour les journalistes : en 2024, il va falloir travailler …"


G. K. Chesterton

"Il y a des auteurs dont l’œuvre se transmet le long d’un chemin d’affection qui va de lecteur en lecteur. Alexandre Vialatte est de ceux-là, et le très britannique Chesterton, que Borges citait comme l’un de ses principaux maîtres et que son contemporain, ami et adversaire George Bernard Shaw décrivait comme un homme d’un génie colossal. Comme toujours, avec George Bernard Shaw, l’éloge comportait une pique car Chesterton avait l’appétit, et donc le physique d’un ogre. Il mesurait 1,93 mètre et pesait 130 kilos. Shaw, lui, était si maigre que Chesterton lui dit un jour qu’à le voir, on en déduirait que la famine sévit au Royaume-Uni et Shaw de lui répliquer, « à vous voir, on pourrait penser que c’est vous qui en êtes la cause ». Politiquement, Chesterton soutenait que  « Le monde s'est divisé entre Conservateurs et Progressistes. L'affaire des Progressistes est de continuer à commettre des erreurs. L'affaire des Conservateurs est d'éviter que les erreurs ne soient corrigées » Il portait une attention particulière et affectueuse à la tradition, qu’il justifiait ainsi : « La Tradition étend le droit de suffrage au Passé. C'est le vote recueilli de la plus obscure de toutes les classes, celle de nos ancêtres. C'est la démocratie des morts. La tradition refuse de se soumettre à la petite oligarchie arrogante de ceux qui n'ont rien fait d’autre que naître. Les démocrates n'admettent pas que des hommes soient disqualifiés du fait de leur naissance ; la tradition n'admet pas qu'ils le soient du fait de leur mort. La démocratie nous interdit de négliger l'opinion d'un honnête homme, même s'il est notre valet de chambre. La tradition nous requiert de ne pas négliger l'opinion d'un honnête homme, même s'il est notre père. »"


Enver Hoxha : du totalitarisme en Albanie

"J’en profite pour signaler le livre de Bertrand Le Gendre, que je viens juste de recevoir et n’ai pas encore lu. Enver Hoxha était un dictateur extraordinairement pittoresque (sauf pour son peuple), qui a réussi à enfermer l’Albanie sur elle-même, après s’être fâché avec Staline, Mao, Tito, et à peu près tout le monde. Il était cependant très francophile (et francophone), au point d’avoir inspiré une secte en France, tout sanguinaire qu’il était … "


Le dernier des Juifs

"En 2016 Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach relevaient dans leur livre L’An prochain à Jérusalem qu'en Seine-Saint-Denis, à Aulnay-sous-Bois, le nombre de familles de confession juive est passé de 600 à 100, au Blanc-Mesnil de 300 à 100, à Clichy-sous-Bois de 400 à 80, à La Courneuve de 300 à 80. C'est dans l'une de ces communes que vit Bellisha, avec sa mère Gisèle, qui ne parle que de déménager et qu’incarne Agnès Jaoui en évitant, ou plutôt en renouvelant les clichés de la yiddishe muter. Bellisha est le protagoniste du film de Noé Debré, Le Dernier des juifs, qui sera dans les salles mercredi. C’est un jeune homme cartilagineux qui vit en retrait. Il fait croire à sa mère - du moins le pense-t-il - qu’il effectue un stage en entreprise et qu’il fréquente une salle où il apprend l’auto-défense. En réalité, sa défense consiste à éviter tout ce qui pourrait le contraindre à faire des choix, à prendre des décisions. Il coule des heures agréables dans le lit d’une voisine musulmane et mariée, il s’occupe de sa mère malade et qui sort de moins en moins, sinon sur son balcon. Bellisha voit la situation : le dernier magasin cascher ferme, les derniers voisins juifs partent, mais, comme on dit, Bellisha n’imprime pas. Il amortit. C’est une trouvaille et une réussite de Noé Debré que de nous mettre devant les yeux une réalité que nous nous efforçons avec succès d’ignorer non pas à travers un militant ou un indigné, mais à travers un grand dadais si lunaire qu’il en est comique, excellement campé par Michael Zindel. Au fond, pourrions-nous nous dire, ces Juifs qui quittent le 9.3, ça n’est pas grave, ça n’est pas un exode, mais une simple évaporation…"


Le déclin de la petite bourgeoisie culturelle

"L’auteur s’intéresse à un ensemble apparemment hétérogène, où l’on trouve des professeurs, des instituteurs, des conseillers d’orientation, des bibliothécaires, des artistes, mais aussi des travailleurs sociaux, des dirigeants d’association, des psychologues, des designers, des publicitaires, des journalistes … Ces personnes ont en commun d’avoir, à partir des années 80, connu une vie matérielle et un statut social meilleurs que ceux de leurs parents. Leur évolution est due à l’acquisition d’un capital culturel constitué dans l’effondrement du monopole de l’école dans la production des normes. Les politiques publiques, nationales, régionales ou municipales, ont favorisé et soutenu cette petite bourgeoisie. Or, depuis le début du XXIème siècle, ces politiques publiques s’effritent à grande vitesse. Il en résulte une fragilisation de cette petite bourgeoisie culturelle dont Élie Guéraut écrit : qu’elle « occasionne une perte de son pouvoir sur les institutions locales conquis dans les années 1980 et 1990, mais aussi de sa légitimité à se présenter en prescripteur de goûts et de pratiques culturelles. » Le paysage  culturel et ses habitants changent à bas bruit et la recherche menée par Élie Guéraut pourrait bien, comme le dit son auteur, « fonctionner comme un miroir grossissant de phénomènes valables à l’échelon national » et, à travers cette incarnation particulière des classes moyennes qu’est la petite bourgeoisie culturelle, nous éclairer sur les déceptions et les angoisses de toute cette partie de nos concitoyens."



À propos de la cérémonie des César

"J’ai reçu d’un auditeur cinéaste une copie d’un communiqué émis par l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma le 23 janvier 2024. Il est intitulé : Non-mise en lumière d'une personne éligible aux César en cas de mise en cause judiciaire Un consensus s’est dégagé pour décider que dans l’hypothèse d'une mise en examen ou d’une condamnation judiciaire d’un·e participant·e à un film éligible pour des faits de violences, notamment à caractère sexiste ou sexuel, la personne ainsi mise en cause ne ferait l’objet d’aucune mise en lumière. En pratique, sans préjudice de la présomption d’innocence, la personne mise en examen ou condamnée ne sera invitée à aucun de ces événements organisés par l’Association. La révélation de la décision de mise en examen ou de condamnation pénale pourra être le fait de la publicité donnée à une affaire par les médias nationaux. Cette révélation pourra également venir de la victime partie civile ou de son avocat, qui pourront contacter à cet effet le secrétariat de l'Académie (…) Enfin, si à l'issue des deux tours de scrutin, les membres votants de l’Académie décidaient d’attribuer un César à une personne faisant l’objet d’une mise en cause judiciaire, ce vote ne donnerait lieu à aucune remise de César sur scène ni à aucun discours par ou pour la personne concernée, qui ne bénéficiera d’aucun parcours presse ni d'aucune mise en avant sur les différents supports de l’Académie.
D’un commun accord entre le Bureau et la Chambre des Représentants de l’Académie, il a enfin été décidé que la réflexion se poursuivrait après la Cérémonie 2024, afin d’évaluer ce nouveau dispositif et d’étudier toutes les pistes qui pourraient permettre de l’augmenter, tout en s’inscrivant dans le strict respect du droit des personnes mises en cause. En écho, ce tweet de mon confrère Hubert Huertas Il est étonnant à observer cet hommage absolu à Robert Badinter de la part d'une société qui pratique ce qu'il a dénoncé toute sa vie: la condamnation à mort (sociale), sans jugement, au nom de « la victime » qui devient le juge, l'avocat général et le jury. Ces dernières années, devant la cascade de dénonciations-condamnations dans les affaires de viols ou d'abus sexuels, Badinter le disait, avec sa femme Elisabeth, et tous deux étaient renvoyés à leur état de bourgeois réactionnaires par ceux qui enterrent aujourd'hui le flamboyant Robert, en le couvrant de fleurs."


Soutenez-nous !

"J’ai récemment lancé un appel au financement de notre émission, en soulignant à quel point il était vital, et à quel point son absence posait un risque existentiel pour nos conversations. Les réponses ont été à la hauteur de mon inquiétude, et je remercie celles et ceux qui n’ont pas tardé à réagir, mais nous ne sommes pas encore tirés d’affaire. Il faudrait que vos contributions (et notamment les contributions mensuelles, qui nous aident à à avoir une visibilité sur nos finances) soient encore plus nombreuses et substantielles pour que je puisse vous annoncer que le Nouvel esprit public est prêt à continuer. "


Splann !

"Je voudrais recommander un site qui mène des enquêtes journalistiques d’utilité publique en Bretagne une des régions les plus industrialisées du monde, pour ce qui est de l’agroalimentaire, en français et breton. Ce site s’appelle Splann !, il est indépendant, fiancé par ses lecteurs. Depuis 2021, il a déjà produit nombre d’enquêtes fort intéressantes, sur le comportement de la SAFER, sur une société d’implantation d’éoliennes, sur les mégaporcheries, sur la méthanisation. Marraine de ce média, Inès Léraud, autrice, avec Pierre Van Hove de l’enquête en BD qui a fait quelques bruit, Algues vertes, l’histoire interdite (éditions Delcourt, 2019). Elle est convaincue, « qu’en s’implantant sur un territoire et en le sillonnant à fond », il est possible d’explorer des sujets « qui ne sont plus traités, par lassitude, parce qu’ils sont sortis des radars, ou pour des raisons plus inavouables ». Des poursuites en diffamation intentées contre elle par des représentants de l’industrie agro-alimentaire, ont été abandonnées après qu’un collectif de journalistes se soit constitué pour la défendre. Ce collectif a donné naissance à Splann !"



Hommage à Jean-Marie Borzeix

"Jean-Marie Borzeix, qui fut directeur et rénovateur de France Culture de 1984 à 1997 est mort dimanche dernier. C’est à lui que je dois d’être entré dans cette maison. Sa façon d’incarner ce dont il se réclamait, convictions personnelles ou conceptions du métier suffisait à asseoir son autorité. De tous ceux sous la responsabilité de qui j’ai eu à travailler, il est le seul que j’appelais « patron ». Comme les comédiens du TNP le faisaient avec Vilar. Comme les acteurs de sa troupe le faisaient avec Jouvet. Comme je, comme nous, qui étions la troupe qu’il avait réunie, en plus de reconnaître et de partager sa vision de notre métier, en plus de nous retrouver dans son idée du service public, qui était de prendre le risque de proposer à nos auditeurs des émissions dont ils ne savaient pas qu’ils pourraient les aimer, en plus de comprendre qu’il offrait à France Culture l’avenir dont elle avait besoin, nous ressentions une affection et une admiration immarcescibles pour l’élégance avec laquelle il nous dirigeait. Élégant est une épithète qui lui allait, qui lui va pour toujours. Jean-Marie Borzeix était l’élégance faite homme. Adieu patron, merci, Jean-Marie."


Brillat-Savarin : le gastronome transcendant

"La gloire, écrivait Alexandre Vialatte, consiste à être oublié par son nom. Ainsi circule à l’arrière-plan de notre paysage intellectuel une tribu des illustres méconnus, dans laquelle on ne s’étonnera pas que Jean-Robert Pitte, le père de l’inscription du repas gastronomique des Français sur la liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO ait choisi, pour en publier une passionnante biographie, l’auteur de la Physiologie du goût, Jean-Anthelme Brillat-Savarin,1755-1826. A cheval entre bourgeoisie et aristocratie, juriste d’abord avocat puis haut magistrat, député du Tiers, exilé en Suisse puis aux États-Unis où il vit de ses talents de violoniste, réformateur aux convictions souples, catholique sans excès, initié jeune homme à la gastronomie par les moines, curieux de beaucoup de sujets comme l’étaient les heureux de son époque, Brillat-Savarin, écrit Pitte, fait preuve d'une heureuse philosophie et d'une constante bonne humeur qui s'expriment dans maints passages de sa correspondance ou de la Physiologie. C'est l'une des principales raisons du succès du livre : on éprouve l'envie de partager de bons moments avec lui - une partie de chasse, un repas, une fête, un voyage d'agrément ... Jean-Robert Pitte retrace le chemin aux nombreuses étapes qui conduira Brillat-Savarin à faire de la gastronomie non une jouissance égoïste, mais le principe consolateur et bonificateur de l'humanité. Qu’est-ce que la gloire ? Ne serait-ce pas de laisser son nom à un fromage, un fromage triple crème, le foie gras du fromage, qui appelle un vin blanc de Bourgogne, le Brillat-Savarin ?"



Les médiateurs de presse

"À la suite de l'arrêt du Conseil d'état concernant le respect des obligations de pluralité qui s'imposent à l'information audiovisuelle, il m'est revenu qu'il y a plusieurs années la presse écrite et audiovisuelle avait créé des postes de médiateurs. Les citoyens étaient invités à les saisir lorsqu'ils constataient ou croyaient constater que ces obligations étaient méconnues ou violées. Cette vertueuse disposition, imitée des pays scandinaves et de leurs ombudsmen, ne me semble pas avoir connu l'avenir qu'elles promettaient et, très rapidement, dans le plus grand nombre des cas les médiateurs ce sont transformés en éléments de la stratégie de communication de leurs organes de presse. La décision du Conseil d'état à laquelle je viens de faire référence a suscité de nombreux commentaires. Soulignons le risque d'une sorte de police de l'information exercée par l'Arcom sous le contrôle de notre plus haute juridiction administrative. Je me demande si l'un des moyens d'éviter ce risque ne serait pas que chaque organe de presse accepte, mais cette fois-ci réellement, d'assurer lui-même la régulation des obligations de pluralisme et celles de la véracité de l'information, bref, que les médiateurs soit assurés de leur indépendance et qu'il jouissent des moyens d'exercer leur mission."




Appel aux auditeurs

"Il est probable que Le Nouvel Esprit public auquel vous êtes attaché(e)s depuis 7 ans ne continuera pas à la rentrée de septembre. Pourquoi ? Pour des raisons financières, bien sûr. Parce que tout augmente, les frais de studio, les frais de post-production, les frais de diffusion, les frais généraux et les charges sociales. Mais aussi et même surtout à cause d’un paradoxe sur lequel a mis le doigt notre commissaire aux comptes : nous ne cessons de gagner des auditeurs et de perdre des contributeurs. Comment est-ce possible ? Notre budget repose sur deux types de contributions, les mensuelles et les ponctuelles. Les mensuelles représentent 40% de nos ressources. Celles et ceux qui ont choisi ce mode de soutien se montrent fidèles et restent à nos côtés après leur premier versement. Ceux qui nous soutiennent par une contribution ponctuelle, (60% de nos ressources) quel que soit son montant, ne la renouvellent que par intermittence, quand la mémoire leur revient, qu’ils se rappellent que nous comptons sur eux et qu’ils ne négligent pas de joindre le geste à ce souvenir. Quelquefois, tout en nous conservant leur écoute et leur estime, ils oublient définitivement de renouveler leur soutien. La raison en est simple : nos conversations et nos badas hebdomadaires continuent à leur arriver régulièrement, notre compendium est à leur disposition chaque semaine et rien ne leur rappelle que leur soutien est indispensable sauf les phrases que je prononce rituellement chaque dimanche et que des amis de notre podcast m'ont reproché de prononcer sur un ton trop léger. Je vais donc être clair, lourd et même relou : si vous souhaitez continuer à recevoir chaque semaine les enregistrements et le compendium de nos conversations hebdomadaires sur l'actualité nationale et internationale, si vous souhaitez recevoir chaque semaine l'enregistrement d'un des badas de la série si c'est pour la culture on a déjà donné, sachez que nous avons besoin du plus grand nombre possible de contributions régulières, modestes ou fastueuses. Si vous ne nous avez encore jamais envoyé de contribution faites-le et faites-le en mode mensuel. Si vous nous avez envoyé un soutien ponctuel sous forme de chèque ou de virement merci d'envisager de transformer votre contribution en un don mensuel."


Courriel d’un auditeur après mon appel de dimanche dernier

"Votre appel à contribution diffusé dimanche dernier m'inspire deux choses. D'abord, une vilaine paresse morale, peut-être favorisée par la société de l'instantané et de l'oubli (parfois de l'oubli instantané) au sein de laquelle nous vivons, m'a conduit à ne pas exprimer jusqu'ici ma profonde gratitude pour l'œuvre de salut public que vous avez engagée et soutenue depuis tant d'années. Je souhaite réparer cette faute. Grâces vous soient rendues, du fond du cœur, pour cette entreprise. L'existence d'un débat véritable étant à mes yeux l'une des conditions les plus élémentaires de la vie démocratique, vous entretenez une flamme dont les torrents d'invectives et de fake news contribuent chaque jour à montrer combien elle est fragile, et combien elle est nécessaire. J'ai pris ce matin un abonnement mensuel pour soutenir l'effort de guerre."




Revue Telos

"Je vous conseille la revue en ligne Telos, qui publie un article quotidien dont je trouve que la lecture est à la fois agréable et riche, elle ouvre des tas de pistes. Par ailleurs, le galeriste Alexis Nabokov a posté cette citation de Pier Paolo Pasolini sur les réseaux, que je trouve particulièrement pertinente à l’heure actuelle et que je reprends ici : « Il existe aujourd'hui une forme d'antifascisme archéologique qui est en somme un bon prétexte pour se décerner un brevet d'antifascisme réel. Il s'agit d'un antifascisme facile, qui a pour objet et objectif un fascisme archaïque qui n'existe plus et qui n'existera plus jamais. [...] Voilà pourquoi une bonne partie de l'antifascisme d'aujourd'hui ou, du moins, de ce que l'on appelle antifascisme, est soit naïf et stupide, soit prétextuel et de mauvaise foi; en effet, elle combat, ou fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique, qui ne peut plus faire peur à personne. C'est, en somme, un antifascisme de tout confort et de tout repos. Je suis profondément convaincu que le vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentiment nommé « la société de consommation », définition qui paraît inoffensive et purement indicative. Il n'en est rien. »"


Rwama, vol. 1 : mon enfance en Algérie

"A propos de bandes dessinées, suite à une brève précédente d’Akram, j’ai acheté ce roman graphique et je ne puis que seconder sa recommandation à nos auditeurs : avec un trait aussi clair que soigné, Salim Zerrouki nous éclaire de façon très simple sur l’histoire de l’Algérie depuis son indépendance, à travers l’enfance d’un gamin qui grandit dans un immeuble un peu particulier d’Alger, entre 1975 et 1992. C’est le premier volume d’une série, et j’ai personnellement hâte que suivant paraisse. "


Neuf mois : récit

"Je n’ai pas dû manquer beaucoup d’articles de Philippe Garnier, ce journaliste qui parlait beaucoup de cinéma et éventuellement de rock n’roll, ni ses traductions, de John Fante ou Bukowski. Et si j’en avais manqué, Bertrand Tavernier (qui l’aimait beaucoup) me l’aurait signalé … Il vient de publier un livre aux éditions de l’Olivier, qui s’intitule Neuf mois, c’est-à-dire le temps qui a séparé le diagnostic du cancer de l’estomac de sa femme Elizabeth, de sa mort. Un livre dans lequel il faut entrer très poliment, et dont on sort avec le besoin d’un long moment de silence. Je le commenterai avec trois citations. La première est de Philippe Garnier lui-même : « j’écris ce livre non pour me faire pardonner, ni pour la faire revivre, mais plutôt comme un tribut à la femme dont j’ai toujours cru tout savoir, et qui m’a surpris jusqu’au bout ». La deuxième est d’Henri Calet : « ne me secouez pas, je suis plein de larmes » ; et la dernière de Jean-Loup Dabadie, qui fait dire à Jean Rochefort dans « Nous irons tous au paradis » : « vous qui pénétrez dans mon cœur, ne faites pas attention au désordre »."


The Durrells : une famille anglaise à Corfou

"J’aimerais faire l’éloge de la programmation d’Arte, et notamment celle de son « replay ». On y trouve une réserve de documentaires, majoritairement sur l’histoire contemporaine, mais pas seulement (il y en a par exmeple un excellent sur Magellan), ainsi que des séries et des films de fiction. Et ils ne sont pas tous confidentiels. Des policiers nordiques bien sûr, et en en ce moment, cette série, tirée du livre de Gerald Durrell : The Durrels in Corfu. Ce sont vraiment des vacances, ça fait beaucoup de bien, cela apaise. Vive Arte !"


Hommage à Benoît Duteurtre

"Je veux rendre hommage à Benoît Duteurtre, mort d’une crise cardiaque à 64 ans, mercredi dernier et dont Etienne de Montéty a si justement écrit dans le Figaro qu’« entre mille dons, musique, littérature, il avait celui de l'amitié» Ami, il le fut de Sempé et de Kundera, de Philippe Muray et de Jean Clair, Il était studieux mais sans l’afficher, courageux, mais sans en faire parade. Il fit rendre gorge au Monde qui, ne supportant pas sa critique de la musique contemporaine française et du pontificat de Pierre Boulez, l’avait comparé à Robert Faurisson. Le Monde, aussi rancunier que la mule du pape, a passé sous silence cet épisode dans l’articulet d’une parfaite platitude qu’il a consacré à la mort du producteur d’Étonnez-moi Benoît. Son ironie était à la fois cruelle et de bonne humeur, qu’il brocarde l’époque où qu’il tourne la maire et la mairie de Paris en ridicule. Dans les choix qui lui ont valu tant d’auditeurs heureux à France Musique, tout était sincère et il réussissait à naviguer non à contre-courant, mais sur des cours d’eau à l’écart. Il se sentait du Havre et des Vosges, du pays reçu et du pays choisi et il savait en parler et les faire découvrir. L’incrédulité a rendu encore plus navrante l’annonce que son cœur l’avait lâché."







Ces Russes qui s’opposent à la guerre

"Je voudrais recommander Ces Russes qui s’opposent à la guerre, un livre collectif préfacé par Marie Mendras paru aux éditions Les Petits matins. « Un héros, écrivait Romain Rolland dans « Jean-Christophe », c’est quelqu’un qui fait ce qu’il peut. Les autres ne le font pas. ». Celui qui a créé le projet Iditie lessom, « Passer par la forêt » pour venir en aide aux déserteurs, celle qui, avec Memorial, cette association qui, jusqu’à sa dissolution par Poutine malgré son prix Nobel, rendait et continue à rendre aux Russes leur mémoire parce que sans cette mémoire, on ne peut pas constituer une société civile, celle qui a créé Kovtcheg, « L’Arche », pour accompagner les Russes en exil, celle qui anime la chaîne YouTube de la fondation anticorruption d’Alexeï Navalny, celui qui a fondé les éditions Freedom letters et qui, en publiant « Berceuse pour Mariopol », donne la mesure de l’abomination de la guerre de Poutine, tous, lorsque les artisans de ce livre leur demandent  : « qu’aimeriez-vous dire aux lecteurs européens ? » répondent qu’il existe dans toute la Russie des personnes qui ne se résignent pas à la tyrannie poutinienne et que soutenir l’Ukraine contre son agresseur, c’est les soutenir. Sergueï Gouriev, Grigori Sverdline, Alexandra Garmajapova, Inna Berezkina, Anastasia Chevtchenko, Irina Sherbakova, Anastasia Bourakova, Gueorgui Urushadze, Timofeï Martynenko, Natalia Arno, Lev Ponomarev, Helga Pirogova, et Olga Mikhaïlova, l’avocate de Navalny font ce qu’ils peuvent. Il me semble que nous pouvons leur donner le nom que leur réservait Romain Rolland, mais ce n’est pas ce qu’ils nous demandent ; ils nous demandent de réaliser et de dire qu’ils ne sont pas seuls et qu’en Russie et en dehors, il existe ce que Marie Mendras ne craint pas d’appeler une Résistance."


Pompes funèbres : les morts illustres 1871-1914

"Je voudrais signaler le dernier livre de Michel Winock, Pompes funèbres. S'appuyant sur Michelet qui définissait l'Histoire comme une résurrection, Winock à travers le récit de la mort et des funérailles d'une vingtaine de personnages capitaux, donne à voir l’essentiel de leur vie, et propose une histoire cursive et alerte de la IIIème République. On y trouvera des visites à de grands écrivains : Hugo. Zola, Jules Vallès, Péguy, tous mêlés à la vie politique de leur temps, de grands intellectuels, Michelet, (enterré trois fois),  Renan, Pasteur, des acteurs capitaux des nombreux combats de l’époque, Gambetta, Thiers, Jaurès, des méconnus comme Sadi Carnot et des défavorablement connus comme Félix Faure, d’admirables oubliés, comme Louis Rossel, le patriote intransigeant, des féministes, révolutionnaire, comme Louise Michel, réformatrice, comme George Sand, hésitante, comme Louise Colet. « Je ne propose pas ici une haie d'honneur, écrit Winock je retrace à grands traits l'existence d'une vingtaine de personnalités qui ont compté dans notre histoire, sans brûler l'encens et sans agiter le fouet. Je ne cache pas pour autant mes sympathies et, plus rarement, mes répulsions. Car ces morts vivent en moi, même si je ne veux pas me laisser prendre au mirage du passé ». Ce tranquille mélange d’érudition et de conviction est la marque du biographe, de Clémenceau, de Flaubert et de Madame de Staël …"


Sortir du travail qui ne paie plus : compromis pour une société du travail au XXIème siècle

"Je voudrais signaler le livre d’Antoine Foucher, « Sortir du travail qui ne paie plus », aux éditions de l’Aube. L’auteur constate que, pendant les 30 glorieuses, le niveau de vie a augmenté de 5% par an, ce qui permettait de le doubler en 15 ans. Aujourd'hui, il augmente de 0,8% par an, autrement dit, il faut travailler 84 ans pour vivre deux fois mieux. Le mouvement qui voulait que l'on vive de mieux en mieux en travaillant de moins en moins grâce à un travail de plus en plus productif s’est arrêté. Les travailleurs actuels doivent travailler davantage que leurs parents sans avoir l'espérance de vivre mieux qu'eux. Il nous faut réindustrialiser, investir dans l'éducation, dans les compétences et dans l'innovation alors que nous surinvestissons dans les retraites et la protection sociale. Ne plus faire reposer sur les travailleurs l'essentiel de la fiscalité, car nous taxons le travail 8 fois plus que l'héritage, 3 fois plus que les retraites, une fois et demie plus que la rente. Il faut remettre à plat la fiscalité, soulager le travail de 100 milliards d'euros, taxer les 10% des héritages des plus élevés et les retraites les plus substantielles. Il faut créer une TVA de souveraineté, par exemple sur les biens intensifs en carbone importé comme les voitures produites en Asie, qui serait soumise à une TVA de 25%. La moindre originalité de ce livre n'est pas de proposer pour cette remise à plat de la fiscalité un référendum qui définirait un nouveau contrat social fondé sur le travail."


Schnock n°52 « Pompidou »

"Je suis un lecteur assidu et généralement comblé de Schnock, la revue des vieux de 27 à 87 ans. Ses numéros sont de délicieux bains que nous prenons dans notre mémoire, mais aussi, et même surtout dans la mémoire des autres. Son 52ème numéro est essentiellement consacré à Georges Pompidou. Comme d'habitude, on y trouve aussi des coup de projecteur, ici sur Simone Signoret et le feuilleton La Juge, plus loin sur le comédien Henri Guybet ou sur le dessinateur Serre, dont les albums sont des chefs-d’œuvre d'humour noir servis par un crayon virtuose. Sur Georges Pompidou, on apprendra ou on se remémorera son goût de l'art contemporain, sa dilection pour la vitesse, qu'il s'agisse de conduire une Porsche ou de mener l'action du gouvernement, et on restera quelque peu ébahi en constatant tous les traits qui le distinguent de ses prédécesseurs et de ses successeurs. On pourra notamment méditer sur une période où la modernité était la préoccupation et le fait de la droite, mais, à mon regret, il manque à ce numéro un chapitre sur Pompidou et Paris. L'homme qui a fait inconsidérément (à mon avis) détruire les pavillons de Baltard et voué Paris à la destruction de son centre, sans réfléchir au fait que ce centre n'était pas seulement le ventre de la capitale mais aussi son cœur et qui a remplacé ce cœur par un hypersupermarché plein de commerces sans commerçants, cet homme-là aurait mérité que l'on passe en revue une politique dont l'embourgeoisement et l’uniformisation de la ville n'auront pas été la moindre des conséquences, ni la moins fâcheuse."


Mémoires interrompus

"L’Institut Lumière et Actes Sud publient ces Mémoires interrompus de Bertrand Tavernier. C’est aussi passionnant que son Voyage au cœur du cinéma français, on y retrouve la qualité de la mémoire et l’ampleur du regard de l’auteur. C’est à la fois sa ville, Lyon, son enfance, son entrée dans le cinéma, d’abord comme spectateur glouton, puis comme attaché de presse (de Jean-Luc Godard entre autres), ses premiers films, l’importance du soutien de Philippe Noiret … Plus largement, c’est tout le monde du cinéma, avec les films, les producteurs, les acteurs, les techniciens, la cantine des tournages, qu’on retrouve dans ce livre, avec la générosité de Bertrand Tavernier. Et bien que le livre soit assez épais, il se termine très tôt, avec Un dimanche à la campagne, qui est l’un de ses films que je préfère. Mais c’est une bonne chose que le livre se termine sur ce film, que Bertrand a fait (et réussi) contre toute raison, et qui lui avait valu les insultes les plus répugnantes de certains journaux."


Chefs-d’œuvre de la galerie Borghese

"Je voudrais m'insurger contre l'exposition au musée Jacquemart-André des chefs d'œuvres de la galerie Borghèse. C'est en effet un attrape-nigaud. Ayant été l'un de ces nigauds, je peux dire que l'absence d'un quota de visiteurs autorisés à entrer abouti à une telle concentration de personnes épaule contre épaule qu'on pourrait la comparer sans exagérer à l'agglomération des passagers de la ligne 13 du métro entre 17h et 20h. La société Culturespaces qui gère ce musée ne semble pas avoir d'autres buts que financiers et, pourvu qu’ils paient, elle n’éprouve aucune gêne à entasser les visiteurs dans des conditions qui défient même les règlements sanitaires applicables à l’élevage des volailles en batterie."


Ma Comédie-Française : une histoire intime de la Maison de Molière

"Aliette Martin nous fait découvrir « sa » Comédie-Française qu'elle fréquente depuis ses 6 ans. Dans l'ombre pendant quarante ans, de Pierre Dux à Eric Ruf, elle était le métronome de cette maison, chargée d’abord d'assister la direction artistique puis la coordination de la salle Richelieu. Au rythme de ses souvenirs, elle nous emmène aux côtés des metteurs en scène, des comédiens et des administrateurs. « J'ai beaucoup appris à leur écoute. Les êtres humains sont faillibles, mais je peux témoigner de la sincérité, de la rigueur que chacun s'efforce d'avoir. » Et de la persévérance, comme celle dont fit preuve Francis Huster, héros tourmenté de Tchekhov dans la Mouette, qui essaya un nombre incalculable de fois d'accéder au poste d'administrateur du théâtre. Le ton est affectueux, volontiers humoristique, sauf quand Aliette Martin n'hésite pas à dire les choses qu'elle réprouve et ne cache pas les moments de tension. Les colères du metteur en scène Robert Wilson lors de la création des Fables de La Fontaine ou les affrontements entre l'administratrice Muriel Mayette-Holtz – première à faire rentrer au repertoire un auteur américain, Tennessee Williams – et le conseil d'administration où certains sociétaires sont présents. Cette écriture tendre, à la première personne, dévoile les rapports au sein de la troupe, décrit les spécificités de ce théâtre qui vont des acrobaties de l'alternance des représentations dans la salle Richelieu au fonctionnement de la Société des comédiens français et aux comités de fin d'année dont dépend le sort des uns puis des autres."


La fille du régiment

"Presque quatre-vingts opéras en cinquante-trois ans de vie. Quelques fois Donizetti en écrivait cinq en un an, raboutant des restes et reprenant des ritournelles sans vergogne. La plupart des livrets étaient désolants, tartinant de quoi faire pleurer Margot sur fond de drames historiques dans lesquels l’Histoire cascadait comme la vertu dans la mythologie revue par Offenbach. Mais, pour peu qu’une artiste relève les défis de la partition, le public était en transe. Les poncifs n’effrayaient pas le compositeur, ses librettistes les lui servaient à la chaîne. Avec Lucia di Lamermoor, Ils lancèrent la mode des brumes écossaises, parfait décor d’un romantisme convenu, et accessoirement concours d’ut de poitrine. Avec La Fille du régiment, qui se donne jusqu’à la fin novembre à l’opéra Bastille, Donizetti s’est lâché dans le genre bouffe pour ne pas dire bouffon. Laurent Pelly l’a mise en scène avec une bonne humeur qui ne boude pas son plaisir dans des décors et des costumes qui donnent à son travail des allures de bande dessinée de l’époque de la ligne claire. Sous la baguette d’Evelino Pidò, l’orchestre est à la fête. Julie Fuchs est une Marie aussi à l’aise dans les cabrioles que dans les roulades vocales, même les plus aiguës. Le soleil qui manquait cruellement en ville ces derniers jours resplendit sur la scène de ce bâtiment lourdaud devenu palais du bel canto."


Les graines du figuier sauvage

"Deux recommandations pour moi cette semaine, qui appuient deux manifestations culturelles qui fonctionnent déjà très bien. Si je les soutiens, c’est pour éviter que des auditeurs tentés de s’y rendre ne renoncent par crainte de ne pas trouver de place. La première est pour le film du réalisateur iranien Mohammad Rasoulof, d’une extrême finesse, qui donne à voir avec une formidable précision ce qu’est la situation quotidienne en Iran, et plus précisément celle des femmes. Toutes les séances sont pleines, mais il est désormais possible de réserver dans les cinémas, je vous encourage donc à le faire, car passer à côté de ce film par crainte de ne pouvoir entrer dans la salle serait vraiment dommage."


Caillebotte : peindre les hommes

"La seconde est pour cette exposition, dont on peut dire qu’on ne la reverra sans doute jamais, parce qu’il y a une quantité considérable d’œuvres de Caillebotte (peintures, mais aussi dessins) venues de collections privées. Le travail nécessaire à réunir tout cela ne sera pas reproduit avant très longtemps, il ne faut donc surtout pas la rater. L’exposition est magnifique, très bien organisée, la diversité et l’originalité des tableaux donne une idée de la formidable originalité de ce peintre longtemps sous-estimé. D’après les jeunes gens qui gardent les salles, si l’on vient le matin (cela ouvre à 9h30 et là encore, il est possible de réserver) ou le soir d’ouverture hebdomadaire (le jeudi), c’est nettement moins fréquenté. Exceptionnel."



Soutenir le Nouvel Esprit public

"Votre contribution nous est nécessaire, et même indispensable. Et elle est plus précieuse pour nous quand elle prend la forme d’un don mensualisé. Nous préférons par exemple 20€ par mois à 240€ d’un seul coup ; d’abord cela nous donne une visibilité sur nos finances, mais cela nous évite aussi de devoir prier chacun de ceux qui nous font un don annuel de nous en faire un autre l’année suivante. Profitez des six semaines à venir pour nous faire un don et profiter de la défiscalisation à 66%. Et soyez remerciés par avance de vos contributions."


Géopolitique de la puissance américaine : quel rôle pour les Etats-Unis dans le monde ?

"Je voudrais signaler deux livres sur les États-Unis, le premier de Laurence Nardon, Géopolitique de la puissance américaine. Quel rôle pour les États-Unis dans le monde ? L'un des intérêts du livre de Laurence Nardon et de replacer la situation actuelle dans l'évolution de la géopolitique américaine depuis la fin du dix-neuvième siècle. Sur cette base, elle examine les différentes mutations de la puissance économique, de la puissance militaire, de la puissance technologique, et du soft power des États-Unis avant d'examiner la marge de manœuvre que cette évolution et ces mutations laissent à l'Europe. "


Les États-Unis au bord de la guerre civile ? Pourquoi les Américains se détestent.

"Le second de Mathieu Gallard, Les États-Unis au bord de la guerre civile ? Pourquoi les Américains se détestent. Mathieu Gallard a écrit son livre plusieurs mois avant l'élection mais il prend la candidature de Trump très au sérieux et il y voit un moment décisif d'une évolution vers la polarisation du pays dont il pense qu'elle le conduit au bord de la guerre civile, situation dont il cherche à déceler les conséquences. Lui aussi replace les tensions politiques et sociales dans leur contexte historique et analyse le processus de polarisation à partir de l'apolitisme des années 50 avant d'examiner les différents scénarios possibles pour les États-Unis et leurs conséquences pour l'Europe. Mathieu Gallard rappelle que les lois clivantes sur les droits civiques ou sur la protection sociale ont été adoptées naguère par des majorités bipartisanes aujourd'hui impossible à réunir. Il souligne un point que j'ai peu vu développé : celui d'un découpage électoral ultra partisan qui n'incite plus les élus à conquérir un électorat modéré, découpage couplé à un système de primaire qui conduit à sélectionner les candidats radicaux et à un système de financement de la vie politique qui offre aux donateurs de considérables possibilités d'influence. Si on observe que de Reagan à Trump les Républicains se sont considérablement radicalisés, on a moins conscience que ce mouvement existe également chez les Démocrates. Gallard définit une polarisation affective qui a contribué à l'élection de Trump et souligne que la polarisation aux États-Unis si elle n'est pas totale pourrait encore s'aggraver."


La plus précieuse des marchandises

"Je vous recommande ce film de Michel Hazanavicius, d’après un conte de Jean-Claude Grumberg. C’est un film d’animation, où la parole est réduite au strict nécessaire, un exercice où le metteur en scène excelle. Il me semble qu’à un moment de torréfaction de la haine civique et sociale dans le monde (et notamment dans les sociétés occidentales), ce conte-là, même s’il fait référence à une période précise de l’histoire de la haine, est un moment précieux, dont la diffusion est nécessaire."


Gladiator II

"Le précédent film de Ridley Scott, Napoléon, m’avait paru ennuyeux, sans compter que son rapport à l’histoire était à peu près celui du Lycée Papillon : « Vercingétorix, né sous Louis-Philippe, battit les Chinois un soir à Roncevaux » … J’ai donc hésité à aller voir Gladiator II, et je me réjouis d’avoir surmonté mes hésitations. D’abord parce que cette suite est un très bon divertissement où, Hollywood oblige, les effets spéciaux sont certes nombreux, mais ne sont qu’un moyen de raconter l’histoire sans la noyer. C’est très bien rythmé, et bien distribué, par des acteurs très bons mais qui ne vous font pas vous lever de votre fauteuil. A une exception près : Denzel Washington, absolument formidable. Comme me le disait l’ami avec qui je suis allé voir le film, il ne joue pas dans un blockbuster hollywoodien mais dans une pièce de Shakespeare. Sa performance est un régal."


La Mouette

"Pourquoi faut-il aller voir La Mouette d’Anton Tchekhov mise en scène par Stéphane Braunschweig au théâtre de l'Odéon où elle sera donnée jusqu'au 22 décembre ? Pour la traduction d'André Markowicz et Françoise Morvan, fluide, naturelle, précise. Pour la mise en scène et la direction d’une petite troupe sans faiblesse, avec des actrices et des acteurs qui jouent dense et dépouillé et qui rendent jusqu'au creux et aux non-dits de leurs échanges. Et puis bien sûr, pour la pièce, pour la manière dont son atmosphère nous enveloppe, pour cette visite à un monde borné et finissant, pour tout ce qu'il a de semblable au nôtre, pour tous les vains soupirs et toutes les vaines prétentions d'hommes et de femmes qui ont renoncé à être les acteurs de leur propre destin et qui ne se privent pas d’empêcher les autres d’être les leurs. Pour plus d’arguments, voir la critique de Catherine Robert dans la Terrasse (en lien avec cette brève)."