Les brèves

Les livres de Jakob

Isabelle de Gaulmyn, créée le 18-06-2023

"C’est de judaïsme dont il sera question dans ma brève. Ce livre est déjà paru il y a quelques temps, mais je viens seulement de le découvrir. L’auteure est Olga Tokarczuk, Polonaise qui a reçu le prix Nobel. L’intrigue commence en 1752, et finit dans la Pologne de la Shoah. J’ai trouvé très intéressant que pour une fois (et l’auteure le dit elle-même), des Polonais ne parlent pas des Juifs seulement en rapport avec la Shoah. On y découvre une civilisation juive extrêmement riche, ainsi qu’une Histoire et la forme qu’y ont pris les Lumières, puisqu’il est question d’un homme qui entendait réformer la religion selon des préceptes tirés de la Kabbale, et tous les soubresauts que cela a provoqués. Il faut s’accrocher un peu, l’abord est un peu ardu, et le livre est un pavé, mais il en vaut vraiment la peine. "


Deux innocents

Lucile Schmid, créée le 20-06-2023

"Pour ma part, je vous recommande le dernier roman d’Alice Ferney, qui est absolument bouleversant. Une espèce de tragédie grecque, qui met en scène trois femmes. L’une est professeure dans un établissement pour jeunes handicapés (avec surtout des trisomiques, en fait). Elle a une relation très forte avec la mère d’un des élèves. Et puis il y a la directrice de l’établissement. C’est le roman de l’anti-politiquement correct, et de la manière dont on met des étiquettes. La professeure va nouer une relation forte avec un étudiant, ce qui déclenchera un engrenage tragique, jusqu’à un procès. Le livre dénonce très finement la façon dont on nous colle des étiquettes, par les réseaux sociaux, la façon dont on est forcément vu comme coupable si l’on a eu un élan d’affection envers un jeune handicapé. Quand on est une mère et qu’on perd le lien avec son fils, on va au procès, etc. Le livre traite de la difficulté de vivre ses émotions et de vivre la nuance dans l’époque qui est la nôtre. J’ai trouvé ce roman merveilleux."


A propos de l’affaire d’Annecy

Philippe Meyer, créée le 18-06-2023

"A Annecy, le 8 juin, un Syrien demandeur en France d’un asile qui lui a été refusé car il l’avait déjà obtenu en Suède a poignardé quatre enfants et deux adultes. Il a été mis en fuite par un jeune homme. L’acte courageux de ce jeune homme a d’abord été commenté avec admiration, puis, quand il été connu qu’il s’agissait d’un jeune catholique effectuant un pèlerinage d’une cathédrale à l’autre, les réseaux sociaux et certains journaux se sont employés à présenter de ce garçon une image toute différent de celle d’abord partagée. De ce qu’il appartient aux scouts d’Europe, créés en opposition à la modernisation du scoutisme et marqués par le conservatisme, de ce qu’il portait un tee-shirt arborant le drapeau français, de ce que le flocage de son tee-shirt avait été réalisé par une entreprise travaillant avec la police et plus précisément avec le RAID, de ce que son père travaille pour une entreprise internationale de la transformation digitale – autrement dit du big data, de ce que l’un de ses cousins occupe un poste au Service national universel, de ce que, lors des interviews qu’il a données après le 8 juin, le jeune homme a affirmé sa foi catholique et son admiration pour le lieutenant-colonel Beltram, de ce qu’une partie de la droite et de l’extrême droite s’est livrée à une entreprise de récupération de son geste, des commentateurs ont conclu qu’il y avait du louche dans l’acte d’Henri d’Anselme. Il se trouve que, ces derniers temps, la question de la fin de vie fait l’objet d’un débat de société et que l’on propose différentes mesures. Je propose que l’on en ajoute une, à l’intention de ceux qui se sont employés à réduire les faits à leur idéologie ou à leurs fantasmes : que chaque citoyen puisse signer et faire connaître un document qui dirait : « au cas où mes enfants seraient agressés par une personne armée d’un poignard, je refuse qu’ils soient sauvés par un catholique traditionnaliste »."


Maison Pan-Wogenscky

Michaela Wiegel, créée le 18-06-2023

"Je vous recommande une excursion que j’ai trouvée tout à fait enchanteresse dans la vallée de Chevreuse. Il y a à Saint-Remy-lès-Chevreuse, une maison qu’ont construite ensemble la sculptrice d’origine hongroise Marta Pan et l’architecte d’origine polonaise André Wogenscky, l’un des élèves de Le Corbusier. C’est dans son parc, et encore dans son jus, et il est nécessaire de s’inscrire, mais c’est vraiment une découverte que la visite de cette maison où tout a été soigneusement préservé. Beaucoup de sculptures aussi, dans ce magnifique jardin. Hautement recommandé à tous ceux qui ont besoin de fuir Paris momentanément."



Quand la musique fait l’Histoire

Nicolas Baverez, créée le 11-06-2023

"Je vous recommande ce livre d’Hélène Daccord, qui est très réussi. Il rappelle que la musique est non seulement un art majeur, mais aussi un outil diplomatique et militaire. Elle est utilisée pour les rivalités entre les puissances, mais aussi pour la construction des nations, il n’y a qu’à se pencher sur le rôle qu’a joué Verdi dans l’unité italienne. L’ouvrage est constitué de quinze moments, on peut citer la querelle des Bouffons, Beethoven qui passe de l’admiration de Bonaparte à la détestation de Napoléon, Chostakovitch et la fameuse symphonie Léningrad, Rostropovitch devant les restes du mur de Berlin, l’orchestre philharmonique de New-York à Pyongyang … Au moment où la guerre fait rage en Ukraine, on verra des polémiques autour des musiciens russes, comme avec les sportifs. Ce livre rappelle utilement que la musique fait l’Histoire. "


Macron-Poutine : les liaisons dangereuses

Jean-Louis Bourlanges, créée le 11-06-2023

"J’avais évoqué le livre d’Isabelle Lasserre à ce micro il y a quelques semaines, j’aimerais y revenir, car c’est la confrontation de deux personnalités radicalement différentes. Poutine est un homme absolument terrifiant, qui vit dans une réalité parallèle de plus en plus éloignée de la nôtre, et Macron, qui surplombe en quelque sorte la réalité, par un excès de rationalisme. Une irrationalité dévastatrice face à une rationalité abusive."


Synthèse du rapport Pisani-Ferry

Lionel Zinsou, créée le 11-06-2023

"Dans la foulée de notre premier sujet, je recommande à nos auditeurs de lire la synthèse de 150 pages publiée sur le site de France Stratégie, du rapport Pisani-Ferry. Et puis, internet offre la possibilité d’écouter deux professeurs au Collège de France, Philippe Aghion sur la politique de l’offre et le rejet des préconisations de taxation du rapport Pisani-Ferry. C’est éloquent et cohérent avec les intentions du premier quinquennat. Et plus sévère, le professeur Marc Fontecave, chargé des systèmes énergétiques, qui explique que le rapport n’est ni utile, ni profond, et qui met l’accent sur le fait que, comme on ne parviendra pas à contenir l’augmentation de température à +1,5°C et qu’on sera bien au-delà, il y a toute une catégorie d’investissements supplémentaires auxquels nous ferions bien de nous préparer, pour nous adapter à la hausse : submersions d’Etats insulaires, sécheresses, changement des côtes … C’est un angle mort du débat actuel, qui est très bien éclairé ici. Enfin Gilbert Cette, qui explique pourquoi il faudra travailler plus pour financer la transition de façon bien plus rationnelle que par les prélèvements obligatoires."


L’homme apprivoisé

Philippe Meyer, créée le 11-06-2023

"Je voudrais signaler un court roman d’un auteur salvadorien, Horacio Castellanos Moya, qui vit et travaille aujourd’hui à Pittsburgh, dans le cadre du programme « City of Asylum » (une des villes-refuges créées par Russell Banks). Comme l’écrit son éditeur, Horacio Castellanos Moya a écrit plus d’une dizaine de romans qui lui ont valu de nombreux prix, des menaces de mort et une reconnaissance internationale. Le héros de « L’Homme apprivoisé » a connu plusieurs exils et le dernier en date le conduit en Suède. Il vit à peine, il se traîne, secouru par une infirmière qui finira par ne plus supporter son état d’ataraxie, mélange d’incapacité à entreprendre quoi que ce soit là où il n’a ni racines, ni familiarité culturelle, ni même connaissance de la langue et qu’aggrave la dépendance aux neuroleptiques. Il survit donc dans un indémêlable désordre intellectuel, psychologique, sentimental, sexuel. Avoir échappé aux menaces ne guérit pas de la peur. Cela pousse plutôt à une méfiance bien proche de la paranoïa. On croit sauvés ceux qui ont pu fuir les dictateurs et les gangs et Horacio Castellanos Moya montre que pour certains, l’exil est un autre mal, mais un mal d’autant plus difficile à supporter qu’il est enkysté au plus profond de l’esprit et qu’il plombe l’existence de l’émigré. Erasmo Aragón, le héros de l’Homme apprivoisé n’aura finalement pas d’autre choix que de retourner dans le pays qu’il a dû fuir."


Les abeilles grises

Béatrice Giblin, créée le 11-06-2023

"Ce roman d’Andreï Kourkov a obtenu le prix Médicis étranger en 2022. L’histoire se passe dans le Donbass, dans la zone grise qui n’est plus tout à fait controlée par les séparatistes pro-russes ni par les Ukrainiens. Dans un village, il ne reste plus que deux personnes, qui sont deux ennemis intimes. Comme il n’y a plus qu’eux, ils vont se rabibocher. L’un est alcoolique invétéré, l’autre est apiculteur. La première partie du roman a lieu dans cette zone désespérante, et puis l’apiculteur décide de partir, avec ses abeilles, pour la Crimée, chez un apiculteur tatare rencontré dans un colloque. C’est ce voyage qui est narré, fait de rencontres multiples. Le roman est merveilleux, profondément triste, mais avec énormément de charme et de douceur. Un goût de miel."


La dernière reine

Akram Belkaïd, créée le 04-06-2023

"Je vous recommande ce film algérien encore à l’affiche. Il a la particularité de traiter d’une période historique qui n’a rien à voir avec la période coloniale ou post-indépendance. L’intrigue se déroule à Alger en 1516, au moment où la république monarchique d’Alger est sous la menace des Espagnols, et où elle fait appel au fameux corsaire turc Barberousse, héros national ottoman, pour libérer la ville. Le film explique comment les Ottomans se sont installés à Alger, et comment cette installation a été combattue par la reine Zaphira, qui s’est efforcée de conserver l’autonomie de la République d’Alger. C’est un film intéressant car il a déclenché beaucoup de débats. En effet, les Ottomans sont traditionnellement présentés comme des sauveurs dans l’historiographie algérienne. Le film adopté un autre point de vue : ce sont certes des libérateurs, mais aussi des régicides, car ils assassinent le roi en place et imposent leur propre dynastie, dont l’un des représentants sera le geôlier de Cervantès. Comment les Algériens doivent-ils considérer la présence ottomane ? Le film pose la question."


La faille souterraine et autres enquêtes

Nicole Gnesotto, créée le 04-06-2023

"Ma brève est nostalgique. J’ai toujours beaucoup admiré l’écrivain suédois Henning Mankell, auteur de romans dits « policiers », qui a inventé le savoureux personnage du commissaire Kurt Wallander : divorcé, solitaire, taiseux, déprimé et désespéré, qui passe sa vie à traquer ce qu’il appelle « la faille » dans la société suédoise : l’irruption d’une violence aussi brutale qu’incompréhensible. Dans une petite librairie, je suis tombée par hasard sur ce recueil de nouvelles qui m’avait échappé. On y retrouve Kurt Wallander, alors jeune inspecteur. Ce sont des petites pépites de 50 ou 60 pages. Pour moi, Mankell est sur la crise de la société suédoise ce que John le Carré a pu être sur le délitement de l‘empire britannique. A travers une intrigue policière ou d’espionnage, ces auteurs vous font sentir comment une société millénaire perd petit à petit ses repères."