Les brèves

Grandeur nature

Nicole Gnesotto, créée le 30-04-2023

"Je vous recommande la lecture du dernier ouvrage d’Erri De Luca, écrivain italien, qui vient de sortir chez Gallimard ce recueil de cinq nouvelles. D’abord parce que l’auteur est un personnage assez étrange : ancien communiste, anarchiste, proche à un moment des mouvements violents italiens. Il a fait de la prison, il a travaillé dans les usines, a voulu faire sa révolution ouvrière chez Fiat alors qu’il venait d’un milieu aisé, et puis un jour il a découvert la Bible et est devenu un érudit de la Torah et du Talmud. C’est aussi un alpiniste chevronné. Tout cela crée un personnage très épuré, très sec, semblable à sa langue, qui est aussi très lumineuse. Ce recueil parle de la paternité, au sens des rapports père-fils (il n’y a pas de filles dans ces histoires). Dans une nouvelle intitulée « leçon d’économie », un père se rend compte que son fils qu’il a élevé dans les livres et la culture et qui est ouvrier chez Fiat, écrit quand il rentre chez lui le soir, dans sa petite chambre de bonne. Un jour le père lit ce qu’écrit son fils et lui propose un salaire pour ne faire qu’écrire. Et le fils refuse. Et c’est la plus grande incompréhension qu’il y aura de leur vie entre Erri De Luca et son père. Et c’est raconté d’une façon exceptionnelle."


Le capitaine Volkonogov s’est échappé

Philippe Meyer, créée le 30-04-2023

"Je recommande très vivement ce film russe, signé de Natalya Merkulova et Aleksey Chupov. Il est sorti en 2021, ce qui signifie qu’il a été fait vers 2019-2020. Il serait tout à fait impossible qu’il soit fait dans la Russie d’aujourd’hui. Bien sûr à cause de la guerre et du verrouillage des diverses formes d’expression, mais aussi parce qu’il pose - entre autres- la question de la mémoire du stalinisme, une question décisive. Si décisive qu’on voit bien l’action que Poutine a mené contre ceux qui tentaient d’entretenir la vérité à son propos. Ici, on est en plein dans le pire de cette période, les années 1936 à 1938, au moment de la grande purge de 1936 et de la famine en Ukraine. A Saint-Petersbourg, le capitaine Volkonogov fait partie des équipes chargées d’arrêter les suspects, de fabriquer des accusations, des preuves et de passer aux exécutions. Et un jour, alors qu’il comprend que son sort sera le même que celui des gens qu’il a torturés et assassinés, il s’échappe. Et pendant sa fuite, il a une révélation. Premièrement, qu’il y a une vie après la mort et que le paradis existe, et deuxièmement qu’il n’y entrera jamais s’il n’y a pas au moins un parent de l’une de ses victimes qui le pardonne. Il part alors en quête de cette rédemption. Je ne connais pas d’autre film avec un sujet pareil. En tous cas celui-ci en parle d’une manière extrêmement forte. C’est un petit film, il est sorti il y a quelques semaines en France, on pouvait donc craindre que son sort commercial ne soit rapidement scellé. Or le jour où j’y suis allé, j’ai eu la bonne surprise de voir que la séance était complète. Espérons que cet engouement continuera, et qu’il portera longtemps cette magnifique expression du cinéma russe."


Le maréchal Ney

Richard Werly, créée le 30-04-2023

"Ma brève revient sur le débat à propos de la neutralité suisse puisqu’elle plonge au coeur de ce qui l’a permise : les guerres napoléoniennes, et l’intervention des troupes de Napoléon sur la Constitution de la Suisse moderne. Je fais référence à l’acte de médiation de 1802, et à la biographie du maréchal Ney qui vient d’être publiée, signée de Franck Favier. Lorsque Napoléon décide de mettre de l’ordre en Suisse, qui à l’époque (entre 1798 et 1802) est particulièrement turbulente, il y envoie le plus brave de ses généraux. Ney prendra la tête de l‘occupation napoléonienne en Suisse, et cela aboutira à l’acte de médiation de 1802, qui permettra au canton de Vaud où nous enregistrons d’échapper à la férule de Berne. Ce très beau livre raconte tous les tourments de ce militaire héros des champs de bataille, mais nigaud et assez buté sur beaucoup d’autres points."


Désordres (Unrueh)

Lucile Schmid, créée le 30-04-2023

"C’est un film suisse que j’ai pour ma part envie de vous recommander. Je l’ai trouvé incroyable. Il raconte la façon dont Pierre Kropotkine, le célèbre anarchiste russe, va découvrir l’anarchisme en Suisse, dans le Jura, dans une usine d’horlogerie, par le biais d’une romance avec une jeune ouvrière prénommée Joséphine. On explique très bien dans le film comment dans ce milieu des ouvrières de l’horlogerie, contraintes à toujours plus de productivité à mesure que le XIXème siècle s’avance, on est fasciné par la Commune de Paris, par l’anarchisme en général. C’est ce qui changera Kropotkine, qui disait : « quand je quittai ces montagnes, après un séjour de quelques jours au milieu des horloges, mes opinons sur le socialisme étaient faites : j’étais anarchiste ». "


Rapport Schuman sur l’Europe 2023

Jean-Louis Bourlanges, créée le 23-04-2023

"La fondation Schuman, présidée par Jean-Dominique Giuliani, édite un rapport par an, et il s’agit d’un outils de travail absolument nécessaire pour ceux qui suivent les affaires européennes. On y trouve tous les écrivains positifs à propos de l‘Europe et rien que cela en justifie la lecture, mais je suis frappé par un certain décalage, entre ce livre qui positive énormément le rapport à l’Europe, et les analyses publiques de Jean-Dominique Giuliani, qui sont beaucoup plus inquiètes, notamment sur la relation franco-allemande, sur l’incertitude de l’Allemagne sur son avenir européen, sur le rapport décalé du président français avec ses partenaires. Tout cela fait l’objet d’un analyse qui est à mon avis préoccupante à un an de la prochaine élection européenne. On dit que l’Ukraine a réveillé l’Europe, c’est sans doute vrai, mais l’Europe qui s’est réveillée est divisée, fragmentée, incertaine de ses objectifs, et surtout très ignorante des conditions et des responsabilités qu’implique la compétition internationale. "


Postures médiatiques : chronique de l’imposture ordinaire

Philippe Meyer, créée le 23-04-2023

"Et puis je voudrais recommander le livre d'un agrégé de philosophie ancien inspecteur pédagogique régional dans cette matière, André Perrin. Ce livre a pour titre « Postures médiatiques » et comme sous-titre « chronique de l'imposture ordinaire ». Il s’emploie, exemple après exemple et démontage après démontage, à pourfendre le cléricalisme qui étouffe l’esprit critique ou même la simple prise de distance dans trop de médias écrits, audios ou vidéos. Je m'étais abstenu d'en rendre compte parce que beaucoup -mais pas toutes, il s’en faut- des prises à partie très documentées qui font la qualité de ce livre concernent France Culture et que je ne voulais pas qu'on puisse douter de la sincérité de mon éloge en le mettant sur le compte d’une tentative de règlement de comptes avec celle qui a dû démissionner de la direction de cette chaîne et qui s’est tant employée à nous nuire. L’auteur a trois qualités : la précision dans la critique, une mémoire qui lui permet de mettre les imprécateurs face à leurs contradictions, leurs incohérences et leurs impostures, et un humour dont les traits peuvent être ravageurs. J’en ajouterais volontiers une quatrième, la bravoure qui fait aller André Perrin sur tous les terrains minés par celles et ceux qu’il démasque. Lorsqu’il lui arrive, tout philosophe qu’il est, de se laisser emporter et de lâcher quelque sophisme, force est de reconnaitre que ce n’est pas, comme ceux dont il se moque, par peur de ne pas être dans le troupeau de Panurge."


Die Moskau Connection : Das Schröder-Netzwerk und Deutschlands Weg in die Abhängigkeit

Michaela Wiegel, créée le 23-04-2023

"Je recommande ce livre, qui n’existe pour le moment qu’en allemand, mais mérite vraiment une édition française. Il montre pour la première fois, et de façon extensive, le réseau qu’avait créé Gerhard Schröder à Hanovre avant de devenir chancelier. Et comment ce réseau, déjà fondé sur de très forts liens avec la Russie, a continué de servir des intérêts très divers tout au long du parcours politique de Schröder. Entrepreneurs, approvisionnement de l’Allemagne en énergie, montée des jeunes politiciens SPD … On y apprend comment l’Allemagne de l’ère Merkel a pu glisser dans cette dépendance de plus en plus forte à la Russie, au point de vendre ses plus grands réservoirs de gaz directement à Gazprom, et de se couper de tous les moyens étatiques de prise de décision. Le livre est aussi très éclairant sur le rôle de Mme Merkel, d’abord très clairvoyante, puis qui a accepté de plus en plus de compromis pour maintenir sa coalition."


Erri De Luca

Nicolas Baverez, créée le 23-04-2023

"Le festival du livre de Paris met l’Italie à l’honneur, et je voudrais vous inviter à découvrir Erri de Luca si vous ne le connaissez pas encore. Il est pour moi un écrivain absolument majeur. On vient d’éditer quinze de ses textes en Quarto. Il y a des romans, des poèmes, du théâtre … Parmi ses livres récents, on peut citer Grandeur nature, qui contient neuf histoires de parents et d’enfants, allant de mai 68 jusqu’à Abraham et Isaac, car De Luca est un grand lecteur de la Bible et du Talmud. Il adore la montagne, et il y a un petit livre appelé Impossible, qui est un dialogue entre un prévenu et un magistrat ; deux hommes se promènent en montagne. L’un fait une chute mortelle, l’autre qui a donné l’alerte, était tout près, et les deux se connaissaient bien. Celui qui est tombé était un ancien militant d’extrême-gauche repenti, qui a dénoncé tout son groupe. Le donneur d’alerte était un ami d’enfance membre du même groupe."


Le bal de la rue Blomet

Marc-Olivier Padis, créée le 23-04-2023

"Je vous recommande ce roman de Raphaël Confiant, publié chez Mercure de France. Il s’appuie sur l’histoire vraie d’un bal très célèbre à Paris après la Grande Guerre, le bal du 33 de la rue Blomet, également appelé « le bal colonial » ou, suite à un article célèbre de Robert Desnos « le bal nègre ». Ce bal a revu le jour il y a quelques années, mais plus sous ce nom évidemment. C’était un endroit magnifique, rendez-vous des Martiniquais de Paris, les ouvriers du Quai de Javel venaient y danser la biguine, une musique dont l’ancienneté et l’authenticité le disputent au jazz. Raphaël Confiant raconte cette histoire avec nostalgie, car la biguine est aujourd’hui bien oubliée. Histoire de la musique, histoire de Paris, histoire des Antillais parisiens, le tout dans une langue magnifique."



La septième croix

Béatrice Giblin, créée le 16-04-2023

"Le roman que je vous recommande a été écrit en 1938 et publié en 1942. Il est signé d’Anna Seghers, écrivaine communiste et juive, et je viens seulement de le découvrir. Il a récemment été réédité et la traduction de Françoise Toraille est remarquable. L’auteure s’est réfugiée en France en 1933, et a dû quitter la France un peu plus tard. Au milieu des années 1930, sept prisonniers communistes allemands s’évadent d’un camp. Le commandant fait construire sept croix, sur lesquelles ils seront suppliciés car il est convaincu qu’il va les retrouver tous les sept. Il en récupérera six, et la septième croix restera vide. Le roman raconte l’histoire de ce fugitif, qui essaie d’échapper à ceux qui le traquent. C’est absolument remarquable dans la description de la lâcheté, de la médiocrité d’une grande partie des gens, mais aussi dans l’héroïsme de quelques-uns. Extrêmement émouvant."


Tableaux pluriels : voyage parmi les polyptyques d’hier et d’aujourd’hui

Lionel Zinsou, créée le 16-04-2023

"Je vous conseille un bon auteur, habituellement connu pour autre chose que sa plume : Laurent Fabius. Il ne fait pas que du droit constitutionnel, mais de plus en plus d’histoire de l’art, et dans sa vie personnelle de plus en plus de peinture. Et comme il aime les grands formats et qu’il a un petit atelier, il divise ses tableaux. Il est donc allé étudier les polyptyques. Le sujet de ce livre est certes un peu élitiste, mais vous avez ainsi un panorama des polyptyques depuis l’Antiquité. C’est très érudit, et il est toujours agréable de savoir que les constitutionnalistes sont aussi d’excellents historiens de l‘art. "