Les chroniques

MAUVAISE LANGUE

Philippe Meyer, publiée le 19-02-2019

"Des augures soutiennent qu’il arrivera à l’anglais devenu langue mondialisée ce qui arriva au latin, langue de l’empire romain que trop d’usagers finirent par réduire à un idiome appauvri, abâtardi, épuisé dans son vocabulaire et affaissé dans sa syntaxe. J’en ai trouvé un exemple dans un article consacré à Helen Gandy, qui fut la très dévouée secrétaire de l’inamovible directeur du F.B.I. J.Edgar Hoover : « As she officially retired the day Hoover died, écrit l’auteur, she spent the following weeks shredding his papers ». Traduite par le jeune Célestin, dont la scolarité a rempli ses parents d’un orgueil légitime quoique exagéré, cela donne « Alors qu’elle avait pris officiellement sa retraite le jour de la mort de Hoover, elle consacra les semaines qui suivirent à détruire ses fiches ». Traduit par un logiciel prétendument ad hoc, la même phrase devient : « Tandis qu'elle se retirait officiellement, l'aspirateur de jour mort, elle a passé les semaines à venir détruisant ses papiers »…[...]"


DU JOURNALISME CONSIDÉRÉ COMME UN HOMICIDE

Philippe Meyer, publiée le 17-02-2019

" Mélusine, qui fut naguère mon étudiante, est aujourd’hui la benjamine de la rédaction d’une radio nationale. Soit que l’âge les rapproche, soit que les charmes de Mélusine l’interpellent quelque part, Philémon, le stagiaire récemment arrivé d’une école de journalisme recherchée, vient fréquemment bavarder avec elle. Un jour, il paraît contrarié. Mélusine l’interroge. Il voudrait lui parler mais il ne le peut que si Mélusine lui promet le secret. Elle s’y engage. L’apprenti lui révèle qu’un dilemme le met à la torture. [...]"


RIEN N’EST SIMPLE

Philippe Meyer, publiée le 15-02-2019

"C’est le propre de l’homme que de n’entendre sonner midi qu’à sa pendule. Ainsi nous réjouissons-nous d’apprendre que les véhicules autonomes mis au point par une dizaine de constructeurs apporteront dans les années qui viennent une sécurité inespérée. En supprimant l’erreur humaine, disent les spécialistes, de pareilles voitures diviseraient par dix le nombre d’accidents. Vies sauvées (1,2 million de morts chaque année sur les routes du monde) ; drames épargnés (50 millions de blessés) ; économies pour la puissance publique (12,5 milliards d’euros dépensés en France au titre de la sécurité routière plus 11 milliards de dépenses de santé) ; gain de pouvoir d’achat pour les ménages (de combien diminueraient les 20 milliards d’euros que dépensent les Français pour assurer leur voiture ?). Oui mais…[...]"


TOUT EST À LOUER

Philippe Meyer, publiée le 13-02-2019

"Manger du pain de fesses est une source de revenus que rendent aléatoire les lois récentes sur la prostitution et sur sa clientèle. Disons-le, le barbeau, le souteneur, le marlou, l’alphonse, le dos-vert, en un mot le proxénète n’a pas devant lui de grandes perspectives de carrière. Est-ce à dire qu’il deviendra de plus en plus difficile de gagner son pain avec le corps d’autrui ? Je l’ai cru, mais j’ai été rassuré par la lecture de mon confrère « L’Équipe » (j’adore écrire « mon confrère l’Équipe », rien qu’à prononcer ces mots, j’ai l’impression que mes abdominaux s’affermissent). En rapprochant la question de l’avenir des proxénètes de celle de la lecture de l’Équipe, je ne fais nullement allusion au soutien actif que certains footballeurs apportent à l’industrie du sexe. Ce ne sont pas vers les fesses des péripatéticiennes qu’il convient de se tourner si l’on veut gagner son pain, et même le beurrer au beurre cru d’appellation d’origine contrôlée. [...]"


DU PASSÉ, FAISONS TABLE OUVERTE

Philippe Meyer, publiée le 12-02-2019

" Mémoire est un substantif que nous avons tendance à beaucoup utiliser. Un rapide coup d’œil sur la toile et voici qu’apparaissent en nombre des fondations pour la mémoire de telle ou telle guerre ou de tel événement, des associations intitulées chemins de mémoire, anneaux de la mémoire, ou des cimetières rebaptisés jardins de mémoire, et je compte pour rien les lieux de mémoire et le devoir de mémoire. Et plus nous parlons de mémoire, moins nous sommes instruits de notre passé. [...]"


MOTS ET MAUX

Philippe Meyer, publiée le 08-02-2019

" Voltaire reçut un jour un billet signé de Sophie Arnould, comédienne et cantatrice, créatrice de l’Iphigénie et de l’Eurydice de Gluck. Cette jeune femme lui écrivait : « Monsieur, Je serais heureuse que vous vinssiez déjeuner chez moi. Vous ne vous amuserez pas beaucoup car je n’ai pas d’esprit. Mais votre visite me permettra d’en avoir le lendemain, car j’ai bonne mémoire ». On appelle cela « faire un mot ». Le contraire de « faire un mot », il me semble que ce doit être « se payer de mots », croire que les mots ne vous engagent à rien, que leur son a la même valeur que leur sens. [...]"


A PROPOS DU PERMIS DE CONDUIRE…

Philippe Meyer, publiée le 05-02-2019

"il n’y a pas si longtemps un jeune agrégé de philosophie entré premier à l’Ecole Normale Supérieure et devenu membre du cabinet du ministre des Finances qui aurait souhaité passer son permis de conduire n’aurait eu qu’à donner un coup de fil pour que le ministère des Transports lui organise un examen sur mesure avec résultat favorable garanti. La progression de l’âge démocratique et sans doute aussi sa propre conscience n’ont pas permis à Gaspard Koenig, qui réunit toutes les qualités que je viens d’énumérer, d’échapper à la destinée commune. Tant pis pour lui et tant mieux pour nous car des dix années au cours desquelles le normalien agrégé conseiller ministériel a essayé d’obtenir le précieux papier rose, il a tiré un conte philosophique, un récit spirituel et un document instructif. Son livre s’intitule « Leçons de conduite » (Grasset) [...]"


UN GRAIN DE SEL

Philippe Meyer, publiée le 02-02-2019

"Ecrire sur l’humour est généralement l’exercice qui en manque le plus. Il faut d’abord dominer la tentation de l’exhausser au point d’en faire le nec plus ultra des manifestations de l’esprit humain. La plupart du temps, cette sublimation se fait en suggérant que sous la légèreté se cache une grande profondeur. C’est la célèbre « politesse du désespoir », dont j’écrirais volontiers qu’elle est un abus de langage (et même de confiance) si je ne me souvenais pas du mot de Tristan Bernard à sa femme lorsqu’on vint les arrêter pour les conduire à Drancy : « Tu vois, jusqu’à présent nous vivions dans l’angoisse, maintenant, nous allons vivre dans l’espoir ». On voit par là que rien n’est simple, comme aime à le souligner Sempé, dont les traits nous font voir ce que nous avons sous les yeux, vertu que l’on peut considérer comme une marque du talent d’humoriste. [...]"



LE RAMAGE DE MONSIEUR MELENCHON

Philippe Meyer, publiée le 25-01-2019

"De la tribune de la Chambre montait un copieux discours de comice agricole déclamé avec emphase. De son banc, Léon Daudet, député de Paris dans les années 20, obtint la permission d’interrompre l’orateur. « Monsieur le président, pourriez-vous me prêter notre collègue ; je voudrais l’emmener à la maison un jour de congé scolaire, je suis sûr qu’il amuserait mes enfants. » En écoutant Jean-Luc Mélenchon, il m’arrive de regretter de ne pas avoir de bambins à distraire. [...]"


L’ART DE MENTIR

Philippe Meyer, publiée le 22-01-2019

"Sans être à proprement parler un poète, Donald Trump ne laisse pas inactive sa faculté d’imagination. Je dirai même qu’il la cultive, l’entretient, l’exerce, la peaufine, la torréfie, l’enfle, la travaille, la pousse dans des retranchements où peu d’hommes politiques – peut-être même aucun – n’ont osé s’aventurer jusqu’ici. Ainsi, lorsqu’il était candidat, le promoteur immobilier animateur de télé-réalité avait-il assuré qu’il existait une vidéo montrant des milliers de musulmans du New Jersey célébrant l’anniversaire des attentats du 11 septembre. L’un de ses soutiens produisit ce document, avant de devoir admettre qu’il s’agissait non de musulmans étatsuniens, mais de Palestiniens filmés à Gaza. Trump avait aussi découvert que Barack Obama s’apprêtait à faire entrer aux Etats-Unis 200.000 réfugiés syriens. [...]"


ALLEGRO CON SPIRITO

Philippe Meyer, publiée le 19-01-2019

" Pendant près de 15 ans, Leonard Bernstein, le compositeur de West Side Story, présenta sur une chaîne de télévision commerciale américaine, C.B.S, des concerts pour les enfants et les adolescents. Sa fougue, son plaisir de transmettre, son habileté à piquer la curiosité de son public et ce qu’il y avait d’enfantin dans son caractère firent merveille. Sur les mauvaises images d’archives en noir et blanc, les yeux des enfants s’émerveillent d’aborder un nouveau monde que beaucoup pensaient hors de portée. Quoi de plus réjouissant, de plus fortifiant même, que de voir son horizon reculer, de découvrir en soi des ressources insoupçonnées ? Quoi de plus remarquable et de plus tonique que de voir un homme mettre autant de lui-même et de ses talents dans l’accomplissement de son métier ? [...]"