Les brèves

Journal : 1890-1945

François Bujon de L’Estang, créée le 29-01-2023

"C’est toujours dans la musique que je cherche refuge contre les tracas du monde. J’ai donc été très intéressé quand Gallimard a publié le journal de Reynaldo Hahn, un musicien sous-estimé. Espérons que l’ouvrage servira à la réhabiliter. Le personnage est très intéressant, d’abord sur le plan personnel : ce rejeton d’une famille juive allemande immigrée au Venezuela et qui retrouva l’Europe par la France du Second Empire. Extraordinairement doué, élève de Massenet au Conservatoire, pour lequel il a des mots très affectueux et admiratifs. Il a traversé la première moitié du XXème siècle, et cette publication est en réalité un florilège. Ce journal va du flirt du jeune Reynaldo avec Cléa de Mérode, de la complicité avec Marcel Proust, jusqu’à son refuge à Monaco pendant l’occupation. Ses propos sur Pétain et Vichy sont très intéressants. Ce pur produit du XIXème siècle, brillant compositeur qui nous laisse une œuvre très belle et très riche, finira par diriger l’Opéra de Paris en 1946. Sa plume fait penser à un oursin, il y a beaucoup de piquants et de méchanceté. Tout à fait savoureux. "


À l’aube de nouveaux horizons

Nicole Gnesotto, créée le 29-01-2023

"Une fois n’est pas coutume, je vais vous recommander un ouvrage de sciences dures, en l’occurrence d’astrobiologie. Nathalie Cabrol fait le point sur l’Histoire de la recherche de la vie dans l’univers. L’autrice travaille depuis 1998 à la NASA, et dirige un programme au SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence). On apprend donc où en est l’exploration : sondes, satellites, etc. Nous connaissons aujourd’hui plus de 5000 exoplanètes, et elle dit un moment que « penser que nous sommes seuls dans l’univers est une aberration mathématique ». C’est à la fois passionnant et très lisible. Même si cela peut sembler paradoxal, elle montre à quel point les frontières de l’infiniment grand continuent de s’éloigner, avec des distances qui dépassent mon entendement personnel. En même temps, elle montre comment l’existence d’autres formes de vie est non seulement possible, mais de plus en plus probable. L’ouvrage peut donner le vertige, mais il a le mérite de rendre modeste."


Marées

Lucile Schmid, créée le 29-01-2023

"Je vous recommande un roman cette semaine, le premier de son autrice, la canadienne Sara Freeman. Il a déjà été salué par la critique aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en France. C’est aussi un peu un objet littéraire, avec des paragraphes disjoints. L’héroïne a vécu un drame qui la conduit à refuser toute forme d’intimité, à disparaître et à aller s’installer dans une petite ville au bord de la mer, au moment où la saison touristique se termine. Elle passe son temps à aller se baigner la nuit, à trouver le moyen de vivre sans vivre, pour remonter la pente peu à peu. Je trouve le roman extraordinairement émouvant, et très réussi dans ce que le drame provoque d’incommunicabilité. "


Oh, Canada

Philippe Meyer, créée le 22-01-2023

"Russell Banks est mort il y a quelques jours et son ultime roman, Oh, Canada est placé sous l’invocation d’un vers de Fernando Pessoa : « Au souvenir de qui je fus, je vois un autre ». La vie de son héros, un documentariste révéré en raison de ses investigations percutantes, est-elle une imposture ? Et, si oui, laquelle ? N’a-t-elle été qu’une longue cavale ? Et pour fuir qui, ou quoi ? Au moment où la mort a déjà saisi presque tout son corps, Léonard Fife, que certains ont héroïsé parce qu’il avait déguerpi au Canada pour éviter la conscription et donc la guerre au Vietnam, veut répondre à ces questions et démêler ce qui fut mystification de ce qui fut le véritable Léonard. Mais est-ce le refus de la guerre qui l’a conduit à abandonner femme et enfant ? Son affaiblissement lui permet-il encore de se souvenir ou les médicaments qui l’aident à maintenir un souffle de vie dans sa carcasse le conduisent-ils à battre la campagne ? La boîte aux souvenirs se révèle être une boîte de Pandore et l’ultime roman de Russell Banks une recherche poignante de la trace que nous gardons de nous-même à nos derniers moments et de celle que nous laisserons après nous."


Boulevard de Yougoslavie

Marc-Olivier Padis, créée le 22-01-2023

"Je vous recommande ce livre tout à fait original, signé de trois romanciers, Arno Bertina, Mathieu Larnaudie et Olivier Rohe. Avoir trois plumes pour un roman est déjà assez inhabituel, mais ce projet est lié à une invitation. A Rennes, les trois auteurs ont recueilli la parole des habitants, confrontés à un vaste projet de rénovation de leur quartier résidentiel, bâti dans les années 1960. Devant la fronde suscitée par le projet de rénovation que la mairie avait commandé à une agence d’urbanisme, tout le monde a pris conscience qu’il fallait vraiment écouter les habitants. C’est là toute la question de l’ouvrage : c’est quoi, écouter vraiment les habitants ? Quels habitants, d’abord ? Il y a ceux qui ne veulent jamais prendre la parole, il s’agit de comprendre pourquoi. Comment va-t-on les chercher ? Il faut un talent de plume particulier pour restituer ce genre de réticence. A une époque où l’on parle tant de démocratie participative et de concertation, cette investigation littéraire est très éclairante."


Enseignement du français en Allemagne

Michaela Wiegel, créée le 22-01-2023

"J’avais déjà alerté à ce micro sur la baisse préoccupante des élèves français qui apprennent l’allemand. 70% des places de professeurs d’allemand n’ont pas été pourvues l’année dernière, par manque de candidats. Aujourd’hui, nous avons les chiffres d’Allemagne, guère plus réjouissants. Il n’y a plus que 15,3% des élèves allemands qui apprennent le français. A la différence de la France, cette langue reste tout de même la deuxième étudiée (derrière l’anglais). Mais l’espagnol monte en puissance, et le latin reste très faible. Ce chiffre global cache des disparités, et c’est probablement la seule note d’espoir. La Sarre, qui a une stratégie très offensive pour l’enseignement du français, a encore 51,2% de ses élèves qui l’apprennent. On voit donc bien qu’il s’agit de volonté politique, puisque qu’en Rhénanie du Nord - Westphalie, un Land tout proche, le chiffre n’est que de 11,5%. "


Cuba : une histoire de l’île par sa musique et sa littérature

Matthias Fekl, créée le 22-01-2023

"Il y a quelques années, Marcel Quillevéré, l’auteur du livre, avait fait sur France Musique une série absolument remarquable d’une soixantaine d’épisodes (« Cuba, la musique et le monde »). C’est ce travail qu’il poursuit dans ce livre à l’iconographie magnifique. Les amoureux de ce pays y découvriront ses influences culturelles ; caribéennes bien sûr mais aussi européennes, africaines, chinoises, ou américaines. "


La relation à l’autre : au cœur de la pensée sociologique

Nicolas Baverez, créée le 22-01-2023

"Ce livre de Dominique Schnapper éclaire le débat entre l’universalisme et les identités, en reparcourant l’Histoire de la sociologie, et en l’éclairant des traditions nationales : Durkheim avec l’intégration nationale, Max Weber avec le débat entre communautés et sociétés, le Royaume-Uni avec la tradition impériale, et les Etats-Unis avec l’écrasante ombre portée de l’esclavage et de la ségrégation. C’est un livre passionnant, qui souligne le danger des dérives identitaires pour la démocratie, et pour sa vocation universaliste."


Notre revanche sera le rire de nos enfants

Akram Belkaïd, créée le 15-01-2023

"Le titre de ce livre est une citation de Bobby Sands, qui fut un militant de l’IRA irlandaise, mort d’une grève de la faim à l’époque de Margaret Thatcher. L’ouvrage regroupe les reportages de Sorj Chalandon, qui était reporter à Libération, et avait couvert le conflit irlandais. Les articles vont de 1977 à 2006, et rappellent ce que fut cette guerre au cœur de l’Europe. A lire ou relire tout cela, on se dit à la fois qu’il s’agit d’un monde qui n’existe plus, mais dont certains aspects gardent pourtant un écho particulier avec ce que nous vivons aujourd’hui."


Souvenirs des montagnes au loin

Nicolas Baverez, créée le 15-01-2023

"Je vous conseille ce livre absolument extraordinaire d’Orhan Pamuk. Jusqu’à l’âge de 22 ans, Pamuk voulait être peintre, après quoi il décida de se consacrer à la littérature. En 2008, il est entré dans une boutique, a racheté de quoi peindre, et a commencé à tenir des carnets quotidiens, comprenant à la fois des écrits et des dessins. Ce livre en regroupe un certain nombre, dans un ordre qui n’est pas chronologique. C’est vraiment prodigieux. On y retrouve pêle-mêle la Turquie bien sûr, Istanbul, sa relation à l’écriture et à la littérature. Mais aussi ce que c’est que d’être un romancier turc soutenu surtout en Occident (on sait que sa situation dans son pays est très compliquée), beaucoup de choses sur son amour de la mer, de la nage, et la généalogie de ses créations littéraires. Et puis les montagnes au loin."


Vivre deux cultures

Nicole Gnesotto, créée le 15-01-2023

"« Comment peut-on naître franco-persan ? » C’est le sous-titre de cet ouvrage de Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po. On connaît l’auteur pour ses nombreux livres analysant les relations internationales, mais cette fois-ci, il s’agit d’un livre bien plus personnel. Il y raconte sa double culture, française par sa mère, issue de la bourgeoisie de Soissons, et persane par son père, qui quitta l’Iran pour venir faire ses études en France dans les années 1920. Le récit est assez émouvant, déjà parce que ce mélange de cultures est assez rare, mais aussi parce que les portraits y sont formidables, et les difficultés d’intégration vécues par son père sont très décevantes. Tout cela fait bien comprendre les thèmes chers à Bertrand Badie dans son travail : son respect pour les cultures différentes, son attention à propos des vertus du métissage, et sa critique de l’arrogance occidentale. Très enrichissant."


682 jours

Philippe Meyer, créée le 15-01-2023

"L’amitié que notre équipe éprouve pour Roselyne Bachelot et Roselyne Bachelot pour notre équipe n'est un mystère pour personne. C'est pourquoi personne ne sera étonné que je signale et recommande à l'attention de nos auditeurs le livre qu'elle publie aux éditions Plon sous le titre 682 jours. Nos auditeurs pourront d'ailleurs retrouver sur notre site sous l’onglet Les Thématiques l'émission que nous avions réalisée avec elle en octobre 2021 sur la politique culturelle (n°214). Qu'il s'agisse du patrimoine, de l'évolution des pratiques culturelles, des conséquences de l'importance prise par le numérique, Roselyne Bachelot dresse un panorama dont elle ne se contente pas de signaler les points noirs, mais dont elle propose des pistes d'évolution. Elle règle aussi quelques comptes et les distribue de joyeux coups de griffe, notamment à ceux qui dans le monde artistique ont un comportement de nantis et un discours de victimes. Trop de commentateurs n’ont retenu que cet aspect de ce livre qui offre à tous ceux à qui la politique culturelle importe les éléments nécessaires à une véritable réflexion."