LES INTERVENANTS

Nicole Gnesotto

Nicole Gnesotto est une historienne française, experte des questions européennes et internationales. Professeure émérite du Conservatoire national des arts et métiers, elle est membre depuis juillet 2006 du conseil d'administration du think tank Notre Europe. Aujourd’hui membre du réseau d’experts de la Commission européenne Nicole Gnesotto est vice-présidente de l'Institut Jacques Delors3. Elle appartient également à la Commission du Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale.

 

Les brèves proposées par Nicole Gnesotto:

D'acier - Silvia Avallone

"Je voudrais parler d'une jeune romancière que j'ai découverte cet été, Italienne, 25 ans : Sylvia Avallone. Elle est beaucoup moins médiatisée qu'Elena Ferrante dont j'avais déjà parlé, mais sur le même thème, c'est-à-dire l'amitié de deux jeunes filles adolescentes de 13 ans, écrit un roman formidable sur la classe ouvrière en Italie au début des années 2000. Cela s'appelle D'acier, c'est paru en 2011 chez Liana Lévy. C’est un roman absolument extraordinaire. Une écriture très dure, très physique. C'est l'histoire d’une barre ouvrière devant l’île d’Elbe, où les hommes travaillent dans l’usine de métallurgie et les femmes essayent de s’en sortir. Ces deux jeunes filles rêvent de partir et notamment d’aller dans l’île. Et c’est extraordinaire, il y a notamment une scène, un suspens, sur 600 pages c’est un très gros roman, sur l’accident final qui est pour moi un très grand moment de littérature."


Souvenirs dormants

"C’est la saison des prix littéraires donc je vais partager avec vous un moment de pure littérature qui est le dernier ouvrage de Patrick Modiano, Souvenirs dormants, paru en octobre chez Gallimard. C’est comme d’habitude une errance dans le souvenir entre six femmes rencontrées dans le Paris des années 60 par Jean le narrateur qui est un jeune homme solitaire, amoureux des errances nocturnes dans Paris si possible avec une valise noire dont on ne sait pas si elle est vide ou pleine. Bref, il ne se passe strictement rien, il n’y a rien à raconter, il n’y a même pas la restitution de l’intégralité des souvenirs, mais c’est un pur moment de plaisir et de grande nostalgie des amours passés."


L’art du pastel de Degas à Redon

"Moi je voudrais vous recommander d’aller voir l’exposition sur l’art du pastel, au Petit Palais, intitulée : « L’art du pastel de Degas à Redon » et que vous pourrez voir jusqu’au 18 avril 2018. D’abord parce que le Petit Palais je trouve c’est un musée absolument magnifique, trop souvent oublié, parfois désert, qui a des collections permanentes superbes, qui a un joli petit jardin exotique intérieur, absolument superbe. Et là il se trouve que le Petit Palais a sorti de ses collections 150 des 200 pastels qu’il possède et où on découvre que le pastel n’est pas du tout un art mineur, que c’est une technique extraordinaire entre le dessin et la peinture, avec des œuvres sublimes que moi j’ai totalement découvertes, je ne connaissais absolument rien de tous les artistes qui sont présentés, et c’est vraiment une très très belle exposition."


Faire l'Europe dans un monde de brutes

"(Déjà proposé par jean-Louis dans une émission précédente mais pas développée alors). Moi je voudrais parler d’un livre qui s’appelle faire l’Europe dans un monde de brutes paru chez Fayard et qui est une conversation entre Enrico Letta qui est un ancien premier ministre italien aujourd’hui président de l’institut Delors et Sébastien Maillard, ancien journaliste spécialiste de l’Europe à La Croix. C’est un livre formidable car c’est un livre à la fois de passion, et plein d’idées concrètes et l’idée simple c’est : il ne faut pas laisser la critique de l’Europe aux anti-européens. C’est un livre qui est vraiment très dur sur l’état de la construction européenne aujourd’hui, qui est presque violent sur ce qu’il faut abolir, la débruxellisation de l’Europe, l’obsession de la norme, mais il le fait de façon constructive car son idée est qu’il faut ensuite reconstruire l’Europe non pas comme une puissance économique, non pas non plus comme une puissance politique mais il a une expression que j’aime beaucoup qui dit une puissance de valeurs. Et je crois que c’est tout l’intérêt de ce livre : remettre des valeurs humanistes dans la construction très technocratique de l’Europe."


RAMSES 2018. La guerre de l'information aura-t-elle lieu ?

"Sans aucune consultation préalable avec Jean-Louis, je vais également parler de l’IFRI pour vanter les mérites d’un ouvrage qui revient tous les automnes pour la 35ème fois, qui est le RAMSES, le Rapport Annuel Mondial sur le Système Economique et les Stratégies, RAMSES 2018 sous la direction de Thierry de Montbrial le directeur de l’IFRI et de Dominique David. C’est un volume attendu depuis maintenant 35 ans qui cette année cible trois questions importantes : le désordre du système international, la stratégie et l’ambition de la Russie, et les guerres de l’information. C’est à la fois très pédagogique car il y a énormément de cartes, d’annexes, de chiffres, … et très problématique et je trouve que cette édition de 2018 est excellente."


La puissance chinoise en 100 questions

"Moi je vais passer à l’autre extrême géographique. Je vais parler du livre de Valérie Niquet sur la puissance chinoise en 100 questions sous-titré « un géant fragile » qui est paru chez Tallandier à la fin de l’année dernière dans cette collection dont on a déjà parlé ici en 100 questions. Alors évidemment explorer la puissance chinoise avec toutes ses contradictions, son opacité en 100 courtes questions relativement brèves ça peut paraître une gageure mais je trouve que Valérie Niquet le fait très très bien, elle dirige les études sur l’Asie à la fondation de la recherche stratégique et surtout elle donne au lecteur un aperçu assez exhaustif de l’étendue des défis, des enjeux que les autorités chinoises doivent relever d’ici les deux prochaines décennies et c’est tout à fait intéressant"



Gangsters, généraux et djihadistes : Histoire de la contre-révolution Arabe

"Alors moi je voudrais rester dans le Moyen-Orient et recommander la lecture du livre de Jean-Pierre Filiu Gangsters généraux et djihadistes : Histoire de la contre-révolution Arabe qui vient de sortir à La découverte. Jean-Pierre Filiu est un ancien diplomate devenu universitaire pour retrouver sa liberté de parole, c’est un grand spécialiste de la Syrie et il montre pour la première fois comment la collusion entre les pouvoirs autoritaires, la grande criminalité et le terrorisme aboutit absolument partout sauf en Tunisie à brider tout élan démocratique. "


Revue Esprit Mars 2018

"Je voulais recommander, indépendamment de la présence de Lucile Schmid le dernier numéro de la revue esprit, non pas pour son dossier Démocratiser l’entreprise, parce que je ne l’ai pas lu mais il est sans doute excellent. Mais parce que la revue a commencé une espèce de feuilleton sur la politique étrangère de la France commencé en Novembre de l’année dernière débuté par un article de Justin Vaïsse, le directeur du CAPS au Quai d’Orsay qui opposait la tendance gaullo-mittérandienne indépendante européenne et la tendance néo-conservatrice plus atlantiste, plus militariste etc. et que dans le numéro de Mars un certain nombre d’autres auteurs répondent à ce papier dont Hubert Védrine que j’ai trouvé comme d’habitude très intéressant et il défend bien sûr la tendance gaullo-mitterandienne, c’est à dire par rapport aux Etats-Unis, amis-alliés mais non-alignés. Mais surtout ce que je trouve intéressant dans la pensée d’Hubert Védrine et donc du gaullo-mitterandisme, c’est l’adhésion, la conversion à l’Europe et il devient aujourd’hui avec d’autres le grand défenseur de l’autonomie stratégique européenne"


Questions Internationales

"Moi je vais à l’autre extrême, je vais parler, non pas d’ouvrage savant, mais d’une revue de vulgarisation mais d’excellente vulgarisation sur les questions internationales qui s’appelle justement Questions internationales qui est publié depuis 10 ans par la Documentation française avec comme rédacteur en chef à la fois un diplomate et un professeur d’université Gilles Andréani et Serge Sur. Et c’est une revue formidable je trouve parce que tous les mois elle réunit des articles avec un certain sérieux académique et le plaisir de l’écriture. Le dernier numéro qui vient de sortir c’est sur l’Arabie Saoudite, transformation ou illusion. Il y avait le mois dernier un numéro sur l’avenir de l’Europe, sur Cuba, le numéro sur le désordre mondial du mois d’août. Donc c’est une excellente revue qu’on trouve dans les kiosques et dans les librairies."


La Tempête à la Comédie Française

"J’ai aussi une brève théâtrale Shakespearienne, dramaturge très à la mode depuis le début de l’année. J’ai vu deux pièces formidables, l’une à l’Odéon Mac Beth mis en scène par Stéphane Braunschweig, l’autre à la Comédie Française La Tempête mise en scène par Robert Carsen. Deux pièces sur l’usurpation du pouvoir légitime et qui se traduisent très différemment, l’une par le pardon et l’autre par la folie meurtrière avec une espèce de spirale du crime. Tout ça avec deux mises en scène très différentes mais vraiment au service de la pièce. La Tempête est toujours à l’affiche"


Ca va pas la tête! de Danièle Tritsch et Jean Mariani

" Une fois n’est pas coutume, je vais parler de sciences et de médecine avec un ouvrage très intéressant de deux chercheurs médecins sur les illusions du transhumanisme. Ca s’appelle Ca va pas la tête avec en sous-titre cerveau, immortalité et intelligence artificielle : l’imposture du transhumanisme, c’est sorti chez Belin y’a deux mois et c’est écrit par Jean Mariani et Daniel Tritsch qui sont deux médecins praticiens de la Pitié Salpêtrière. Ce qui est très intéressant, c’est que pour un néophyte comme moi on apprend les extraordinaires progrès sur la connaissance du cerveau dans ces 50 dernières années. Deuxièmement, l’extraordinaire masse de choses qu’on ne connaît pas encore sur le cerveau et qui reste à découvrir et troisièmement, malheureusement, on ne vieillirait pas très longtemps pendant deux siècles, beaux et belles, sans maladie etc. Tout cela fait partie de très grandes illusions. Donc c’est un livre vraiment intéressant même s’il est un peu désespérant quand on atteint un certain âge "


L'héritage des espions de John Le Carré

"Alors moi, je vais rester dans la littérature et recommander très chaleureusement le dernier roman de John Le Carre intitulé L’héritage des espions paru au seuil, c’est un immense plaisir. C’est du grand Le Carre, c’est celui qu’on préfère, celui de la Guerre Froide et du grand jeu Est-Ouest avec des maîtres espions solitaires et désabusés des deux côtés du rideau de fer. Donc évidemment, ce sont les gens de Smiley que l’on retrouve aujourd’hui en 2018. L’histoire est très complexe, je ne vais pas la raconter, c’est simplement la suite et la fin de son premier roman qui était L’espion qui venait du froid. C’est donc une espèce de réflexion très mélancolique sur la vanité de l’Histoire, sur la volatilité du Bien et du Mal, est-ce qu’on a le droit de faire le mal pour un Bien qu’on juge supérieur ? C’est absolument magistral."


Le fils de Florian Zeller

"Alors moi au départ, je voulais vous parler d’un écrivain que je viens de découvrir à ma grande honte qui est Emmanuel Bove dont le roman Le Piège est exceptionnel. Il se trouve que j’ai aussi vu une pièce de théâtre. C’est une pièce sur les relations Père Fils, c’est donc intitulé Le fils de Florian Zeller à La Comédie des Champs-Elysées et qui se joue jusqu’en juillet de cette année. Alors, j’ai pas été époustouflé par la mise en scène ni par Yvan Attal qui joue le rôle du père. Mais, ce comédien Rod Paradot, qui a d’ailleurs eu le prix en 2016 du meilleur espoir masculin pour le film La tête haute avec Catherine Denevue, est absolument extraordinaire dans le rôle d’un adolescent qui n’a tout simplement pas envie de vivre. Je trouve le texte dur, dérangeant et déroutant et l’interprétation et l’interprétation de Rod Paradot mérite qu’on aille la voir. "


Mam'zelle Nitouche

"Je conseille un vaudeville-opérette : Mam’zelle Nitouche qui a été écrit et composé par Hervé qui est le créateur du genre et dont Offenbach s’est beaucoup inspiré après 1883. C’est une opérette absolument jubilatoire avec notamment Olivier Py qui joue trois rôles dont deux formidables : il est à la fois la mère supérieure d’un couvent dont ne sait pas trop si c’est une mère maquerelle et une cocotte qui reçoit le major de l’armée présente en garnison. La production repassera à Paris en juin, au Théâtre Marigny, réservez déjà vos tablettes. "


Art de Yasmina Reza

"Je suis dans ma période théâtre et après Le Fils de Florian Zeller, je voudrais vanter les mérites de Art, la pièce historique de Yasmina Reza qui repasse au théâtre Antoine dans la même mise en scène que celle de 1994. Je n’avais pas vu la première version avec Lucchini, Arditi et Vaneck qui avait défraillé la chronique. J’ai vu la seconde version avec Jean-Pierre Darroussin qui a eu le Molière d’interprétation masculine, Charles Berling et Alain Fromager. Je trouve que cette version qui est pour moi la première est tout à fait drôle, irrésistible, c’est une pièce de boulevard intellectuelle, ce qui est assez rare quand même pour être noté."


Maylis de Kerangal, Un monde à portée de main (éditions Verticales)

"Une des forces de Maylis de Kerangal est de nous plonger dans des univers professionnels très spécialisés. Là il y a des artistes-graphistes spécialisés dans le trompe l’œil. Ils passent des mois à reproduire une écorce d’arbre, une écaille de tortue. Le vocabulaire est extraordinaire. On a l’impression d’une langue étrangère et en même temps d’une très forte familiarité d’émotion. Je trouve ce roman magnifique, notamment la découverte d’un travail extrêmement concret de la création artistique. L’idée de ces artistes est que la copie peut faire émerger une vérité plus grande que la réalité. C’est tout une réflexion sur l’art : c’est un roman absolument magnifique. "


Politique étrangère – Sorties de guerres

"Je recommande le dernier numéro de la revue Politique étrangère, qui est la revue trimestrielle de l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales), et qui est d’ailleurs la plus vieille revue française sur les relations internationales puisque le premier numéro a paru en 1936. Ce numéro de l’automne 2018 porte sur un sujet difficile mais vital qui est la sortie de guerre. On a une série de papiers avec notamment le traité de Versailles comme exemple même de ce qu’il ne faut pas faire, on a également un papier sur l’Afrique subsaharienne et l’éternel retour des conflits. C’est un numéro très riche qui comprend aussi un point sur l’Iran après la sortie de Trump de l’accord nucléaire et plusieurs papiers : un sur l’Italie et un sur la géopolitique de l’intelligence artificielle. "


Janet

"Je vais parler d’une femme formidable oubliée et décédée : Janet Flanner. Michèle Fitoussi lui consacre une biographie aux éditions Jean-Claude Lattès. Janet Flanner a été pendant 40 ans la correspondante à Paris du New Yorker. C’est une femme célèbre dans le milieu féministe, journaliste de Paris. Elle a connu tous les grands auteurs américains de Paris (Hemingway etc.). Elle a fait des portraits extraordinaires de de Gaulle, d’Hitler, de Pétain. Elle a connu une gloire internationale en racontant le procès de Nuremberg. Cette biographie refait vivre ce Paris qui était la capitale de la culture mondiale et cette femme exceptionnelle qui a été totalement oubliée après les années 60. Ce livre fait revivre une époque et une journaliste de grand talent. "


Mes amis

"J’ai déjà parlé à ce micro d’Emmanuel Bove qui est un auteur de l’entre deux guerres un peu oublié. Il se trouve que les éditions de L’arbre vengeur viennent de ressortir son premier roman : Mes amis, sorti en 1924 grâce à Colette qui a aidé à le faire publier. C’est un texte de littérature pure et c’est un roman tragique, mélancolique et gai en même temps sur un homme qui n’a pas d’ami, qui meure d’envie d’avoir des amis, qui croit que tous les gens qu’il rencontre et lui font un sourire deviennent ses meilleurs amis et qui se retrouve à la fin de chaque aventure encore plus seul qu’avant. C’est écrit avec une langue d’une précision tout à fait exceptionnelle. "


L’heureux stratagème

"Ma brève est à double tranchant : d’abord un 20/20 pour la pièce de Marivaux présentée au Vieux Colombier L’heureux stratagème avec des acteurs du Français formidable dont Laurent Lafitte. La maison de Molière est presque devenue la maison de Marivaux : tous les ans ils proposent un nouveau texte peu connu de Marivaux après Le petit maître corrigé l’année dernière. Mais un zéro pointé pour la mise en scène d’Emmanuel Daumas qui oublie que la mise en scène doit servir la pièce plutôt que le metteur en scène. La scène est située au milieu du public est lorsque vous avez le malheur d’être placé au 8ème rang, vous entendez un mot sur deux ce qui est un narcissisme théâtral scandaleux pour la Comédie française. "


Quand le Sud réinvente le monde. Essai sur la puissance de la faiblesse

"Je voudrai parler du dernier livre de Bertrand Badie : Quand le sud réinvente le monde. Essai sur la puissance de la faiblesse (La Découverte). Bertrand Badie est un personnage controversé en France, c’est un grand professeur de sciences politiques aujourd’hui émérite à Sciences po. Il est spécialiste des relations internationales et a une pensée différentes, presque hérétique par rapport à la doxa officielle, occidentale, qui est spécialisé sur ce qu’il appel la réinvention du sud. J’avais eu je crois déjà l’occasion de son précédant ouvrage, Nous ne sommes plus seuls au monde. Il met en valeur deux points très importants : 1/ que l’Occident n’est plus en capacité de maîtrise monopolistique de l’évolution du monde et qu’il y a l’irruption du sud avec une conception différente du système international ; 2/ l’importance des questions sociales dans les relations internationales. Cela fait longtemps qu’il mène ses recherches et aujourd’hui on voit très bien que la démographie, les réfugiés, les migrations, les inégalités sont les thèmes majeurs de conflictualité. "


Politique étrangère

"Je voudrais recommander le dernier numéro de la revue Politique étrangère qui est la revue de l’IFRI. Les deux dossiers de la revue sont : Le Brexit dans tout ses états et La démocratie européenne au-delà des élections. Sur le Brexit deux papiers me semblent remarquables : l’un de Pauline Schnapper sur les conséquences du Brexit sur le rôle de la Grande-Bretagne dans le monde et cette idée du Global UK qui deviendra le Local UK et un article très approfondi sur l’impasse de la question irlandaise que j’ai trouvé très éclairant. "


Requiem pour le monde occidental

"Je vais revenir aux Etats-Unis, mais sans concept, pour vous parler du dernier ouvrage de Pascal Boniface qui vient de sortir aux éditions Eyrolles. C’est une analyse assez précise, à la fois économique, stratégique, culturelle, du divorce de plus en plus flagrant entre les Etats-Unis de Donald Trump et l’Europe. C’est un plaidoyer, comme il n’y en a pas si souvent, pour l’autonomie européenne, la souveraineté européenne face aux Etats-Unis. "


La Chine et e(s)t le monde : essai sur la sino-mondialisation

" Je voudrais recommander l’ouvrage de Sophie Boisseau du Rocher et Emmanuel Dubois de Prisque : « La Chine et e(s)t le monde : essai sur la sino-mondialisation » qui vient de sortir aux éditions Odile Jacob. C’est un livre très intéressant sur le soft-power chinois qui permet de voir comment la Chine a changé les normes occidentales : alimentaires, politiques, éditoriales … C’est un livre angoissant mais malgré cela passionnant. C’est la première fois que l’on voit en français une analyse aussi fine sur la stratégie chinoise. "


La Dame de pique

"Il se trouve que l’opéra de Tchaikovski, la Dame de Pique, se joue à Londres cette semaine. Or, je ne suis pas à Londres mais je vais aller le voir au cinéma la semaine prochaine. Il me semble judicieux de relire Pouchkine et notamment le récit de feu Ivan Pétrovitch car c’est absolument exceptionnel. La Tempête de neige est un thriller écrit par Pouchkine comme un roman policier. Je recommande ces quelques nouvelles et bien sûr La Dame de pique avec ce clin d’oeil de la mort aux joueurs que j’aime particulièrement. "


Sérotonine

"J’ai finalement acheté le dernier roman de Michel Houellebecq, Sérotonine et je vais en faire une critique ambivalente. Je crois que le roman est très ennuyeux. Il est vrai que l’histoire d’un homme qui veut disparaitre alors qu’il est relativement riche, jeune, intelligent et qu’il n’a donc pas de problème particulier dans la vie est profondément ennuyeux. La métaphore de l’impuissance physique de cet homme par rapport à l’impuissance de l’Occident est assez banale. Mais les 80 dernières pages qui sont, non pas sur le désespoir mais la désespérance, c’est à dire la lente plongée vers le désespoir sont sublimissimes. "



Chefs d’état en guerre

"Je recommande le livre du général Henri Bentégeat « Chefs d’état en guerre » paru aux éditions Pérrin. Ça n’est pas vraiment un livre de géopolitique mais c’est un livre extraordinaire si on veut comprendre les plus hautes instances politiques et les dirigeants militaires. Le général Henri Bentégeat sait de quoi il parle puisqu’il a été pendant neuf ans chefs d’état major particulier du président Chirac puis chef d’état major des armées. Il fait le portrait de Napoléon, Clémenceau, Churchill, Staline, Johnson, Miterrand et Chirac… C’est très intéressant de voir comment des chefs d’état ont soit coopéré soit débattu avec la hiérarchie militaire. "



La Capitale

"Je voudrais recommander un roman que je n’ai pas encore totalement fini mais que pour l’instant je trouve très réjouissant. C’est un roman de Robert Menasse qui est un écrivain viennois et non pas autrichien sorti en 2017 aux éditions verdier et qui a eu le prix du livre allemand cette même année. Ce roman s’appelle La Capitale et je crois que c’est le premier roman européen car la capitale c’est Bruxelles, capitale des institutions européennes. C’est un roman à la fois cocasse et un peu « thriller » parfois complètement déjanté sur la vie d’un haut fonctionnaire européen qui s’appelle Florian ( ça ne s’invente pas). C’est un roman à la fois très critique sur bon nombre de fonctionnement de l’Union. Mais c’est un roman très pro-européen sur une République européenne etc. Ça commence de façon très drôle : un cochon fou qui court dans toutes les rues de Bruxelles, qui renverse un Turc, lequel est sauvé par un Bruxellois et continue dans un échalas et quelqu’un se fait tuer dans un revolver. Le haut fonctionnaire qui est à sa fenêtre se met à réfléchir au rôle de l’union européenne dans le monde. "




La compagnie du Palazzeto Bru Zane

" Je vais vous ramener à la légèreté et au plaisir en vous recommandant d’aller voir un des spectacles que vous propose dans toute la France la compagnie du Palazzeto Bru Zane qui est une fondation à Venise qui défend la musique romantique française. Il y a notamment à Paris des spectacles de cette compagnie au mois de juin : aux bouffes du nord, à l’opéra comique et au théatre Marigny; un spectacle dont j’avais déjà parlé et que je vous recommande chaudement car cela fait oublier tous les soucis. "


Fin du leadership Américain ?

"La rentrée littéraire, ce sont évidemment 750 romans, c’est aussi traditionnellement le moment où quelques livres de géopolitique font le tour du monde et essaient d’en comprendre le nouvel ordre. Le premier en date est celui publié à la Découverte, sous la direction de Bertrand Badie et Dominique Vidal, c’est l’état du monde 2020, intitulé cette année « fin du leadership Américain ? » A un an des élections présidentielles américaines, ce livre fait le bilan des forces et des faiblesses de la puissance américaine dans le monde, en particulier de l’acceptabilité aujourd’hui et (de moins en moins) partout du leadership américain. Je voudrais insister sur l’introduction de Bertrand Badie, grand professeur de sciences politiques, qui est une parole tout à fait différente et iconoclaste. Il propose une lecture de l’évolution du leadership américain depuis 1945 qui fait réfléchir. Je ne suis pas sûre que ce leadership ne soit pas une contrainte pour les Etats-Unis. "


Les origines du populisme

"Un petit ouvrage collectif, avec comme sous-titre « enquête sur un schisme politique et social ». Ce qui est intéressant, c’est que c’est vraiment un livre collectif. Il ne s’agit pas d’un chapitre par auteur, l’ensemble de l’ouvrage est conjointement signé par par Yann Algan, Elizabeth Beasley, (Daniel Cohen qui dirige le département d’économie à Normale Sup), et Martial Foucault (qui dirige le Cevipof). C’est une réflexion sur un temps long, qui montre notamment deux origines des mouvements populistes contemporains : premièrement, l’hyper-individualisation des rapports sociaux, qui fait qu’on ne pense plus en termes de classes, mais en termes de perdants-gagnants individuels, et deuxièmement, les échecs communs de la droite et de la gauche à compenser les excès du capitalisme financier, qui conduit les populistes à rejeter le système en général plutôt que telle ou telle de ses parties. C’est une lecture vraiment passionnante par les temps qui courent. "


RAMSES 2020

"J’avais parlé il y a quelques semaines du premier ouvrage de géopolitique de la rentrée (L’état du monde), voici maintenant le deuxième, le RAMSES, le traditionnel Rapport Annuel Mondial sur le Système Économique et les Stratégies. Ce numéro est intitulé « un monde sans boussole », ce que je trouve intéressant cette fois-c est le focus très important sur un sujet qu’on ne regarde pas assez : les évolutions en Amérique latine. On nous disait il y a quelques années que ce serait le prochain eldorado de la mondialisation économique, de la croissance et de la démocratie, or toute cette région est en train de sombrer dans une spirale de corruption, de populisme et d’extrême-droite ... Ne serait-ce que pour cette partie, je trouve cette livraison très intéressante."


Passeport diplomatique -Quarante ans au Quai d’Orsay-

"Gérard Araud était l’auteur de ce tweet devenu célèbre : « Après le Brexit, l’élection de Trump. Un monde s’effondre. Vertige. ». Ce livre est intéressant parce qu’il y a trois lectures possibles. La première est une réflexion sur la fin de l’ordre néo-libéral (l’auteur est arrivé sous Reagan), une deuxième est un récit de 40 ans de vie diplomatique, aussi intéressant qu’on peut l’imaginer, et enfin c’est une plongée dans le métier concret d’ambassadeur, c’est à dire à la fois maître d’hôtel, porte-serviettes de ministres, avant de voyages de chefs d’état ... C’est aussi une espèce de Machiavel chargé de dénouer des situations très problématiques. Il prend l’exemple de la négociation avec l’Iran et la non-prolifération nucléaire. Cette plongée dans le concret est absolument passionnante."



Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon

"Ma brève sera beaucoup plus banale, mais néanmoins enthousiaste : je parlerai du Goncourt. Je les lis systématiquement. Jean-Paul Dubois n’est pas un auteur né de la ndernère pluie, c’est son 22ème roman, il travaille normée the sur la société française. Il dit lui-même qu’il a choisi l’écriture parce que c’était la façon la moins douloureuse de vivre sa vie. Il a eu beaucoup de difficultés jusqu’à son roman intitulé « une vie française ». Ce roman-ci est du romanesque pur, le récit improbable de deux hommes dans une prison canadienne, un conducteur d’Harley Davidson qui ne pense qu’à couper la tête de tous les méchants de la planète, et le gardien d’un immeuble qui s’est retrouvé là pour des raisons que je ne révèlerai pas ici. C’est une vraie histoire à laquelle on se laisse prendre, il n’y a aucune prétention philosophique, si ce n’est la description de l’atroce humanité de ce monde."


L’institut Jacques Delors

"Je voudrais aussi insister, en matière de questions européennes, sur l’importance des publications de l’Institut Jacques Delors. L’institut a, comme son nom l’indique, été fondé par Jacques Delors quand il quitta la Commission européenne en 1996, et ce n’est pas un institut français, même s’il est basé à Paris, mais réellement européen par ses chercheurs, son financement, et son programme. Il y a depuis les élections européennes une série de publications extrêmement pertinentes, ainsi qu’un observatoire sur ces élections et ce nouveau Parlement européen. Sur le Brexit, une série de blogs très intéressants, et enfin un compendium appelé « new beginnings », réalisé en partenariat avec la branche berlinoise de l’institut, qui présente des propositions très précises sur l’agenda qu’a présenté Mme von der Leyen. "


Le monde des nouveaux autoritaires

"Je voudrais recommander un livre collectif, sous la direction de Michel Duclos, ancien ambassadeur en Syrie. Il est extrêmement intéressant pour deux raisons. D’abord il y a une collection de dix-huit portraits de leaders autoritaires, allant de Donald Trump à Khamenei en passant par Orbán ou Xi Jinping. Ils sont très courts et très intéressants car ils montrent les racines locales des popularités. Ensuite, la deuxième partie est une analyse de Michel Duclos sur ce besoin d’autorité qui est à ses yeux le besoin de ce début de siècle, comme le besoin de liberté avait été la marque des années 1980-1990. Il essaie d’en comprendre les raisons, et décèle deux causes majeures : l’intervention américaine en Irak en 2003, qui a selon lui ruiné l’illusion d’un progrès mené par les occidentaux, et ensuite la crise de 2008, qui a ruiné la promesse de prospérité d’une économie libérale de marché. "



Une vie cachée

"Je vais rester dans le cinéma pour vous recommander très vite voir le dernier film de Terrence Malick, avant qu’il ne disparaisse des écrans. C’est très beau, les paysages autrichiens sont magnifiques, il y a une puissance visuelle presque mystique. C’est l’histoire d’un homme qui dit non, d’un objecteur de conscience sous le régime nazi. Il accepte d’être enrôlé mais refuse de dire « heil Hitler ». Il sera déterminé jusqu’à sa fin, tragique. Il a d’ailleurs été béatifié en 2007. C’est peut-être le défaut du film, ce mysticisme catholique. Mais ça n’en reste pas moins un très grand film, et une bouleversante merveille visuelle."


La longue nuit syrienne

"Cet essai de Michel Duclos est capital aujourd’hui pour comprendre et relever le défi syrien, même si sa portée va bien au-delà. Michel Duclos fut ambassadeur en Syrie en 2006 et il conseille aujourd’hui l’Institut Montaigne. Plusieurs strates font la richesse de cet ouvrage : on y trouve bien sûr une analyse des facteurs qui ont conduit à la guerre civile, puis à une guerre internationale sur le sol syrien, dans laquelle la Russie, la Turquie et l’Iran jouent un rôle majeur. On y trouve aussi une réflexion lucide sur les impasses respectives des solutions militaires (en Irak en 2003) et diplomatiques (en Syrie en 2013) qui attendent les occidentaux face aux crises extérieures. Enfin, Michel Duclos entame une réflexion magistrale sur le nouvel ordre, ou chaos mondial, qui consacre la montée en puissance des nouveaux régimes autoritaires, sur fond d’abandon occidental, et notamment américain."


Mr Ashenden agent secret

"De la pure littérature ensuite. Comme je n’ai pas d’autre voyage possible que le tour de ma bibliothèque, j’en ai sorti un livre que je n’avais jamais lu. Il est fait pour l’évasion, c’est un divertissement pur, sans aucune prétention, mais il est formidable. C’est un recueil de nouvelles de Somerset Maugham. C’est très bien écrit, cela se passe pendant la seconde guerre mondiale, et je vous recommande en particulier la nouvelle intitulée « son excellence », un vrai bijou. "



Rouge vif L’idéal communiste chinois

"Ma brève concerne la Chine ; je vous recommande ce livre d’Alice Ekman paru en février dernier. Alice Ekman est universitaire, maître de conférences à Sciences Po. Son propos est de montrer, avec énormément de conviction je dois dire, que la Chine n’est pas une dictature capitaliste, que pays a une vraie idéologie communiste, que l’objectif de Xi Jinping est de parvenir « à la disparition ultime du capitalisme et à la victoire finale du socialisme ». Elle le fait à partir d’enquêtes extrêmement intéressantes de plus de 400 personnes interrogées pendant 7 ans. C’est vraiment troublant de s’apercevoir que le régime chinois est peut-être un vrai militant du communisme."


Chanson bretonne

"Je me dois de vous recommander ce livre magnifique de J-M-G Le Clézio, paru en février dernier. Ce n’est pas une chanson, ce n’est pas une nouvelle, c’est un court texte, un hymne à la Bretagne de son enfance, celle des années 1950, plutôt isolée, pauvre, paysanne et belle à en couper le souffle. Le Clézio signe un texte émerveillé, lyrique et sobre à la fois, qui en ces temps de confinement permet de voir la mer, ou comme il le dit lui-même, de « manger la mer ». "



L’Europe et sa défense, le choix des armes

"Il n’est pas dans les habitudes de cette émission de vanter ses propres travaux, mais une fois n’est pas coutume ; je voudrais vous recommander de regarder un documentaire d’Arte auquel j’ai collaboré l’année dernière, disponible depuis mardi dernier. Il s’agit du film de Jean Crépu sur la défense européenne. On y trouve des interventions et des analyses de pratiquement toute la communauté politique, institutionnelle, industrielle intéressée par ces questions en France et en Europe. Ce sera disponible jusqu’au 3 juillet."


L'énigme de la chambre 622

"Je serai beaucoup plus superficielle, et j’aimerais vous parler du best-seller annoncé de l’été, le quatrième roman de Joël Dicker, d’ores et déjà en tête des listes de vente, premier tirage à 400 000 exemplaires. J’ai un sentiment très ambivalent, et je vous le livre. A la fin des 659 pages, quand vous refermez le livre, vous vous dites : « c’est vraiment nul ». Et pourtant durant toute la lecture se produit un phénomène d’addiction à l’intrigue qui est assez exceptionnel. Au final, je ne sais pas ce qui l’emporte : le plaisir de l’intrigue ou la déception d’avoir perdu son temps pour ce qui est tout, sauf de la littérature. "




Dé mem brer

"Une recommandation littéraire pour moi cette semaine avec le dernier livre de Joyce Carol Oates, l’écrivain le plus prolixe de sa génération puisqu’elle publie un livre par an à plus de 80 ans. Ici, c’est un recueil de nouvelles, qui est comme toujours chez elle une histoire de femmes. C’est à la limite du fantastique et de l’angoisse, sans jamais vraiment basculer dans la peur. On le lit avec un plaisir un peu obsédant, il y a un art de l’ellipse vraiment époustouflant. Les nouvelles sont assez courtes, c’est l’idéal pour les files d’attente devant les laboratoires. "


Yoga

"J’ai pour ma part lu « yoga » d’Emmanuel Carrère. Je ne sais pas s’il s’agit d’un roman ou d’un témoignage, mais c’est en tous cas passionnant. Il y a trois histoires en réalité dans Yoga. L’histoire de sa méditation, celle de ses dépressions et de ses stages d’électrochocs, enfin celle de son engagement auprès de jeunes réfugiés dans une île grecque. Je suis un peu réservé sur la dernière histoire mais les deux premières sont extraordinaires. Et bizarrement, particulièrement la première sur le yoga et les médiations, dont je suis pourtant très éloignée a priori. Il y a une virtuosité dans l’écriture, qui arrive à nous faire sentir le passage de l’air dans les narines pendant la méditation. Un bel exploit littéraire."



L’anomalie

"Par ces temps sinistres, j’aimerais vous vanter le roman le plus jubilatoire de la rentrée, dont j’espère vraiment qu’il aura le Goncourt. Il s’agit de L’anomalie, d’Hervé Le Tellier. Il y a deux romans dans ce roman. D’abord un roman d’aventures, policier, d’espionnage, de science-fiction, où tout se mélange dans un suspense tenu jusqu’à la dernière page. A côté de cela, il y a un livre beaucoup plus sérieux sur le sens de la vie, la fragilité des destins que nous choisissons. Nous aurions tous pu avoir une autre vie, il aurait suffi d’un infime détail, d’un minuscule virage pour que nous soyions autres. Je vous recommande ce livre et parie qu’il aura le Goncourt. "


Revue « Politique étrangère »

"C’est la revue « politique étrangère » que je vous recommanderai cette semaine, éditée par l’institut Français des Relations Internationales. Je trouve que la qualité de cette publication n’a cessé de s’améliorer, en particulier depuis le coronavirus, où sont parus deux numéros posant des questions particulièrement intéressantes, sur la réforme de la mondialisation, sur la revanche de l’Europe (long entretien avec Clément Beaune), sur les conséquences du virus en Afrique ... Le dernier numéro, qui vient de paraître, s’intitule « Brexit, le malheur de rompre », un titre qui synthétise parfaitement le problème. "



Goodbye Britannia - Le Royaume-Uni au défi du Brexit

"Je voudrais vous recommander le livre de Sylvie Bermann, qui fut notre ambassadeur à Londres de 2014 à 2017, au début du Brexit, donc. Elle raconte avec une franchise qui n’a rien de diplomatique les mensonges, les illusions et les péripéties de cette décision britannique. Le livre est également intéressant en ce qu’il est une réflexion plus large sur l’ordre mondial après Trump et la Covid, avec une Chine triomphante, qui met l’Europe au défi de son unité dont, bien évidemment, les Britanniques ne seront pas. "


L’inconnu de la poste

"Je vous recommande avec beaucoup d’enthousiasme la dernière enquête que vient de publier Florence Aubenas. C’est à la fois un grand plaisir littéraire, ses qualités d’écrivain sont indiscutables, et j’espère qu’elle s’essaiera bientôt à la fiction, mais cette enquête à propos d’un fait divers est aussi le prétexte à l’analyse d’une région et d’un milieu social en déliquescence. L’histoire est double, il est à la fois question du meurtre d’une postière dans un petit village sans histoires, et de la disparition d’un comédien. Les deux histoires sont vraies, et mélangées avec brio par Florence Aubenas, dont le talent pour la narration policière n’a rien à envier à Agatha Christie."


Signac les harmonies colorées

"Je vous recommande l’exposition sur Paul Signac au musée Jacquemart-André, jusqu’au 26 juillet. D’abord cet hôtel particulier est magnifique, le salon de thé à lui seul est extraordinaire. Ensuite, Paul Signac est un peintre peu connu, et cette exposition éclaire les liens entre les progrès scientifiques et l’art. Le peintre a un jour découvert les travaux d’un chimiste sur la diffraction de la lumière, et lui et Seurat ont vraiment mis en pratique cette idée que l’œil assemblait lui-même les couleurs quand elles étaient proches les unes des autres. Cela a donné le pointillisme de Seurat, puis l’école du fauvisme. Mais ce n’est pas qu’intéressant, c’est aussi magnifique. "


L’Arménie et les Arméniens en 100 questions

"Je vous conseille cet ouvrage de Michel Marian, véritable référence sur l’Arménie. La méthode « en 100 questions » est très agréable, car elle permet de piocher, ou d’alterner entre questions graves et légères, mais elle offre aussi une vision très synthétique. On y trouve aussi bien des sujets un peu anecdotiques (pourquoi les noms arméniens finissent-ils tous en « ian », quelle est la populatrité de Kim Kardashian en Arménie) que des sujets bien plus intéressants et sérieux, comme les relations avec l’Iran. C’est une somme, à la fois très documentée et très actuelle."



Toutes les familles heureuses

"J’avais tellement aimé L’Anomalie, le dernier prix Goncourt d’Hervé Le Tellier, que je suis allé en lire deux autres pendant le confinement. Deux petits ouvrages. Le premier est paru en livre de poche. C’est une histoire atroce de son enfance atroce, avec une famille atroce, une mère folle, un beau-père abominable et un beau-père encore pire. Mais c’est écrit danse un style très britannique, avec une distance et un humour absolument désopilants. "


La valse européenne les trois temps de la crise

"Je vais rester en Europe, et vous recommander moi aussi un gros livre, celui d’Elie Cohen et de Richard Robert. Les auteurs y passent en revue les différentes crises traversées par l’Union depuis celle de 2008, et montrent qu’à chaque fois, une structure semble se répéter : d’abord l’Union est nulle et elle atermoie, deuxièmement elle réagit avec ambition et détermination, et troisièmement elle saute le pas vers davantage d’intégration. J’ai des doutes quant à ce troisième mouvement, qui ne me paraît pas être obligatoirement la conséquence des crises, mais l’ouvrage est très éclairant sur les mécanismes de réponse européens. "


Amours singulières

"Je vous recommande de la littérature cette semaine. N’étant pas encore déconfinée, je n‘ai vu aucun spectacle, mais je relis Somerset Maugham, et je vous recommande ce recueil de nouvelles, consacrées à des individus britanniques, souvent des femmes, qui se prennent de passion pour des choses étonnantes. Par exemple un jeune lord qui préfère son piano à tous ses titres et son héritage, une dame d’un certain âge qui se prend tout à coup d’une folle passion pour un jeune homme venu des colonies, ou un bigame, amoureux du chiffre 12, et qui n’a de cesse d’arriver à la douzième femme, même s’il en est malheureusement empêché à la onzième. C’est une écriture absolument superbe et très drôle, mais c’est surtout une description de la société du début du XXème siècle où l’on s’aperçoit que la condition des femmes n’était pas aussi stricte et négative qu’on le pensait. En tous cas que je le pensais moi-même. Un vrai plaisir."




Les puissances mondialisées - Repenser la sécurité internationale

"Je reviens à la géopolitique pour vous recommander le dernier ouvrage de Bertrand Badie. J’ai déjà recommandé d’autres livres de ce grand professeur de science politique ici, notamment parce que sa pensée est assez iconoclaste, par rapport aux thèses prégnantes en France et plus généralement en Occident. Il est par exemple très mal vu au Quai d’Orsay, puisque l’une de ses thèses est de dire que la géopolitique est terminée, que dans la mondialisation, se fonder sur les territoires, les souverainetés nationales et les rapports de force pour penser la sécurité internationale, c’est se tromper de sujet. Les grands défis sont mondiaux ne se traitent pas avec des moyens militaires. Sa pensée peut très bien être contestée, je suis personnellement en désaccord sur plusieurs points, mais je reconnais que chaque fois que j’ai lu un livre de Bertrand Badie, il m’a fait réfléchir."


Henry Kissinger le diplomate du siècle

"Je vous recommande la biographie d’Henry Kissinger par Gérard Araud. Il y a deux livres dans ce livre : le premier est classique, il a trait à la politique étrangère américaine, notamment celle de Nixon, aux relations avec la Chine et au personnage diplomatique que fut Kissinger. Il y en a un autre, il s’agit d’un roman, celui d’une vie extraordinaire, de cette homme né en 1923 dans la Bavière déjà très antisémite. Il est issu d’une famille juive orthodoxe stricte, il va tous les jours deux heures à la synagogue avant l’école. Il étudie le Talmud, connaît la Torah par cœur, parle hébreu, etc. Son père est un intellectuel qui ne voit rien à la situation politique. Ce n’est pas le cas de sa mère, qui s’aperçoit qu’il est impossible de rester. Elle prend donc toute la famille et part aux Etats-Unis, où ils ne connaissent personne, ne parlent pas la langue, etc. J’en tire deux leçons : d’abord l’intelligence mène à tout, ensuite et surtout : l’université américaine est un tremplin extraordinaire du pouvoir, ce qui n’existe pas en France. Kissinger a tout de suite des mentors qui le propulsent jusque dans le cabinet présidentiel. "


Rien à déclarer

"Je vous recommande le dernier ouvrage de Richard Ford. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, Richard Ford est un auteur américain absolument exceptionnel, dont on retrouve de livre en livre le héros Frank Bascombe, une espèce d’agent immobilier déprimé et désabusé. Le romancier est génial (il a d’ailleurs reçu le prix Pulitzer), ici il s’agit d’un recueil de dix nouvelles assez nostalgiques. On n’y raconte aucun événement extraordinaire , mais simplement quelques héros qui à la faveur d’un événement très banal se souviennent du passé, d’un être aimé. C’est extraordinairement écrit, il s’agit pour moi d’un des meilleurs livres de Richard Ford."



Le Roi Lear à la Porte Saint-Martin

"Deux brèves théâtrales pour moi cette semaine. La première est ce Roi Lear qui se joue au théâtre de la Porte Saint-Martin, avec un Jacques Weber époustouflant dans le rôle-titre. Dépêchez-vous car cela finit bientôt. C’est une production du théâtre de la Ville, auquel je voudrais manifester mon soutien, car il est empêtré dans un marasme architectural depuis 2016, avec une incurie incroyable de la municipalité. Les travaux auraient dû s’achever en 2019, on parle désormais de 2023 …"


Trésors de la collection Al Thani

"Je voudrais partager avec vous une expérience artistique assez rare : la visite de la collection Al Thani à l’Hôtel de la Marine, place de la Concorde. Le cadre est déjà exceptionnel, mais l’exposition est exceptionnelle puisque c’est la première fois (du moins pour moi) qu’une collection est consacrée à notre commune humanité. Les objets rares qu’a réunis ce milliardaire qatari ne sont pas regroupés par période ou par civilisation, mais par thème. Il y a notamment une galerie de sculptures de têtes, dans toutes sortes de matériaux, où l’on voit une tête de Mésopotamie vieille de 5500 ans, à côté d’une autre tibétaine, mexicaine, égyptienne … C’est vertigineux car ce téléscopage ne montre qu’une chose : à quel point le désir de beauté et de durer sont communs à tous les Hommes. "


Le monde de Steve McCurry

"Je vous encourage très vivement à aller voir l’exposition de photos de Steve McCurry, présentée au Musée Maillol jusqu’en mai 2022. McCurry est mondialement connu pour sa photographie de cette jeune Afghane au regard si intense, qui constitue l’affiche de l’exposition. Il y a au musée Maillol une énorme rétrospective, comptant plus de 150 photos grand format aux couleurs crues, la marque de fabrique de McCurry. Elles sont absolument sublimes, à la fois belles et tragiques. Ce ne sont pas que des paysages de guerre, il y a des photos de New York, de l’Inde, etc. Mais la priorité est donnée aux visages et aux regards. Ces gens ne sourient ni ne pleurent, la densité de ce que les clichés expriment est extraordinaire. On en ressort avec une émotion qui est aussi politique qu’esthétique."


Chien 51

"Je vous recommande un des meilleurs livres que j’ai lus parmi cette rentrée littéraire (et j’en lis beaucoup !). Il s’agit du roman de Laurent Gaudé, publié chez Actes Sud. Le roman ne pourra pas avoir le Goncourt car Laurent Gaudé l’a déjà eu en 2004, mais je trouve que ce livre le mériterait. C’est un roman très étonnant, tout à fait différent de ce qu’il fait d’habitude, une espèce de fable moderne sur le malaise de notre civilisation ; avec les moyens de la science-fiction. L’histoire se passe à une époque futuriste, dans laquelle les fusions-acquisitions ne se font plus entre entreprises mais entre pays. Ici, c’est la Grèce qui en a été victime. Elle a disparu, absorbée par la GoldTex, l’entreprise la plus puissante de ce monde-là. Chien 51 suit un policier grec, qui travaille dans la partie la plus abominable de ce nouveau monde, et s’efforce de faire revivre la Grèce et les îles d’autrefois, parfois à coups de petites pilules. C’est un très grand roman, dont j’adore l’écriture, très dense, ronde, et mouvante. Et qui nous fait réfléchir sur le monde dans lequel nous vivons."


Le grand monde

"Je vous recommande cette lecture extrêmement jubilatoire, signée Pierre Lemaitre. C’est de l’excellente littérature populaire. Lemaitre avait eu le Goncourt pour une trilogie à propos de la guerre de 1914-1918, « au revoir là-haut ». Ce livre-ci est le début d’une autre trilogie sur les Trente Glorieuses. Il traite de la France coloniale, aussi bien à Beyrouth qu’en Indochine. Lemaitre est un conteur extraordinaire, et à travers les tribulations d’une famille c’est aussi l’Histoire de France qu’on lit. Je venais de terminer le Houellebecq j’avoue que j’ai été très déçue, lisez plutôt celui-ci !"





Crise de la connaissance et connaissance de la crise

"Je vous recommande ce gros livre que vient de publier le Conservatoire National des Arts et Métiers. Il regroupe les réflexions de 44 professeurs du CNAM, faites pendant les confinement, à propos de la façon dont les crises multiples que nous traversons remettent en cause nos connaissances traditionnelles. L’ouvrage est en trois parties : la crise des connaissances sur la santé, sur l’économie, et sur la géopolitique. C’est un ouvrage collectif, plusieurs analyses sont vraiment remarquables ; il est préfacé par Arnaud Fontanet, qui occupe la chaire d’épidémiologie."


Le pingouin

"Je vous recommande moi aussi un roman, ukrainien cette fois. Il est signé d’Andreï Kourkov. C’est la satire assez grotesque et très drôle, même si elle est dramatique, de la corruption qui règne dans la société ukrainienne, et du rôle qu’y jouent les mafias. On y découvre tous les progrès que la démocratie ukrainienne avait encore à faire. Je ne vais pas raconter l’histoire, mais juste le début pour vous mettre en appétit. Il s’agit des tribulations d’un journaliste sans le sou, qui adopte un pingouin au zoo de Kyiv (car le zoo aussi est sans le sou). Ce pingouin s’appelle Micha, il est adorablement gentil, très tendre mais aussi complètement dépressif. Tous les deux vont vivre une aventure incroyable car on propose au journaliste d’écrire les futures nécrologies des célébrités de Kyiv encore vivantes. Il écrit donc des choses formidables, mais évidemment il n’est pas publié. Je n’en dis pas plus, le livre est tout petit, très cocasse, c’est un humour très particulier."


Bibliothèque Nationale Richelieu

"Allez donc voir la Bibliothèque Nationale Richelieu, qui vient de rouvrir ses portes après douze années de rénovation. L’immense salle de lectures ovale est toujours là, magnifique et studieuse, mais à présent il y a aussi un musée, qui compte 900 artefacts qu’on n’avait pas vus depuis des décennies, qui correspondent aux collections des cabinets royaux, que Colbert avait décidé de mettre dans un lieu unique. On y voit des choses formidables, comme le trône de Dagobert, l’échiquier de Charlemagne, une collection de camées absolument magnifique … Une splendeur."


Homo numericus - La « civilisation » qui vient

"Je recommande pour ma part un grand livre, à la fois par la taille et par l’intérêt. C’est le dernier ouvrage de Daniel Cohen. L’auteur poursuit ici son interrogation sur le capitalisme. Après le capitalisme industriel et le capitalisme financier, il en vient au capitalisme numérique, toujours avec une remarquable clarté. Deux choses ressortent pour moi de l’ouvrage. D’abord il montre (très brillamment) qu’après avoir produit des biens et des services, le capitalisme fait désormais commerce de l’imaginaire humain. Et aussi à quel point le développement du capitalisme numérique est systématiquement lié à la destruction des institutions qui ont accompagné le capitalisme industriel : les syndicats, les partis politiques, toute la démocratie que nous avons connue. Je trouve ce lien entre capitalisme numérique et crise de la démocratie très novateur et passionnant. "


Politique étrangère vol. 87, n°4 Balkans : un nouveau grand jeu

"J’ai deux recommandations cette semaine, pour deux revues. La première est le numéro consacré aux Balkans de la revue Politique étrangère. Alors que s’est déroulée cette semaine la réunion entre l’Union Européenne et les pays des Balkans supposés l’intégrer, la revue soulève des points très pertinents. Comme l’échec total du modèle de gouvernance de la Bosnie-Herzégovine, inventé à Dayton en 1996, reposant sur un Etat fédéral à trois minorités. Cela n’a absolument pas produit les effets escomptés (la réconciliation notamment), la Bosnie est un cas typique à partir duquel réfléchir aux conditions de la paix juste. On peut aussi y lire la façon dont la Chine a massivement investi dans certains de ces pays des Balkans, montrant là un agenda européen qui doit nous interroger."



Vivre deux cultures

"« Comment peut-on naître franco-persan ? » C’est le sous-titre de cet ouvrage de Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po. On connaît l’auteur pour ses nombreux livres analysant les relations internationales, mais cette fois-ci, il s’agit d’un livre bien plus personnel. Il y raconte sa double culture, française par sa mère, issue de la bourgeoisie de Soissons, et persane par son père, qui quitta l’Iran pour venir faire ses études en France dans les années 1920. Le récit est assez émouvant, déjà parce que ce mélange de cultures est assez rare, mais aussi parce que les portraits y sont formidables, et les difficultés d’intégration vécues par son père sont très décevantes. Tout cela fait bien comprendre les thèmes chers à Bertrand Badie dans son travail : son respect pour les cultures différentes, son attention à propos des vertus du métissage, et sa critique de l’arrogance occidentale. Très enrichissant."


À l’aube de nouveaux horizons

"Une fois n’est pas coutume, je vais vous recommander un ouvrage de sciences dures, en l’occurrence d’astrobiologie. Nathalie Cabrol fait le point sur l’Histoire de la recherche de la vie dans l’univers. L’autrice travaille depuis 1998 à la NASA, et dirige un programme au SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence). On apprend donc où en est l’exploration : sondes, satellites, etc. Nous connaissons aujourd’hui plus de 5000 exoplanètes, et elle dit un moment que « penser que nous sommes seuls dans l’univers est une aberration mathématique ». C’est à la fois passionnant et très lisible. Même si cela peut sembler paradoxal, elle montre à quel point les frontières de l’infiniment grand continuent de s’éloigner, avec des distances qui dépassent mon entendement personnel. En même temps, elle montre comment l’existence d’autres formes de vie est non seulement possible, mais de plus en plus probable. L’ouvrage peut donner le vertige, mais il a le mérite de rendre modeste."


Le silence et la colère

"Je viens de terminer le cinquième tome de la série historique de Pierre Lemaitre, et vous le recommande chaudement. Après le prix Goncourt en 2013 pour Au revoir là-haut, Pierre Lemaitre a poursuivi son Histoire de France « par le bas ». Histoire d’une famille créée par l’escroc du premier roman. Après l’exode de 1940 et la guerre d’Indochine, nous sommes à présent en 1952, avec les descendants des premiers protagonistes. Il y a des thèmes que j’ai complètement découverts, par exemple la question de l’avortement à la fin de la seconde guerre mondiale, avec ces commissaires à la natalité, qui traquaient les femmes osant avorter. On y trouve aussi une réflexion sur la modernité ou sur le journalisme. C’est à la fois réel et parfaitement romanesque, on y trouve des personnages incroyables, comme Geneviève, qui est l’incarnation la plus extraordinaire (avec peut-être Folcoche) de la méchanceté maternelle."


Quel avenir pour la dissuasion nucléaire ?

"Mon conseil de lecture concerne la dissuasion nucléaire, un aspect très particulier de la guerre en Ukraine, à propos duquel on se rend compte que les gens sont souvent très mal informés. On entend des choses un peu surréalistes sur ce qu’est la dissuasion nucléaire, ou sur ce que pourrait être l’emploi de l’arme atomique. C’est pourquoi ce tout petit ouvrage sera si précieux. Il est paru en octobre dernier, et il est signé de Bruno Tertrais, le meilleur spécialiste français (voire européen) de la dissuasion nucléaire. C’est un très long article, ou un livre très court, qui est accessible gratuitement en ligne. Tout y est : les différents concepts, l’historique, les débats et surtout les questions pour l’avenir. En particulier celle de la moralité de la dissuasion ou de l’emploi de l’arme nucléaire, mais aussi la prolifération iranienne comparée à celle d’Israël, la spécificité de l’arme nucléaire française, l’échec de la dissuasion en Ukraine. Une lecture extrêmement pédagogique et très éclairante. "


Hommage à Bassma Kodmani

"Je voudrais profiter de cette brève pour rendre hommage à une collègue et amie qui vient de nous quitter, Bassma Kodmani. Elle était un très grand chercheur, je l’ai connue à l’IFRI et ces dernières années elle était à l’Institut Montaigne. C’était surtout une grande dame de la politique syrienne, elle s’était battue pour la démocratie en Syrie, allant courageusement jusqu’à être la porte-parole de l’opposition démocratique à l’époque où il y avait encore des négociations. Je crois que la revue Esprit compte publier prochainement quelques-uns de ses papiers et un portrait, mais beaucoup de ses articles se trouvent sur Internet. "


Grandeur nature

"Je vous recommande la lecture du dernier ouvrage d’Erri De Luca, écrivain italien, qui vient de sortir chez Gallimard ce recueil de cinq nouvelles. D’abord parce que l’auteur est un personnage assez étrange : ancien communiste, anarchiste, proche à un moment des mouvements violents italiens. Il a fait de la prison, il a travaillé dans les usines, a voulu faire sa révolution ouvrière chez Fiat alors qu’il venait d’un milieu aisé, et puis un jour il a découvert la Bible et est devenu un érudit de la Torah et du Talmud. C’est aussi un alpiniste chevronné. Tout cela crée un personnage très épuré, très sec, semblable à sa langue, qui est aussi très lumineuse. Ce recueil parle de la paternité, au sens des rapports père-fils (il n’y a pas de filles dans ces histoires). Dans une nouvelle intitulée « leçon d’économie », un père se rend compte que son fils qu’il a élevé dans les livres et la culture et qui est ouvrier chez Fiat, écrit quand il rentre chez lui le soir, dans sa petite chambre de bonne. Un jour le père lit ce qu’écrit son fils et lui propose un salaire pour ne faire qu’écrire. Et le fils refuse. Et c’est la plus grande incompréhension qu’il y aura de leur vie entre Erri De Luca et son père. Et c’est raconté d’une façon exceptionnelle."


Le Grand Palais immersif

"Une fois n’est pas coutume, ma brève sera négative. Elle s’efforcera de vous dissuader de tomber dans un piège, celui du « Grand Palais immersif », qui propose une rétrospective consacrée à Alfons Mucha, qui est un grand artiste. En revanche, l’immersion promise n’est qu’une grande arnaque. Elle a lieu dans un entrepôt de l’Opéra, en béton brut, pas peint, peut-être même pas nettoyé, et quasiment dans le noir. On peut y voir trois ou quatre projections vidéos de peintures de Mucha, sans aucune explication, quelques kakémonos très mal reproduits, mais surtout une immense boutique de souvenirs estampillés « Mucha ». Je trouve que c’est vraiment prendre le visiteur pour un imbécile que de présenter cela comme une nouvelle forme muséale qui vous plonge dans l’œuvre d’un auteur d’une façon absolument inédite. On nous promet par exemple « les odeurs de Mucha », alors il faut appuyer sur un bouton et vous sentez la rose, bref c’est parfaitement ridicule, et assez cher (16 euros par personne). Bref, une arnaque dont on peut se passer. "



La faille souterraine et autres enquêtes

"Ma brève est nostalgique. J’ai toujours beaucoup admiré l’écrivain suédois Henning Mankell, auteur de romans dits « policiers », qui a inventé le savoureux personnage du commissaire Kurt Wallander : divorcé, solitaire, taiseux, déprimé et désespéré, qui passe sa vie à traquer ce qu’il appelle « la faille » dans la société suédoise : l’irruption d’une violence aussi brutale qu’incompréhensible. Dans une petite librairie, je suis tombée par hasard sur ce recueil de nouvelles qui m’avait échappé. On y retrouve Kurt Wallander, alors jeune inspecteur. Ce sont des petites pépites de 50 ou 60 pages. Pour moi, Mankell est sur la crise de la société suédoise ce que John le Carré a pu être sur le délitement de l‘empire britannique. A travers une intrigue policière ou d’espionnage, ces auteurs vous font sentir comment une société millénaire perd petit à petit ses repères."




Hugo décrypte

"Normalement, à la période de la rentrée je fais une brève sur le dernier livre d’Amélie Nothomb. Mais cette année, il s’agit d’un éloge des oiseaux en 180 pages, mais ayant personnellement en horreur tous les volatiles, je ne puis décemment pas vous le recommander. Je vous conseille en revanche de suivre le site « Hugo décrypte », ce journaliste qui vient de faire la longue interview d’Emmanuel Macron. Je le suis depuis très longtemps, et en plus d’un chaîne YouTube, il y a un compte Instagram, avec des publications quotidiennes, rappelant les cinq point forts de l’actualité en une minute seulement. C’est très court mais extrêmement bien fait, je vous le recommande chaudement. "


Ramses 2024 Un monde à refaire

"Comme tous les automnes, je parle d’un marronnier d’excellence, à savoir le rapport de l’IFRI, qui vient de paraître. C’est un très bon cru, il y a trois focus importants. D’abord, les leçons de la guerre en Ukraine, ensuite l’Inde, pays peu connu en France, et enfin une série de prospectives à plusieurs voix sur le monde à venir. Je trouve que l’édition de cette année est assez différente des autres, en ce qu’il y a de vraies analyses. D’abord sur la militarisation de l’interdépendance, c’est à dire la politique des sanctions en tant qu’arme de politique étrangère. On y trouve aussi un article très éclairant sur les fractures géopolitiques entre l’internet de l’Ouest et l’internet chinois. Et puis, la somme sur l’Inde, qui nous détrompe sur énormément de choses."


Trust

"Un peu de divertissement dans cette terrifiante actualité … Je vous recommande roman d’Hernan Diaz, son deuxième, récompensé par le prix Pulitzer. C’est un roman aussi intéressant que différent, tant sur le fond que sur la forme. Sur le fond, il s’agit d’une espèce de pédagogie de la haute finance : comment devenir très riche en période de crise économique. L’histoire se passe avant, pendant et après la crise de 1929, mais cela pourrait tout à fait être aujourd’hui : l’histoire d’un jeune banquier qui épouse une « aristocrate » américaine. La deuxième partie du roman change tout dans la forme : l’histoire de ce couple est cette fois racontée de trois autres points de vue. Cela donne une espèce de symphonie très intéressante, le livre est en lice pour des prix français, et à mon avis il en obtiendra."


Matin et soir

"Je ne connaissais pas Jon Fosse, et l’ai découvert en apprenant qu’il avait eu le prix Nobel. Cet écrivain est surtout un dramaturge, mais le livre que j’ai lu est l’un de ses rares romans, et il est absolument formidable. Sur le fond, le premier chapitre raconte la naissance du fils d’un pauvre pêcheur norvégien. On y assiste par le monologue intérieur du père, qui est dans la salle à côté de celle où sa femme accouche. Il se dit tout ce qu’il va pouvoir faire avec ce fils, l’écriture est très prenante, on a l’impression d’être soi-même le narrateur. Dans le reste du roman (les quatre derniers chapitre), c’est ce petit garçon, Johannes, désormais un homme de 74 ans, dont on va vivre le dernier jour. Lui aussi pauvre pêcheur, ne sait pas que ce matin où il se lève sera son dernier, mais sent qu’il y a quelque chose de bizarre. Il pense à sa femme morte, à ses neuf enfants, à ses amis … C’est une réflexion sur le passage très doux vers la mort. Cette description de la mort comme phénomène amical et non hostile est magnifique. Sur la forme, le style est formidable. On critique souvent le fait que Fosse écrit sans ponctuation, mais il ne s’agit pas de cela : il écrit des monologues intérieurs, donc des phrases très répétitives, qui ne se terminent pas forcément, des sauts d’une idée à une autre, bref il nous plonge véritablement dans le mouvement d’une pensée."



Étienne Dinet, passions algériennes

"Ma deuxième brève est le contraire d’une recommandation, il s’agit plutôt d’une dissuasion. Gagnez du temps, et épargnez-vous cette exposition de l’Institut du monde arabe. La plupart des journaux nous l’ont présentée comme quelque chose de très important et de formidable, alors que cela n’a qu’un intérêt tout à fait anecdotique. D’abord, l’exposition est toute petite (une quarantaine d’œuvres en tout et pour tout), et même si le personnage de Dinet est intéressant (un peintre français tout ce qu’il y a de plus classique de la fin du XIXème siècle, qui tombe amoureux de l’Algérie, se convertit à l’islam, traduit et illustre une vie de Mahomet), son œuvre n’a pas un intérêt fou … "


Narges Mohammadi, prix Nobel de la Paix

"Je voudrais rendre hommage à la récipiendaire du prix Nobel de la Paix 2023, Narges Mohammadi, journaliste iranienne. Elle a été emprisonnée 13 fois au cours de sa carrière, elle est actuellement encore en prison pour 8 ans (elle est détenue depuis 2016). Elle est d’un courage exceptionnel, elle a réussi à faire sortir de sa prison son discours de réception du prix Nobel. Ses enfants sont allés le lire à sa place à Oslo, et vous pouvez lire ce discours sur le site des prix Nobel. C’est une lecture extrêmement vivifiante, qui donne une idée de l’esprit de liberté qui souffle sur l’Iran. Un court extrait : « j’écris ce message derrière les hauts murs froids d’une prison. Je suis une femme du Moyen-Orient, issue d’une région qui, bien qu’héritière d’une riche civilisation, est actuellement prise au piège de la guerre, et la proie des flammes du terrorisme et de l’extrémisme. Je suis une femme iranienne qui est fière et honorée de contribuer à cette civilisation, aujourd’hui victime de l’oppression d’un régime religieux tyrannique et misogyne. Je suis une femme emprisonnée qui, confrontée aux souffrances profondes et déchirantes, dues au manque de liberté, d’égalité et de démocratie, a réalisé la nécessité de son existence et a trouvé la foi ». "


Le grand carnet d’adresses de la littérature à Paris

"Je recommande ce livre très agréable. Il est très volumineux et lourd : plus de 1200 pages ; vous ne l’emporterez pas partout, mais il est formidable. Il vient de paraître, et est signé de Gilles Schlesser. L’auteur a fait le tour de toutes les rues de Paris, pour voir où habitaient les écrivains français. Plus de mille sont recensés dans cet ouvrage, et c’est véritablement extraordinaire. Loin d’être un catalogue (qui ne serait pas intéressant), le livre comporte des anecdotes, des citations, des extraits à propos de l’adresse en question. On se précipite pour étudier ses quartiers préférés, c’est très jouissif. C’est un livre dans lequel on va régulièrement piocher avec délectation. Un travail absolument colossal, pour un grand plaisir de lecture."


Proust, roman familial

"Je quitte l’écologie pour l’aristocratie, en vous recommandant l’ouvrage de Laure Murat, sorti en novembre dernier. C’est un livre très intéressant : il ne s’agit pas vraiment d’un essai sur Proust, ni une autobiographie, ni une analyse sociologique de l‘aristocratie française au XXème siècle, c’est un peu les trois à la fois. Laure Murat est une professeur d’histoire culturelle à Los Angeles. Elle est fille du prince Murat (noblesse d’empire) et de la duchesse de Luynes, son pédigrée aristocratique est donc impressionnant. Grande lectrice de Proust, elle s’aperçoit au cours de ses recherches qu’il parle de tout ce qu’elle a connu en tant que petite fille. Et elle va faire exactement le même cheminement que Proust : partant d’une fascination pour l’aristocratie, elle va arriver à une espèce de mépris sans borne pour ces gens : incultes, parasites, hypocrites ... Et c’est formidable. Elle raconte par exemple que le jour où elle dit à sa mère qu’elle est homosexuelle, celle-ci la regarde, ne lui dit rien … et ne la revoit plus jamais. Elle n’est pas rejetée parce qu’elle est homosexuelle, mais parce qu’elle n’entend pas le cacher. Le livre est très drôle, et d’une intelligence remarquable. Un bonheur de lecture."


Daniel Cohen, l’économiste qui voulait changer le monde

"Dans la même veine de l’économie « longue », je vous recommande deux ouvrages de et sur Daniel Cohen, dont nous avons déjà parlé à ce micro depuis sa disparition en août dernier. Le premier est un hommage, recueillant des témoignages de personnalités politiques, de collègues universitaires, d’étudiants, de simples amis … L’ensemble des bénéfices que récoltera ce livre serviront à la création d’une chaire d’économie et à un prix d’économie Daniel Cohen, dans le cadre de l’Ecole Normale Supérieure."


Une brève histoire de l’économie

"Le deuxième ouvrage est de Daniel Cohen, il a été publié à titre posthume en janvier de cette année. Au départ, c’était censé être un texte très court pour accompagner une bande dessinée, et puis c’est devenu un livre. C’est extraordinaire là aussi, car il retrace 12 000 ans d’économie mondiale en 130 pages, avec une luminosité extraordinaire. Daniel Cohen était non seulement économiste, mais aussi quelqu’un qui réfléchissait beaucoup à ce qu’était le bonheur dans nos sociétés. Je vous recommande ce livre pour être un tout petit peu plus heureux que vous ne l’êtes aujourd’hui. "


Les yeux de Mona

"Le livre dont je vais vous parler a été à la fois une déception et un plaisir. Le fait que ce soit un best-seller mondial alors que cela parle de tableaux m’a beaucoup intriguée, c’est pourquoi je l’ai lu, d’autant que Thomas Schlesser est un historien de l’art tout à fait recommandable. La déception, c’est parce que la trame du roman n’est qu’un prétexte pour l’analyse de 52 chef-d’œuvres se trouvant à Paris. L’intrigue est tirée par les cheveux, et franchement pas intéressante, il y a des pages qu’on peut tout à fait sauter. Mais je comprends que si le livre n’avait été que des fiches sur tel et tel tableau, il se serait bien moins vendu … Et pourtant, c’est cette description des tableaux qui est passionnante. En principe, voir un tableau est d’abord un choc de formes et de couleurs. Ici, l’auteur nous les décrit, phrase par phrase, avec un talent tel qu’on voit l’œuvre surgir sous nos yeux. On apprend beaucoup, et c’est cela le vrai plaisir. "


Israël : le piège de l’Histoire

"Pour prolonger notre conversation, je vous recommande vivement ce livre. Il est formidable, c’est à mon avis de loin le meilleur ouvrage d’Araud. Parce que c’est certes d’un livre d’Histoire, mais il n’a rien d’universitaire. Gérard Araud a fait deux séjours diplomatiques en Israël, le premier à 30 ans comme conseiller à l’ambassade, le second 20 ans plus tard en tant qu’Ambassadeur de France. Il insiste sur trois évolutions qu’il a constatées : d’abord le passage de gouvernements de gauche à des gouvernements de droite, voire d’extrême-droite ; ensuite le passage d’une d’une culture ashkénaze à une culture séfarade, et enfin le passage d’une communion dans le souvenir de la Shoah à une religion fondée sur la lettre de la Torah, divine et donc non négociable. Ces trois passages expliquent à ses yeux la radicalisation de la politique de l‘État hébreu, dont la colonisation de la Cisjordanie, qu’il analyse de façon très sévère. Sa conclusion (pas très optimiste) est la suivante : si l’on veut dépasser le conflit israélo-palestinien, il faut oublier l’Histoire, car elle donne raison aux deux peuples."


Dom Juan

"Je vous recommande le Dom Juan de Molière qu’a mis en scène Macha Makeïeff et qui se joue au théâtre de l’Odéon jusqu’au 19 mai. Ce ne sera pas facile, car le spectacle affiche complet, mais il sera repris à l’automne à Aix, et puis en tournée et sans doute à Paris. J’ai trouvé la mise en scène esthétiquement très belle : les couleurs, les lumières, la musique … et aussi très déroutante. Macha Makeïeff place cette histoire au XVIIIème siècle, et dans ce décor de velours, un Dom Juan, sale, mal fagoté, dépenaillé … C’est tout l’intérêt de cette mise en scène : le séducteur irrésistible est un minable, un pauvre type. Une version très moderne, féministe et très intelligente de ce texte éternel. On a l’habitude d’un Dom Juan séducteur mais engagé dans le libertinage, philosophe, rebelle … Ici, le personnage est sans conviction, presque victime de lui-même et c’est très intéressant."


Portée et limites des nationaux-populistes

"Je vous ramène à nos angoisses populistes, pour vous signaler la parution de deux documents. Le premier est une étude d’envergure de l’Institut Montaigne, dirigée par Marc Lazar, sortie en avril dernier. Il s’agit d’une comparaison entre les différents mouvements européens. C’est très éclairant, il y a par exemple tous les votes des députés actuels au sujet de l’aide à l’Ukraine. Et il y a une partie prospective, où l’étude essaie de montrer l’influence de ces mouvements sur les futures priorités de l’UE."


Politique étrangère, vol. 89, N°2 - été 2024 - Populismes et relations internationales.

"Et puis ce numéro de la revue de l’IFRI, dans laquelle j’ai retenu trois papiers. L’un de Jean-Yves Camus, sur la différence entre populisme et extrême-droite, une distinction qu’il est important de savoir faire, un autre d’André Cartapanis sur le bilan des économies populistes dans l’Histoire (qui ont toujours été des échecs), et enfin un article de Lauric Henneton sur Trump et la tentation autoritaire des Etats-Unis à venir."


La splendeur des Brunhoff

"L’été, j’adore les sagas, et je regarde moi aussi avec beaucoup de plaisir The Durrells sur Arte. Je vous recommande deux livres. Le premier, signé d’Yseult Williams, nous raconte l’histoire exceptionnelle de cette famille absolument géniale. On connaît tous Jean de Brunhoff, le créateur de Babar, mais les quatre enfants ont été des créateurs exceptionnels, dans l’art, dans la mode, dans l’écriture, le dessin ou la musique. C’est l’archétype de la grande bourgeoisie française du début du XXème siècle, extrêmement cultivée, éprise de modernité, patriote … Passionnant."


Le lièvre aux yeux d’ambre

"La deuxième saga est celle de la famille Ephrussi, par Edmund De Waal. Charles Ephrussi était l’un des modèles du Swann de Proust. Mais le livre est surtout l’histoire de cette grande famille juive richissime, originaire d’Odessa, et exportatrice de céréales, installée à Paris et à Vienne, et qui a investi dans l’art. Une famille dont il ne reste malheureusement personne aujourd’hui. Seul vestige, à part la villa Ephrussi : une petite collection de miniatures japonaises, dont l’une a donné son titre à l’ouvrage. "





Le paradis des fous

"Pour moi, un roman américain de Richard Ford. Cet auteur nous raconte depuis près de quarante ans les aventures de son personnage, Frank Bascombe, agent immobilier, représentant typique de la classe moyenne américaine, doté d’un humour noir et d’un sens de l’auto-dérision ravageurs. Dans ce livre-ci, il a 74 ans, retrouve son fils de 47 ans, qui vient d’apprendre qu’il est atteint d’une maladie incurable. Tous deux décident de faire un voyage ensemble, un road-trip à travers les Etats-Unis. Mais les Etats-Unis moches : les motels miteux, le kitsch, le banal, le vulgaire. Drôle, féroce, ce voyage nous dévoile petit à petit la déliquescence de la middle class américaine. Un régal."


Au soir d’Alexandrie

"Je vous conseille ce roman égyptien, d’Alaa el-Aswani. L’écrivain est déjà l’auteur du formidable « L’immeuble Yacoubian », paru en 2002. L’action de celui-ci se situe à l’arrivée au pouvoir de Nasser, et c’est exactement la même contradiction entre une société civile ayant soif de liberté et un Etat policier qui se met en place. On voit comment le cosmopolitisme fait place petit à petit au nationalisme le plus étriqué, et c’est assez terrifiant, cela rappelle le Vienne de l’entre-deux-guerres : comment la culture ne sauve pas de la tyrannie."


Revue Esprit de novembre 2024 : le malentendu agricole

"L’intérêt et le sérieux des analyses de la revue Esprit ne sont plus à démontrer, et il faut bien reconnaître que la sortie de ce numéro tombe à pic pour éclairer ce moment où les agriculteurs vont de nouveau faire parler d’eux. On apprend beaucoup sur le malaise agricole dans ce numéro, on y retrouve tous les paradoxes qui le constituent, on voit qu’il ne touche pas seulement le modèle productiviste mais aussi le modèle bio, on s’aperçoit à quel point les agriculteurs sont désormais de moins en moins nombreux, et à quel point ils restent aimés par la population française, qui la plupart du temps se fait de leur métier une idée assez fantasmée. L’un des plus grands paradoxes étant la PAC, devenue indispensable à la survie du modèle agricole français, et qui dans le même temps écrase les agriculteurs sous une montagne de normes et d’injonctions parfois contradictoires. "


Juré n°2

"Recommandation cinématographique pour ma part : le dernier film de Clint Eastwood, passablement étrillé par la critique. Pour ma part, je l’ai trouvé doublement excellent. D’abord parce que c’est un excellent thriller, parfaitement maîtrisé, avec une tension qui monte implacablement. Ensuite parce qu’il s’agit d’une réflexion sur ce que sont l’injustice et la justice. L’injustice, c’est assez clair. La justice, en revanche, est une question beaucoup plus complexe. Quelques jours après avoir vu le film, je ne sais toujours pas ce qu’il aurait été juste de faire, et sans divulgâcher le film, dont l’argument est connu, on peut se poser la question : est-ce qu’un homme qui en tue accidentellement un autre avec sa voiture, en pensant avoir percuté un cerf, qui sort de sa voiture, ne voit rien, pense que le cerf s’est enfui, remonte dans sa voiture et rentre tranquillement chez lui, est-ce que cet homme est coupable de meurtre ? Je me le demande encore …"


13 à table ! 2025

"Autre bonne manière de finir l’année. Acheter ce recueil de nouvelles ayant trait à la solidarité, que publient Les Restaus du Cœur. C’est la onzième édition, et c’est un très bon cru, avec des écrivains comme Sandrine Collette, Raphaëlle Giordano, Marie-Hélène Lafon, Marc Levy, Agnès Martin-Lugand … C’est à la fois un plaisir (la nouvelle de Sandrine Collette est un délice) et une bonne action : le livre coûte 6 euros, quand vous en achetez un, vous financez cinq repas. "