Les brèves

La dernière reine

Akram Belkaïd, créée le 04-06-2023

"Je vous recommande ce film algérien encore à l’affiche. Il a la particularité de traiter d’une période historique qui n’a rien à voir avec la période coloniale ou post-indépendance. L’intrigue se déroule à Alger en 1516, au moment où la république monarchique d’Alger est sous la menace des Espagnols, et où elle fait appel au fameux corsaire turc Barberousse, héros national ottoman, pour libérer la ville. Le film explique comment les Ottomans se sont installés à Alger, et comment cette installation a été combattue par la reine Zaphira, qui s’est efforcée de conserver l’autonomie de la République d’Alger. C’est un film intéressant car il a déclenché beaucoup de débats. En effet, les Ottomans sont traditionnellement présentés comme des sauveurs dans l’historiographie algérienne. Le film adopté un autre point de vue : ce sont certes des libérateurs, mais aussi des régicides, car ils assassinent le roi en place et imposent leur propre dynastie, dont l’un des représentants sera le geôlier de Cervantès. Comment les Algériens doivent-ils considérer la présence ottomane ? Le film pose la question."


Giovanni Bellini : influences croisées

Michel Eltchaninoff, créée le 04-06-2023

"Je vous vous recommande cette exposition du musée Jacquemart-André à Paris, qui se finira le 17 juillet. Le peintre vénitien Bellini est peut-être moins flamboyant que Carpaccio, moins violent que le Tintoret, et moins philosophe que Giorgione, il peint surtout des madones, mais il exprime une humanité et une douceur absolument bouleversantes. Il est l’un des premiers chefs de file de l’école du colorito : vénitien, sensuel, face aux expérimentations géométriques et mathématiques des florentins. Un mélange de vie et de sérénité que cette position. Notons qu’on peut la visiter comme l’ont prévu ses commissaires, en présentant des liens avec d’autres peintres. Mais on peut aussi se faire son petit scénario personnel. Ç’a été mon cas, à travers ces mères et ces enfants. J’ai vu d’abord la tendresse, mais aussi l’inquiétude maternelle, on comprend au regard de Marie qu’elle sait que son fils va mourir avant elle et on voit que cela la désespère. Dans un autre tableau, lors de la crucifixion, le corps de Jésus est totalement livide, le visage décomposé. Encore un peu plus loin, le Christ est mort. Son torse est celui d’un jeune homme, glabre, rose, le visage ne souffre plus, il semble apaisé. S’il l’un des deux anges au-dessus de lui verse une larme. Je vous engage à aller vous faire votre propre itinéraire dans cette magnifique exposition."


La faille souterraine et autres enquêtes

Nicole Gnesotto, créée le 04-06-2023

"Ma brève est nostalgique. J’ai toujours beaucoup admiré l’écrivain suédois Henning Mankell, auteur de romans dits « policiers », qui a inventé le savoureux personnage du commissaire Kurt Wallander : divorcé, solitaire, taiseux, déprimé et désespéré, qui passe sa vie à traquer ce qu’il appelle « la faille » dans la société suédoise : l’irruption d’une violence aussi brutale qu’incompréhensible. Dans une petite librairie, je suis tombée par hasard sur ce recueil de nouvelles qui m’avait échappé. On y retrouve Kurt Wallander, alors jeune inspecteur. Ce sont des petites pépites de 50 ou 60 pages. Pour moi, Mankell est sur la crise de la société suédoise ce que John le Carré a pu être sur le délitement de l‘empire britannique. A travers une intrigue policière ou d’espionnage, ces auteurs vous font sentir comment une société millénaire perd petit à petit ses repères."





Macron - Poutine : les liaisons dangereuses

Michaela Wiegel, créée le 14-05-2023

"Je vous recommande ce livre d’Isabelle Lasserre, journaliste au Figaro. Elle y décortique le réseau qui a pu amener des responsables politiques français à s’aveugler sur les véritables intentions de Vladimir Poutine. Elle décrit également cette tendance à envisager la Russie d’une façon qui correspond à un ressenti français, mais pas à la réalité russe. Elle est souvent assez dure dans ses jugements, mais on est mieux armé pour analyser l’actualité après la lecture de ce livre."


Le Grand Palais immersif

Nicole Gnesotto, créée le 14-05-2023

"Une fois n’est pas coutume, ma brève sera négative. Elle s’efforcera de vous dissuader de tomber dans un piège, celui du « Grand Palais immersif », qui propose une rétrospective consacrée à Alfons Mucha, qui est un grand artiste. En revanche, l’immersion promise n’est qu’une grande arnaque. Elle a lieu dans un entrepôt de l’Opéra, en béton brut, pas peint, peut-être même pas nettoyé, et quasiment dans le noir. On peut y voir trois ou quatre projections vidéos de peintures de Mucha, sans aucune explication, quelques kakémonos très mal reproduits, mais surtout une immense boutique de souvenirs estampillés « Mucha ». Je trouve que c’est vraiment prendre le visiteur pour un imbécile que de présenter cela comme une nouvelle forme muséale qui vous plonge dans l’œuvre d’un auteur d’une façon absolument inédite. On nous promet par exemple « les odeurs de Mucha », alors il faut appuyer sur un bouton et vous sentez la rose, bref c’est parfaitement ridicule, et assez cher (16 euros par personne). Bref, une arnaque dont on peut se passer. "


Rétrospective Louis Malle

Philippe Meyer, créée le 14-05-2023

"Je me suis récemment replongé dans la filmographie de Louis Malle. Il mériterait bien une rétrospective, mais il est vrai que son parcours d’électron libre dans le cinéma ne lui donne pas souvent droit à ce genre d’éclairage. Tous ses films sont accessibles sur internet, on peut donc se faire chez soi sa propre rétrospective sur mesure. On reverra avec beaucoup de plaisir « Zazie dans le métro », réussite totale de l’adaptation cinématographique d’un certain ton littéraire, celui de Queneau, mélange très singulier d’insolence et de fantaisie. On pense évidemment à « Ascenseur pour l’échafaud » ou aux « Amants ». On peut s’émerveiller de la diversité d’inspiration de ses films, du « Voleur » (magnifique adaptation de l’écrivain anarchiste Georges Darien), à « Milou en Mai » en passant par « Au revoir les enfants » très prenant et certainement autobiographique, « Le souffle au cœur », « My dinner with André » (sorte de non-film) ou « Lacombe Lucien », qui en son temps avait suscité de grands débats. "


La colère et l’oubli : les démocraties face au djihadisme européen

Béatrice Giblin, créée le 14-05-2023

"L’ouvrage que je vous recommande est moins léger que Carmen. Hugo Micheron est un chercheur dont j’apprécie beaucoup le travail. Il s’agit d’une enquête très approfondie, le travail de recherche est extrêmement sérieux, Micheron parle parfaitement l’arabe, ses sources sont donc très directes. C’est une interrogation sur l’origine du djihadisme en Europe, mais aussi sur son devenir. Comment on est passés de la colère à l’oubli. La question du djihadisme reste très présente, car les gens radicalisés emprisonnés commencent à être libérés, et rien n’indique que leurs convictions aient changé … Au-delà des attentats, il s’agit de réussir à comprendre ce qui a permis au djihadisme de devenir cet enjeu politique, sociétal et démocratique absolument majeur. Le livre montre comment des Etats aux histoires très différentes, qu’ils aient un passé colonialiste ou non, ont connu cette implantation du djihadisme. Comment des petits groupes ont eu une réelle stratégie d’entrisme dans certains quartiers, et les conséquences que cela a pu avoir. Vraiment remarquable. "


Georges et Carmen

François Bujon de L’Estang, créée le 14-05-2023

"L’Opéra Comique vient de donner une bonne nouvelle production de Carmen, qui avait le mérite de la simplicité, de la légèreté et de l’absence de prétention. L’œuvre était très bien dirigée par Louis Langrée et le rôle titre admirablement bien tenu par Gaëlle Arquez. Mais surtout c’était un retour historique sur cette scène, puisque c’est dans la salle Favart que l’opéra fut créé, avant de passer au « grand » Opéra. A cette occasion je signale un roman que j’ai trouvé très plaisant, signé du cinéaste Jean Rousselot. C’est l’histoire romancée de la création de Carmen par Georges Bizet, qui comme chacun sait est mort à 36 ans, alors qu’on donnait la 33ème représentation de son œuvre, qui tardait à avoir du succès. Il eut une idylle avec Célestine Galli-Marié, la cantatrice qui fut la première Carmen à l’Opéra de Paris. Le roman est tout à fait délicieux, il est à la fois une illustration des affres de la création artistique et d’autre part des effets de miroir qui peuvent exister entre cette création et la vraie vie. "